CHAPITRE SECOND

LA FRANCE UN PAYS MOINS COMPETITIF QUE CERTAINS DE SES VOISINS DE L'UNION EUROPEENNE

L'objectif de ce rapport étant de faire le bilan sur les dispositions du droit français des mutations à titre gratuit pour lesquelles une réforme peut aujourd'hui sembler nécessaire, une comparaison de notre régime avec celui applicable chez certains de nos voisins européens est apparue essentielle. En effet, il est d'usage de penser une réforme notamment au regard de la lumière de la concurrence fiscale internationale, et en particulier européenne.

Cette étude comparative porte essentiellement sur les voisins européens proches de la France que sont l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, la Suède et la Suisse. Le choix de ces pays s'explique par la volonté d'étudier le régime fiscal des mutations à titre gratuit de pays dont la culture fiscale peut-être considérée comme relativement proche de la nôtre (ce qui est généralement le cas des pays latins tels que l'Espagne et l'Italie) ou plus éloignée (Allemagne, Belgique) ou encore, totalement distincte, soit en raison de très nettes divergences au regard des systèmes juridiques applicables (Grande-Bretagne, Suède) ou de la culture même du pays concerné (la Suisse).

Cette comparaison privilégie deux approches. La première repose sur l'appréciation de l'environnement fiscal global des régimes européens de transmission à titre gratuit en incluant notamment l'impact des impositions frappant la détention et la cession du patrimoine transmis (existence d'un impôt sur la fortune, taxation de la plus-value latente existant sur le bien objet de la transmission). La seconde cherche à comparer la pression fiscale résultant de l'imposition des transmissions à titre gratuit au travers de l'étude de cas-types.

La première partie de cette étude comparative est destinée, sur un plan général, à mesurer la compétitivité fiscale de la France parmi ses voisins européens. La seconde partie est consacrée à l'étude des régimes spécifiques de transmission d'entreprises. Enfin, dans une troisième et quatrième partie, il est respectivement question de la protection du conjoint survivant et de la problématique des familles recomposées. En effet, le bilan du droit fiscal français des mutations à titre gratuit, dressé dans le premier chapitre de cette étude, a permis de mettre en exergue ces faiblesses qu'il convient alors de comparer, dans la mesure du possible, avec les dispositions équivalentes existant dans les pays européens étudiés.

Il convient cependant de noter que les comparaisons internationales sont souvent un exercice délicat dans la mesure où il est toujours difficile d'évaluer avec certitude l'exactitude des résultats obtenus. En effet, la pratique conduit souvent à une imposition distincte et la plupart du temps, plus faible que celle à laquelle une stricte application des textes conduit. Le risque est ainsi d'aboutir à un classement des pays selon leur attractivité fiscale qui, sans être appréciée avec un certain recul, ne présenterait qu'un faible intérêt lorsque l'objectif est de mettre en relief des différences entre les divers régimes fiscaux étudiés, qui lorsqu'elles sont significatives permettraient de soutenir le besoin d'une réforme. Aussi, cette étude s'efforce de montrer quels sont les grands systèmes d'imposition des mutations à titre gratuit corrigés des techniques généralement mises en oeuvre dans chaque pays concerné afin de réduire la charge fiscale, notamment par une application combinée des textes légaux. En tout état de cause, les chiffres des cas-types présentés dans cette étude ne peuvent être que des ordres de grandeur, donnés à titre indicatif.

I. DES RÉGIMES GENERAUX DE TRANSMISSION À TITRE GRATUIT DISPARATES EN EUROPE

Le premier constat que l'on peut tirer de cette comparaison est que les régimes fiscaux des transmissions à titre gratuit des pays étudiés sont, d'une façon générale, très disparates. Or, cette disparité rend particulièrement difficile la comparaison de la compétitivité fiscale de chacun de ces pays. Aussi, sans faire une description exhaustive des mesures applicables dans chacun de ces pays, on peut cependant noter qu'il existe trois grandes catégories de régimes d'imposition des mutations à titre gratuit parmi les pays étudiés.

