2. ... qui complique les opérations de récolement

• Le récolement des musées nationaux : le tonneau des danaïdes ?

- Un constat accablant

Le rapport particulier publié en 1997 par la Cour des comptes 13 ( * ) s'était ému des conditions dans lesquelles étaient effectuées... ou plutôt n'étaient pas effectuées les opérations de récolement permettant de contrôler et donc de garantir l'intégrité des collections nationales.

La Cour notait que « les vérifications entreprises périodiquement, trop souvent conçues comme des opérations de connaissance scientifique des collections et non comme des contrôles administratifs de l'intégrité du patrimoine confié aux conservateurs présentaient dans tous les musées examinés des caractéristiques qui en altéraient notablement la portée et l'efficacité ».

Il apparaissait, en effet, qu'à l'exception de certaines collections peu nombreuses, les récolements n'étaient jamais systématiques et exhaustifs et étaient dépourvus de tout formalisme, ces questions dépendant d'évènements particuliers, de la disponibilité des conservateurs et de la nature des collections.

Par ailleurs, la Cour soulignait que les récolements ne s'accompagnaient pas des vérifications permettant d'établir l'existence physique des oeuvres mises en dépôt.

Les conclusions de la Cour ont justifié que, dans l'intérêt des collections nationales, soit mise en place une opération de récolement systématique et que des moyens spécifiques lui soient alloués.

Le récolement général des dépôts d'oeuvres d'art a été ordonné par le décret n° 96-750 du 20 août 1996 qui a créé auprès du ministre de la culture une commission chargée de cette opération.

Il convient de souligner que la mission confiée à cette commission n'a pas pour objet de procéder au récolement de l'ensemble des collections nationales -une telle opération étant de fait hors de portée- mais se limite au récolement des « seuls » dépôts d'oeuvres d'art consentis par le ministère de la culture et ses services, en pratique, les musées nationaux, le Mobilier national et le Fonds national d'art contemporain.

Cette limitation du champ de récolement, assez peu fondée en droit et par rapport aux observations qu'avait formulées la Cour des comptes, semble en revanche se justifier dans la pratique.

En effet, six ans après sa mise en place, la tâche confiée à la commission est encore assez loin d'être achevée.

On rappellera que la commission est chargée de définir la méthodologie du récolement général des dépôts d'oeuvres d'art, d'en organiser les opérations -qui sont exécutées par les services du ministère de la culture- et d'en suivre le déroulement.

La méthodologie arrêtée par la commission vise à programmer les opérations de récolement par régions et par ministères ayant bénéficié de dépôt. En ce qui concerne leur organisation, le schéma théorique est le suivant : dans le cadre du programme arrêté, chaque institution déposante établit son calendrier de visites ; une fois ces visites effectuées, les comptes rendus sont adressés à la commission. Si aucune perte n'a été constatée, le président de la commission écrit au dépositaire pour lui en donner acte. Si des pièces n'ont pas été vues, le dépositaire est invité à entreprendre les recherches qui s'imposent pour retrouver l'oeuvre manquante, ou tout au moins pour éclairer les circonstances de sa disparition. Lorsque ces investigations sont infructueuses, la commission décide de la suite à donner. En tout état de cause, les opérations de récolement général ne peuvent être considérées comme closes que lorsqu'elles ont été avalisées par la commission.

La mise en oeuvre du programme arrêté par la commission s'est révélé beaucoup plus ardue que l'on aurait pu l'imaginer lors de sa création.

En effet, initialement fixé à trois ans, le mandat de la commission a été prolongé en 2000 pour la même durée. Cette prolongation ayant à peine suffi pour accomplir la moitié du travail, le décret n° 2002-1546 du 24 décembre 2002 a investi la commission d'un nouveau mandat de cinq ans, qui sera, la mission l'espère, le dernier.

Pour l'heure, s'agissant des musées nationaux, le récolement des dépôts est achevé dans les premières régions traitées : Nord-Pas-de-Calais, Haute-Normandie, Picardie, Centre, Aquitaine, Bourgogne, Midi-Pyrénées, Lorraine et, très avancé, dans les régions Alsace, Languedoc-Roussillon, Limousin et Basse-Normandie.

S'agissant des autorités dépositaires, les opérations de récolement peuvent être considérées comme achevées en ce qui concerne les ministères de la défense, de la justice, de l'agriculture, de l'économie et des finances, de la culture et de la communication et de l'éducation. Il convient de souligner que les opérations portent en même temps sur les locaux des administrations centrales et sur ceux des services et établissements sous tutelle établis dans la région Ile-de-France. Le post-récolement de ces vérifications n'est cependant pas achevé. On notera qu'en 2001, a été engagé le récolement des dépôts effectués auprès du ministère des affaires étrangères, et donc des postes diplomatiques et des divers établissements français à l'étranger, opération à la fois longue et coûteuse.

