D. RÉTABLIR UN MÉCANISME DE FINANCEMENT DÉDIÉ

1. Préserver les recettes des sociétés d'autoroutes

Tant le rapport d'audit que la mission de la DATAR recommandent de trouver de nouvelles ressources pour financer le secteur des transports.

Or, il faut rappeler que des ressources existent, abondantes, dans le secteur autoroutier.

a) Les recettes attendues du secteur autoroutier

L'activité autoroutière concédée progresse de 7 % par an en moyenne depuis 1989. Le chiffre d'affaire des SEMCA est ainsi passé de 2,4 milliards d'euros en 1990 à 5,5 milliards d'euros en 2002, soit plus qu'un doublement sur une dizaine d'année.

Les SEMCA sont soumises à une fiscalité spécifique constituée d'une taxe d'aménagement du territoire, la TAT (créée à l'origine pour financer le développement des transports), et, plus marginalement, d'une redevance domaniale. L'ensemble rapporte aujourd'hui à l'Etat un peu moins de 600 millions d'euros par an. Nul doute que ce montant est appelé à augmenter dans la mesure où la TAT est fondée sur l'évolution, très dynamique, des trafics. Si l'on retient une hypothèse de 3 % par an, les impôts et taxes pourraient atteindre 1,2 milliard d'euros en 2020 et 1,67 milliard d'euros à la fin des concessions.

Concernant l'impôt sur les sociétés , qui est un impôt de droit commun, le total d'impôt sur les sociétés perçu sur le secteur autoroutier devrait représenter de l'ordre de 12 milliards d'euros sur la période 2003-2020 et 23 milliards d'euros jusqu'au terme des concessions . Cette estimation se fonde sur les résultats de l'audit qui a estimé à 23 milliards d'euros les résultats nets du secteur concédé jusqu'en 2020 et à 46 milliards d'euros jusqu'au terme des concessions.

Il est cependant plus intéressant de prendre en compte les dividendes qui pourraient être versés par les sociétés d'autoroutes . Avec un taux moyen de distribution de 50 %, le montant des dividendes 2003-2020 peut être estimé à 5,8 milliards d'euros courants d'ici à 2020, 33 % provenant du groupe ASF-ESCOTA, 43 % du groupe SAPRR-AREA et 24 % du groupe SANEF-SAPN.

Si les conditions de distribution des dividendes et la structure capitalistique des sociétés restent inchangées, en conservant les mêmes hypothèses de croissance des résultats, l'Etat actionnaire pourrait recevoir 12 milliards d'euros d'ici à la fin des concessions. Ce chiffre s'élèverait à 19 milliards d'euros si les sociétés distribuaient l'essentiel de leurs résultats .

Les ressources tirées des sociétés d'autoroutes

(en milliards d'euros)

2020

Fin de concessions

TAT + redevance

1,2

1,67

IS

12

23

Dividendes

5,8

19

Total

19

43,7

b) Conséquences des éventuelles cessions de capital

La cession par l'Etat, au printemps 2002, de 49 % de ses participations dans ASF lui a rapporté 1,8 milliard d'euros. En contrepartie, l'Etat s'est privé de 1,9 milliard d'euros de dividendes d'ici à 2020, et de 4 milliards d'euros à 6 milliards d'euros de dividendes d'ici au terme de la concession.

Si le capital de la SANEF devait être ouvert à 50 %, le montant cumulé des dividendes à percevoir par l'Etat diminuerait de 1,5 milliard d'euros à 2,3 milliards d'euros à l'horizon de la fin de la concession.

Si le capital de la SAPRR devait être ouvert à 50 %, le montant cumulé de dividendes à percevoir par l'Etat-actionnaire diminuerait d'un montant que l'on peut estime de 2,6 milliards d'euros à 4,1 milliards d'euros à l'horizon des concessions actuelles.

c) L'allongement de la durée des concessions

Dans le régime comptable antérieur, les SEMCA n'avaient pas vocation à dégager des bénéfices : la durée de la concession était fixée pour permettre la résorption des charges différées et garantir le remboursement de la dette. Le bénéfice de l'allongement des concessions peut se mesurer par la méthode des cash flows . Le calcul consiste à calculer la valeur actualisée des cashs flows prévisionnels dégagés par l'allongement de 12 ans à 15 ans de la durée des concessions. Dans cette approche, l'allongement de la durée des concessions aurait créé une valeur de 3,3 milliards d'euros.

