3. Les composants de la Missile defense : une architecture ambitieuse

a) Un système global aux objectifs plus larges que la National missile defense

A la différence du projet de National missile defense mis au point par l'administration Clinton et qui reposait sur un site d'intercepteurs basés à terre dans un premier temps, puis sur deux sites dans l'architecture définitive, la Missile defense apparaît comme un « système de systèmes », beaucoup plus complexe et global :

- il doit protéger le territoire national , ce qui était déjà l'objectif de la National missile defense , mais également les pays alliés et amis ainsi que les forces déployées ;

- il vise à intercepter le missile dans toutes les phases de sa trajectoire (phase de propulsion, mi-course et phase terminale), en faisant appel à tous les types d'intercepteurs, terrestres, navals, aéroportés et spatiaux, alors que la National missile defense se limitait à des intercepteurs terrestres.

Sur le plan conceptuel, la Missile defense se distingue de la National missile defense . Outre l'extension géographique traduite par la disparition du terme National , elle efface la distinction antérieure entre défense du territoire national et défense de théâtre ( Theater missile defense - TMD ) sous l'effet de deux modifications :

- l'intégration dans un même système de l'ensemble des programmes de défense de théâtre, de zone ou du territoire national ;

- l'utilisation de techniques telles que l'interception en phase de propulsion qui détruisent le missile quelque soit l'objectif final du tir (les Etats-Unis, un pays allié ou ami ou des forces déployées).

On rappellera 5 ( * ) que le système envisagé par l'administration Clinton s'articulait autour des éléments suivants :

- l' amélioration des 5 grands radars d'alerte rapide actuellement utilisés par les Etats-Unis (dont un est situé au Groenland et un autre au Royaume-Uni), qui auraient pour mission de détecter et de suivre les missiles lancés en direction des Etats-Unis,

- un radar à large bande, dit « en bande X » , qui devrait être construit à Shemya, dans les îles Aléoutiennes, à l'extrême ouest de l'Alaska, et possèdera une résolution lui permettant de distinguer la tête du missile des leurres et des débris apparus lors de la séparation du missile et d'évaluer la réussite ou l'échec de l'interception,

- des satellites de surveillance dotés de senseurs infrarouge ( Space based infrared systems- SBIRS ), devant permettre une détection plus précoce des tirs de missiles ; sont en dévlppement deux systèmes, l'un situé en orbite haute ( SBIRS -High ), l'autre en orbite basse ( SBIRS -Low ),

- des intercepteurs terrestres lancés à partir de deux sites (Alaska et Dakota du nord) et se présentant sous la forme d'un missile à trois étages dont le dernier est constitué par un « véhicule d'impact » ( Exoatmospheric Kill Vehicle - EKV ) destiné à détruire par collision la tête assaillante,

- un système de gestion de l'engagement qui analysera les données fournies par les radars et satellites d'alerte et de surveillance pour identifier les têtes assaillantes, engager les intercepteurs et leur transmettre en vol les informations relatives à la trajectoire des têtes.

Le principe du système repose sur l'interception directe ( hit to kill ) du missile assaillant lors de sa phase de rentrée dans l'atmosphère.

b) Les programmes impliqués dans la Missile defense

La Missile defense suppose à la fois la poursuite des projets engagés par l'administration Clinton , la mise en oeuvre de techniques d'interception à partir de navires et d'avions, voire de satellites , et l'intégration dans l'architecture du système des programmes de défense antimissile de théâtre .

L'architecture de la Missile defense distingue trois segments :

- l' interception à mi-course , à partir de lanceurs terrestres selon le projet établi sous l'administration précédente, mais également à partir de navires , avec une version dérivée du projet Navy Theater Wide (NTW) 6 ( * ) adaptant aux besoins de la défense antimissile le radar Aegis et le missile Standard SM-3 embarqués sur des croiseurs,

- l' interception en phase de propulsion du missile , qui privilégie l'utilisation d'armes à énergie dirigée, à savoir dans un premier temps un laser aéroporté ( Airborne laser ) embarqué sur un Boeing 747, puis un laser basé dans l'espace ( Space based laser - SBL ) ; sont également mis à l'étude des projets d'intercepteurs en phase propulsée à énergie cinétique, lancés à partir de navires ou de satellites ( Space based experiment -SBX ),

- enfin, l' interception en phase finale , grâce aux différents systèmes de défense de théâtre 7 ( * ) , essentiellement terrestres, en cours de développement comme le Patriot PAC-3 et le programme MEADS ( Medium Extended Air Defense System ) pour la « couche basse », et le THAAD ( Theater High Altitude Area Defense ) pour la « couche haute » ; le programme Navy Area Defense , conçu pour l'interception de missiles balistiques tactiques dans la basse couche atmosphérique à partir d'un navire (croiseur équipé du radar Aegis) a en revanche été annulé.