En 2002, les opérations ont porté sur un nombre restreint de régions afin de réduire autant que possible le délai entre le début et la fin du récolement dans un territoire ou pour une administration donnés.

En ce qui concerne le récolement général, le programme a porté sur les régions Limousin et Languedoc-Roussillon où des opérations préliminaires avaient déjà eu lieu à l'initiative des services de l'Etat. S'agissant des administrations, le récolement a porté sur les dépôts auprès des assemblées parlementaires, les opérations relatives au ministère des affaires étrangères ayant été poursuivies.

C'est donc en tenant compte du caractère très partiel du récolement qu'il convient d'en analyser les résultats.

On notera en particulier que le nombre total d'oeuvres déposées ne pourra être établi qu'une fois le récolement achevé, dans la mesure où il n'existe pas d'inventaires fiables permettant de déterminer ce chiffre avec certitude, ce qui paraît pour le moins paradoxal.

Au total, d'après les estimations communiquées à la mission par M. Jean-Pierre Bady, président de la commission de récolement, le récolement porterait sur environ 150 000 oeuvres. Jusqu'à présent, les investigations ont porté sur moins d'un tiers des dépôts, soit sur 47 800 pièces environ. Ces chiffres se passent de commentaires.

Le tableau ci-après présente les résultats généraux du récolement tels qu'ils ont été établis à la fin de l'année 2002.

(source : commission de récolement )

2002

Total général
(hors archéologie)

Archéologie

OEuvres à récoler (mises en dépôt)

47 787

35 765
+ 40 lots

OEuvres traitées par la CRDOA

19 574

32 084
+ 15 lots

OEuvres détruites ou présumées détruites

996

966
+ 4 lots

OEuvres détruites ou présumées détruites

593

760
+3 lots

OEuvres vues

37 299

33 581
+ 16 lots

OEuvres vues

16 129

30 642
+ 4 lots

OEuvres

non vues

OEuvres non localisées

9 146

1 245
+ 20 lots

OEuvres volées

60

5

OEuvres non localisées

2 646

680
+ 8 lots

OEuvres volées

64

68

* les chiffres en caractères gras sont fournis par les déposants et sont susceptibles d'être modifiés après le récolement ; les chiffres en caractères maigres sont issus des dossiers traités par la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art.

La part très importante des oeuvres non localisées atteste de l'ampleur des lacunes de la gestion des collections nationales : près de 20 % des dépôts d'oeuvres d'art établis à ce jour ne peuvent être localisés.

Ce chiffre met en lumière une situation dont la mission a déjà fait état à savoir l'absence d'inventaires systématiques et régulièrement tenus à jour.

Cette situation présente nombre d'inconvénients : en premier lieu, elle ne permet pas de savoir quelles pièces sont déposées et où ; en second lieu, elle complique les recherches en imposant de fastidieuses investigations.

Le rapport de la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art pour l'année 2001 note : « contrairement à ce que l'on pouvait présumer, le récolement général ne consiste pas seulement à confronter les inventaires à la réalité du terrain, mais aussi à confectionner ou tout au moins à réviser lesdits inventaires ». La sous-estimation de cette tâche préparatoire -longue mais nécessaire- semble expliquer pour une large part l'allongement des délais de récolement par rapport aux prévisions initiales.

Les négligences constatées dans la tenue des inventaires, aggravées par l'absence dans le passé de récolements systématiques, ont donc pour conséquence un risque non négligeable de dispersion des collections.

Sur les 47 787 pièces récolées, 37 299 ont été vues. Sur les 9 200 oeuvres manquantes, près d'une sur dix a été détruite ou est présumée détruite en raison de faits de guerre, de sinistres ou de catastrophes naturelles. Pour le reste, soit elles n'ont pas encore été localisées, soit, pour une faible part d'entre elles, elles sont considérées comme ayant été volées. Ces chiffres n'incluent pas les collections archéologiques.

Il faut toutefois souligner que, selon une distinction opérée par la commission dès le début de ses travaux, les oeuvres non vues lors du récolement sont regroupées en deux rubriques : oeuvres volées, d'une part, et autres oeuvres non localisées, d'autre part. En pratique, ne sont comptabilisées comme volées que les oeuvres dont la soustraction est avérée, ou du moins très probable. Par conséquent, il y a tout lieu de penser que le total des vols est supérieur aux chiffres figurant dans le tableau ci-dessus.

Il importe de se pencher plus particulièrement dans le cadre des travaux de la mission sur le résultat du récolement des oeuvres déposées par les musées de France.