2. Créer un Fonds national de développement des transports

Votre rapporteur spécial plaide pour la création d'un Fonds national de financement des infrastructures de transport.

La suppression du FITTVN a été une erreur qu'il est nécessaire de réparer. Il convient donc de créer un fonds national associant l'Etat et les régions et disposant de ressources pérennes (taxe d'aménagement du territoire, dividendes des sociétés d'autoroutes). Ce fonds sera chargé de mettre en oeuvre la loi de programmation.

Pour que ce fonds perçoive les dividendes des sociétés d'autoroutes il conviendra de clarifier l'affectation de la « rente autoroutière » résultant de l'allongement des concessions et de la diminution du programme d'investissements. La fin du régime de l'adossement (péréquation au sein du mode autoroutier) devait avoir pour contrepartie l'affectation des dividendes des sociétés d'autoroutes au développement de nouvelles infrastructures . Une privatisation des SEMCA mettrait définitivement un terme à toute forme de péréquation dans le mode autoroutier.

Votre rapporteur spécial note que le fonds qu'il propose serait pleinement compatible avec les orientations de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

En effet, en application de l'article 21 de la loi organique du 1 er août 2001 précitée, les comptes d'affectation spéciale retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées . Ces recettes peuvent être complétées par des versements du budget général, dans la limite de 10 % des crédits initiaux de chaque compte.

Si le fonds reçoit la taxe d'aménagement du territoire, les dividendes des sociétés d'autoroutes et la nouvelle redevance domaniale sur les poids lourds, il devrait pouvoir faire face sans difficultés aux besoins de financement sur la période 2003-2020, sans qu'il y ait nécessité de créer de nouvelles taxes.

Le fonds devrait monter en charge en fonction de l'augmentation naturelle du produit des taxes existantes (de 600 millions d'euros aujourd'hui à 1,2 milliard d'euros à terme), de la création d'une redevance concernant les poids lourds 25 ( * ) (400 millions d'euros en 2006, 600 millions d'euros à terme) et des dividendes des SEMCA (350 millions d'euros en moyenne sur la période).

Enfin, votre rapporteur spécial souhaite que le fonds créé en Suisse serve à ce titre de modèle.

En Suisse, les grands projets ferroviaires alpins (NLFA), Rail 2000, raccordement au réseau ferroviaire européen à grande vitesse et réduction du bruit émis par les chemins de fer sont financés par le Fonds pour les grands projets ferroviaires . Ce fonds est alimenté par des parts sur la TVA, la redevance sur le trafic des poids lourds, les recettes sur les contingents (trafic des poids lourds) et par l'impôt sur les huiles minérales, c'est-à-dire des recettes pérennes.

Le fonds suisse pour les grands projets ferroviaires

(en millions de francs suisses)

Plan financier de la législature

2000

2001

2002

2003

Attributions au fonds

528

928

1011

1034

Part de la TVA

-

180

230

240

Part de la redevance sur le trafic des poids lourds

348

474

481

487

Part des recettes sur les contingents

-

36

36

52

Part du produit de l'impôt sur les huiles minérales

180

238

264

255

Capitalisation des prêts aux conditions du marché

387

405

418

402

Capitalisation des prêts à intérêts varia bles remboursables conditionnellement

989

982

990

951

Capitalisation des avances

768

492

500

445

Total des revenus

2672

2807

2919

2832

3. Agir auprès de l'Union européenne pour le financement des transports

La contribution communautaire s'inscrit dans le cadre du budget consacré aux réseaux transeuropéens (RTE) . Cette participation est limitée à 10 % du coût total des investissements.

Le budget RTE s'élève à 4,17 milliards d'euros pour la période 2000-2006. La France en a bénéficié pour la LGV Est européenne.

Le Livre blanc européen de septembre 2001 (La politique des transports à l'horizon 2010 : l'heure des choix) envisage la possibilité de relever le taux de subvention à 20 % pour « des projets transfrontaliers franchissant des barrières naturelles et aux frontières des pays candidats à l'adhésion ».

Comme votre rapporteur spécial l'a souligné dans son rapport au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne , la Commission européenne a jusqu'à présent donné la priorité à la libéralisation : libération précoce pour le transport fluvial, organisée pour le transport routier et difficile pour le transport ferroviaire. Il est temps que la commission européenne s'engage davantage dans le financement des grands réseaux européens de transports.

