CHAPITRE II -- LA LIAISON RHIN-RHÔNE : UNE HISTOIRE À LA FOIS ANCIENNE ET ACTUELLE

Il ne paraît pas utile de revenir en détail sur l'histoire du « vieux canal » du Rhône au Rhin puis sur celle de la liaison à grand gabarit Saône-Rhin.

L'ouvrage, préfacé par M. Raymond Barre, signé par MM. Jacques Bernot, Jacques Rocca Serra, ancien sénateur et Marc Schreiber, ancien délégué général de l'association Mer du Nord-Méditerranée et, publié en 1998 (« Economica »), fait le point sur le « cheminement » de ces deux projets et le contexte dans lequel ils ont évolué.

Qu'il nous soit permis, cependant, de rappeler quelques « dates charnières » pour fixer les repères.

Envisagé dès le milieu du XVIII e siècle, le canal du Rhône au Rhin vit ses chantiers démarrer sous le premier Empire.

L'ouverture définitive de la liaison, de St-Symphorien à Strasbourg avec embranchement entre Mulhouse et le Rhin, n'intervint qu'en 1834.

Si elle fut améliorée (allongement des écluses) notamment à partir de 1882 en application du Plan Freycinet de 1879, cette liaison souffrit de la concurrence du fer, des conséquences de la guerre de 1870 puis de la mise en service, en 1883, du « canal de l'Est » reliant la Moselle et la Saône.

En fait, seule la section Mulhouse-Strasbourg enregistra un trafic substantiel jusqu'à la première guerre mondiale.

Pendant l'entre-deux-guerre et durant l'immédiat après-guerre, l'attention des pouvoirs publics se porta plutôt sur le sillon rhodanien lui-même et sur son potentiel hydro-électrique (création en 1921 de la Compagnie nationale du Rhône) ainsi que sur l'aménagement du Rhin (la construction du « grand canal » latéral d'Alsace débuta en 1930 pour ne s'achever qu'en 1970 !).

En dépit de nouveaux progrès (mise au gabarit « Freycinet » de 78 écluses au lendemain de la première guerre mondiale), il est vite apparu que le vieux canal du Rhône au Rhin ne saurait suffire après la mise en service du canal latéral alsacien et l'aménagement du Rhône de Marseille à Lyon et à Genève.

C'est dans les années 1957-1958, que l'idée d'une liaison à grand gabarit Mer du Nord-Méditerranée gagna sérieusement les esprits.

Une éventuelle rivalité entre l'Alsace et la Lorraine (une liaison Saône-Moselle pouvant être mise en concurrence avec la liaison Saône-Rhin) fut dissipée dès 1961 et leur accord déboucha sur la création de l'association Mer du Nord-Méditerranée.

Tout au long des trente années qui suivirent, le projet fut ardemment défendu par un certain nombre d'influentes personnalités politiques et de haut fonctionnaires prestigieux : MM. Edgar Faure, Pierre Sudreau, Pierre Pfimlin, Gaston Deferre, Raymond Barre, Louis Mermaz, René Beaumont, Jacques Rocca Serra, Philippe Lamour...

Du IV e au VI e Plan, la question de la connexion fluviale du bassin Rhône-Saône aux bassins du Rhin et de la Moselle resta à l'ordre du jour.

De nombreuses déclarations du Général de Gaulle, de MM. Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing témoignèrent que le projet bénéficiait d'un soutien résolu au plus haut niveau de l'Etat.

La liaison Mer du Nord-Méditerranée connût, bien sûr, des vicissitudes.

Ainsi, à la fin des années 1970 (peut-être à la suite de la création de Fos-sur-Mer) les milieux économiques lorrains firent-ils prévaloir l'intérêt d'un projet « Seine-Est » (Seine-Moselle) au détriment de la liaison Saône-Moselle qui passa, alors, au second plan derrière le projet Saône-Rhin.

C'est le VII e Plan qui entérina, définitivement, la priorité du projet de liaison à grand gabarit Saône-Rhin.

L'enquête d'utilité publique (brève) se déroula de novembre 1976 à janvier 1977.

La déclaration d'utilité publique fut signée le 30 juin 1978 ; sa durée de validité était de dix ans ; elle fut -on le sait- renouvelée en 1988 pour une nouvelle durée de dix ans, soit jusqu'en 1998.

Une « loi de concession » devait confier l'opération à un maître d'ouvrage.

Ce fut la loi du 4 janvier 1980 (voté à l'Assemblée nationale par la majorité de l'époque mais aussi par la plupart des élus socialistes y compris François Mitterand) qui impartit ce rôle à la Compagnie nationale du Rhône.

La suite -c'est-à-dire les années 1980 et 1990- est encore présente dans tous les esprits. Elle est relatée avec force et précisions dans le rapport précité de MM. Bernot, Rocca-Serra et Schreiber.