La direction des musées de France est responsable de près de 48 % du total des dépôts inventoriés et de 53 % des oeuvres vues. Cette situation qui fait apparaître un taux de recouvrement de l'ordre de 87 % -soit un taux sensiblement plus élevé que la moyenne- n'est pas surprenante dans la mesure où les oeuvres bénéficient généralement de conditions de conservation favorables, les dépôts ayant été pour 99 % d'entre eux consentis à des musées.

Le tableau ci-après fournit des éléments chiffrés sur le récolement des dépôts effectués par la direction des musées de France.

2002

Total général
(hors archéologie)

OEuvres à récoler (mises en dépôt)

23 007

OEuvres traitées par la CRDOA

8 763

OEuvres détruites ou présumées détruites

545

OEuvres détruites ou présumées détruites

250

OEuvres vues

19 933

OEuvres vues

7 692

OEuvres

non vues

OEuvres non localisées

2 497

OEuvres volées

42

OEuvres non localisées

762

OEuvres volées

56

La mission soulignera le travail de « romain » sans mauvais jeu de mots entrepris par la direction des musées de France pour opérer le récolement des collections archéologiques. Depuis le début des travaux de la commission, 32 792 objets et 18 lots ont été récolés. Sur cet ensemble, 31 269 objets et 7 lots ont été vus alors que 844 objets et 7 lots restent non localisés. Parmi ces « non localisés », 3 objets sont déclarés volés et 676 sont présumés détruits. Si l'on excepte un dépôt important consenti en 1994 au bénéfice de la ville d'Eauze (Midi-Pyrénées), la part des objets non localisés tous bénéficiaires confondus est de 18 %.

Pour les autres types de collections, on observe dans les régions où le récolement est achevé que le taux d'oeuvres non localisées varie entre 0,9 % pour la région Centre et 18,9 % pour la région Poitou-Charentes. Ce dernier taux anormalement élevé, s'explique par les difficultés qu'il y a à identifier au milieu des autres collections 176 objets du musée national des arts et traditions populaires déposés au musée Sainte-Croix de Poitiers et par la perte de 50 objets ethnographiques envoyés par le musée national des arts d'Afrique et d'Océanie au musée d'Orbigny de la Rochelle.

De manière générale, on constate que, parmi les dépôts effectués par les musées nationaux, les objets manquants sont plus nombreux dans les collections d'ethnologie et demeurent assez rares dans la catégorie des beaux-arts, ce qui n'est pas étonnant au regard des pratiques d'inventaire suivies pour ces collections.

Les tableaux suivants indiquent les résultats à jour au 31 décembre 2002, par régions et par administrations dépositaires, des opérations de récolement réalisées par la direction des musées de France.

RÉCOLEMENT PAR RÉGIONS

Année 2002

(Source : DMF)

