B. UN RISQUE DE DÉFLATION POUR LA ZONE EURO ?

Un autre aléa concerne le risque de déflation en Europe, qui a été récemment souligné par plusieurs économistes - en particulier MM. Jean-Paul Betbéze, Michel Aglietta et Patrick Artus 8 ( * ) .

La déflation se définit, au sens large , comme une inflation négative. Une inflation négative ne s'accompagne pas nécessairement d'une contraction du PIB. Ainsi, comme le rappelle M. Michel Aglietta, « le dernier tiers du XIX ème siècle a connu une longue déflation. La tendance des prix à la consommation a été continuellement orientée à la baisse : pendant 23 ans au Royaume-Uni (1873-1896), 31 ans en France (1875-1906), 41 ans aux Etats-Unis (1865-1906) ». Dans une récente étude 9 ( * ) , le FMI définit la déflation comme « un déclin soutenu d'une mesure agrégée des prix, comme l'indice des prix à la consommation et le déflateur de PIB ».

La crise des années 30 a suscité une baisse des prix accompagnée d'une contraction du PIB. Il en découle une seconde définition de la déflation, plus stricte : celle d'un cercle vicieux entre baisse des prix et contraction du PIB.

Trois phénomènes interdépendants peuvent permettre à ce phénomène de s'enclencher (une baisse des prix étant normalement un facteur d'augmentation de la demande) :

- des difficultés du système bancaire 10 ( * ) ;

- une politique monétaire inadaptée 11 ( * ) ;

- une augmentation des taux d'intérêt et du taux d'endettement réels, consécutive à la diminution des prix (cercle vicieux décrit par Irving Fisher dans sa théorie de la debt deflation ).

1. Un phénomène qui concerne déjà certains pays

Le graphique ci-après indique la situation de certains pays en matière d'inflation, de croissance du PIB et de risque de déflation soutenue (tel qu'évalué par l' « indice de risque de déflation » du FMI, présenté dans l'étude précitée).

Inflation, croissance du PIB et risque de déflation


(en %)

Croissance du PIB
(2002)

Croissance des prix à la consommation
(2002)

* Inflation négative sans contraction du PIB
** Inflation négative avec contraction du PIB
*** Cet indice évalue le risque de déflation soutenue (définie au sens large, c'est-à-dire sans qu'il y ait nécessairement de contraction du PIB)

Sources : sources nationales ; Fonds monétaire international, « Deflation : Determinants, Risks, and Policy Options - Findings of an Interdepartmental Task Force », 30 avril 2003

Selon ses propres termes, le FMI « n'a pas trouvé d'éléments justifiant une forte inquiétude de déflation globale et généralisée ». En effet, le risque de déflation ne serait élevé que dans quatre pays - le Japon, Taïwan, Hong Kong et l'Allemagne -, comme l'indique l'encadré ci-après. En particulier, ce risque serait faible en France et aux Etats-Unis.

L'indice de risque de déflation du FMI

Le FMI a élaboré pour 35 pays un « indice de risque de déflation », établi à partir de quatre séries d'indicateurs :

- les prix agrégés ;

- l'écart de production ;

- les marchés financiers ;

- le crédit et les indicateurs monétaires.

Cet indice évalue le risque de déflation soutenue (sans qu'il y ait, forcément, de contraction du PIB).

Le tableau ci-après indique son niveau pour les pays étudiés :

Indice de risque de déflation

Minimal

Faible

Modéré

Elevé

Australie

Chili

Danemark

Malaisie

Nouvelle Zélande

Russie

Afrique du Sud

Espagne

Autriche

Brésil

Canada

Chine

France

Grèce

Inde

Irlande

Italie

Corée du Sud

Mexique

Pays-Bas

Pologne

Thaïlande

Royaume-Uni

Etats-Unis

Belgique

Finlande

Norvège

Portugal

Singapour

Suède

Suisse

Japon

Hong Kong

Taïwan

Allemagne

Source : Fonds monétaire international, « Deflation : Determinants, Risks, and Policy Options - Findings of an Interdepartmental Task Force », 30 avril 2003

a) Au sens le plus strict (recul des prix et du PIB), la déflation a touché l'Argentine de 1999 à 2001

Au sens le plus strict (contraction du PIB et diminution des prix), le seul pays ayant été ces dernières années en déflation est l'Argentine.

L'Argentine a en effet connu trois années d'inflation et de croissance négatives de 1999 à 2001 (avec en 2001 des taux de respectivement -1,1 % et - 4,4 %).

Ce phénomène provient de la dévaluation du real brésilien en 1998, alors que l'Argentine était en régime de taux de change fixe avec le dollar ( currency board ) et de la faiblesse du système bancaire.

Elle a cependant renoué en 2002 avec une croissance légèrement positive et une inflation élevée (de l'ordre de 25 %), ce qui provient de la dépréciation du peso argentin en 2002 (son taux de change étant passé de 1 dollar en décembre 2001 à environ 0,3 dollar depuis juin 2002).

b) Dans un sens plus large (recul des prix et faible croissance du PIB), le Japon, Hong Kong et Taïwan sont actuellement en déflation

Dans un sens plus large (diminution des prix et faible croissance du PIB), le Japon, Hong Kong et Taïwan sont également en déflation. Le FMI estime que ces premiers pays font partie des quatre dont l' « indice de risque de déflation » (c'est-à-dire de risque de déflation soutenue, sans qu'il y ait forcément contraction du PIB) est le plus élevé.

Au Japon, le PIB est en quasi-stagnation depuis 1994, et les prix diminuent chaque année depuis 1999 (ils ont diminué de près de 1 point en 2002).

Ce phénomène s'explique par une série de causes :

- effondrement des marchés boursier, puis immobilier, au début des années 1990 ;

- surévaluation du yen (de 1990 à 2002, le yen s'est apprécié en termes réels de plus de 30% par rapport aux autres monnaies d'Asie );

- réaction trop lente de la Banque du Japon ;

- difficultés du système bancaire.

Contrairement à l'Argentine de 1999 à 2001, ce pays ne connaît pas de déflation au sens strict, dans la mesure où la croissance du PIB, bien que faible, demeure positive.

La situation de Hong Kong se rapproche de celle du Japon. Du fait notamment d'un système de taux de change fixe avec le dollar ( currency board ) et d'une concurrence avec la Chine de plus en plus forte, ce pays a connu de 1999 à 2002 une croissance du PIB peu élevée compte tenu de son taux potentiel (à peine plus de 2 % en 2002), accompagnée d'une inflation négative (- 3,1 % en 2002). Taïwan se trouve dans une situation comparable.

La Chine a également connu une inflation négative en 2002. Néanmoins, la forte croissance économique de ce pays, ainsi que les mesures de relance décidées par le gouvernement, rendent le risque d'une déflation soutenue peu élevé, selon le FMI.

* 8 Jean-Paul Betbéze, Michel Aglietta, Patrick Artus, « Déflation : quels dangers ? Quelle protection ? », Cercle des économistes, cahier n°1, mars 2003.

* 9 Fonds monétaire international, « Deflation : Determinants, Risks, and Policy Options - Findings of an Interdepartmental Task Force », 30 avril 2003.

* 10 A la suite d'une étude de l'économiste Ben S. Bernanke, aujourd'hui membre du conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, on explique généralement la déflation observée pendant la Grande Dépression par le rôle des faillites bancaires (la moitié des banques existant en 1929 aux Etats-Unis ayant disparu en mars 1933, point bas de la dépression).

* 11 Selon MM. Friedman et Schwartz, la déflation observée pendant la Grande Dépression aurait eu pour origine des erreurs de politique monétaire.

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