38. Audition de M. René Peltier, président de France Ski de Fond, accompagné de M. Louis Ours, directeur (3 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Monsieur le Président, Monsieur le Directeur, bonjour. Merci d'avoir fait le déplacement à Paris, au Sénat, et bienvenue à la haute assemblée. Je suis heureux de vous accueillir au nom de la mission d'information sur la montagne, en excusant un certain nombre de collègues qui n'ont pour l'instant pu nous rejoindre, ceci tenant à l'ouverture de la session extraordinaire du parlement. Il s'agit de renouveler, au lendemain des élections présidentielles et législatives, un certain nombre de postes importants, comme en atteste les réunions de commissions en particulier ce matin, et de travailler sur un certain nombre de textes et projets de loi soumis par le nouveau gouvernement. Cette situation particulière explique le caractère clairsemé de ces rangs. Je ne désespère pas que quelques-uns de nos collègues nous rejoignent en fin de matinée. En ma qualité de rapporteur, je voudrais tout d'abord présenter les excuses du Président Jacques Blanc, et également celles de Pierre Jarlier, le Secrétaire général de l'ANEM.

Monsieur le Président et Monsieur le Directeur, nous avons tenu à nous pencher sur les pratiques de ski de fond et de ski nordique sur l'ensemble de la montagne française, en vous invitant. Nous vous avons adressé une grille de questions, naturellement non exhaustive, des sujets que vous pourriez traiter devant nous, mais qui sont dans notre esprit les points essentiels à éclaircir. Notre rapport est destiné à être publié à la fin de l'année ; nous pensons être en mesure de le faire au mois d'octobre. Notre désir est d'effectuer un certain nombre de propositions ou préconisations, soit à l'assemblée, en ce qui concerne les décisions de nature législative, soit directement au gouvernement pour les mesures relevant de l'exécutif, ou encore à l'adresse des collectivités territoriales. Je vous propose, dans l'heure dont nous disposons, que vous commenciez par un exposé général, notamment à partir de la grille de questions, puis nous terminerons par un échange.

M. René Peltier - J'ai grand plaisir à vous retrouver aujourd'hui, après vous avoir rencontré préalablement dans d'autres réunions. Au nom du ski de fond français et des 220 entités nordiques qui composent notre réseau, je tiens, car ils me l'ont demandé lors de notre assemblée générale du 23 juin dernier, à vous remercier pour cette rencontre. Nous apprécions à sa juste valeur le fait que vous nous permettiez par cette audition d'exprimer la sensibilité nordique. Je tiens également à remercier les parlementaires pour leurs interventions la saison passée, alors que le manque de neige s'est fait cruellement ressentir et a étouffé un certain nombre de sites. En effet, ces interventions ont permis une sensibilisation nationale très forte. Les parlementaires ont ainsi voulu souligner l'intérêt réel du ski de fond en termes économiques d'une part, en termes d'aménagement du territoire d'autre part. Je ne veux pas aligner des chiffres, ce qui serait lassant. Louis Ours, notre directeur, pourra tout à l'heure entrer davantage dans le détail. Il a d'ailleurs monté des dossiers très intéressants que nous reprendrons point par point pour répondre à la grille de questions, tout à fait pertinente, que vous nous avez fait parvenir.

