EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 19 juin 2002 sous la présidence de M. Jacques Oudin, vice-président, la commission a entendu une communication de M. Paul Loridant, rapporteur spécial des comptes spéciaux du Trésor, sur la mission de contrôle, qu'il a menée sur la Régie industrielle des établissements pénitentiaires.

La commission a entendu une communication de M. Paul Loridant, rapporteur spécial des comptes spéciaux du Trésor, sur la mission de contrôle qu'il a menée sur la Régie industrielle des établissements pénitentiaires.

M. Paul Loridant a présenté le compte de commerce de la régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.) qui constitue, avec 23 millions d'euros de crédits, un des comptes spéciaux du trésor les plus méconnus. Il a défini la régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.) comme l'acteur public historique qui fournit du travail aux détenus, soulignant qu'à l'heure où la demande d'une plus grande sévérité pénale conduit à une augmentation du nombre de détenus, il lui paraissait indispensable de se pencher sur l'action que mène la régie pour préparer la réinsertion professionnelle des détenus. Dans la mesure où elle s'insère dans une stratégie et une législation du travail pénitentiaire plus globales, et puisqu'elle est aujourd'hui un acteur parmi d'autres du travail pénitentiaire, il a déclaré qu'il avait été amené à examiner toute la politique du travail pénitentiaire, à l'aune du droit au travail inscrit dans la Constitution mais surtout au regard de l'objectif de réinsertion affiché par le législateur. Il a indiqué qu'il avait pour ce faire conduit 11 auditions, effectué 7 déplacements dans les établissements pénitentiaires et commandé une étude à la division de législation comparée du Sénat.

M. Paul Loridant, rapporteur spécial, a fait observer que le monde du travail pénitentiaire était un monde étrange, en marge du monde du travail à l'extérieur. Il a expliqué que le droit du travail ne s'appliquait toujours pas en prison, en France comme dans les autres pays européens, mais que la France connaissait en revanche un régime relativement avancé en ce qui concerne le droit au travail, puisque le travail n'est plus, depuis 1987, une obligation en prison. Il a ensuite énuméré les différentes formes de travail pénitentiaire, qui sont le service général avec 6.620 détenus employés, la concession avec 6.400 détenus en activité, la régie industrielle des établissements pénitentiaires avec 1.150 détenus dans ses ateliers et le travail à l'extérieur qui occupe 1.340 détenus. Il a défini le régime du service général comme celui s'appliquant aux travaux liés au fonctionnement des établissements pénitentiaires (hôtellerie, cuisine, buanderie, entretien, maintenance...). Il a indiqué que la concession permettait de mettre des personnes détenues à la disposition d'une entreprise privée pour réaliser des travaux de production, principalement de main-d'oeuvre, dans des locaux situés à l'intérieur des établissements pénitentiaires. Il a décrit le rôle que joue la R.I.E.P., qui exerce ses activités principalement dans les établissements pour peine, en complémentarité avec la concession, où l'initiative privée ne se manifeste que difficilement et ne peut répondre entièrement aux besoins de travail des détenus condamnés à de longues peines et réputés difficiles ou dangereux. Il a enfin présenté les mesures d'aménagement de peine visant à préparer la réinsertion professionnelle et sociale des condamnés en leur permettant de travailler, au moyen d'un contrat de travail, pour des collectivités publiques, des association ou des entreprises à l'extérieur.