La première catégorie concerne les régimes fiscaux dans lesquels il existe des exonérations totales de droit de donation et de succession 52 ( * ) . Appartiennent à cette catégorie, l'Italie et sous certaines réserves la Suisse. On peut également identifier, dans une seconde catégorie, des régimes privilégiant fortement la transmission anticipée du patrimoine par l'exonération des donations consenties dans un certain délai précédant le décès du donateur, et qui de ce fait constituent des régimes de transmission particulièrement favorables. Relèvent de cette catégorie, la Grande-Bretragne et la Belgique.

Enfin, la dernière catégorie concerne les pays qui, ne disposant pas de mesures aussi favorables que celles mentionnées précédemment, constituent a priori des pays peu attractifs.

A cet égard, il convient de noter que si l'on peut aisément exclure la France de la première catégorie, il est en revanche malaisé de ne la ranger que dans la seconde catégorie ou de la cantonner dans la troisième. En effet, la France pourrait dans une certaine mesure figurer dans la seconde catégorie au regard de son régime applicable aux donations. Comme cela a été développé dans la première partie, le régime français des mutations à titre gratuit tend fortement à favoriser les transmissions anticipées dans la mesure où il prévoit une réduction de droits de 50% lorsque le donateur a moins de 65 ans au jour de la donation ou de 30% des droits lorsque ce dernier a 65 ans révolus mais moins de 75 ans. Or cette mesure est particulièrement compétitive. Toutefois, l'efficacité d'une telle mesure ne peut que difficilement se comparer avec celles prévues en Belgique ou en Grande-Bretagne, pays dans lesquels les donations sont totalement exonérées de droits à la seule condition que le donateur ne décède pas dans les 3 ou 7 ans de la donation.

Par ailleurs, la France est, comme nous le verrons dans une seconde sous partie, l'un des pays les plus coûteux en matière de transmission par décès du patrimoine. C'est donc dans la troisième catégorie qu'il convient in fine de la ranger quand bien même cette classification est sujette à certaines réserves. Enfin, on peut subdiviser cette troisième catégorie en distinguant les pays qui se trouvent dans le haut du classement du fait de l'application en matière de donation et de succession d'abattements significatifs, tels que l'Allemagne et dans une moindre mesure la France, et ceux dont la pression fiscale est particulièrement lourde du fait de l'absence d'abattement significatif cumulée avec des barèmes dont la tranche d'imposition au-delà de laquelle s'applique le taux marginal d'imposition est rapidement atteinte. Il s'agit de l'Espagne et de la Suède.

A. DES RÉGIMES D'EXONERATION TOTALE EN ITALIE ET EN SUISSE

1. L'Italie, l'exception européenne : une réforme par le vide

L'Italie fait sans conteste figure d'exception en matière de transmission à titre gratuit. En effet, depuis le 25 octobre 2001, les droits de donation et de succession ont été purement et simplement abrogés.

Toutefois, cette réforme s'inscrit dans un mouvement amorcé deux ans auparavant. Le premier volet de cette réforme avait déjà considérablement allégé la pression fiscale tant en matière de donation que de succession 53 ( * ) . A titre d'exemple, cette première réforme avait ainsi eu pour effet de réduire le taux d'imposition de la part successorale revenant à chaque enfant ou au conjoint à 4% au lieu d'un taux progressif allant de 3 à 25%.

Les raisons avancées par le Gouvernement italien ayant présidé à cette réforme sont tant politiques qu'économiques.

Politiques en ce sens que le Gouvernement souhaitait supprimer un impôt apparu au IX ème siècle sur le fondement d'une idéologie hostile aux personnes vivant de leurs rentes et qui ne trouvait plus aujourd'hui de justification compte tenu des instruments sociaux et fiscaux permettant aujourd'hui d'assurer l'équité.

Economiques d'autre part, compte tenu de l'inadaptation de cet impôt au regard de l'évolution de la structure de détention de la richesse en Italie et notamment, des moyens de sa production où les entreprises individuelles sont particulièrement nombreuses. Par ailleurs, le Gouvernement souhaitait favoriser le retour des capitaux en Italie. Enfin, le dernier argument invoqué portait sur le faible rendement de cet impôt en Italie qui en 1999 n'a rapporté à l'Etat que 992,4 millions d'euros.

