2. La situation du marché français

a) Les différentes filières de production

On aurait tort d'opposer les diverses filières de production animales. Elles sont profondément interdépendantes et les crises survenant dans l'une ont des incidences sur le devenir des autres.

La filière bovine

La France est le principal producteur européen de viande bovine , avec 1,8 million de tonnes sur 7,3 en 2001. Son cheptel bovin se compose d'environ 21 millions de têtes, ce qui représente 1/4 du cheptel bovin européen (82 millions de têtes). Au sein de ce cheptel, on dénombre notamment 4,1 millions de vaches laitières et 4,3 millions de vaches allaitantes. Elle a exporté 620.000 tonnes de viande en 1999, pour une valeur de 2,2 milliards d'euros, dont 1,2 milliards en animaux vivants. Notre pays est le seul, en Europe, qui dispose d'un troupeau allaitant élevé exclusivement pour la production de viande aussi nombreux.

Le marché français est caractérisé par un déséquilibre structurel entre consommation et production :

- les consommateurs français achètent davantage de viande de femelle (85 % des tonnages consommés) appréciée en tant que viande rouge souvent issue de la filière laitière, dont une partie est importée d'Allemagne et du Benelux, tandis que les jeunes bovins mâles (broutards) sont exportés vers l'Europe du sud, principalement vers l'Italie où ils sont engraissés ;

- la consommation d'« arrières » (viandes à griller) est très supérieure à celle d'« avants » (viande à bouillir) qui sont exportés, de sorte qu'une carcasse ne se valorise bien que sur la moitié de son poids, ce qui renchérit le prix de revient des kilos réellement vendus et pose le problème de la valorisation de l'ensemble de la carcasse, ainsi que l'observe une étude communiquée à votre mission d'information, « il est illusoire de croire que les prix au kilo peuvent se maintenir voire augmenter quand la moitié de la carcasse ne trouve pas preneur ou qu'elle et vendue à des prix de dégagement » 2 ( * ) .

Enfin la commercialisation de la viande bovine est caractérisée par un déséquilibre qui joue en défaveur des producteurs . Elle s'effectue pour environ 60 % grâce aux grandes et moyennes surfaces (GMS), pour 23 % par le secteur de la restauration hors foyer dont la part croît constamment, et enfin pour 14 % par le canal des boucheries traditionnelles dont la part de marché décroît de façon tendancielle.

Au total, le marché est déséquilibré , notamment en ce qui concerne les génisses et les vaches car les animaux de qualité sont dépréciés par rapport aux animaux « standard ». Comme le note la chambre d'agriculture de l'Aveyron : « un mauvais animal part, alors qu'un bon animal dans une démarche de qualité ne part pas » , ce qui ne manque pas de susciter le malaise des producteurs.

Ce déséquilibre a connu une accentuation depuis 2000, sous l'effet de deux crises sanitaires :

- une nouvelle crise de confiance liée à l'ESB , qui éclate en octobre 2000, à la suite de l'annonce que des carcasses issues d'un troupeau frappé par un cas d'ESB ont été commercialisées par erreur ; les conséquences de cette crise sont d'autant plus douloureuses qu'après une première crise en 1996 la consommation de viande bovine était revenue début 2000 à son niveau initial, après bien des efforts de la filière pour rassurer les consommateurs ;

- une crise consécutive à l'épizootie de fièvre aphteuse qui s'est manifestée au printemps 2001 en Mayenne et en Seine-et-Marne.

En 2001 , les consommateurs français ont acheté davantage de viande produite dans l'Hexagone, la part des importations étant ramenée de 21 à 16 % de celle-ci. Cependant, les exportations de bovins-mâles se sont réduites de 15 % du fait de la forte baisse des ventes de broutards vers l'Espagne et les Pays-Bas. On constate donc un accroissement de 1 % de l'effectif bovin dû à une diminution des abattages de vaches laitières pendant la crise de 2001. Celui-ci se double d'une dégradation des exportation s au cours de la même période : - 13 % pour les animaux vifs, - 43 % pour les viandes réfrigérées, - 42 % pour les viandes congelées, soit au total - 43 % pour l'ensemble des viandes.

