B. LES FRAGILITÉS DE LA R.I.E.P.

La R.I.E.P. fournit indéniablement l'offre de travail la plus complète du monde carcéral. En pointe en matière de « droit du travail », elle affiche également de grandes ambitions pour permettre par le travail, une qualification du détenu.

Si la concession s'avère adaptée pour la réalisation de travaux consommateurs de main-d'oeuvre peu ou pas qualifiée, pouvant accepter des fluctuations conjoncturelles, pour lesquels la flexibilité des conditions d'emploi en prison et la modération du niveau des rémunérations et des charges sont des éléments déterminants pour les entreprises, elle s'avère moins pertinente dès lors qu'il s'agit de développer des activités plus qualifiées, nécessitant un investissement en biens d'équipement et assurant une relative stabilité du niveau d'emploi.

De telles activités sont particulièrement utiles dans les établissements qui accueillent des détenus condamnés à de longues peines, où la sécurité des détentions suppose des activités régulières, échappant à de trop fortes variations saisonnières. La durée des peines nécessite de pouvoir proposer à ces détenus des activités plus porteuses de qualification, et des niveaux de rémunération plus motivants qu'en maison d'arrêt, en même temps que d'assurer un encadrement suffisant pour la bonne organisation des ateliers et la qualité des travaux.

Tel est l'objet de la R.I.E.P. Elle cherche à développer des activités dans des domaines formateurs pour les détenus (menuiserie, mécanique, imprimerie, informatique...). Les commandes qu'elle reçoit de l'administration pénitentiaire, ou d'autres administrations, concourent à équilibrer les fluctuations de ses carnets de commande auprès des clients privés, et stabilisent ainsi les plans de charge des ateliers. Présente dans les établissements pour peine, et notamment dans les maisons centrales, elle contribue à l'encadrement et à l'insertion de détenus réputés difficiles ou dangereux.

La réalité est plus complexe. Le positionnement de la R.I.E.P est aujourd'hui quelque peu brouillé.

Premièrement, elle n'est pas seulement présente dans des établissements pour peine, mais aussi dans des maisons d'arrêt. Il y a des raisons historiques, mais aussi d'opportunité à cela. Elle est présente dans les maisons d'arrêt de :

- Rouen ;

- Fleury-Mérogis ;

- Fresnes ;

- La Santé ;

- Rennes 8 ( * ) .

La R.I.E.P. ne représente cependant que 3 % des emplois en maison d'arrêt.

Deuxièmement, alors que la R.I.E.P. a à sa charge le développement du travail dans les établissements pour peine, elle ne représente que 56 % des emplois en production dans les maisons centrales et 30 % en centres de détention du parc classique . Elle est évidemment absente des établissements à gestion mixte, dits établissements 13.000, où ce sont les gestionnaires privés assurant les prestations d'hôtellerie ou de cantine qui fournissent, parfois très imparfaitement, du travail.

Certes, elle n'est supposée être présente que dans les établissements où la demande de travail ne peut être satisfaite par le seul secteur de la concession. C'est en fait le contraire qui se produit. Le nombre de détenus employés par la R.I.E.P. plafonne depuis plusieurs années : la R.I.E.P. ne paraît pas en mesure de développer de manière significative son activité. Les directeurs d'établissements sont dès lors contraints de faire appel au privé pour faire face aux insuffisances de la R.I.E.P. C'est le cas à la maison centrale de Poissy, où la direction fait appel à la société GEPSA pour offrir des emplois supplémentaires. La maison centrale de Saint-Maur semble pencher pour la même option.

Troisièmement, les emplois offerts par la R.I.E.P. ne sont pas toujours très recherchés par les détenus. Si, dans un grand nombre de cas, les emplois de la R.I.E.P. constituent le nec plus ultra en prison, d'autres sont plus décriés. Surtout, ce ne sont pas toujours les détenus les plus motivés qui travaillent à la R.I.E.P. Ainsi, au centre de détention de Melun, les concessionnaires privés, comme l'atelier de métallerie de la R.I.E.P., sont réputés offrir les emplois les plus intéressants et les mieux rémunérés tandis que l'atelier d'imprimerie est jugé par les détenus qui y travaillent par ces mots : « ici, on est un peu fonctionnaire, de toute façon, on est payé à l'heure, on est tranquille... »

Quatrièmement enfin, les emplois offerts ne sont pas toujours aussi qualifiants que la R.IE.P. veut bien le dire. Votre rapporteur spécial a déjà évoqué le travail à façon qui représente 25 % des emplois de la R.I.E.P.

Il peut également évoquer le cas de la confection qui offre indéniablement une qualification. Reste à savoir si cette qualification peut vraiment être recyclée à la sortie de prison quand on connaît les difficultés de l'industrie textile française.

Enfin, la R.I.E.P. produit, dans l'atelier de menuiserie de la maison centrale de Saint-Maur, des cercueils pour les indigents de la ville de Paris. Cette activité n'est bien sûr pas déshonorante. Ce qui choque votre rapporteur spécial, c'est qu'aucune autre activité de menuiserie ne soit proposée à côté pour diversifier l'emploi des détenus affectés à cette tâche.

1. Une stagnation de l'activité

a) Des indicateurs en baisse...

Le nombre de détenus employés par la R.I.E.P. est en diminution depuis de très nombreuses années. En 1987, la R.I.E.P. occupait 2.170 détenus, soit 12 % de la main d'oeuvre pénale. La R.I.E.P. n'emploie plus que 5,8 % des détenus au travail. Le travail fourni par son intermédiaire devient de plus en plus marginal. Le service public de l'emploi pénitentiaire devrait pourtant occuper une part centrale en milieu carcéral.