En application de la réforme du 25 octobre 2001, les transmissions à titre gratuit réalisées au profit du conjoint, des enfants, des parents, des grands-parents, des petits-enfants, des frères et soeurs, neveux, oncles et tantes ainsi qu'au profit des cousins sont désormais totalement exonérées de droits de mutation.

En revanche, les mutations à titre gratuit réalisées au profit de toutes autres personnes sont assujetties à un droit d'acte venant en remplacement des droits de mutation à titre gratuit. Ce droit d'acte dépendant de la nature du bien transmis, varie entre 7 et 8% s'agissant des biens immobiliers et est égal à 3% pour les biens meubles. Seul un droit fixe de 129,11 € est exigible pour les donations de titres et valeurs mobilières.

Ce droit d'acte est perçu sur le montant de la donation après application d'un abattement de 180.760 €, applicable une seule fois par donateur et par donataire.

Il s'agit donc d'un régime particulièrement favorable qui fait désormais de l'Italie le pays le plus attractif pour transmettre son patrimoine. Ceci est encore renforcé par l'absence d'impôt sur la fortune.

Il convient cependant de noter que la plus-value latente existant sur le bien transmis n'est pas purgée par l'effet de la donation ou de la succession. Cependant, les plus-values sont assez faiblement taxées en Italie. En effet, le taux d'imposition varie entre 12,5% et 27% selon la nature du bien transmis. Par ailleurs, les plus-values sur biens immobiliers affectés à l'habitation principale sont exonérées.

En application de ce régime, l'Italie fait désormais figure d'exception au sein de l'Union européenne.

2. La Suisse : des taux dans l'ensemble très faibles lorsqu'ils ne sont pas nuls

En Suisse les droits de mutation à titre gratuit ne sont pas prélevés au niveau fédéral. En effet, la législation applicable dépend du canton et de la commune dans lesquels le donateur ou défunt est domicilié au jour de la donation ou du décès. Le régime fiscal applicable aux mutations à titre gratuit est donc très variable d'un canton à l'autre.

Le canton de Genève est celui dans lequel les mutations à titre gratuit sont les plus fortement taxées quel que soit le degré de parenté entre le donateur ou défunt et le bénéficiaire de la mutation. Ceci est toutefois à nuancer dans la mesure où le taux maximum d'imposition est de 6% entre époux et en ligne directe. Il est en revanche de 25,2% entre frères et soeurs et 54,6% entre non parents.

En revanche, dans 19 des 25 autres cantons suisses, les donations et successions entre époux et en ligne directe sont totalement exonérées (ex. les Cantons de Fribourg, de Lucerne, du Tessin, du Valais ou de Zurich). A cet égard, on peut également citer le canton de Schwyz dans lequel les mutations à titre gratuit sont totalement exonérées quel que soit le degré de parenté entre le donateur ou défunt et le bénéficiaire de la mutation.

Cette diversité de régime fait de la Suisse un pays particulièrement compétitif en matière de transmission de patrimoine à titre gratuit.

Cette compétitivité est encore exacerbée par le régime d'exonération des plus-values des particuliers réalisées dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé.

Par ailleurs, bien que la Suisse soit l'un des rares pays européens avec la France à imposer la fortune, cet impôt n'est cependant pas prélevé dans tous les cantons. Lorsque la fortune est imposée, les taux varient cependant entre 0,3 et 1% de la valeur nette du patrimoine lorsque celui-ci excède en moyenne 34.000 € (50.000 CHF) pour un célibataire et 68.000 € (100.000 CHF) pour un couple marié.

* 52 Il s'agit ici d'exonérations autres que celles concernant un type de biens particuliers comme par exemple les exonérations prévues en faveur des oeuvres d'art, des biens agricoles ou forestiers ou encore des dons et legs consentis au profit de l'Etat ou des collectivités territoriales.

* 53 Un abattement de 259.163 € sur chaque part avait ainsi été institué puis doublé pour chaque ayant-droit âgé de moins de dix-huit ans.

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