CHAPITRE IV


DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES NATIONALES NÉCESSAIRES ET, SOUS CERTAINES CONDITIONS, EFFICACES

La capacité laissée aux Etats de mobiliser leur politique budgétaire est, dans l'Union économique et monétaire (UEM), un enjeu essentiel au regard de considérations théoriques. En outre, les travaux empiriques viennent plutôt confirmer, sous certaines conditions, l'efficacité des politiques budgétaires nationales en UEM qu'ils ne valident les analyses concluant à l'inutilité des réactions de politique budgétaire.

Toutefois, la nécessaire liberté que doivent garder les Etats en ce domaine doit être conciliée avec un impératif de discipline. Les politiques budgétaires, pour être efficaces, peuvent aussi donner lieu à des excès et se révéler imprévoyantes. Dans la mesure où les effets négatifs d'une mauvaise orientation des politiques budgétaires sur les partenaires sont susceptibles sortir renforcés de l'adoption de l'euro, et parce que les forces de rappel qui lui préexistaient ont été - même légèrement - atténuées, il est indispensable d'instaurer une discipline budgétaire commune.

I. LA RÉALISATION DE L'UEM ACCENTUE LA NÉCESSITÉ DE POUVOIR MOBILISER LES POLITIQUES BUDGÉTAIRES NATIONALES

L'adoption d'une monnaie commune signe la constitution en Europe d'une zone monétaire unique. Elle s'incarne dans une unification monétaire qui a, comme pendant, une « européanisation » des politiques monétaire et du change, dont les Etats ne disposent plus pour leurs besoins propres.

En outre, ce cadre de fonctionnement s'applique à un ensemble économique qui, s'il a abandonné une situation insatisfaisante de polycentrisme monétaire, ne répond pourtant pas au modèle théorique d'une zone monétaire optimale. Même s'il convient de relativiser certaines des conséquences du hiatus entre la réalité de l'économie européenne et les exigences théoriques de ce modèle, celui-ci appelle à consacrer le principe de liberté de mobilisation des politiques budgétaires nationales.

A. L'EUROPÉANISATION DES POLITIQUES MONÉTAIRE ET DU CHANGE FACE À UNE EUROPE DONT L'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE RESTE INCOMPLÈTE

1. L'adoption de l'euro a été naturellement accompagnée d'une européanisation des politiques monétaires et de change.

Le système européen de banques centrales conduit une politique monétaire pour l'Europe dans son ensemble et les orientations de change sont censées, elles aussi, correspondre à l'intérêt de la zone euro. Ni la politique monétaire, ni la politique de change ne sont plus désormais mobilisables par un pays en fonction de ses intérêts propres.

Cette situation est sans inconvénient lorsque les situations économiques de chacun des Etats de la zone convergent, car alors les politiques monétaire et de change sont, par définition, adaptées à la situation de chaque Etat.

En revanche, lorsque cette convergence n'est pas vérifiée, les Etats qui divergent doivent pouvoir trouver ailleurs que dans ces instruments la voie de leur stabilisation. Cette exigence est d'autant plus forte pour les pays qui, à un moment donné, peuvent subir des taux d'intérêt et de change éloignés des taux qui seraient adaptés à leur situation.

2. Une intégration économique et sociale incomplète

L'UEM s'applique à un ensemble de pays dont les spécificités économiques restent fortes et qui n'ont pas accompagné le processus d'unification monétaire par un processus d'unification budgétaire.

a) Des particularismes économiques nationaux subsistent

En dépit des progrès de l'intégration européenne et de la convergence nominale qui ont permis l'adoption de l'euro, les spécificités économiques des pays de la zone restent fortes.

Trop nombreuses pour faire l'objet d'un recensement exhaustif dans ce rapport, on en donnera trois exemples dans des domaines sensibles pour les politiques économiques : les prix, la croissance et le chômage.

S'agissant des prix , le tableau ci-après témoigne, à partir des séries de prix à la consommation, de la forte dispersion des performances nationales par rapport aux résultats moyens de la zone.


Indices des prix à la consommation

(1996 = 100)

1998

1999

2000

2001

Zone euro

102,7

103,8

106,3

108,9

Belgique

102,4

103,6

106,4

109

Allemagne

102,1

102,8

104,9

107,4

Grèce

110,2

112,6

115,8

120,1

Espagne

103,7

106

109,7

112,8

France

102

102,5

104,4

106,3

Irlande

103,4

106

115,5

116

Italie

103,9

105,7

108,4

110,9

Luxembourg

102,4

103,4

107,3

109,9

Pays-Bas

103,7

105,8

108,2

113,8

Autriche

102

102,5

104,5

106,9

Portugal

104,2

106,4

109,4

114,2

Finlande

102,6

103,9

107

109,8

Source : Eurostat

Elle confirme l'existence de divergences entre les Etats et la difficulté d'adopter une politique monétaire commune appropriée à chacun d'entre eux.