La filière bovine est aussi victime d'une baisse tendancielle de la consommation de viande bovine , qui passe de 30,3 à 25,5 kilos d'équivalent-carcasse par habitant et par an -soit - 16 %- entre 1989 et 2000. Ce mouvement de fond est préjudiciable à l'ensemble du secteur : depuis vingt ans, la consommation a diminué, en moyenne, de 1,5 % par an.

La France est, en outre, le premier fournisseur au sein de l'Union , avec 59 % des exports . Ses trois principaux clients sont l'Italie , l'Espagne et les Pays-Bas .

Les filières ovine et caprine

La France est, avec la Grèce, l'Irlande, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'un des Etats où la consommation de viande ovine est la plus élevée , particulièrement dans le sud, dans le nord et chez les personnes de plus de 50 ans. La production française connaît une baisse tendancielle depuis 1980. Le taux d'auto-approvisionnement qui était de 80 % voici vingt ans atteint un peu plus de 40 %. Le nombre de brebis poursuit sa décroissance (- 1,4 % par an au cours des dix dernières années). Les troupeaux les plus petits (moins de 350 animaux) ont connu une rapide diminution, cependant 65 % des éleveurs ont encore moins de 100 brebis. Au demeurant, les élevages laitiers dont 60 % comptent de 200 à 750 brebis sont en moyenne plus importants que les élevages destinés à la production de viande dont 19 % seulement se situent entre 200 et 750 brebis. Selon l'Institut de l'élevage 3 ( * ) , la réduction du nombre d'éleveurs atteint toutes les régions, à l'exception de la Corse. La question du devenir de la filière ovine est donc réellement posée.

Seul motif d'espoir, la consommation de viande ovine connaît une légère augmentation, avec 5,2 kilos de carcasse faisant figure d'exception sur le marché des viandes (hors volatiles), tout en restant à un niveau inférieur à celui observé au début des années 1990.

Cependant, la taille des troupeaux est faible (58 brebis en moyenne) et la moitié des éleveurs français ont plus de cinquante ans, comme l'a confirmé le déplacement de votre mission d'information en Franche-Comté. Quant aux importations, elles proviennent pour l'essentiel d'Irlande, du Royaume-Uni et de Nouvelle Zélande. La filière ovine française souffre d'un déficit d'image, spécialement dans des départements où l'élevage bovin est développé, comme le Jura , bien que la moitié de la production bénéficie d'un signe de qualité. On constate, en outre, que des droits à produire demeurent disponibles, alors même que les éleveurs sont à la recherche d'un revenu minimum à l'hectare leur permettant de vivre, ce qu'une association rencontrée par votre mission d'information qualifie de « revenu minimum de décence ».

Au total, le troupeau ovin diminue même dans les départements tels que l' Aveyron , premier bassin moutonnier de France, avec 724.000 brebis. Malgré les très importants efforts réalisés (notamment en matière technique et génétique, par le biais de quatre organisations de producteurs, et par une politique active de recours aux labels), la diminution du cheptel y atteint 20 % en dix ans.

La filière porcine

Comme le relève le CFCE 4 ( * ) , la croissance de la production française s'est ralentie depuis trois ans , notamment du fait de la stagnation de la consommation intérieure. Le Japon et la Corée du Sud , deux marchés importants, n'ont pas réouvert leurs portes aux produits français après l'épizootie de fièvre aphteuse, bien que l'Office international des épizooties ait reconnu à notre pays le statut de zone indemne de la maladie, sans vaccination. Ces deux Etats continuent donc à invoquer des motifs sanitaires pour prendre des mesures dilatoires et portent un préjudice important à l'équilibre de la filière française en interdisant la valorisation des pièces dont la consommation est faible en Europe.

La filière avicole

Selon une étude des chambres d'agriculture du Grand Ouest 5 ( * ) , la réticence des consommateurs à acheter de la viande bovine aurait eu un effet favorable à la consommation de produits avicoles , mais également des effets pervers , entraînant une forte hausse des prix de détail et l'accroissement brutal des importations de l'Union européenne . De fait, pour la première fois en 2001, la consommation de volaille a été supérieure, en France à celle de boeuf, avec 26 kilos par habitant et par an.

b) L'évolution territoriale de leur implantation

La fragilisation des différents types d'élevage est inégale selon les régions, voire même selon les départements, ainsi que le montrent les cartes ci-après.