RÉGIONS

OEuvres déposées

OEuvres localisées

OEuvres non localisées

OEuvres volées

OEuvres présumées détruites

Alsace

363

321 soit 88,4 %

41 soit 11,30 %

1 soit 0,3 %

-

Aquitaine*

1 696

1 621 soit 95,6 %

68 soit 4,1 %

4 soit 0,2 %

3 soit 0,2 %

Auvergne**

303

197 soit 65,0 %

106 soit 35,0 %

-

-

Bourgogne

1 195

1 185 soit 99,2 %

8 soit 0,7 %

2 soit 0,2 %

1 soit 0,1 %

Bretagne**

126

124 soit 98,4 %

2 soit 1,6 %

-

-

Centre*

1 788

1 752 soit 98,0

12 soit 0,7 %

9 soit 0,5 %

15 soit 0,8 %

Champagne-Ardennes**

7

7 soit 100,0 %

-

-

-

Corse**

-

-

-

-

-

Franche-Comté**

138

126 soit 91,3 %

12 soit 8,7 %

-

-

Ile-de-France**

195

159 soit 81,5 %

24 soit 12,3 %

6 soit 3,1 %

6 soit 3,1 %

Languedoc-Roussillon**

430

328 soit 76,3 %

96 soit 22,3 %

3 soit 0,7 %

3 soit 0,7 %

Limousin**

1 044

650 soit 62,3 %

394 soit 37,7 %

6 soit 0,6 %

-

Lorraine*

614

539 soit 87,8 %

66 soit 10,7 %

6 soit 1,0 %

3 soit 0,5 %

Midi Pyrénées*

1 851

1 724 soit 93,1 %

124 soit 6,7 %

-

3 soit 0,2 %

Nord-Pas-de-Calais*

1 012

905 soit 89,4 %

61 soit 6,0 %

3 soit 0,3 %

43 soit 4,3 %

Basse-Normandie

580

358 soit 61,7 %

83 soit 14,3 %

-

139 soit 24,0 %

Haute-Normandie*

556

381 soit 68,5 %

15 soit 2,7 %

2 soit 0,4 %

158 soit 28,4 %

PACA**

555

491 soit 88,5 %

64 soit 11,5 %

-

-

Pays de la Loire**

346

235 soit 67,9 %

111 soit 32,1 %

-

-

Picardie*

532

491 soit 92,3 %

30 soit 5,6 %

-

11 soit 2,1 %

Poitou-Charentes*

1 381

1 165 soit 84,4 %

215 soit 15,6 %

1 soit 0,1 %

-

Rhône-Alpes**

192

187 soit 97,4 %

3 soit 1,6 %

-

2 soit 1,0 %

DOM-TOM

7

7 soit 100,0%

-

-

-

TOTAL PROVISOIRE

15 201

13 136 soit 86,4%

1 546 soit 10,2%

43 soit 0,3%

483 soit 3,2 %

* régions pour lesquelles le récolement est, a priori, terminé (NB : pour les autres régions, le nombre des oeuvres déposées est susceptible d'être modifié au fur et à mesure de l'évolution du récolement)

** régions dont le récolement n'a pas été programmé mais qui ont déjà fait l'objet d'inspections ponctuelles

RÉCOLEMENT PAR ADMINISTRATIONS DÉPOSITAIRES

Année 2001

MINISTÈRES

Biens déposés

Biens récolés

Biens non localisés

Biens volés

Biens présumés détruits

Affaires étrangères*

204

167 soit 81,9 %

9 soit 4,4 %

1 soit 0,5 %

30 soit 14,7 %

ajouter pour l'archéologie*

1

-

-

-

1

Total Affaires étrangères*

205

167

9

1

30

Agriculture*

15

12 soit 80,0 %

1 soit 6,7 %

2 soit 13,3 %

-

Coopération*

5

4 soit 80,0 %

1 soit 20,0 %

-

-

Culture, communication*

3 302

2 999 soit 90,8 %

301 soit 9,1 %

-

2 soit 0,1 %

ajouter pour l'archéologie*

492 + 2 lots

489 + 2 lots

8

-

-

Total Culture, communication*

3 794 + 2 lots

3 488 + 2 lots

309

-

2

Défense (sauf musées)*

288

139 soit 48,3 %

52 soit 18,1 %

1 soit 0,3 %

96 soit 33,3 %

ajouter le Musée de l'Armée*

1 137

924 soit 81,3 %

205 soit 18,0 %

1 soit 0,1 %

7 soit 0,6 %

ajouter le Musée de la Marine*

1 218

1 120 soit 92,0 %

98 soit 8,0 %

-

-

Total Défense *

2 643

2 183 soit 82,7 %

355 soit 13,4 %

2 soit 0,1 %

103 soit 3,9 %

Éducation - sites à Paris*

3 000

2 521 soit 84,0 %

477 soit 15,9 %

-

2 soit 0,1 %

ajouter pour l'archéologie*

577

401

174

2

-

Universités et ét. scolaires

157

19 soit 12,1 %

118 soit 75,2 %

-

20 soit 12,7 %

ajouter pour l'archéologie

1 233 + 20 lots

906 + 7 lots

198 + 13 lots

-

129

Total Éducation nationale*

4 967 + 20 lots

3 847 + 7 lots

9 67 + 13 lots

2

151

Équipement*

8

8 soit 100 %

-

-

-

Justice*

156

131 soit 84,0 %

17 soit 10,9 %

-

8 soit 5,1 %

Économie et finances*

172

168 soit 97,7 %

4 soit 2,3 %

-

-

ajouter pour l'archéologie*

4

2

2

-

-

Total Économie, finances*

176

170

6

-

-

Intérieur

58

53 soit 91,4 %

5 soit 8,6 %

-

-

Conseil d'Etat

17

8 soit 47,1 %

2 soit 11,8 %

-

7 soit 41,2 %

Assemblée nationale

118

117 soit99,2 %

1 soit 0,8 %

-

-

Sénat

190

188 soit 99,0 %

1 soit 0,5 %

-

1 soit 0,5 %

Parlement/Questure (Versailles)

243

243 soit 100,0 %

-

-

-

Total Parlement

551

548 soit 99,5 %

2 soit 0,4 %

-

1 soit 0,2 %

Total provisoire

10 288

8 820 soit 85,7 %

1 290 soit 12,5 %

5 soit 0,0 %

173 soit 1,7 %

ajouter pour l'archéologie

2 307 + 22 lots

1 795 + 9 lots

380 + 13 lots

2

130

TOTAL DES BIENS VÉRIFIÉS

12 595 + 22 lots

10 615 + 9 lots

1 670 + 13 lots

7

303

* ministères et bâtiments administratifs pour lesquels le récolement est, a priori, terminé en administration centrale et dans les régions déjà récolées et pour lesquels des biens déposés et non localisés sont susceptibles d'être retrouvés ultérieurement dans des sites en région non encore récolées.

