2. Favoriser une meilleure maîtrise des rendements

Pour obtenir une production de qualité, les viticulteurs doivent également renoncer à imposer aux vignes des rendements excessifs. Si des avancées ont été faites dans ce sens sur le plan de la réglementation, il convient maintenant de les traduire dans les faits.

Une réglementation plus stricte se met en place

En ce qui concerne la branche des vins de pays et des vins de tab le, deux mesures ont été récemment prises en vue d'une meilleure maîtrise des rendements .

En 2001, la France a utilisé la possibilité, offerte par l'article 79 du règlement du 17 mai 1999 portant organisation commune du marché vitivinicole, de subordonner le bénéfice des aides communautaires aux vins de table au respect d'un rendement agronomique limite , exprimé en hectolitres par hectare.

Le décret n° 2001-964 du 22 octobre 2001 a ainsi fixé ce rendement agronomique limite, qui englobe toute la production de l'exploitation, à 100 hectolitres par hectare, (90 hectolitres par hectare s'il concerne des exploitations produisant également des vins d'appellation).

En outre, les rendements maximum à l'hectare autorisés pour les vins de pays ont été baissés pour la campagne 2001-2002 par un décret 14 ( * ) du 4 avril 2002. Ces rendements passent donc de 90 hl/ha à 85 hl/ha pour les vins rouges et rosés, le rendement maximum autorisé pour les vins blancs étant quant à lui maintenu à 90 hl/ha.

La branche des vins d'appellation a, de son côté, pris conscience de la nécessité de mieux contrôler les rendements.

Dans le régime des vins AOC, les viticulteurs sont tenus de ne pas dépasser un rendement appelé « plafond limite de classement » défini dans les conditions que votre rapporteur rappelle ci-dessous. En cas de dépassement de ce plafond, les quantités obtenues sont envoyées d'office à la distillation.

La définition des rendements dans le régime des vins AOC

Aux termes du décret n° 93-1067 du 10 septembre 1993 relatif au rendement des vignobles produisant des vins à appellation d'origine contrôlée, le rendement moyen d'une exploitation, calculé en tenant compte de la totalité de la vendange récoltée sur les surfaces pour lesquelles l'appellation est revendiquée, ne doit pas dépasser un rendement maximum déterminé.

Chaque décret d'appellation définit, tout d'abord, un rendement de base , qui correspond au volume maximal de vin récolté par hectare de vigne à ne pas dépasser.

Afin de tenir compte de la qualité et de la quantité de chaque récolte, variables notamment selon les conditions climatiques, peut être fixé chaque année, par arrêté ministériel, un plafond limite de classement , égal au rendement de base augmenté d'un pourcentage déterminé. Ce dernier ne doit, en tout état de cause, pas être supérieur à un rendement dit « rendement butoir », fixé par chaque décret d'AOC.

Lorsque le rendement à l'hectare d'une exploitation dépasse le plafond-limite de classement, le volume correspondant à la différence entre ce dernier et le rendement effectif est envoyé à la distillation.

Cette sanction semble être insuffisamment dissuasive. De nombreux interlocuteurs ont fait état de dépassements, même s'il n'a pas été possible d'en obtenir une mesure chiffrée.

Surtout, ce dispositif ne permet pas de prévenir les pratiques de transferts de production entre parcelles, destinées à faire baisser le rendement moyen à l'hectare de l'exploitation.

Ces dérives plaident en faveur d' une appréciation du rendement au niveau même des parcelles avant les vendanges . Un décret visant à instaurer ce contrôle du rendement à la parcelle devrait être publié prochainement. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, ce texte définira un « rendement agronomique maximal » (RAM) par parcelle, vraisemblablement mesuré en nombre de bourgeons ou de grappes par ceps, qu'il conviendra de ne pas dépasser.

Votre rapporteur souhaite que ce décret soit publié dans les meilleurs délais. Si ce nouvel indicateur risque de rendre un peu plus complexe le système de rendements pris en compte dans le régime des vins d'appellation, il importe de ne pas y voir une nouvelle contrainte, mais plutôt le moyen de rentabiliser l'effort collectif de maîtrise des rendements, en empêchant les comportements abusifs.

Il serait souhaitable qu'un tel contrôle des rendements à la parcelle soit également exercé pour les vins de pays.

La sanction du dépassement du rendement agronomique, qui sera propre à chaque appellation, pourra aller jusqu'au déclassement de la parcelle.

