CHAPITRE II :

UNE DETTE PUBLIQUE SANS CONTREPARTIE PATRIMONIALE ÉQUIVALENTE

Par définition, la variation de la dette publique est égale à la somme du besoin de financement des administrations publiques et de leurs acquisitions nettes de créances.

De 1996 à 2000, cette identité comptable s'est exprimée comme suit :

1. Augmentation de la dette publique : 936,3 milliards de francs.

2. Emplois :

a) Besoins de financement des administrations publiques :
747,1 milliards de francs ;

b) Acquisitions nettes de créances : 189,2 milliards de francs.

Cependant, l'analyse doit dépasser cette égalité comptable.

En effet, l'endettement d'un agent peut avoir des contreparties très diverses. Il peut servir à financer des dépenses courantes ou des investissements, des dépenses récurrentes ou des dépenses exceptionnelles, des dépenses susceptibles de produire des richesses différées ou des dépenses qui n'ont pas cette propriété. Les administrations publiques n'échappent pas à ce cadre d'analyse, qui prescrit généralement de ne s'endetter que lorsque le bien ainsi financé est producteur de richesses à venir.

Toutefois, la nature particulière du rôle des administrations publiques comme productrices de biens publics rend très délicate l'application de ce dernier critère aux biens qu'elles produisent. Deux questions sont souvent abordées, mais sans être vraiment résolues.


DEUX QUESTIONS SUR LE PROBLÈME DES CONTREPARTIES
DE LA DETTE PUBLIQUE

1. La première consiste à établir une typologie des contreparties de l'endettement public, c'est-à-dire des dépenses publiques et in fine des biens publics qu'elles servent à produire.

Elle s'énonce usuellement dans ces termes : comment classer les dépenses publiques au-delà de leur apparence et de leur rattachement comptable - dans le cadre d'une nomenclature donnée - entre les dépenses élevant, plus ou moins, directement la production et celles qui n'ont pas cet effet ?

Ce problème n'est pas propre à la sphère des administrations publiques. La comptabilité privée n'est pas exempte de questions sur la nature de certaines dépenses. Ainsi, certaines entreprises classent une partie des frais de recherche-développement comme des actifs immobilisés, d'autres non.

Elle revêt cependant une particulière acuité pour les administrations publiques puisque celles-ci sont, par nature, productrices de biens majoritairement immatériels, biens qui sont ceux pour lesquels les critères servant à départager les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement sont particulièrement débattus.

Au stade actuel de la réflexion, il reste prudent de recourir à une distinction simple fondée sur la récurrence de la dépense plutôt que sur la nature du bien qu'elle sert à financer. Dans cette approche, l'existence d'une contrepartie sous forme d'actif est une approximation admissible servant à distinguer selon les emplois de l'endettement public. Cette approche est celle qui est ici développée à partir des comptes de patrimoine des administrations publiques construits par les comptables nationaux moyennant un certain nombre de retraitements.

2. Une deuxième question peut être succinctement évoquée. Pour tout agent se pose le problème de la soutenabilité de son endettement . Il faut, en particulier, se garder de voir se réaliser le risque d'insolvabilité, mais aussi celui de subir un déséquilibre dans l'allocation de ses revenus, au terme duquel les charges de la dette conduiraient à sacrifier d'autres postes cruciaux du budget. Les administrations publiques, quoique différemment des autres agents, sont soumises à de telles contraintes. Il est d'ailleurs constant que les charges de la dette ont pesé sur l'allocation des ressources de l'Etat, ponctionnant une part de plus en plus grande de ses recettes, évinçant par là même certaines dépenses prioritaires ou gênant les politiques d'allégement de la pression fiscale.

On s'accorde, généralement, pour estimer que le risque de solvabilité est sans doute moins accusé pour l'État, qui a toujours (ou presque) la faculté d'augmenter ses ressources via une hausse de la fiscalité, que pour d'autres agents. Mais, ce risque ne peut être apprécié sans prendre encore en compte les effets macro-économiques de l'endettement public et, inversement, d'une politique axée sur le désendettement. Cette question est au coeur des débats sur la politique des finances publiques, en tant qu'elle participe au régime de croissance, mais aussi à la stabilisation économique. Il n'entre pas dans l'objet de cette étude de la trancher, d'autant que la vivacité des débats qu'elle suscite actuellement en Europe et aux Etats-Unis démontre la persistance de nombreuses inconnues. Deux récentes recherches réalisées par la Commission européenne sont toutefois présentées en annexe, l'une relative à la qualité des dépenses publiques, l'autre à la soutenabilité des comptes publics en Europe dans le contexte du vieillissement de la population.