Malgré l'appui du président de la République et plus spécialement, de son ministre d'Etat chargé de l'Intérieur et de la Décentralisation, M. Gaston Deferre, la mise en oeuvre du projet prit du retard, sans doute du fait de réserves émanant tant de techniciens (rapport de l'observatoire économique et statistique des transports du ministère de l'équipement en 1987) que de parlementaires (rapport « Forni-Vallon » de 1992). L'action des milieux écologistes (le collectif « Saône-Doubs vivant ») exerça aussi certainement une influence retardatrice.

Pourtant, la décision définitive d'achèvement fut l'aboutissement d'une « maturation », jalonnée essentiellement par un colloque du Parlement européen en 1991 (« La liaison fluviale Rhin-Rhône : le maillon manquant de l'Europe des transports »), un Livre Blanc («le développement futur de la politique commune des transports ») et un sommet (Essen) européens, en 1992, auxquels il convient d'ajouter l'étude -sollicitée par le gouvernement- d'un cabinet d'experts néerlandais sur le coût et le taux de rentabilité de l'équipement (1994) ainsi que l'action résolue de l'ancien Premier ministre, M. Raymond Barre, en faveur de la liaison.

Le « couronnement » législatif de tous ces efforts fut l'article 36 de la loi du 4 février 1995 d'aménagement et de développement du territoire qui organisait le financement du projet que devait mener à bien un nouveau maître d'ouvrage (la SORELIF), filiale commune d'Electricité de France et de la Compagnie nationale du Rhône.

Tout semblait prêt, alors, pour que la liaison fluviale à grand gabarit Saône-Rhin soit ouverte à l'horizon 2005 voire 2010.

Mais, en 1997, dans une nouvelle conjoncture politique, une « sensibilité » de la nouvelle « majorité plurielle » allait faire prévaloir ses vues en profitant des insuffisances d'un programme sans doute « sur-calibré » et des réticences toujours vives des administrations techniques et financières.

Entretemps, on ne négligera pas la « résonnance » du rapport « circonspect » remis au Gouvernement, au mois d'avril 1996, par l'Inspection générale des finances et le Conseil général des Ponts-et-Chaussées.

Ce rapport faisait suite à une demande des ministres de l'Economie et des Finances ainsi que des Transports afin d'évaluer le coût de réalisation de la liaison Rhin-Rhône.

Après expertise de l'avant-projet et examen des différents risques de surcoûts, le rapport estimait que le coût d'investissement de cet aménagement pourrait s'élever à près de 28 milliards de francs. Cette somme, qui ne comprenait pas, insistait-il, les intérêts intercalaires évalués à 21 milliards de francs, « devait être considéré comme un ordre de grandeur réaliste, inévitablement affecté d'une marge d'incertitude qui devrait peser plutôt dans le sens d'un alourdissement du coût du projet ».

Ce montant ne tenait « pas compte, non plus, des travaux qui seraient nécessaires pour assurer, sur la Saône et le Rhône, la continuité fonctionnelle de l'axe Mer du Nord-Méditerranée en cohérence avec les caractéristiques techniques de la liaison Saône-Rhin (2,3 milliards de francs). »

S'il n'a pas détecté de sous-estimation ou d'évaluation erronée des principaux postes de dépenses, considérant que, de ce point de vue, l'évaluation technique avait été sérieusement effectuée , le rapport a pourtant considéré que le projet restait « marqué par les années 70 ». Plusieurs critiques lui étaient notamment adressées :

- sa géométrie était, à l'origine, adaptée aux trafics de pondéreux. Le développement des convois de conteneurs, qui exige une hauteur libre sous les ponts plus importante, a conduit la CNR à accroître cette hauteur mais dans des proportions qui n'ont pas semblé suffisantes, compte tenu des normes récemment adoptées sur ce point ;

- le projet avait été conçu autour de la seule fonction trafic commercial alors qu'un aménagement plus global intégrant la plaisance semble plus pertinent ; cette démarche, qui conduisait à envisager des ouvrages supplémentaire, devrait être prise en compte dans la mise au point du projet ;

- les connaissances scientifiques et la sensibilité à l'environnement s'étaient fortement développées depuis vingt ans ; le projet devait ainsi être complété par des mesures destinées notamment à améliorer la protection contre les crues et le niveau des étiages ;

- les contraintes de la géographie affectaient de manière significative les performances de la liaison ; ainsi, le tracé emprunte la vallée du Doubs, dont les nombreuses et sévères sinuosités se traduiraient par un ralentissement de la vitesse et entraîneraient des contraintes de navigation.

- le projet présenté en 1995, sous la seule responsabilité de la CNR, n'avait pas fait l'objet d'une concertation suffisante ni avec la population ni avec les administrations concernées. Il en résultait une « insuffisante prise en compte des préoccupations de cadre de vie et de patrimoine. »

La plupart des réserves exprimées par le rapport mixte du Conseil général des Ponts et Chaussées et de l'Inspection générale des Finances restent parfaitement d'actualité et devront, nécessairement, être prises en compte lors de la réouverture du dossier.

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