S'agissant du chômage , les situations sont elles aussi très disparates. Certains pays paraissent près du plein-emploi, si bien que toute accélération de l'activité y est susceptible de buter sur une contrainte de rareté de la main-d'oeuvre et un dérapage inflationniste.

Dans d'autres pays, le sous-emploi persiste et appelle, entre autres, un supplément de croissance afin de le résorber.

Taux de chômage total

1998

1999

2000 1)

2001 1)

Zone euro

10,2

9,3

8,4

8,0

Belgique

9,3

8,6

6,9

6,6

Allemagne

9,1

8,4

7,8

7,7

Grèce

10,9

11,9

11,1

10,5

Espagne

15,2

12,8

11,3

10,6

France

11,4

10,7

9,3

8,6

Irlande

7,5

5,6

4,2

3,8

Italie

11,7

11,3

10,4

9,4

Luxembourg

2,7

2,4

2,3

2,0

Pays-Bas

3,8

3,2

2,8

2,4

Autriche

4,5

3,9

3,7

3,6

Portugal

5,1

4,5

4,1

4,1

Source : Eurostat

1. Prévisions

Enfin, la dispersion des performances de croissance est patente. Quelques pays évoluent sur un rythme supérieur à leur potentiel tandis que d'autres subissent une activité nettement moindre. Il n'y a pas en Europe de synchronisation des cycles nationaux.

Produit intérieur brut aux prix du marché de 1995

1999

2000

2001 1)

2002 1)

Cumul 1999-2002

Zone euro

2,5

3,5

3,2

3

12,8

Belgique

2,7

3,9

3,3

3,2

13,8

Allemagne

1,6

3,1

2,8

2,8

10,7

Grèce

3,4

4,1

4,5

4,8

17,9

Espagne

4,0

4,1

3,5

3,3

15,8

France

2,9

3,3

3,1

2,8

12,7

Irlande

9,8

10,5

8,2

7,1

40,6

Italie

1,4

2,9

2,8

2,7

10,2

Luxembourg

7,5

7,8

6,5

6,0

30,8

Pays-Bas

3,9

4,3

4,0

3,5

16,6

Autriche

2,8

3,5

2,9

2,8

12,5

Portugal

3,0

3,0

2,7

2,7

11,9

Finlande

4,0

4,8

4,3

3,8

18

Source : Eurostat

1. Prévisions

b) Une intégration budgétaire européenne presque inexistante

A côté de l'européanisation de la monnaie et des politiques liées directement à elle, l'intégration budgétaire n'a que peu progressé.

S'il existe un budget des communautés européennes, son poids limité par un plafond, à 1,27 % du PIB européen et son objet, financer quelques unes des politiques communautarisées, en même temps que la règle d'équilibre qui lui est appliquée, lui ôtent toute capacité d'être utilisé en l'état comme instrument de stabilisation économique.

Les politiques budgétaires restent donc du ressort des Etats et, si rien n'interdit à ceux-ci d'appliquer une solidarité économique, dans les faits les initiatives européennes de relance sont presque inexistantes, et la solidarité économique ne va pas au-delà des transferts entre pays qui transitent par le budget communautaire 15 ( * ) .

En l'état, la dimension européenne ne s'impose aux politiques budgétaires nationales qu'à travers le pacte de stabilité et de croissance et les références, souvent incantatoires, que peuvent contenir les Grandes orientations de politique économique (GOPE 16 ( * ) ) à son sujet.

Cette situation correspond d'abord à un état politique de l'Union et, de ce fait, on la présente fréquemment comme insusceptible d'évoluer sans une réforme fédéraliste contestée. Mais, elle correspond aussi à un état technique du budgétarisme européen marqué par un développement très limité des mécanismes de coopération.

Il paraît, en effet, caricatural d'estimer que les progrès vers une capacité de stabilisation budgétaire, conduite à partir de l'Europe, réclament un bouleversement politique.

L'existence des processus de transferts entre les Etats à partir du budget communautaire montre que des mécanismes limités d'ajustement peuvent trouver place dans un contexte de politiques budgétaires nationales. En outre, la capacité de l'Union, à supposer qu'elle en soit dotée, à intervenir à des fins de stabilisation semble intuitivement plus solide que celle de chacun des Etats pris séparément.

A défaut de progresser en ce sens, il est indispensable que les Etats puissent mobiliser leurs politiques budgétaires nationales.

* 15 Ces transferts sont d'ailleurs régulièrement critiqués et remis en question par les « contributeurs nets » pour des raisons qui ne sont pas toujours injustifiées.

* 16 Les GOPE fixent annuellement les objectifs de politique économique communs.

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