NB : les biens archéologiques, les lots et les sous-totaux en comprenant ne sont pas pris en compte dans les pourcentages.

Les opérations de récolement constituent donc l'occasion d'une fort utile mise à jour des listes de dépôt des différentes administrations déposantes et, à cette occasion, permettent de retrouver des oeuvres égarées.

A cet égard, on se félicitera que les opérations aient conduit à préciser -voire à systématiser- des procédures, notamment en incitant les administrations à porter plainte en cas de vols ou de disparitions.

Comme l'a fait observer M. Jean-Pierre Bady devant la mission, « si les opérations de récolement ne sont pas populaires auprès des conservateurs, il n'en demeure pas moins que la principale mission de ces agents est d'assurer la conservation des collections et donc de connaître et de vérifier leur consistance. » Il a, par ailleurs, relevé que ces opérations, considérées a priori comme peu valorisantes, en permettant de redécouvrir des oeuvres disparues et de procéder à des réattributions, étaient en fait très motivantes. La mission n'a pu qu'approuver cette position.

RÉSULTATS POUR L'ANNÉE 2002 DU RÉCOLEMENT DES DÉPÔTS D'OEUVRES APPARTENANT AUX COLLECTIONS DES MUSÉES NATIONAUX
DANS LES MINISTÈRES

Le récolement est terminé dans les implantations centrales des ministères des affaires étrangères, à l'exception des ambassades et consulats dont l'inspection sera terminée en 2003, de l'agriculture, de la coopération, de la culture et de la communication, de la défense, de l'éducation nationale, de l'équipement, de la justice, de l'économie et des finances.

Hors archéologie, 10 288 oeuvres ont été récolées parmi lesquelles 1 290 biens (12,5 %) n'ont pu être localisés ; 173 (1,7 %) étant par ailleurs présumés détruits et 5 volés.

* Ministère de la défense

La part des oeuvres réputées détruites (103 soit 3,9 %) a considérablement baissé en pourcentage depuis le début des travaux de récolement. Elle demeure cependant plus forte que dans toute autre administration et s'explique principalement par les bombardements de plusieurs sites dépositaires pendant les deux guerres mondiales, tels que le Château de Vincennes (23 oeuvres détruites), l'Ecole militaire de St-Cyr (37 oeuvres) et la direction centrale du Génie à Versailles (10 oeuvres).

En outre, parmi les 59 oeuvres non localisées au ministère de la Défense, 34 correspondent à un dépôt consenti par le département des peintures du musée du Louvre en 1876 pour les Gouvernements militaires en régions, sans aucune mention dans les inventaires sur la destination exacte des tableaux. Un de ces tableaux a été retrouvé par le FNAC à Bordeaux. Il n'est donc pas impossible que d'autres puissent être retrouvés à l'occasion de prochaines missions en province.

* Musée de l'armée et musée de la marine

Dans la mesure où il s'agit de dépôts consentis à des musées, et placés sous la responsabilité d'un personnel scientifique, les oeuvres manquantes devraient théoriquement être moins nombreuses. Le nombre des dépôts non localisés demeure cependant important au musée de la Marine (98 oeuvres manquantes sur 1 218 déposées). Ce chiffre élevé s'explique notamment par la disparition, à la fin du XIXe siècle d'un album regroupant 60 dessins de Ozanne déposé par le département des arts graphiques du Louvre. En exceptant ce cas particulier, la proportion des oeuvres non localisées est moins importante que celle constatée dans d'autres lieux.

Parmi les 206 oeuvres non retrouvées au musée de l'Armée (dont une déclarée volée), on note un ensemble de 185 objets déposés par le musée national des arts d'Afrique et d'Océanie, qui n'ont pu être identifiés en dépit de recherches approfondies -il s'agit d'armes (arcs, lances, sagaies, etc. mêlées aux collections du musée de l'armée non reconnaissables).