Je voudrais cependant citer une seule référence pour montrer l'importance du ski de fond. Un franc investi génère 16 francs sur le tissu économique local, 29 francs sur l'économie globale. Ce sont des chiffres qui datent de deux ou trois ans, mais qui n'ont sans doute guère évolué. Ils montrent bien que ces retombées touchent à la fois les professionnels de la montagne, mais aussi les artisans, les entreprises et surtout le tourisme, qui génère à lui seul 30 % des retombées économiques au niveau local. Le coefficient multiplicateur est donc intéressant et fort. La loi Montagne de 1985 a permis d'asseoir le ski de fond sur des bases légales et fortes, à travers les 600 communes et départements adhérant au réseau France ski de fond. Elle a également permis un essor de ce sport en général à travers le développement de sa professionnalisation, avec des formations très poussées dans certains domaines, avec une amélioration parallèle de la qualité des services. Ainsi, la loi Montagne est pour nous quelque chose de fondamental. Mais tout évolue, comme l'a montré d'ailleurs l'étude Sociovision Cofremca. C'est pour cela, avec l'aide du ministère du tourisme et de l'AFIT, que nous avons voulu un diagnostic sur la filière nordique. Ce diagnostic a été sans complaisance, et a remué un certain nombre de belles certitudes. Ce n'était cependant qu'un constat ; il fallait donc aller plus loin, et se poser les bonnes questions. C'est pour cela que nous avons, toujours avec l'aide de l'AFIT et de la DATAR, demandé une étude de repositionnement de la filière nordique, permettant d'aller au-delà d'un simple constat. Cette étude a été restituée non seulement au niveau national bien-sûr, mais aussi au niveau local dans tous les massifs, rendant possible une appropriation par les acteurs de terrain. Nous arrivons donc à la phase opérationnelle et des réalisations concrètes. Elles ont montré à quel point l'évolution est importante sur l'ensemble des espaces nordiques. A mon sens, cela suscite beaucoup d'espoirs, avec également beaucoup de réalisme, et une volonté sans faille qui s'est manifestée il y a une dizaine de jours lors de la dernière assemblée générale dans le Jura. Je vais passer la parole à Louis Ours, Directeur, afin qu'il revienne sur les différents points que vous souhaitiez que l'on aborde, à partir du dossier que l'on vous a communiqué. Ce dossier est réalisé d'une manière simple mais précise, sans phrases inutiles, en rappelant la situation antérieure, la situation actuelle, mais aussi en précisant un certain nombre de projections pour l'avenir.

M. Louis Ours - Merci de nous recevoir. Nous allons entrer directement dans le vif du sujet, par rapport à la loi Montagne. Le Président vous a apporté quelques chiffres.

Le ski de fond est aujourd'hui un élément important pour l'aménagement du territoire, d'une part pour l'activité qui s'est développée en moyenne montagne, permettant de maintenir des activités et des emplois dans les 600 communes concernées, d'autre part en raison du développement du ski nordique dans les stations de ski alpin. Avec la diversification des pratiques et de la clientèle, on s'aperçoit que la fréquentation touristique de la montagne est en hausse. Le ski nordique fait partie de l'offre touristique, contribuant par là même au remplissage des hébergements dans les stations de montagne.

Le ski nordique a démarré sur une base de bénévolat, avec une forte implication du milieu associatif. Cela tient à l'histoire, car les foyers de ski de fond ont été créés sous l'impulsion du ministère de la jeunesse et des sports en 1962, pour permettre aux jeunes des vallées de moyenne montagne de pouvoir pratiquer le ski l'hiver. Les choses ont bien changé depuis ; le ski de fond s'adresse aujourd'hui à diverses clientèles.

Il y a tout d'abord une clientèle sportive, de proximité que l'on a fidélisée ; il s'agit de personnes qui viennent des villes de Chambéry, Annecy, Genève, Grenoble, Toulouse ou Clermont-Ferrand... afin de pratiquer leur activité plutôt en journée ou en week-end. Depuis quelques années, on s'intéresse un peu plus à la diversification des pratiques et surtout à l'accueil d'une clientèle nouvelle, désireuse d'effectuer des séjours. On peut être étonné à la lecture des chiffres, lorsque l'on s'aperçoit que 50 % du chiffre d'affaires est réalisé dans les Alpes du Nord, c'est-à-dire Savoie, Haute-Savoie et Dauphiné. Ainsi, sur la moyenne de 60 millions de francs de chiffre d'affaires annuel générés uniquement par la redevance qui permet l'accès aux pistes, 50 % sont réalisés par les trois départements des Alpes du Nord, car il y a des bassins de clientèle importants, et beaucoup de stations de ski ont un hébergement suffisant pour accueillir la clientèle touristique. A contrario , dans les secteurs de moyenne montagne, les villages ont besoin du ski nordique pour se développer, mais ne possèdent pas toujours les structures d'accueil nécessaires, notamment en termes d'hébergement, d'hôtels de qualité et de gîtes... Ils ont donc du mal à capter cette clientèle touristique.