Cependant, cette sanction ne sera pas mise en oeuvre immédiatement, l'objectif de la réforme étant aussi d'inciter les viticulteurs à adopter de bonnes pratiques culturales .

De fait, le projet de texte prévoit la mise en place de « commissions techniques de suivi des conditions de production », composées de vignerons et de techniciens de l'INAO. Ces commissions seront chargées d'effectuer des contrôles aléatoires sur les parcelles avant la récolte, afin de confronter la production potentielle de celles-ci avec le rendement agronomique maximal défini dans chaque décret d'appellation.

En cas de problème, la commission conseillera l'adoption de pratiques correctives -telles que l'ébourgeonnage ou la vendange en vert- visant à diminuer le rendement potentiel.

Quant au déclassement, il ne pourra intervenir qu'en cas de poursuite des irrégularités, sur la base d'un constat établi par un agent de l'INAO.

Dans la pratique, la participation des agents de l'INAO aux commissions techniques de suivi devrait conduire à leur rendre ce rôle de technicien-conseil qu'ils exerçaient également à l'origine.

On ne peut que se féliciter de cette évolution qui va dans le sens de relations apaisées et constructives entre les professionnels et les organismes institutionnels de la filière.

Si elle est nécessaire, notamment pour garantir une bonne qualité de la production vinicole, la maîtrise des rendements doit toutefois être réalisée avec discernement .

Il convient de porter une attention particulière à la manière dont elle est mise en oeuvre.

A cet égard, la réforme qui a été récemment appliquée au vignoble charentais n'a pas été totalement satisfaisante puisqu'elle s'est traduite par une dégradation du revenu des viticulteurs.

Comme l'a rappelé M. Jacques Maroteix, Président de la Chambre d'agriculture de Charente-Maritime dans une contribution écrite qu'il a fait parvenir à votre rapporteur, le vignoble charentais est régi depuis le début des années 1980 par une réglementation particulière qui est celle du régime dit des « cépages à double fin », défini à l'article 28 du règlement de 1999 portant organisation commune de marché vitivinicole.

Ce régime doit son nom au fait que les cépages qu'il vise produisent un raisin destiné à plusieurs utilisations. Ainsi, dans la région des Charentes, les cépages destinés à la production de cognac -principalement l'ugni blanc- peuvent servir indifféremment à la fabrication :

- du vin blanc servant à l'élaboration du cognac ;

- de pineau ;

- de vin de pays ;

- de vin de table et de vin de base servant à l'élaboration des mousseux ;

- du moût destiné à la fabrication de jus de raisin.

Traditionnellement, il existe un rendement appelé « quantité normalement vinifiable » (QNV) au-delà duquel les volumes produits sont en principe envoyés à la distillation. Cependant, ces volumes trouvaient jusqu'à présent également des débouchés vers les pays tiers ou sur le marché des jus de raisin.

Ainsi près de la moitié de la production du vignoble cognaçais trouvait des débouchés autres que le cognac.

Le tableau suivant restitue les utilisations des quantités d'ugni blanc produites durant une campagne « normale » :

ECOULEMENT DE LA PRODUCTION DU VIGNOBLE CHARENTAIS DOUBLE FIN SUR LA CAMPAGNE 1997/1998

en hectolitres

Dans la QNV

Moûts destinés au Pineau des Charentes

51 878

Vins aptes

24 661

Vins de table

833 845

Moûts pour vinification

121 781

Moûts pour jus de raisin et pour concentrés

8 749

Distillation préventive (art. 38) et de soutien (art. 41)

54 619

Vins destinés au vinage (art. 38)

38 900

Total autres destinations

1 157 120

Vins pour la distillation Gognac

4 059 919

Total dans les QNV

5 217 039

Au-delà de la QNV

Vins et moûts destinés au vinage (art.36)

121 935

Distillation d'alcool

1 009

Prestations viniques et distillation des lies (art. 35)

402 617

Vins et moûts autres destinations

-

Vins et moûts exportation pays tiers

725 982

Moûts pour jus de raisin

955 960

Moûts pour concentrés

289 671

Distillation de retrait (art. 36) et obligatoire (art. 39)

1 858 942

Total hors QNV

4 356 116

Total écoulement

9 573 155

Source : BNIC

Afin de remédier à la surproduction structurelle du vignoble charentais, la France a décidé en 2000 de subordonner les aides communautaires aux exploitants de la zone cognac au respect d'un rendement agronomique, conformément à la possibilité ouverte par l'article 79 du règlement du 17 mai 1999.

