LA POLITIQUE DE DÉFENSE DES ÉTATS-UNIS :
UNE NATION EN QUÊTE D'INVULNÉRABILITÉ

La politique de défense des Etats-Unis, telle qu'elle est aujourd'hui formulée et mise en oeuvre, apparaît déterminée par trois facteurs principaux.

Elle est tout d'abord directement inspirée des conceptions doctrinales de l'actuelle administration , forgées au cours de la dernière décennie dans les cercles républicains et déjà influentes, au cours des années passées, en particulier au sein du Congrès. Elles se caractérisent par le rôle primordial accordé à la puissance militaire dans la conduite de la politique extérieure et par la volonté de réviser radicalement le cadre stratégique issu de la guerre froide. Cette révision passe par l'abandon d'accords ou de traités jugés obsolètes, mais surtout par une adaptation des forces armées aux nouvelles menaces , au premier rang desquelles figure la prolifération des armes de destruction massive. Parallèlement, l'outil militaire américain se doit de pouvoir garantir la sécurité nationale dans une large variété de cas de figure, grâce notamment à une supériorité technologique absolue.

Le deuxième facteur est bien entendu lié aux attaques du 11 septembre 2001 et aux exigences de la guerre dans laquelle les Etats-Unis sont désormais engagés contre le terrorisme et « l'axe du mal » . Parmi ces exigences, qui confirment et accentuent les orientations définies par le Président Georges W. Bush au cours de son début de mandat, la protection du territoire américain s'impose comme un impératif absolu , alors que les moyens militaires doivent être adaptés aux actions punitives ou préventives contre les organisations et les régimes menaçants.

Enfin, troisième facteur, des moyens financiers considérables sont dégagés au service de cette volonté politique. La priorité budgétaire accordée à la défense et la spectaculaire progression des crédits militaires envisagée pour les années à venir, permettront, si elles sont suivies d'effet, de mener un effort « tous azimuts » de renforcement des capacités offensives et défensives de l'appareil militaire américain.

Au cours de son séjour à Washington, et plus particulièrement au travers de ses contacts au Conseil national de sécurité, au Pentagone et avec plusieurs experts, la délégation de la commission des Affaires étrangères et de la défense a pu mesurer ces évolutions majeures. A l'aide des informations recueillies, elle a été en mesure d'approfondir trois principaux aspects du sujet :

- le cadre général de la politique de défense américaine, tel qu'il est notamment formulé dans deux documents d'orientation présentés par le Pentagone au cours des derniers mois : la Quadrennial Defense Review et la Nuclear Posture Review ,

- la mise en oeuvre de la politique de défense elle-même au travers de la poursuite du programme de défense antimissile ( Missile Defense) , de la protection du territoire national dans le cadre de la « Homeland Defense » et des priorités retenues par un budget de défense en forte augmentation,

- enfin, l'évolution des relations stratégiques que les Etats-Unis entretiennent avec deux grands partenaires : leur adversaire d'hier, la Russie, d'une part, et leurs alliés de l'OTAN d'autre part.

I. UN CADRE CONCEPTUEL REFORMULÉ : LA QUADRENNIAL DEFENSE REVIEW ET LA NUCLEAR POSTURE REVIEW

Les tendances actuelles de la politique de défense des Etats-Unis peuvent se résumer en quelques grandes caractéristiques.

Tout d'abord, une priorité absolue est accordée à la protection du territoire national américain , dont la vulnérabilité a été dramatiquement démontrée le 11 septembre 2001. Cette priorité se traduit par de multiples développements, tant sur le plan civil, avec la mise en place d'un bureau pour la sécurité intérieure ( Office for Homeland Security ), prélude éventuel à un futur ministère de la sécurité intérieure, que sur le plan militaire, qu'il s'agisse de la relance du projet de défense antimissile ( Missile Defense ) ou de la réorganisation des grands commandements interarmées .

Deuxièmement -la délégation l'a constaté auprès de tous ses interlocuteurs- le sentiment que pèsent sur les Etats-Unis de nouvelles menaces , imprévisibles et multiformes, s'accompagne d'une polarisation sur les armes de destruction massive -nucléaires, bactériologiques, chimiques ou radiologiques- armes dont pourraient disposer certains Etats mal intentionnés ou des organisations terroristes. La prolifération de telles armes et la possibilité de les utiliser au moyen de missiles balistiques à longue portée constituent aujourd'hui incontestablement la préoccupation majeure, tant au sein de l'exécutif qu'au Congrès . Il s'agit là d'une différence de perception importante entre les Etats-Unis et les pays européens, bien que ces derniers soient, aux yeux des Américains, tout aussi concernés, sinon davantage, du fait de leur proximité géographique avec les pays s'équipant de capacités balistiques.

Troisièmement, ces nouvelles menaces provoquent un déplacement des préoccupations stratégiques des Etats-Unis vers l'Asie au sens large, de l'Irak et l'Iran jusqu'à la Corée du Nord. Au-delà de ces trois pays constituant pour le Président Bush « l'axe du mal », la montée en puissance de la Chine , bien que rarement évoquée officiellement, reste un déterminant majeur de la politique américaine.