Pourtant, d'après les études qui ont été conduites au plan national, les atouts des villages de moyenne montagne peuvent intéresser des clientèles notamment étrangères, à condition d'avoir les structures d'accueil et d'hébergement de bon niveau. Alors que le ski de fond permettrait de développer les activités de certains villages de moyenne montagne, on s'aperçoit que cela marche mieux dans les secteurs déjà bien structurés. Au niveau des ressources, on retrouve aussi un peu le même problème ; tous ces villages du Massif Central, du Jura, des Alpes du sud, de certaines vallées des Pyrénées, ou d'autres régions géographiques encore, n'ont pas d'autre activité, mais leurs moyens sont limités pour développer la qualité et les services nécessaires pour l'accueil touristique. C'est la problématique qui est posée aujourd'hui. On a affaire à des structures très différentes. On a beaucoup de difficultés au niveau national pour coordonner les petites stations et les plus grandes, celles qui n'ont pas de moyens et celles qui en ont davantage. D'autre part, on arrive à avoir trois ou quatre sites ou stations par département qui trouvent un certain équilibre économique en raison d'un volume suffisant d'activité. En revanche, un nombre important de villages de moyenne montagne n'ont pas les ressources suffisantes pour investir, en ne percevant que la redevance.

La raréfaction de la neige en moyenne montagne touche en outre de plein fouet le ski nordique qui s'est développé il y a une quinzaine d'années dans des secteurs où l'altitude est peu élevée. Cela demande, au niveau de tous les massifs, et notamment de la part des conseils généraux, de se repositionner pour conférer davantage de moyens sur un certain nombre de sites au potentiel clairement établi, et de réaménager les sites afin de créer ou développer des pistes à une altitude supérieure, comme on a pu le faire pour le ski alpin. L'année dernière, des sites de ski de fond ont commencé à engager des investissements en termes de neige de culture pour assurer un minimum d'enneigement en début de saison, afin de favoriser l'accueil des groupes scolaires et des jeunes sur des espaces d'apprentissage d'une part, et d'autre part sur des boucles d'entraînement pour les plus sportifs. On a une convention avec la fédération française de ski pour aider les compétiteurs de haut niveau sur l'ensemble des massifs français, à pouvoir s'entraîner sur les pistes nordiques. Voici donc rapidement exposées les contradictions et les problématiques du ski nordique. C'est une activité qui génère beaucoup d'emplois, et qui finalement n'a que très peu de moyens, puisque la seule source de revenus provient de la redevance. Un chiffre d'affaires de 9,15 millions d'euros sur 220 sites ne représente pas un volume important, sachant qu'une dizaine de stations a un chiffre d'affaires de 460.000 à 600.000 euros, et la plupart des autres ne dépassent pas les 76.225 euros. Vous voyez que ces sommes représentent peu de chose, eu égard aux salaires versés et aux investissements qui doivent être réalisés. A titre d'exemple, un engin de damage, indispensable pour que la clientèle fréquente des pistes bien entretenues, coûte de 121.960 à 137.200 euros.

Jusqu'à maintenant, les collectivités locales ont très fortement participé aux investissements en termes de construction de bâtiments et structures d'accueil, parking, services, et éventuellement achat d'engins de damage. L'activité nordique elle-même, par la redevance, permettait d'essayer de trouver un équilibre en termes de fonctionnement, notamment au niveau des salaires et de l'emploi. Depuis dix ans, on est également passé d'un système où le bénévolat était la règle, à un système professionnalisé. A ce titre, France Ski de Fond avec l'aide de l'association des maires des stations françaises, l'AMSFSHE, et de l'ANEM, a pu mettre en place en 1992 avec les trois ministères de l'Intérieur, du Tourisme et de la Jeunesse et des Sports, un brevet d'Etat de pisteur secouriste nordique. France Ski de Fond s'est chargée d'assurer la formation de professionnels. Nous avons aujourd'hui formé 550 professionnels brevetés d'Etat qui travaillent désormais à la disposition des communes sur les sites nordiques. On a également environ 600 moniteurs qui travaillent sur l'ensemble des sites. On pourrait aller bien au-delà si l'on développait suffisamment cette activité. Il y a aussi tout le personnel d'accueil et d'entretien. La problématique émane de la pluriactivité. Ces personnes sont employées sur des périodes d'activité très courtes, en fonction de l'état de l'enneigement et des saisons. Heureusement, ces personnes sont bien souvent polyvalentes, puisqu'elles sont à la fois pisteur, secouriste, moniteur de ski, accompagnateur en montagne, agriculteur ou artisan. On a cependant du mal à fidéliser ces personnes qui viennent du terrain, des villages de montagne environnants, car pour l'instant la loi ne leur permet pas d'avoir un système de prise en charge unique et facile. On connaît ce problème depuis que la loi Montagne a été créée ; c'est peut-être l'occasion de se pencher sur un texte qui permettrait de faciliter le travail des pluriactifs en montagne.