Le financement par l'Union européenne des réseaux transeuropéens de transport

Les orientations communautaires pour le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) ont été arrêtées par la décision n° 1692/96/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 1996. Ce document se présente comme « un cadre général de référence destiné à encourager les actions des Etats membres et, le cas échéant, de la Communauté visant à réaliser des projets d'intérêts commun ayant pour objet d'assurer la cohérence, l'interconnexion et l'interopérabilité de réseau transeuropéen de transport ainsi que l'accès à ce réseau ». Dans les faits, les cartes annexées à la décision semblent résulter de la simple juxtaposition des schémas nationaux de transport.

La décision du 23 juillet 1996 sur les réseaux transeuropéens de transports a un caractère clairement facultatif, puisque son article premier précise que « ces projets constituent un objectif commun dont la réalisation dépend de leur degré de maturité et de la disponibilité de ressources financières, sans préjuger de l'engagement financier d'un Etat membre ou de la Communauté ». A l'échéance de 2010, le coût total du RTE-T est estimé à 400 milliards d'euros.

Au sommet d'Essen des 9 et 10 décembre 1994, avant même que l'ensemble du RTE-T ne soit arrêté et sur la base des travaux du groupe Christophersen, il est décidé de concentrer les financements sur quatorze projets déclarés hautement prioritaires.

La plupart appartiennent au réseau de transport ferroviaire à grande vitesse : liaison Berlin-Nuremberg et axe du Brenner ; liaison PBKAL (Paris, Bruxelles, Cologne, Amsterdam, Londres) ; liaison Sud vers Madrid par la voie atlantique et par la voie méditerranéenne ; liaison Est Paris-Allemagne ; liaison Lyon-Turin-Milan-Venise-Trieste ; liaison Cork-Dublin-Belfast-Larne-Stranraer ; liaison fixe Danemark-Suède ; triangle nordique ; ligne principale de la côte occidentale du Royaume-Uni.

Les autres projets d'Essen concernent : la ligne ferroviaire de transport combiné Betuwe ; la desserte autoroutière de la Grèce ; la liaison routière Irlande-Royaume-Uni-Bénélux ; la liaison multimodale du Portugal et de l'Espagne avec le reste de l'Europe ; l'aéroport de Malpensa.

Le coût des quatorze projets d'Essen est estimé à 103 milliards d'euros, alors que les Etats membres, engagés dans la réduction de leurs déficits budgétaires afin de réaliser l'Union économique et monétaire, ne peuvent y consacrer que de faibles moyens financiers.

La contribution de la Communauté est également modeste. Sa participation spécifique aux études de faisabilité, à hauteur de 10 % du coût des projets, s'est élevé à 2,4 milliards d'euros entre 1993 et 1999. Ce budget RTE-T a été porté à 4,2 milliards d'euros sur la période 2000-2006. Il convient toutefois d'y ajouter une fraction significative, de 50 % à 60 %, du fonds de cohésion qui est consacrée aux infrastructures de transport. Mais seuls quatre Etats membres en sont bénéficiaires. Au total, les apports financiers de la Communauté devraient s'élever à 18 milliards d'euros sur la période 2000-2006.

Les apports de la Communauté sont complétés par les prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI), qui se sont élevés à 30,4 milliards d'euros sur la période 1993-2000.

Le manque de financements publics a retardé la réalisation de la plupart des projets inscrits dans le RTE-T, y compris ceux déclarés prioritaires. A ce jour, seulement 46 % du financement total des quatorze projets d'Essen est assuré, soit 48 milliards d'euros, et 56 milliards d'euros restent à trouver. Seuls trois projets sont en voie d'achèvement : l'aéroport de Malpensa, le lien fixe de Danemark-Suède, et la liaison ferroviaire classique Cork-Dublin-Belfast-Larne. Six autres projets devraient s'achever d'ici 2005 et cinq autres projets ont des calendriers s'étendant largement au-delà de cette date, notamment les liaisons transalpines.

Source : « Politique des transports : l'Europe en retard » rapport d'information n°300 (2000-2001) - délégation du Sénat pour l'Union européenne

* 25 Concernant cette redevance, votre rapporteur s'interroge également sur l'opportunité d'en affecter une part au financement des liaisons européennes, dans l'hypothèse d'un relèvement de la contribution du budget communautaire de 10 % à 20% ou 30 % du coût des investissements.

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