Elevage bovin

L'élevage bovin se répartit entre l'élevage allaitant et l'élevage laitier .

Les éleveurs de races à viande sont situés pour un tiers dans le Massif central qui constitue le « grand bassin allaitant » et un dixième dans les autres massifs. Le grand bassin allaitant regroupe, à lui seul, 50 % du cheptel français . A défaut de disposer de fourrage en quantité suffisante, ces régions sont spécialisées dans la production de veaux et de jeunes bovins, alors que la Normandie, l'Ouest, le Nord et la Picardie peuvent engraisser sur place une partie de leur cheptel.

Selon une récente étude 6 ( * ) , on compte 78.000 éleveurs spécialisés en viande bovine soit 12.000 de moins qu'en 1988 (- 13 %), du fait d'un baisse tendancielle de 1 % par an, trois fois moins forte que celle de l'ensemble des exploitations agricoles françaises au cours de la même période. Le troupeau allaitant est désormais supérieur au troupeau laitier (respectivement 4,3 millions de vaches contre 4,1 millions). La taille des troupeaux (trente animaux en moyenne) a doublé par rapport à 1988.

L'élevage allaitant conserve de fortes positions du sud-ouest de la Côte d'Or, au nord-est de la Charente, et de la Haute-Vienne à l'Aveyron et à la Lozère. Il est également fortement présent à l'ouest de la Saône-et-Loire et au nord de la Loire. Sur les contreforts des Pyrénées, le troupeau allaitant est dense des Pyrénées-Atlantiques au sud du Gers et jusqu'au nord-ouest de l'Ariège. Dans le grand ouest, les effectifs les plus importants se situent en Vendée et dans les Deux-Sèvres, mais l'élevage allaitant est également très développé tout au long d'une ligne droite qui va de Nantes à Caen, traversant les départements du Maine-et-Loire, de la Mayenne, de la Sarthe, pour aller jusque dans l'Orne et dans le Calvados. En Bretagne, il est spécialement important aux confins des Côtes-d'Armor et du Finistère. Dans le reste du pays, il demeure présent dans les départements qui bordent la Manche (Seine-Maritime, Somme, ouest du Pas-de-Calais) et selon une diagonale qui va du sud du département du Nord jusqu'à la Moselle et à la Meurthe-et-Moselle.

Comme le montre la seconde carte ci-après, l'effectif des vaches allaitantes a augmenté dans l'ensemble des régions précitées passant, au total, de 3,4 millions de têtes en 1988 à 4,3 millions en l'an 2000.

Les départements dans lesquels on constate une diminution sont ceux du Gers, du Lot-et-Garonne et du Tarn. On observe également quelques diminutions, au niveau infra-départemental (le solde total au niveau du département demeurant positif) dans les départements de la Vendée, du Cher et de l'Allier.

EFFECTIF DE VACHES ALLAITANTES PAR CANTON EN 2000

Source : OFIVAL

L'effectif des vaches laitières est particulièrement important en Bretagne, dans les pays de la Loire et en Basse-Normandie ainsi qu'à l'ouest des régions Haute-Normandie, Picardie et Nord-Pas-de-Calais. L'élevage laitier concerne également des bases importantes dans l'Aveyron, le Cantal, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme et la Loire.

Dans l'Est de la France, il demeure très important en Savoie et en Haute-Savoie, ainsi que le long d'un axe qui va du Jura et du Doubs à la Moselle, en passant par les Vosges et la Meurthe-et-Moselle.

Il conserve également de fortes bases dans le nord de la Meuse, les Ardennes, le nord de l'Aisne et le sud du département du Nord.

L'ensemble de ces régions a connu une diminution ainsi que le montre la carte ci-après, passant de 5,7 millions de têtes en 1988 à 4,19 millions de têtes en 2000.