Si vous le souhaitez, on peut entrer dans le détail de la loi Montagne et des articles qui pourraient évoluer, à moins qu'il n'y ait des questions au niveau de la présentation générale.

M. René Peltier - Le directeur a bien souligné la diversité, porteuse de richesse à certaines occasions, mais aussi de contraintes. De ce fait, pour avoir une cohérence d'ensemble, il faut souvent prendre des demi-mesures qui ne satisfont personne. Il fallait donc qu'il y ait une évolution. Cette évolution s'est en partie faite par la prise de conscience engendrée par les difficultés financières de l'an passé. Le fait de ne pas avoir de financement deux années de suite peut être très négatif et dangereux pour un certain nombre de sites, mais permet de se poser les bonnes questions. Si la masse financière est importante, tout va bien, et à la limite, on peut continuer de la sorte. Mais pour rester en vie, il y avait une obligation de se poser ces vraies questions. Cela a été en quelque sorte une chance pour nous, avec l'aide de l'AFIT, du SEATM et du ministère du tourisme, de rebondir, afin de mettre en place un repositionnement complet de la filière nordique. Au-delà des difficultés que l'on peut rencontrer, qui proviennent de la diversité, le moment est venu de considérer l'avenir en cohérence, avec l'ensemble des partenaires. Nous ne pouvons rester isolés de notre côté. Il faut donc travailler avec l'ensemble des partenaires de terrain, les partenaires institutionnels, de façon à ce que nous avancions tous ensemble, dans le même sens. Il faut créer les conditions qui permettent de se projeter sur l'avenir.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voulais, Monsieur le Président, Monsieur le Directeur, tout d'abord vous remercier d'avoir brossé, de façon introductive, la réalité. Je souhaite également saluer l'arrivée de mon collègue et ami, Monsieur Bailly, sénateur du Jura, qui est au combien représentatif des activités du ski nordique. La mission est à la fois sensible et préoccupée par l'avenir du ski nordique, dans la mesure où c'est une activité, peut-être à la différence du ski alpin, qui intéresse l'ensemble de la montagne française. C'est aussi quelque chose d'important - vous l'avez bien dit - du point de vue des activités économiques. C'est, je dirais, quelque chose d'important pour la montagne, mais aussi pour l'ensemble des populations urbaines. Monsieur Ours a rappelé toutes les sources potentielles de clientèle, constituées par toutes les personnes qui ressentent le besoin de s'oxygéner. Il s'agit donc d'une discipline qui permet le nécessaire développement de la montagne, d'une manière diffuse sur l'ensemble des massifs, et remplit dans le même temps une mission tout à fait éthique, culturelle et sportive à l'adresse de tous nos contemporains qui vivent en secteur urbain. Les bases, le décor sont très bien plantés ; il nous faut voir l'avenir.

Je voudrais également vous remercier pour les préconisations que vous nous présentez sur le plan technique de mise à jour de la loi Montagne, à travers les documents que vous nous avez communiqués. Je me pose trois questions de fond : premièrement la neige, puis les reconversions, et enfin le support des collectivités locales. Je vais m'expliquer en reprenant le troisième thème. Nous avons vécu, dans nos collectivités de montagne, l'époque pionnière avec des collectivités très bien disposées et avec des bénévoles. Il faut aujourd'hui passer du bénévolat au régime du salariat, alors même que l'on n'a pas réglé le problème de la pluriactivité. D'autre part, les collectivités, peut-être davantage qu'hier, sont endettées et moins favorables à aider le développement du ski nordique. Autrement dit, à l'échelle des 220 sites, voyez-vous un soutien toujours aussi fidèle de la part des collectivités, toujours autant de volonté ? Pouvez-vous craindre, à cause d'un manque de neige, ou de la nécessité de salarier les employés, d'acheter des engins de damage, qu'il y ait un désengagement de la collectivité ?