* Ministère de la justice

Avec un nombre relativement limité de 156 dépôts, dont 8 présumés détruits et 16 oeuvres non localisées (soit 10,3 %), le ministère de la Justice se situe sous le pourcentage moyen des pertes enregistrées dans les autres administrations. Toutefois, il s'agit en l'occurrence d'oeuvres plus importantes que dans les autres ministères précités, et la direction des musées de France souhaiterait que des efforts soutenus soient accomplis par ce département ministériel, notamment pour localiser 7 peintures du musée du Louvre disparues à la maison de la Légion d'honneur et deux autres non retrouvées à l'Hôtel du Garde des Sceaux, dont une oeuvre provenant de la récupération artistique.

* Ministère de l'agriculture

Au cours du récolement de ce ministère, dépositaire de seulement 15 oeuvres des musées nationaux, 3 objets seulement n'ont pu être retrouvés dont 2 vases de Sèvres appartenant au musée national du Château de Compiègne et déposés par celui-ci en 1945 aux Haras nationaux de Compiègne. Ils y sont déclarés volés.

* Ministère de l'économie et des finances

Le faible nombre des dépôts dans ce ministère s'explique par son déménagement relativement récent vers les nouveaux locaux de Bercy. A cette occasion, la plupart des dépôts se trouvant dans l'aile Rivoli du Palais du Louvre ont été restitués aux musées nationaux. Quatre oeuvres sont manquantes sur 172 déposées, et 2 objets archéologiques demeurent non localisés sur 4 déposés.

* Ministère de l'équipement

Les 8 oeuvres déposées dans ce ministère y ont été vues.

* Ministère de la culture et de la communication

Les 309 oeuvres non localisées sur 3 302 déposées s'expliquent :

- par la difficulté à identifier 115 matrices de sceaux, non numérotées, déposées par le Louvre aux archives nationales ;

- par une répartition autrefois effectuée par l'administration des Monuments historiques de plusieurs dépôts qu'elle avait reçus des musées nationaux (répartition effectuée sans que la DMF en soit informée) dans divers châteaux, principalement du Val-de-Loire. Seule une inspection complète de ces lieux permettra de déterminer quelles sont les oeuvres réellement manquantes : 10 manquent à Azay-le-Rideau, 6 à Châteaudun, 8 à Chaumont-sur-Loire et 9 au Château de Puyguilhem ;

- par la difficulté à retrouver 27 plats et assiettes déposés en 1927 au musée de la Voiture à Compiègne et qui pourraient avoir été déplacés dans des réserves du Musée national du Château. Jusqu'à présent, les recherches menées pour les retrouver n'ont pas abouti ;

- par la disparition à l'Union des arts décoratifs d'un ensemble de 75 objets (plaques de cheminées, chenets, etc.) qui devraient être identifiés lors du réaménagement des réserves du musée des arts décoratifs.

* Ministère de l'éducation nationale

Ce département est l'un des principaux dépositaires des musées nationaux avec 3 000 oeuvres déposées auxquelles il faut ajouter l'archéologie (577 objets) et les dépôts dans les universités dont le récolement n'est pas achevé (à ce jour 157 oeuvres y ont été contrôlées ainsi que 1 233 objets et 20 lots archéologiques). Ce département est par ailleurs celui qui enregistre les pertes les plus nombreuses : 477 biens non localisés au ministère et 118 dans les universités visitées (sur 157 déposées, soit 75,2 % de pertes, 20 oeuvres étant, en outre, présumées détruites) ; à ces oeuvres non retrouvées, il faut ajouter 174 objets archéologiques manquants au ministère et, pour les universités, 198 objets et 13 lots non retrouvés.

* Ministère des affaires étrangères

La part des oeuvres détruites (30 soit 14,7 %) s'explique par la destruction, pendant la seconde Guerre mondiale des ambassades de France à Berlin, La Haye, Bruxelles et Varsovie. En dehors de ces cas particuliers, 3 oeuvres seulement (soit 1,5 %) sont manquantes en administration centrale où elles continuent d'être recherchées.

* Parlement

Les contrôles à l'Assemblée nationale et au Sénat coordonnés par l'administration générale du Mobilier national, sont en cours. Ils n'ont pour le moment concerné que les oeuvres immédiatement accessibles, ce qui explique la proportion remarquable de dépôts localisés (99 %). Cet excellent résultat est susceptible d'être corrigé après l'inspection des réserves du Palais Bourbon, du Palais du Luxembourg et des services du Parlement à Versailles.

Si la légitimité des travaux conduits par la commission est incontestable, la mission soulignera que la fiabilité des résultats du récolement sera largement obérée par la durée des travaux nécessaires à sa réalisation. Dans l'hypothèse optimiste où la commission aura achevé ses travaux à l'issue de son prochain mandat -soit 2006- il aura fallu près de 10 ans pour effectuer le récolement. Cela signifie en fait qu'à peine achevé, les résultats du récolement seront déjà périmés.