EFFECTIF DE VACHES LAITIÈRES

Source : OFIVAL

Au total, l'effectif des vaches (allaitantes et laitières) enregistre une diminution dans l'ensemble des régions françaises, passant de 9,1 millions de têtes en 1988 à 8,4 millions de têtes en 2000. L'essentiel de cette baisse concerne les départements de Bretagne, de Basse-Normandie ainsi que le nord de la région Pays de la Loire (des diminutions sont cependant enregistrées dans certains cantons des Deux-Sèvres et du sud du Maine-et-Loire). Toutes les autres régions connaissent une baisse, à l'exception des départements du grand bassin allaitant et notamment du sud de la Vienne, du sud de l'Indre, du nord de la Haute-Vienne, de la Creuse, du nord de la Corrèze, de la Nièvre, de la Saône-et-Loire, de l'Allier, du sud du Cantal, du nord de la Lozère, de l'Aveyron et de l'est du Tarn. Dans le reste de la France, seul l'ouest des Pyrénées-Atlantiques enregistre une augmentation de l'effectif total des bovins.

Source : OFIVAL

Elevage ovin

L'élevage ovin français est, comme le montre la carte ci-après, concentré dans quelques régions bien spécifiques : dans le centre de la France, la Haute-Vienne, le sud de l'Indre, la Creuse et l'Allier, le Lot, l'Aveyron, le Tarn et la Haute-Loire. Dans le sud-est de la France, les principaux producteurs sont les départements des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence ainsi que les Bouches-du-Rhône. Dans le sud, les Hautes-Pyrénées, le sud de la Haute-Garonne et l'Ariège concentrent l'essentiel des cheptels. Dans l'ouest sont concernés  le nord des Deux-Sèvres et le sud de la Vienne.

Comme le montre la carte ci-après, si la diminution globale du nombre de brebis, de 11,5 à 9,4 millions de têtes entre 1988 et 2000, concerne essentiellement les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Haute-Vienne, tous les départements intéressés par la production ovine sont touchés par une dégradation d'ampleur nationale .

Source : OFIVAL

Source : OFIVAL

Elevage caprin

L'élevage caprin français est concentré, pour l'essentiel, dans le sud de la région Pays de la Loire (Vendée et Maine-et-Loire), dans les Deux-Sèvres, la Vienne, l'Indre-et-Loire et l'Indre. Les productions existent aussi dans le Lot et dans l'Aveyron, dans le Cher, au sud de la Saône-et-Loire et au nord du Rhône, en Haute-Loire et en Ardèche, dans le sud de la Lozère, dans le nord du Gard ainsi qu'en Corse et dans la Drôme.

Le troupeau caprin a enregistré, au cours des douze dernières années une évolution contrastée, parfois même à l'échelon d'un seul département. Il a augmenté dans le sud de la Vendée, le sud du Maine-et-Loire et le nord des Deux-Sèvres, tandis qu'il diminuait dans le sud des Deux-Sèvres, le sud de la Vienne et le nord des Charentes.

Il a également augmenté dans l'Aveyron tandis qu'il diminuait dans la région Centre, dans le sud de la Bourgogne et le nord de la région Rhônes-Alpes, ainsi que dans les départements de l'Isère, de la Drôme et de l'Ardèche.

Au cours de sa mission en Lozère , votre mission d'information a pris la mesure des difficultés spécifiques rencontrées par la filière caprine.

Traditionnellement concentrée sur de petites et de très petites exploitations, elle a été durement touchée : le nombre de producteurs a été divisé par trois durant les vingt dernières années, tandis que, malgré la progression de la taille moyenne des troupeaux, les effectifs de chèvres diminuaient d'un quart au cours de la même période.

On constate, en outre, que les petites surfaces concernées par cet élevage et les petits troupeaux qui le constituent n'ont pas permis de bénéficier des réformes successives de la PAC (aides compensatoires, « prime à l'herbe » ou mesures agri-environnementales). De ce fait, le revenu des éleveurs caprins est toujours plus faible que celui des autres producteurs. En Lozère même, il est inférieur de 42 % à la moyenne départementale sur les dix dernières années.

CHEPTEL CAPRIN PAR CANTON EN 2000

EVOLUTION DU CHEPTEL CAPRIN 1988-2000

* 2 CER des Deux-Sèvres, La filière viande bovine , p. 7.

* 3 Le dossier économie de l'élevage , n° 300, mars 2001.

* 4 CFCE, Dossier, Production et échanges internationaux de bétail et de viandes de porcs, place de la France en 2001.

* 5 Citée par La France agricole du 30 août 2002, p. 27.

* 6 Agreste Primeur , n° 110, mai 2002, cité par AGRA Presse hebdo , n°2859, 13 mai 2002, p. 18.

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