J'en viens à ma deuxième question. Pourriez-vous nous préciser comment vous voyez la reconversion, en particulier en période estivale, de façon à tenter de faire une double saison et de mieux tirer parti des équipements hivernaux créés pour le ski nordique proprement dit ?

Enfin, ma troisième question concerne la neige. La moyenne montagne souffre du manque de neige. Avez-vous fait un inventaire des sites pouvant facilement être équipés de neige de culture ? Vous savez que la neige de culture pose des problèmes fondamentaux, de nature écologique, philosophique même, parfois. Nous voudrions démystifier son utilisation, et apporter un cadre de solutions au problème des droits d'usage de l'eau, en évitant de jeter l'anathème sur la neige de culture. Combien de sites pourraient être facilement renforcés grâce à la neige de culture, ou en élevant l'altitude des circuits de ski nordique ? Inversement, quels seraient les sites en périls, ne pouvant pas recourir à l'usage de la neige artificielle ?

M. René Peltier - Je vais essayer de vous répondre le plus sincèrement possible. Louis Ours complètera ensuite. Par rapport à la neige, c'est un phénomène très aléatoire, en fonction des massifs et des mois concernés. Un massif peut être très bien enneigé une année, et mal l'année suivante - les Pyrénées ont par exemple fait cette année une saison correcte alors que le massif central a connu une saison catastrophique ; la situation était différente l'an dernier. D'où la pertinence de l'approche en termes de neige de culture. Un certain nombre de sites ont déjà choisi d'utiliser la neige de culture, car ils en ont les moyens, et ont également une volonté de gestion plus économique du périmètre sur lequel ils se situent. Les sites de replis sont également une possibilité, mais nécessitent des infrastructures nouvelles, peut-être des moyens mécaniques pour y accéder. Cela pose donc un certain nombre de questions, dont celle bien-sûr du financement et de la rentabilisation des installations. Je prendrais l'exemple du ballon d'Alsace dont je suis issu, où nous avons tenté cette année de démarrer le ski de fond sur les aires d'apprentissage et sur notre piste verte de ski de fond. Nous avons commencé début décembre avec des canons à neige. Cela a déclenché l'état d'esprit ski de fond au niveau des belfortains en général qui sont montés plus tôt grâce aux canons à neige. Cela permet quand même, bien que les circuits ne puissent pas tous être enneigés par la neige de culture, d'ouvrir les petites pistes « visuelles » ou les aires d'apprentissage, représentant ainsi la solution la mieux adaptée.

Je n'ai personnellement pas ressenti de désengagement au niveau des collectivités locales, même si quelquefois les budgets sont très serrés, ou que les subventions permettent à peine de monter un projet. Les collectivités, par l'intermédiaire des associations départementales de ski de fond, ont aussi pris conscience de l'intérêt économique du ski de fond et de ses retombées. Elles suivent très fortement, tout en tirant la sonnette d'alarme à certains moments, ce qui est somme toute logique. L'espoir créé par la volonté de repositionnement va permettre de redynamiser certaines collectivités. C'est un axe central pour l'avenir. La volonté existe, il faut simplement que chacun aille dans le même sens. Dès lors, l'ensemble de la pyramide pourra fonctionner.

Je vais enfin aborder le thème de la reconversion. A travers la diversité qui parcourt les sites de ski de fond, on se rend compte que des entités sont axées sur un système purement économique de rentabilisation à outrance, tandis que d'autres sites au contraire en sont encore quasiment au bénévolat. La perception d'avenir, pour les bénévoles ou les professionnels, ne peut pas être la même. Il peut peut-être y avoir une évolution sur le plan d'un massif, mais l'essentiel est qu'il y ait une cohérence, une complémentarité des services offerts.