A tout le moins, il convient que le ministère de la culture accorde à la commission les moyens indispensables à son fonctionnement. En dépit d'une augmentation des crédits de vacation en 2002 et 2003, ses moyens demeurent largement sous-dimentionnés ; ils sont particulièrement insuffisants pour faire face aux dépenses induites par le récolement des ambassades.

Au-delà de l'effort qui s'impose pour achever dans des délais acceptables cette opération, la mission considère que doivent être mises en place de manière durable des procédures permettant un récolement efficace et fiable. Ces procédures sont à mettre en oeuvre par les autorités déposantes, et en particulier les musées nationaux, mais également par les administrations dépositaires.

Tel était le sens, on le rappellera, de la disposition introduite à l'initiative de votre commission dans la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France précisant que les inventaires des musées de France sont récolés tous les dix ans (article 12). Cette obligation qui est, certes, imparfaite dans la mesure où le récolement devrait être en principe permanent, ce que prévoient d'ailleurs les dispositions du décret d'application, implique que soient dégagés au sein des institutions muséographiques les moyens nécessaires à son application.

La pratique constatée tant par la commission de récolement que par la mission dans le cadre du questionnaire qu'elle a adressé aux conservateurs des musées nationaux et des musées classés permet de mesurer l'ampleur de l'effort à accomplir en ce domaine. En effet, les observations formulées par la Cour des comptes sur la gestion des collections nationales ont gardé toute leur actualité près de six ans après avoir été formulées.

En effet, à l'exception de quelques musées qui mènent des opérations régulières et exhaustives, à l'image du musée national Message biblique Marc Chagall de Nice, dont le conservateur fait état de récolements annuels, les musées nationaux pratiquent certes des récolements, mais ponctuels ou progressifs.

Ainsi, le conservateur du musée national des Arts asiatiques-Guimet précise que les inventaires sont récolés régulièrement depuis la rénovation du musée soit par le biais de la procédure de récolement des dépôts des musées nationaux, opération qui ne concerne que les dépôts, soit par le biais de travaux ponctuels sur des parties de collections dans le cadre de la préparation de CD-Rom ou d'expositions, ou encore de mise à jour de la base de données.

Le conservateur du musée national de porcelaine Adrien Dubouché de Limoges indique que les objets sont récolés au fur et à mesure de la confection des fiches de signalisation, notant qu'« un seul conservateur (deux maintenant) est tout à fait insuffisant pour un nombre aussi important d'objets ».

La disponibilité des personnels scientifiques constitue en effet un critère déterminant de la fréquence des opérations de récolement.

Ainsi, le musée national de la Renaissance d'Écouen a entrepris au début de l'année 2002 un récolement général de ses collections à la faveur de l'arrivée de deux conservateurs et de la nomination d'un régisseur des oeuvres.

Au-delà des problèmes de personnels, il semble que le manque de place soit également un obstacle à la conduite des opérations de récolement. Tel est le cas notamment du musée national de céramique de Sèvres. Si le récolement des dépôts effectués par le musée n'a pas posé de difficultés dans la mesure où les dossiers du musée semblent avoir toujours été tenus de manière satisfaisante, le récolement des pièces conservées au musée semble tout bonnement impossible « en raison du manque de place qui (...) interdit toute vision globale des collections » . La seule tentative a été effectuée à l'occasion de la réalisation de l'inventaire photographique mais si le procédé est efficace, il n'en est pas moins long : 1 000 prises de vues par an, chiffre à rapporter aux quelques 48 500 pièces conservées dans le bâtiment de Sèvres ! Toutefois, l'absence de récolement ne semble pas entamer l'optimisme du conservateur qui indique : « s'il est des objets que nous pouvons considérer comme perdus car nous les cherchons depuis trop longtemps pour pouvoir être optimistes, ils semblent extrêmement peu nombreux ».

Si l'absence de récolement régulier tient également à l'ampleur des collections comme le montrent les pratiques du Louvre, les « petits » musées nationaux semblent également éprouver des difficultés à opérer le récolement des inventaires. Ainsi, si les collections de peinture du musée Jean-Jacques Henner ont été récolées sur la période 2001-2002 au moment du déménagement des réserves, l'inventaire des dessins constitué sous forme de « sortie papier d'un système informatique obsolète » n'a pas été récolé depuis 1986.

Au musée Rodin, le déménagement vers les nouvelles réserves a été l'occasion d'un récolement complet des collections d'antiques ; en revanche, pour les sculptures, le dernier récolement date de 1997 et aucun récolement n'a été récemment réalisé pour les collections de dessins.