On se limitera donc, dans cette étude, à dresser le bilan des variations d'actifs et de dettes des administrations publiques afin d'appréhender si l'augmentation de la dette publique a eu une contrepartie équivalente dans la progression de leurs actifs.

Un bref retour historique montre, qu'au terme de variations inégales, le poids dans le PIB des actifs financiers et non financiers détenus par les administrations publiques était resté quasiment stable depuis 1980, alors que le poids de la dette dans le PIB s'était nettement accru. Cette dernière augmentation ne pouvait donc pas s'expliquer par un rôle accru des administrations publiques en tant qu'actionnaire, intermédiaire financier ou investisseur physique. On pouvait en conclure que l'augmentation très importante de l'endettement avait servi à financer des dépenses de fonctionnement et de transfert , ce qui avait engendré une dégradation de la situation patrimoniale nette des administrations publiques.

Ces tendances à la dégradation de la situation patrimoniale des administrations publiques ont apparemment été stoppées depuis 1996.

Mais, une analyse approfondie des évolutions enregistrées depuis cette date montre des évolutions moins positives : la situation de l'Etat a continué à se dégrader et le volume des actifs publics s'est sensiblement réduit.

L'effet de l'alourdissement de la dette publique observé entre 1996 et 2000 sur la valeur nette du patrimoine public a, certes, été compensé par un accroissement de la valeur des actifs (en particulier financiers) détenus par les administrations publiques.

Si, en proportion du PIB, leur patrimoine non financier a poursuivi son repli, leurs actifs financiers ont connu une évolution inverse.

Mais ces phénomènes de valorisation, toujours réversibles et parfois assez artificiels - voir infra -, ne doivent pas masquer la poursuite de la réduction en volume de la part occupée dans le PIB par les actifs des administrations publiques.

C'est un fait important que, du fait du comportement financier de l'Etat, les flux de dette publique ont excédé, au cours de la période, les flux nets d'actifs en volume.

Enfin, il faut, pour compléter l'analyse, en élargir les perspectives, les données qu'offrent les comptes nationaux étant partielles. Il importe en particulier, pour apprécier la situation patrimoniale des administrations publiques, de prendre en considération les importants engagements implicites de l'État qui, en raison de conventions contestables, ne sont pas comptabilisés.

I. LA SITUATION PATRIMONIALE DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES : UNE AMÉLIORATION EN VALEUR MAIS UNE DÉGRADATION EN VOLUME

Une analyse de la situation patrimoniale nette des administrations publiques 6 ( * ) , entre 1996 et 2000, montre que la valeur nette de leur patrimoine s'est redressée. Elle est passée de 15,6 à 19,8 points de PIB (+ 4,2 points de PIB).

Cette évolution globale recouvre des situations et des trajectoires très différentes. Au sein des administrations publiques, la situation de l'Etat s'est dégradée, mais celle des autres administrations publiques s'est améliorée.

ÉVOLUTION DU PATRIMOINE NET DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

1996-2000

( en points de PIB)

1996

1997

1998

1999

2000

Etat

Actifs

26,7

26,5

26,6

30,5

27,3

Dette brute 1)

52,2

54

57,3

55

54,9

Valeur nette

- 25,5

- 27,5

- 30,7

- 24,5

- 27,6

ODAC 2)

Actifs

7

7,2

5,3

5,2

5

Dette brute 1)

8,2

7,8

6,5

5,4

5,1

Valeur nette

- 1,2

- 0,6

- 1,2

- 0,2

- 0,1

APUL 3)

Actifs

46

45,7

44,9

47

46,6

Dette brute 1)

11

10,2

9,7

9,3

8,9

Valeur nette

+ 35

+ 35,5

+ 35,2

+ 37,7

+ 37,7

ASSO 4)

Actifs

12,7

13,3

14,3

14,1

14,1

Dette brute 1)

5,3

6,8

4,2

4,4

4,3

Valeur nette

+ 7,4

+ 6,5

+ 10,1

+ 9,7

+ 9,8

TOTAL

Actifs

92,3

92,7

91,1

96,7

93

Dette brute

76,7

78,8

77,7

74,1

73,2

Valeur nette

+ 15,6

+ 13,9

+ 13,4

+ 22,6

+ 19,8

1) Y compris effets de valorisation et « autres changements de volume et ajustements ».