Évolution du nombre de détenus employés par la R.I.E.P. depuis 1998

Le chiffre d'affaires de la R.I.E.P. ne suit pas tout à fait la même évolution. Certes, celui-ci a baissé depuis 1990 de 21 % mais cette baisse doit être analysée par le fait que la structure du chiffre d'affaires a changé suite au recentrage de la R.I.E.P. sur ses activités de production et à l'évolution de sa clientèle :

- le chiffre d'affaires généré par les travaux de bâtiment, la gestion des centres de reconduite à la frontière et les magasins nationaux représentait jusqu'en 1994 10 % du chiffre d'affaires total de la R.I.E.P. Ces activités sans rapport avec les missions de la R.I.E.P. ont progressivement disparu ;

- le chiffre d'affaires réalisé auprès des clients privés a augmenté. Les activités sont essentiellement réalisées dans le cadre de travaux de sous-traitance pour lesquels le client fournit les matières premières, diminuant d'autant le chiffre d'affaires.

Depuis 1994, le chiffre d'affaires de la R.I.E.P. stagne : ceci est inquiétant car la R.I.E.P. n'a pas profité de la reprise économique constatée entre 1997 et 2001. Malgré les efforts déployés en matière commerciale, le chiffre d'affaires ne parvient pas à se développer.

Deux secteurs d'activité ont disparu en 2000 : le matériau composite à Muret et la boulangerie à Fresnes, ce qui correspond à une perte de chiffre d'affaires d'un demi-million d'euros.

L'imprimerie du centre de détention de Muret connaît un chiffre d'affaires en baisse d'un peu moins d'un million d'euros depuis 1996. La difficulté d'opérer des investissements modernes dans un secteur d'activité très concurrentiel et l'impossibilité qu'il y aurait à amortir les machines correctement compte tenu du nombre d'heures travaillées et de l'absence d'un travail en 3x8 ont provoqué des pertes de clientèle.

Le chiffre d'affaires de la confection a lui aussi baissé de 600.000 euros. Un maintien du chiffre d'affaires est observé dans l'informatique, l'agriculture, la chaussure et le métal. Une hausse est constatée dans les secteurs du bois (+ 300.000 euros) et le travail à façon (+ 300.000 euros).

La R.I.E.P. est davantage dans une position défensive qu'offensive. Le nombre de fermetures d'ateliers (22) excède le nombre de créations d'ateliers depuis 1990 (15).

Création d'ateliers depuis 1990 :

- atelier confection :

centre pénitentiaire de Châteauroux (36), maison centrale de Moulins (03) ;

- atelier menuiserie :

centre de détention d'Ecrouves (54) ;

- atelier métallerie :

maison d'arrêt de Gradignan (33), centre de détention d'Eysses (47), centre de détention de Val de Reuil (27), centre de détention d'Ecrouves (54) ;

- atelier façonnage :

centre pénitentiaire de Rennes (35), centre de détention d'Ecrouves (54), maison centrale de Riom (63) ;

- atelier informatique :

maison centrale de Poissy (78), maison d'arrêt de Tulle (19) ;

- atelier composite :

centre de détention de Muret (31), centre de détention d'Eysses (47) ;

- chantier de lutte contre les incendies :

centre de détention de Casiabianda (20).

Fermetures d'atelier depuis 1990 :

- atelier confection :

centre de détention de Loos (59), maison d'arrêt de Rouen (76) ;

- atelier cuir :

maison centrale de Saint-Maur (36), maison d'arrêt de Vannes (56) ;

- atelier menuiserie :

centre de Bédenac (17) ;

- atelier métallerie :

centre de détention de Mauzac (24), maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (91), maison d'arrêt de Fresnes (94) ;

- atelier façonnage :

centre de détention d'Eysses (47), centre de détention de Mauzac (24), centre de détention de Liancourt (60), centre de détention de Val de Reuil (27), maison centrale de Moulins (03), maison d'arrêt de Bourgoin ;

- atelier informatique :

maison d'arrêt de La Santé (75) ;

- exploitations agricoles :

maison centrale de Saint Martin de ré (17), centre de détention d'Eysses (47), centre de détention de Mauzac (24), centre de détention de Muret (31) ;

-ateliers composites :

centre de détention de Muret (31), centre de détention d'Eysses (47) ;

-boulangerie :

maison d'arrêt de Fresnes (94).

Enfin, malheureusement, c'est sur le plan des résultats d'exploitation que la situation de la R.I.E.P. est la plus difficile. Ces résultats sont déficitaires depuis 1997.

Résultats d'exploitation de la R.I.E.P. (en milliers d'euros)

Le nombre d'ateliers déficitaires est supérieur au nombre d'ateliers bénéficiaires.

Il est vrai que la finalité de la R.I.E.P. est proche de celle d'une entreprise d'insertion. Elle s'écarte donc de la vocation naturelle des entreprises à dégager du profit. Cela étant, cette incapacité à atteindre l'équilibre économique, malgré les coups de pouce assez nombreux donnés par l'administration pénitentiaire à sa régie, est préoccupante à moyen terme. Depuis 1951, la R.I.E.P. avait accumulé des résultats qui lui permettent de voir quelques années avec optimisme, puisque sa trésorerie est encore positive. Cela ne saurait durer.

* 8 L'atelier de confection de Rennes a été créé en complémentarité de l'atelier de confection du centre pénitentiaire de Rennes situé à proximité.

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