M. Louis Ours - Il est bien évident que nous allons assister à une évolution. On ne va pas pouvoir conserver autant de sites dans les dix années à venir, notamment lorsque l'on entend ce que nous disent les conseils généraux. D'une part, il va y avoir des sites qui ont la capacité d'évoluer, de s'adapter aux nouveaux produits, aux désirs de la clientèle, et pourront développer des activités touristiques grâce à leur capacité d'accueil. Cela représente en gros trois à quatre sites par département, soit sur le plan national, une petite centaine de sites qui pourront trouver un équilibre économique à terme.

Il peut également y avoir un choix politique aboutissant à un maintien de l'activité de certains sites du département, considérant que le ski de fond est vital pour l'économie locale ; l'activité est alors soutenue car il y a des intérêts indirects au niveau du territoire. Il faut être réaliste, et il est probable que certains sites disparaîtront, par manque de neige et de moyens pour l'entretien des pistes.

Enfin, une quatrième catégorie, est constituée par un certain nombre de sites qui vont pouvoir diversifier leur pratique. C'est la tendance aujourd'hui, à partir du moment où l'on a investi dans des parkings, des bâtiments d'accueil, des services, des itinéraires et pistes, espaces aménagés et sécurisés par des professionnels, qui vont permettre à la station de développer des activités complémentaires estivales (VTT, randonnées, balades à cheval...), souvent liées à la présence de gîtes ruraux. Ce genre d'activité complémentaire permet aux professionnels de rester sur les sites, été comme hiver. Certains lieux ont déjà adopté ce mode de fonctionnement. L'hiver, même si le secteur n'est pas très bien enneigé, la station peut faire bénéficier les clients de ses installations habituellement dédiées à la période estivale. C'est une des orientations possibles, pour des secteurs tels que le Massif Central, où les élus souhaitent développer le tourisme dans les villages, et avoir cette activité organisée, à travers les structures et les hommes, les organisations et l'engagement des collectivités locales.

Les études que nous avons réalisées ont montré que l'on a intérêt à se réorienter vers les attentes nouvelles des clientèles, qui sont plus des attentes de bien-être, de convivialité, de découverte du patrimoine local, que des attentes purement sportives. Il existe à mon sens de réels débouchés pour un certain nombre de structures. C'est une réorientation.

Comme le disait René Peltier tout à l'heure, on a pris l'habitude depuis quelques années de travailler avec tous nos partenaires, comme l'association des maires, le SNTF, les moniteurs de ski, les CDT, les CRT, le PAM, etc.... Le ski de fond ne doit pas rester replié sur lui-même, sinon il n'y a pas d'issue. Il faut que l'on s'intègre dans la dynamique touristique départementale et villageoise. Il faut trouver des solutions pérennes, mais ce n'est pas la volonté du ski de fond de s'enfermer dans sa bulle. Le problème sur le plan financier se pose également de la manière suivante ; aujourd'hui, le ski nordique présenté comme une activité sportive intensive n'intéresse plus grand monde, excepté les sportifs de haut niveau qui s'entraînent très régulièrement. Les clients sont de nos jours attirés par les sorties de détente, sur des pistes faciles qui leur permettent de profiter du paysage. Beaucoup de monde se déplace sur les sites, mais sans pour autant faire du ski de fond, préférant les promenades à pied ou en raquette sur les itinéraires que nous avons aménagés, tandis que les enfants ont une prédilection pour la luge, la glisse sur des espaces ludiques...

En résumé, il faut beaucoup plus travailler sur le qualitatif que sur le quantitatif, et sur la diversification des pratiques. Nous avons écouté ce que veulent les gens. Avoir 100 km de pistes sur un site n'intéresse pas une clientèle de plus en plus tournée vers les activités ludiques et familiales. Nous ne sommes pas encore performants dans ce domaine dans beaucoup de cas, car on est resté sur une offre trop sportive et technique, et pas assez ludique. C'est en suivant cette orientation que l'on va permettre aux sites nordiques de se maintenir et de se développer. Les études nous montrent que les gens ne sont plus attirés par l'image traditionnelle du ski de fond qui a une connotation pénible et d'effort. On parlera donc beaucoup plus d'espaces et d'activités nordiques, nettement plus diversifiés permettant d'accueillir les différentes clientèles. Il faut désormais s'intéresser à ce que veulent les clients. Ils souhaitent bénéficier du confort, des services, des garderies d'enfants, des restaurants et hébergements de qualité. Les sites nordiques de demain sont ceux qui vont respecter cette dynamique. On ne peut plus aujourd'hui faire du bricolage, il faut entrer dans une activité professionnelle. Cependant, il serait dommage que les sites plus petits disparaissent tous, car ils ont un rôle important à jouer sur l'accueil des enfants, des scolaires.