M. Paul Loridant a formulé un constat très critique sur le quotidien du travail pénitentiaire, notant que celui-ci vivait une grande misère. Il a d'abord constaté que le droit au travail des détenus était, malgré des améliorations récentes, limité : moins d'un détenu sur deux travaille. Il a relevé qu'il manquait, selon ses calculs, 10.000 postes de travail en prison, la situation étant plus dramatique en maison d'arrêt qu'en établissement pour peine. Il a expliqué que les rémunérations étaient dérisoires, révélant qu'elles connaissent de forts écarts, qui dépendent parfois de la productivité du détenu, mais surtout du régime de travail qui s'applique au détenu. Il a ainsi montré que la R.I.E.P. « payait le mieux », le service général offrant des conditions salariales deux à quatre fois moindres. Il a souligné que l'écart de rémunération variait de 100 à 1.000 euros par mois, soit de un à dix, parmi les détenus payés à la pièce. Il a évalué la rémunération moyenne mensuelle brute à 160 euros, à laquelle il convient de déduire différents éléments (parties civiles, pécule de libération et frais d'entretien) qui peuvent représenter jusqu'à 50 % du revenu. Il a comparé ces chiffres avec le coût de la vie en prison qui s'élève au minimum à 200 euros par mois. Il a constaté que les activité proposées ne préparaient pas la réinsertion du détenu, puisqu'il s'agit souvent de travail à façon déqualifié et abrutissant. Il a déploré l' absence de formation professionnelle et le développement d'emplois dans des secteurs d'activité confrontés à la mondialisation économique n'offrant pas de perspectives d'emploi à l'extérieur. Il a regretté que les conditions d'hygiène et de sécurité soient très inégalement respectées.

Le rapporteur spécial a ensuite relevé deux causes à cette grande misère du travail pénitentiaire. Il a indiqué que la première était celle des multiples contraintes qui s'exercent sur le travail pénitentiaire, parmi lesquelles il a noté les contraintes architecturales, la sécurité, la mauvaise organisation de la journée pénitentiaire, les mouvements de personnels et de détenus ou le contexte économique. Il a évoqué comme seconde cause le manque de dynamisme des acteurs du travail pénitentiaire : « pragmatisme » de l'administration qui conduit à l'impasse, fragilité de la régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.), manque de rigueur de beaucoup de concessionnaires. S'agissant de la régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.), M. Paul Loridant a constaté que les résultats n'étaient pas au rendez-vous, malgré l'action d'une équipe compétente, qui a amélioré la gestion financière et développé l'action commerciale. Il a noté que le nombre de détenus employés baissait et que le chiffre d'affaires stagnait. Il a indiqué que la régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.) connaissait des déficits d'exploitation depuis 1997 et que plus de la moitié des ateliers ne parvenaient pas à l'équilibre. Il a souligné que son statut de service de l'Etat était inadapté et qu'il lui était difficile de développer une offre commerciale et d'avoir une préoccupation sociale sans personnalité juridique et sans autonomie financière.

M. Paul Loridant a donc considéré que la situation actuelle n'était pas satisfaisante et a formulé 62 propositions pour une politique du travail pénitentiaire, prenant en compte l'équilibre fragile du monde carcéral. Il a d'abord expliqué que cette nouvelle politique devait être organisée autour d'un programme quinquennal portant sur 10.000 emplois supplémentaires en prison et d'un appel à projets en direction des acteurs économiques. Il a remarqué qu'il n'y aurait pas de travail en prison sans entreprises et qu'il fallait donc rendre ce travail plus attractif, pour ensuite pouvoir être plus sélectif et plus exigeant. Il a déclaré qu'il convenait d'améliorer les conditions d'exploitation économique du travail pénitentiaire, soulignant que la rentabilité de ce type d'activité n'était pas garantie. Il a noté que le rôle des concessionnaires et de la régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.). était proche de celui des entreprises d'insertion ou même des Centres d'Aide par le Travail (C.A.T.) et proposé que le même régime d'exonération de cotisations sociales patronales s'impose, afin d'ériger les prisons en zones franches pénitentiaires. Par ailleurs le rapporteur spécial a suggéré d'impliquer les grandes entreprises, en leur demandant de parrainer des ateliers, ou en demandant à certains salariés en préretraite de faire des actions de tutorat auprès des détenus. Il a évoqué également l'octroi au détenu d'un certificat de travail.

M. Paul Loridant a considéré que la régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.) devait poursuivre son activité, car elle jouait un rôle indispensable en maison centrale, là où les tensions peuvent aboutir à de graves problèmes de sécurité. Il a expliqué que sa survie ne pourrait être assurée qu'au prix d'un changement de statut, proposant la création d'un Établissement Public Pénitentiaire de Réinsertion par le Travail et la Formation Professionnelle, dont le mode de financement serait proche de celui des entreprises d'insertion. En matière commerciale, il a jugé souhaitable de promouvoir activement la clause sociale de recours au travail des détenus et de développer une politique de marque auprès du grand public.