Enfin, de même que la menace soviétique avait inspiré la politique de défense des Etats-Unis tout au long de la guerre froide, c'est un nouveau défi qu'elle doit aujourd'hui relever, en apportant à l'outil militaire les transformations nécessaires. L'incertitude du nouveau contexte impose de se doter du plus large éventail possible de capacités permettant de réagir en toute circonstance avec l'assurance d'une suprématie absolue . Cette suprématie militaire américaine doit être préservée et accentuée, grâce à des équipements hautement sophistiqués, en particulier dans le domaine du renseignement, des communications et des capacités de frappe à longue distance avec des armements de précision. La politique d'équipement des forces ne vise rien moins qu'à garantir une invulnérabilité mise à mal le 11 septembre 2001.

Dans ce nouvel environnement, les Etats-Unis se veulent pragmatiques et réactifs, et ne s'interdisent a priori aucune option , y compris, semble-t-il, dans le domaine nucléaire. La puissance militaire américaine se veut dissuasive à l'encontre de tout ennemi potentiel. Si l'action militaire peut intervenir en riposte à une agression, la légitimité de l'action en premier , à titre préventif, est reconnue, en vue de désarmer des organisations ou des régimes menaçants. Comptant davantage sur leurs propres forces que sur les traités internationaux ou sur les alliances institutionnelles, les Etats-Unis entendent conserver les mains libres pour préserver leur sécurité.

A. LA « QUADRENNIAL DEFENSE REVIEW » : UNE CONFIRMATION DES GRANDES LIGNES DE LA « TRANSFORMATION » DE L'OUTIL MILITAIRE AMÉRICAIN

Depuis 1993, la loi fédérale fait obligation à chaque administration en début de mandat d'établir un document de référence relatif à la stratégie de défense des Etats-Unis . Après les « revues » élaborées par l'administration démocrate en 1993 puis en 1997, la Quadrennial Defense Review (QDR) de septembre 2001 constituait donc le troisième exercice du genre et était particulièrement attendue, compte tenu de l'importance accordée par le Président Georges W. Bush aux questions de défense et des ambitions réformatrices de ses conseillers.

1. La genèse de la Quadrennial Defense Review : un contexte profondément modifié par les attaques du 11 septembre 2001

La valeur et la portée de la Quadrennial Defense Review , présentée le 30 septembre 2001 au Congrès, ont été largement modifiées par les attaques terroristes survenues quelques jours plus tôt à New York et Washington.

L'exercice s'était en effet engagé dans des conditions à bien des égards délicates pour le Secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld.

Convaincu de l'inadaptation au nouveau contexte géopolitique et aux nouvelles menaces de l'appareil militaire américain, trop marqué à ses yeux par l'héritage de la guerre froide, Donald Rumsfeld avait lancé dès son entrée en fonction une « revue stratégique » avec l'ambition de réviser radicalement l'outil de défense. Cette démarche s'est rapidement heurtée à de vives résistances au sein de l'institution militaire et du Congrès. Dans le contexte budgétaire du moment, elle impliquait une réduction du personnel des forces et l'abandon de certains programmes d'équipement, alors même que plusieurs points phares du programme républicain, comme la priorité accordée à une version beaucoup plus élaborée de la défense antimissile, ne faisaient pas l'unanimité.

Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont profondément modifié le contexte politique dans lequel a été présenté la Quadrennial Defense Review.

En premier lieu , ces évènements tragiques ont pleinement confirmé les analyses relatives aux nouvelles menaces, en particulier aux menaces « asymétriques » liées au terrorisme ou aux armes biologiques et chimiques, et ils ont légitimé la nécessité de s'y adapter, comme ne cessait de le préconiser la nouvelle administration. Les premiers enseignements des attaques du 11 septembre ont été intégrés au document qui devait être présenté quelques jours plus tard. Loin d'en imposer la révision ou le remaniement, ils en ont au contraire renforcé la pertinence, venant à l'appui des démonstrations du Pentagone.

Deuxièmement, le choc du 11 septembre a favorisé un consensus politique autour du caractère prioritaire de la protection du territoire américain et de la modernisation de l'outil militaire.

Enfin, la perspective d'un contexte budgétaire totalement nouveau, et beaucoup plus favorable à la défense, a rendu bien moins nécessaires les arbitrages douloureux que laissaient présager les projets initiaux de Donald Rumsfeld. Les préoccupations de la nouvelle administration ont ainsi pu être prises en compte sans pour autant imposer une remise en cause trop radicale de l'organisation et de l'équipement des forces.

Ce contexte bien particulier donne à la Quadrennial Defense Review du 30 septembre 2001 une double caractéristique :

- elle reflète la continuité plus qu'elle ne constitue une rupture dans la politique de défense des Etats-Unis,

- elle entérine néanmoins et accentue des inflexions amorcées depuis la fin de la guerre froide et formalise les grandes lignes d'une « transformation » de l'outil militaire américain .

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