M. René Peltier - Le panorama général a été bien dressé. Il y a eu des pionniers qui ont mis en place la structure nationale de France Ski de fond. Le ski de fond a derrière lui toute une histoire, mais on doit évoluer et tenir compte de la demande. Dans ce sens, nous devons organiser également l'accueil des pratiquants de la raquette ou de la promenade à pieds. Il faut distinguer : les pratiquants autonomes amateurs de la neige vierge et les « promeneurs du dimanche » qui souhaitent trouver des pistes balisées, sécurisées. Nous devons organiser l'accueil de l'ensemble de ces pratiquants pour un bon fonctionnement des sites nordiques, sachant qu'il faudra trouver le financement correspondant aux coûts générés.

M. Gérard Bailly - Ce que je viens d'entendre va complètement dans le sens de ce que je pense, connaissant le massif du Jura. Comme ailleurs, on s'aperçoit, même dans une région considérée comme le paradis du ski de fond, que c'est dans la pluriactivité que l'on trouvera un salut, compte tenu notamment de la diminution des périodes d'enneigement et de l'engouement pour le ski alpin. A ce titre, on remarque que le ski de fond tire partie de la proximité de pistes de ski alpin. Les temps sont durs pour les collectivités qui doivent malgré tout respecter l'objectif de rentabilité. Il faut donc conduire une réflexion autour de la plurisaisonnalité, afin que les secteurs puissent être fréquentés également l'été, en respectant la pluralité de souhaits des différentes clientèles. Ce que vous avez dit va donc parfaitement dans le sens de ce que nous ressentons sur le terrain.

J'aurais cependant une question. Les collectivités sont souvent les grands maîtres d'ouvrage de ces investissements. Heureusement, on s'aperçoit que des privés prennent également des initiatives, mais ils ne peuvent bénéficier que de leurs propres financements. Ne pourrait-il pas y avoir des partenariats entre les structures privées et les collectivités, afin de développer plus rapidement un territoire, dans un souci de plurisaisonnalité ?

René Peltier - Je vais vous donner mon sentiment. Je partage tout à fait votre approche. On ne peut pas se permettre de négliger une des forces vives du terrain. Pour que les projets globaux puissent avancer, dans un certain nombre de secteurs, il y a peut-être des efforts à faire pour mettre les différents acteurs autour d'une même table.

D'autre part, il ne peut y avoir pérennisation des emplois que si l'on se situe dans une approche de plurisaisonnalité.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais m'assurer que j'ai bien compris votre description globale. La pratique pure du ski de fond décroît, tandis que l'on constate une croissance des activités liées à l'ensemble des prestations que peuvent fournir les sites nordiques, autour de ce que l'on pourrait appeler de manière générale l'évasion nordique.

D'autre part, l'accueil des enfants vous paraît-il satisfaisant ? Enfin, sur le plan de la fiscalité, existe-t-il des cas non réglés ?

M. René Peltier - L'accueil des enfants et des débutants est encore insuffisant, même si des efforts sont réalisés dans un certain nombre de secteurs. Il y a bien eu une prise de conscience autour de l'idée que les enfants d'aujourd'hui sont notre clientèle potentielle de demain. Cependant, il y a encore des insuffisances en termes d'application.

M. Louis Ours - Quand on parle des enfants, il y a en fait deux niveaux. Il y a d'une part l'accueil des scolaires qui est bien fait dans certains départements, en particulier en Haute-Savoie. D'autre part, cela sous-entend aussi l'accueil des familles, aspect que l'on a certainement négligé. Ski France a déjà fait un travail important dans les stations pour l'accueil des familles, avec le label des petits montagnards. Il faudra au niveau du ski nordique que l'on emboîte le pas et que l'on travaille ensemble dans ce sens-là. On a déjà avancé sur un projet d'espace ludique d'apprentissage pour la découverte du ski par les enfants.

