PREMIÈRE PARTIE - UN CONSTAT PRÉOCCUPANT : L'ÉLEVAGE ENTRE CRISE ÉCONOMIQUE ET CRISE TERRITORIALE

I. LA CRISE DE L'ÉLEVAGE : UNE MENACE POUR LA COHÉSION TERRITORIALE

A. LE DEVENIR INCERTAIN DES TERRITOIRES : ENTRE PÉNURIE ET EXCÉDENTS

1. « Il n'est de richesses que d'hommes » : Affaiblissement de la densité humaine et appauvrissement de l'espace rural

(1) Une diminution numérique du nombre de producteurs

La diminution du nombre des éleveurs n'est pas un phénomène récent puisqu'elle s'est manifestée, à compter de 1992, par la multiplication des reconversions d'éleveurs vers les productions céréalières. Ce processus de reconversion est désormais impossible puisque la réforme de la politique agricole commune survenue voici dix ans a « figé » les espaces. Désormais, la diminution du nombre de producteurs et d'exploitations d'élevage se poursuit avec des conséquences d'autant plus graves qu'elles menacent l'équilibre humain de certaines zones rurales.

Le cas de la Corrèze est emblématique de ce phénomène. Au cours de la décennie 1970-1980, le rythme de disparition des exploitations y était inférieur à la moyenne nationale (2,1 contre 2,5 %). Au cours des années 1980, ce rythme s'est accéléré, pour atteindre la moyenne nationale (3 %). Ce mouvement se double désormais d'un accroissement de l'âge moyen des chefs d'exploitation qui, selon une étude de la Chambre d'agriculture du département, donne à penser qu'« à terme, c'est le maintien d'une densité minimale de population qui est en cause dans certaines zones où l'activité agricole constitue le moteur de l'économie locale. » 7 ( * )

En Lozère , le maintien de l'activité agricole est la condition sine qua non de la préservation de l'activité économique : la part de la population active agricole dans la population active totale du département représente 15 %, soit le quintuple de la moyenne nationale. En outre, du fait de la diminution de la population enregistrée au cours du XX ème siècle (-et malgré une stabilisation autour de 73.500 habitants au dernier recensement-), 71 % des communes comptent moins de 100 actifs dans la population : la valeur relative d'un emploi agricole est, dans ce contexte, très élevée.

En Aveyron , une politique très volontariste a permis d'installer 180 jeunes agriculteurs par an. Elle ne suffit cependant pas à compenser les 250 départs enregistrés en moyenne. Même si deux agriculteurs sur huit ont moins de cinquante ans (contre un sur deux en moyenne pour l'ensemble de la France), les craintes suscitées par la baisse du nombre d'exploitants et l'agrandissement des surfaces demeurent vives.

Le phénomène observé dans le grand bassin allaitant du centre de la France est bien loin de constituer une exception. Dans le Bas-Rhin , en douze ans, trois éleveurs bovins sur cinq ont mis un terme à leur activité. Les éleveurs laitiers se sont reconvertis dans l'élevage allaitant, tandis que les autres cheptels diminuaient, à l'exception des porcins, dont le nombre se stabilisait et des volailles, qui connaissaient une vive croissance.

Dans le Jura , votre mission d'information a visité la zone du premier plateau et, en particulier, une ferme où personne n'était disposé à reprendre les 43 hectares de prés et 50 hectares de terrains communaux cultivés, du fait de l'absence de bâtiments d'élevage. Sans l'intervention d'une communauté des communes et une garantie financière pour la construction de ces bâtiments, les terrains auraient vraisemblablement cessé d'être exploités et seraient retournés à la friche.

(2) Une précarisation spatiale : les agriculteurs bientôt « importuns » dans le monde rural ?

La gestion quotidienne de l'espace rural pose des problèmes récurrents aux éleveurs qui ont parfois le sentiment d'être « dépossédés » d'un territoire dont ils demeurent pourtant les derniers occupants. De nombreux conflits d'usage résultent, en effet, de l'utilisation concomitante de l'espace rural par les exploitations agricoles et par d'autres activités. Il n'est pas rare de constater que des activités aussi paisibles que la pêche à la ligne ou d'autres, aussi aventurées que la réintroduction de certains fauves dans des espaces reculés, aboutissent à menacer la pérennité de l'élevage.

Selon les observations faites sur le terrain par votre mission d'information, notamment dans le département du Jura , le maintien ou la création de points d'eau sur les plateaux constituent une nécessité pour le maintien de l'élevage. On constate périodiquement des confrontations entre des agriculteurs et des pêcheurs à la ligne au sujet de l'accès des animaux aux cours d'eau. Les pêcheurs considèrent que les animaux souillent les rivières lorsqu'ils s'y abreuvent directement. Il en résulte que les éleveurs sont contraints soit de transporter de l'eau sur de grandes distances jusqu'à des abreuvoirs, ce qui est économiquement irréaliste, soit de créer des abreuvoirs artificiels, ce qui les oblige à des travaux de terrassement pour atteindre les cours d'eau. La question de la maîtrise et du partage de la ressource en eau est donc une priorité dans l'espace rural .

De l'avis unanime des personnes rencontrées par votre mission d'information, l'implantation ou la multiplication du loup , du lynx et de l'ours qui s'attaquent aux animaux constitue une véritable catastrophe pour les activités d'élevage . Comme l'ont souligné les Rencontres européennes des éleveurs victimes des prédateurs, la thèse du retour naturel du loup et du lynx et la réintroduction de prédateurs dans les massifs alpins et jurassiens aboutissent à la disparition des animaux d'élevage qu'ils attaquent et qu'ils tuent, dans des conditions bien éloignées du « bien être animal » que les pouvoirs publics tentent de renforcer. En outre, la disparition des animaux d'élevage qu'elle accélère a pour effet d'interdire l'entretien de vastes surfaces herbagères situées en zone de montagne, d'où résulte un appauvrissement des écosystèmes. L'introduction de l'ours slovène dans les Pyrénées a été, à bon droit, qualifiée par les victimes de ce féroce plantigrade de « simulacre d'écologie ». On rappellera, à ce titre, que les quatre ours en question ont occasionné la mort, la perte ou la blessure de 269 animaux, dont 257 brebis.

(3) Une crise de confiance

Les conflits d'usage et les dégâts occasionnés par les animaux sauvages ajoutent un motif supplémentaire de découragement aux éleveurs qui, on l'a vu, n'en manquent pourtant pas... Ils sont révélateurs des contradictions et des incohérences qui perdurent dans l'esprit de citadins qui considèrent que les espaces naturels et ruraux ne sont qu'un « paysage », -les services du ministère de l'environnement diraient une « aménité récréative » !- oubliant qu'ils sont aussi un instrument de travail et de production, au bénéfice de la collectivité nationale.

Les éleveurs subissent de plein fouet, depuis cinq ans, les crises à répétition qui ont provoqué chez eux une véritable crise de confiance . Celle-ci concerne, au demeurant, l'agro-industrie dans son ensemble et repose sur l'idée confusément exprimée que l'agriculture porte atteinte à l'environnement et que la consommation de produits agricoles expose toujours à un risque sanitaire. C'est l'identité même des éleveurs qui est mise en cause : « ils vivent un rejet brutal et injuste de la société, rejet de leur produits, rejet de leurs méthodes de travail. Ils vivent durement d'être traités d'empoisonneurs. » 8 ( * )

* 7 L'Agriculture de la Corrèze , 1999, p. 8.

* 8 CER des Deux-Sèvres, La filière viande bovine , p. 7.

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