2) Organismes divers d'administration centrale.
3) Administrations publiques locales.
4) Administrations de sécurité sociale
.

Ces données doivent en outre être corrigées si on souhaite apprécier les évolutions en volume, puisqu'elles intègrent des phénomènes de valorisation qui concernent tant l'actif que le passif des administrations publiques . Ces phénomènes, qui jouent d'ailleurs principalement pour l'Etat, compte tenu de la structure de son patrimoine, occultent, en effet, des évolutions en volume moins favorables.

A. UNE LÉGÈRE AMÉLIORATION APPARENTE DE LA SITUATION PATRIMONIALE DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

Malgré une diminution du poids dans le PIB des actifs non financiers des administrations publiques, la progression de la valeur de leur patrimoine financier a engendré une amélioration apparente de leur situation financière.

1. La poursuite de la baisse du poids des actifs non financiers des administrations publiques dans le PIB

La nouvelle « base 1995 » de comptabilité nationale conduit à estimer que le poids dans le PIB des actifs non financiers 7 ( * ) des administrations publiques qui s'élevait, en 1996, avec 4 630,7 milliards de francs, à 58,2 % du PIB, a diminué depuis, et s'élève, malgré une augmentation nominale les ayant porté à 5 242,3 milliards de francs, en 2000, à 56,4% du PIB (- 1,8 point de PIB).

ACTIFS NON FINANCIERS
VARIATIONS ENTRE 1996 ET 2000

(en points de PIB)

1996

2000

Ecarts

Etat

10,9

9,6

- 1,3

ODAC

1,9

1,8

- 0,1

APUL

42,3

42,1

- 0,2

ASSO

3,1

2,9

- 0,2

Total

58,2

56,4

- 1,8

Il est intéressant de préciser la répartition des actifs non-financiers entre les différentes catégories d'administrations publiques.


RÉPARTITION DES ACTIFS NON FINANCIERS
PAR CATÉGORIE D'ADMINISTRATIONS
PUBLIQUES EN 1996 ET EN 2000

(en % du total)

1996

2000

Etat

18,8

17

ODAC

3,3

3,3

APUL

72,5

74,6

ASSO

5,4

5,1

Total

100

100

On constate que la très grande majorité des actifs non financiers relève des administrations publiques locales et que cette caractéristique s'est renforcée ces dernières années.

Le poids dans le PIB des actifs non financiers des administrations publiques locales s'est beaucoup moins infléchi que celui de l'Etat.

La part des actifs non financiers de l'Etat est passée de 10,9 % du PIB en 1997 à 9,6 % en 2000 (- 1,3 point de PIB) et ne représente plus que 17 % du total des actifs non financiers des administrations publiques contre 18,8 % en début de période. Pour les administrations publiques locales, leurs actifs non financiers ont évolué à peu près comme le PIB et leurs actifs financiers représentent 42,1 points de PIB en 2000 contre 42,3 points de PIB en 1996.

C'est le résultat d'un très inégal dynamisme des acquisitions d'actifs non financiers de l'État, dont la valeur ne s'est accrue que de 2,2 % entre 1996 et 2000 (0,6 % par an) et des administrations publiques locales (16,4 % entre 1996 et 2000, soit plus de 3,8 % de croissance annuelle moyenne).

* 6 Cette analyse est conduite en soustrayant des actifs des administrations publiques évalués dans les termes de la comptabilité nationale leur dette au sens du Traité sur l'Union européenne.

* 7 Le domaine public « naturel » (paysages, espace aérien, eaux territoriales, etc.) est exclu du champ de la comptabilité nationale, car il n'a pas été acquis à titre onéreux. D'autre part, les biens durables militaires (porte-avions par exemple), considérés comme issus d'un investissement en comptabilité budgétaire (ils sont inscrits au titre V) sont exclus du patrimoine des administrations publiques (APU) par la comptabilité nationale, qui les classe en consommations intermédiaires.

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