Cette évolution pose un certain nombre de problèmes, avec notamment l'aménagement de l'espace, comme on l'a indiqué dans le document. Avant, les pistes de ski de fond n'étaient pas très larges. Aujourd'hui, on va aménager des espaces plus vastes, avec de surcroît différentes activités sur un même site. Les pistes de skating ont désormais une largeur de six mètres, et s'ajoutent aux itinéraires pour la promenade à ski de fond ou à pied, la marche en raquette. Cela va poser des problèmes nouveaux, notamment par rapport aux servitudes. Ces servitudes ne seront plus nécessairement des servitudes de passage, mais devraient permettre de développer les activités sur les différents parcours, hiver comme été. La loi Montagne spécifiait uniquement le droit de passage sur la neige pour une piste, généralement peu consommatrice d'espace. On va gagner dans l'aménagement des espaces. Il faudra donc revoir le problème des servitudes.

La redevance a été instituée pour permettre aux communes de percevoir des sommes liées à la pratique du ski de fond. Or, comme nous l'avons vu, dans un contexte de développement d'activités connexes, un certain nombre de ces activités ne fournissent aucun financement. Si l'on prend le cas des communes touristiques, elles disposent d'autres ressources que la redevance, comme la taxe de séjour. En revanche, dans les villages de moyenne montagne, la taxe de séjour ne peut générer suffisamment de ressources en raison de la faiblesse des capacités en hébergement. Il faudra peut-être élargir le champ d'application de la redevance à l'ensemble des personnes qui pratiquent une activité sur les espaces nordiques.

La redevance est pour l'instant exonérée de TVA, ce qui arrange tout le monde. Mais en revanche, cela pose un certain nombre de problèmes, car on est limité en termes de démarche marketing ou commerciale. Vous parliez tout à l'heure d'association avec le privé. Or, dès que l'on parle de commercialisation, on entre dans un système soumis au régime de la TVA. A l'inverse d'un titre de transport en remontée mécanique que l'on peut intégrer dans un forfait touristique, on peut difficilement vendre la redevance dans un salon à Lille ou ailleurs, par exemple, car son statut changerait et deviendrait un produit touristique soumis aux taxes. Il y a donc une réflexion à conduire, pour entrer dans un système plus commercial que la redevance ne permet pas aujourd'hui, système qui a des avantages, mais également ses limites.

M. Jean-Paul Amoudry - Je crois que nantis de ces exposés, de vos réponses et des éléments que vous nous avez présentés dans votre rapport, nous devrions faire un bon travail. Je m'autorise à dire que si, dans le travail de synthèse, puis de rédaction du rapport, nous avions besoin d'informations complémentaires, nous reprendrions contact avec vous. Par ailleurs, je vous remercie de nous faire passer, dès que vous le pourrez, les rapports AFIT, Cofremca et peut-être DATAR, sur les préconisations formulées. J'espère qu'ainsi, nous arriverons à ouvrir une nouvelle page des activités nordiques et de montagne.

M. Louis Ours - Je souhaiterais que soit pris en compte le point suivant. Dans la loi Montagne, il était prévu la création d'associations départementales, régionales et inter régionales pour la coordination du ski nordique. Par contre, il n'était indiqué nulle part qu'une association nationale pouvait être créée. Ce serait peut-être bien de le prendre compte. J'ai à ce titre ajouté une proposition d'article dans le document annexe qui vous a été remis, pour que France Ski de Fond puisse continuer à exister et à jouer son rôle, en disposant d'une base légale dans le cadre de la loi Montagne.

M. Jean-Paul Amourdry - Merci Monsieur le Président et Monsieur le Directeur ; et à bientôt.

M. René Peltier - Merci à vous. Je voudrais juste dire encore un mot. Nous avons sûrement été incomplets, imparfaits. Nous avons cependant essayé, avec toute notre passion, de transmettre la sensibilité nordique.

Deux choses sont à mon sens importantes. Il faut d'une part qu'il y ait une cohérence entre les textes sur lesquels vous allez débattre, et la perspective d'avenir. D'autre part, l'ensemble des partenaires institutionnels, privés, associatifs doivent mettre toutes leurs forces pour aller dans un même sens.

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