En conclusion, M. Paul Loridant, rapporteur spécial, a insisté sur le sens à donner au travail pénitentiaire, par une introduction mesurée du droit dans la relation de travail, à travers le principe d'un contrat de travail, aménagé en fonction des caractéristiques du milieu carcéral, par l'octroi de garanties sociales élémentaires, comme la cotisation à l'assurance chômage et par une articulation systématique entre travail et formation. Il a souligné qu'il fallait construire un parcours de réinsertion, à travers une orientation du détenu en début de peine, et une sortie progressive, aménagée autour du travail, en fin de peine. Il a appelé à la prudence en ce qui concerne une hausse des rémunérations, pour ne pas mettre à mal l'équilibre économique du travail en prison, mais a jugé possible d'augmenter le pouvoir d'achat du détenu en supprimant les « frais d'entretien ». Il a estimé que la hausse des rémunérations devait être liée à une requalification du travail, déclarant que cette requalification était le vrai défi attendant le travail pénitentiaire.

Un large débat s'est alors engagé.

M. Aymeri de Montesquiou a évoqué le risque de concurrence que fait peser le travail pénitentiaire sur les activité de certaines entreprises, notamment de façonnage, attirant l'attention du rapporteur spécial sur les effets de mesures fiscales qui, tout en satisfaisant à un objectif louable de réinsertion, défavoriseraient des entreprises extérieures.

En réponse, M. Paul Loridant a rappelé qu'il s'agissait d'aligner le régime de cotisations sociales du travail pénitentiaire sur le droit commun du travail peu qualifié, observant que les principaux concurrents des concessionnaires et de la régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.) étaient les Centres d'Aide par le Travail (C.A.T.) et les entreprises installées dans les pays émergents. Il a souligné que de tels abattements de cotisations patronales en faveur du travail pénitentiaire devraient être assorties d'obligations accrues vis à vis des concessionnaires, en termes de salaires, de conditions de travail et de formation professionnelle.

M. François Trucy s'est déclaré convaincu qu'il fallait que le temps de la peine puisse servir à l'acquisition de repères personnels et à la réinsertion. Il a demandé si les conditions de vie des détenus paraissaient convenables et si l'immobilier pénitentiaire était dans un état satisfaisant.

En réponse, M. Paul Loridant a souligné la grande diversité des situations. Il a indiqué que le pire côtoyait le meilleur mais que, s'agissant des ateliers, certains étaient dans un état de vétusté alarmant.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a relevé les inégalités devant le travail dans les différents établissements pénitentiaires. Il s'est interrogé sur les principes que devrait suivre le gouvernement pour son nouveau programme de construction d'établissements pénitentiaires et a demandé en fonction de quelles considérations les établissements arbitraient entre le recours à la concession et le recours à la R.I.E.P.

En réponse, M. Paul Loridant a déploré que les derniers établissements pénitentiaires aient été construits dans des déserts industriels, notant que l'éloignement des prisons empêchait en outre les détenus de garder des liens avec leur famille. Il a opposé l'exemple du centre de détention de Muret, dans la banlieue industrielle de Toulouse, à celui de la maison centrale de Clairvaux, éloignée de toute activité. Il a insisté sur la nécessité de construire des prisons en proche périphérie des villes, au coeur des bassins d'emploi. En ce qui concerne les arbitrages entre concession et régie industrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.), il a noté la complémentarité entre les deux formes de travail. Il a remarqué néanmoins que l'administration pénitentiaire n'avait pas de véritable stratégie et regretté le « pragmatisme » de celle-ci.

Pour finir, M. Claude Belot a évoqué deux exemples concrets rencontrés dans son département : celui d'un chantier de travail extérieur autour de la réhabilitation d'un monument extérieur, interrompu par la volonté de l'administration centrale, et celui d'un partenariat concernant la fabrication d'un avion, qui avait été modifié unilatéralement, toujours par l'administration centrale. Il a ainsi souligné les difficultés que rencontrent les collectivités locales impliquées dans la réinsertion des détenus à tisser des liens pérennes avec l'administration pénitentiaire.

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