Fixé initialement à 130 hectolitres par hectare, ce rendement a été ramené à 120 hectolitres par hectare en 2002 et devrait être encore abaissé.

Selon la réglementation française 15 ( * ) , les producteurs ne respectant pas ce rendement agronomique sont tenus de livrer toutes les quantités produites au delà de la QNV à une distillation à bas prix, ce qui les prive de la possibilité de commercialiser les excédents vers les pays tiers et surtout en direction du marché du jus de raisin.

Compte tenu du profil actuel du vignoble cognaçais, de nombreux viticulteurs qui ne sont pas en mesure de se conformer à ce rendement. Quant à ceux qui parviennent à le respecter, ils dégagent, de fait, peu de volume hors QNV.

L'ensemble des viticulteurs sont donc conduits à renoncer à un complément de revenu substantiel.

S'il est nécessaire de maîtriser la production de vin blanc cognac dont l'excès contribue à faire chuter les prix, il est tout aussi nécessaire de préserver la diversité des débouchés de l'ugni blanc, non seulement pour garantir un revenu satisfaisant aux viticulteurs, mais également parce qu'ils correspondent à de réels besoins.

Les producteurs de jus de raisin , qui sont tenus, pour des raisons technologiques et organoleptiques, d'utiliser du raisin provenant du cépage ugni blanc sont ainsi très demandeurs de sources d'approvisionnement stables et régulières , comme l'ont expliqué les représentants des producteurs de jus de raisin, M. Gérard Vidal et M. Pierre Truchon, lors de leur audition au Sénat.

Pour concilier ces deux objectifs, la profession propose d'affecter les parcelles de vignoble selon la destination du raisin : cognac, pineau, vins de pays, vins aptes à produire des mousseux, moût destiné au jus de raisin.

On estime que les découchés potentiels de la région des Charentes s'élèvent à 1,7 million d'hectolitres sur le marché des jus de raisin et à 1,4 million d'hectolitres sur celui des mousseux.

Chaque utilisation ferait l'objet d'un rendement différencié. Les rendements des parcelles destinées au jus de raisin pourraient ainsi être plus élevés afin de garantir au moût l'acidité minimale nécessaire à la fabrication de ce produit. De même, des rendements élevés garantiraient une teneur alcoolique modérée pour les vins destinés à la production de mousseux.

Votre rapporteur soutient sans réserve cette proposition, que les viticulteurs charentais avaient eux-mêmes exposée au groupe de travail lors de son déplacement dans les départements de Charente-Maritime et de Charente, en janvier dernier.

Cette solution paraît d'autant plus opportune que le régime des cépages à double fin devrait, à terme, disparaître. Le raisin ne pourra alors plus être produit qu'en vue d'une utilisation prédéfinie. Il convient de se préparer dès maintenant à cette évolution, en étudiant la faisabilité pratique de l'affectation des parcelles à des destinations déterminées.

La proposition d'affecter les parcelles à un type de production déterminé vaut d'ailleurs pour l'ensemble du vignoble , comme le suggère le comité stratégique piloté par M. Jacques Berthomeau.

Actuellement, les raisins destinés aux produits non-vins sont issus des mêmes parcelles que ceux destinés à la fabrication des vins de pays, la réglementation autorisant un dépassement des rendements maximum autorisés à l'hectare, pourvu que l'excédent ne soit pas vinifié. Ainsi, l'objectif qualitatif qui est inhérent à la limitation des rendements, n'est-il que partiellement atteint.

L'affectation prévisionnelle de chaque hectare de vigne permettrait d'adapter la réglementation et le traitement applicables à chaque parcelle en fonction de la production à laquelle se destine. Cela autoriserait à la fois, une maîtrise des rendements pour les parcelles consacrées à la production de vins de qualité et des rendements plus importants sur les surfaces consacrées aux produits non-vins tels que le jus de raisin.

* 14 Décret n° 2002-485 du 4 avril 2002 modifiant le décret n° 2000-848 du 1 er septembre 2000 fixant les conditions de production des vins de pays.

* 15 Arrêté du 8 mars 2002 relatif à la distillation des vins de la région délimitée « cognac »

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