En ce qui concerne les senseurs , c'est à dire les satellites et les radars, les projets engagés par l'administration précédente (amélioration des radars d'alerte rapide, construction d'un radar « en bande X », programmes SBIRS-High et SBIRS-Low ) sont poursuivis. Les documents produits par la Missile Defense Agency évoquent en outre un projet de radar « en bande X » installé sur une plate-forme navale.

On le voit, l'actuelle administration poursuit un objectif ambitieux visant à explorer tous les développements possibles , utilisant aussi bien des sites terrestres que des moyens aériens, navals et spatiaux, des techniques d'interception cinétique (véhicules d'impact) ou de destruction par énergie dirigée (laser), et visant à traquer le missile assaillant à toutes les phases de sa trajectoire.

Les segments « phase propulsée » et « mi-course » permettraient d'assurer la défense du territoire national, le segment « trajectoire terminale » assurant une défense de zone ou de théâtre.

Le programme d'essai s se poursuit avec un certain succès, sous l'égide de la Missile defense agency , nouvelle appellation de la BallisticMissile Defense Organization . Le 15 mars 2002, l'interception d'un missile intercontinental a été réussie pour la 4ème fois consécutive dans le cadre d'essais portant sur la composante terrestre de la Missile defense . Au cours de cet essai, l'ensemble des éléments du système ont été mis éprouvés : le système de contrôle et de commandement de l'engagement, le radar de conduite de tir en bande X, les capteurs spatiaux et terrestres et l'intercepteur.

Par ailleurs, un essai en vol sans interception a été réalisé à partir d'un navire avec un missile SM 3 destiné au segment naval de la Missile defense .

Ces différents essais ne dissipent cependant pas l'incertitude qui demeure sur le degré de faisabilité technique des différentes composantes et surtout les échéances auxquelles elles pourraient être déployées.

A la différence de l'administration Clinton, qui sollicitait du Congrès l'autorisation de déployer un système précis, selon un calendrier prévisionnel bien défini, l'administration Bush ne veut pas s'enfermer dans un cadre contraignant, ni s'engager sur un coût global. Elle entend développer progressivement, de front, les différentes composantes . Outre l'édification d'une première capacité d'interception à partir de l'Alaska, la priorité irait à la mise au point de la composante navale à mi-course , dérivée du Navy Theater Wide , ainsi qu'au système laser embarqué sur un Boeing 747 . Les autres composantes voient leurs échéances de déploiement largement subordonnées à des développements complémentaires.

Quant aux conditions techniques et diplomatiques d'une couverture des alliés et amis, elles n'ont pour l'instant donné lieu à aucune réflexion approfondie. Des propositions pourraient être effectuées avant le sommet de l'OTAN à Prague au mois de novembre. Si l'on peut penser qu'à cette occasion, l'Alliance confirmera son intérêt pour une défense antimissile de théâtre destinée à la protection des troupes déployées, il est moins probable qu'elle soit engagée dans un programme d'ensemble qui devrait conserver dans un premier temps un caractère national américain.

Il est clair que l'extension de la Missile Defense aux pays alliés et amis exigerait une modification de l'architecture, et notamment des radars et des moyens de lancement supplémentaires.

Les Etats-Unis viennent pour leur part d'engager leurs premiers travaux en Alaska , dès que le retrait du traité ABM est devenu effectif au mois de juin. Ils concernent le radar en bande X de Shemya d'une part, et la construction à Fort Greely de cinq silos destinés à accueillir les missiles intercepteurs.

Les responsables rencontrés à Washington par la délégation ont évoqué l'échéance de 2004 pour l' entrée en service de ce premier segment terrestre . Beaucoup de commentateurs estiment que tout sera fait pour qu'une capacité limitée dite « d'urgence » et faisant appel à des prototypes et non à la version définitive des intercepteurs, puisse symboliquement être déployée avant la fin de l'année 2004, terme du mandat présidentiel.

Certains experts mettent en doute le réalisme d'une telle échéance mais d'autres soulignent que pour l'actuelle administration, la date de mise en service d'un système opérationnel importe moins que la satisfaction symbolique d'avoir imposé la poursuite du programme. De ce point de vue, le retrait de traité ABM a marqué une étape décisive , puisque aucune contrainte internationale n'entrave plus désormais la marche vers l'édification d'une défense antimissile, quel qu'en soit le rythme.

Personne ne doute aujourd'hui que les Etats-Unis disposeront, à moyen terme, d'une défense antimissile, et que les obstacles techniques seront surmontés avec le temps. Le caractère irréversible de la démarche s'impose désormais aux yeux de tous, et la controverse internationale sur le sujet s'est atténuée.

* 5 Voir la description détaillée du système dans le rapport Sénat n°417 (1999-2000) précité.

* 6 Voir la description de ce programme dans le rapport Sénat n°417 (1999-2000) précité

* 7 Voir la description détaillée des programmes de défense antimissile de théâtre dans le même rapport.

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