Cette situation est fort regrettable si l'on tient compte du fait que les oeuvres concernées appartiennent au domaine public. Votre rapporteur s'était demandé lors de l'examen de la loi relative aux musées de France pourquoi l'Etat aurait le droit de perdre des oeuvres et non de les vendre. Au vu des constats faits par la mission, cette interrogation prend tout son sens.

- Les musées territoriaux victimes des négligences de l'Etat ?

L'article 13 de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France prévoit le transfert aux collectivités territoriales de la propriété des biens des collections nationales qui leur ont été confiés avant le 7 octobre 1910, date du premier texte ayant précisé les règles applicables aux dépôts des musées de l'Etat.

Ce transfert de propriété, sans précédent, qui concerne environ 100 000 oeuvres, confirme la compétence des responsables territoriaux sur des oeuvres qui, dans la pratique, sont depuis longtemps considérées comme la propriété de la collectivité locale dépositaire. Ce sont principalement les musées de province les plus importants qui doivent bénéficier de ce transfert de propriété, qu'il s'agisse des musées de Grenoble, de Caen ou de Lyon, institutions prestigieuses dès leur création, qui ont bénéficié au début du XIXe siècle d'envois significatifs de l'Etat à partir de la manne des confiscations révolutionnaires et des conquêtes napoléoniennes.

La loi précise que ces transferts ne concernent que les oeuvres conservées dans un musée de France, condition a priori inutile puisque la plupart des oeuvres concernées sont déposées dans des musées classés qui ont reçu, dès la publication de la loi, l'appellation « musée de France », et qui ont fait l'objet d'un récolement, condition qui, en revanche, soulève des difficultés de nature à retarder l'application de cette disposition.

La mise en oeuvre de cette disposition dépend en effet étroitement du rythme de réalisation des opérations de vérification conduites par la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art qui devraient s'achever à la fin de l'année 2007.

Cette échéance apparaît fort lointaine.

La mission ne peut donc qu'appuyer les efforts engagés par la direction des musées de France, conjointement avec cette commission, afin d'accélérer les opérations de récolement afférentes aux oeuvres susceptibles de faire l'objet d'un transfert de propriété.

Il a, en effet, été décidé qu'indépendamment du calendrier qu'elle a déterminé pour le récolement régional, la commission procéderait en priorité au récolement des communes dans lesquelles se trouve un musée « classé » au sens de l'ordonnance de 1945. Une proposition de transfert de propriété a ainsi été d'ores et déjà adressée aux villes d'Amiens et de Toulouse ; une proposition est en cours de rédaction pour la ville de Nancy. Suivront les communes de Montauban, Castres, Lille, Arras, Valenciennes, Orléans, Tours, Poitiers, Bordeaux, Dijon, Caen, Rouen, Montpellier, Nantes, Angers, Le Mans, Rennes, Lyon, Grenoble, Chambéry, Rennes, Besançon, Marseille, Aix-en-Provence, Avignon et Nice.

En ce qui concerne les musées « contrôlés » au sens de l'ordonnance de 1945 qui n'appartiennent pas aux communes précitées, le transfert de propriété s'effectuera dans l'ordre suivant : Picardie, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Centre, Poitou-Charentes, Aquitaine, Bourgogne, Basse-normandie, Haute-normandie, Languedoc-Roussillon, Pays de la Loire, Champagne-Ardenne, Rhône-Alpes, Bretagne, Franche-Comté et Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Il semble évident que si le récolement général n'avait pas été prescrit en 1996, la mise en oeuvre de la disposition adoptée par le Parlement aurait sans doute été encore plus laborieuse.

• Les musées territoriaux : des difficultés comparables

Les difficultés rencontrées par les musées nationaux pour procéder aux récolements de leurs collections sont partagées par les musées territoriaux.

Pour ces institutions, les opérations de récolement ne semblent ni régulières ni exhaustives. Par ailleurs, dans la mesure où les dépôts qu'ils ont effectués n'entrent pas dans le champ de l'opération lancée en 1996, ils ne sont pas incités, comme peuvent l'être les musées nationaux, à se lancer dans des opérations de vérification de la consistance de leurs collections.

Si les cas où aucun récolement n'a été effectué semblent rares, la mission a constaté que, dans leur ensemble, les musées territoriaux, à l'image des musées nationaux, ne procédaient au récolement de leurs collections qu'au gré des projets de rénovation, des déménagements ou encore de l'informatisation de leurs collections.

A l'évidence, comme pour les musées nationaux, le manque de personnels et l'ampleur de la tâche à accomplir liée aux lacunes des inventaires et à l'absence de vérifications régulières dans le passé sont à l'origine de cette situation.

Le cas du musée des Beaux-Arts d'Orléans est à cet égard topique. Le conservateur de cette institution indique à la mission qu'« il n'existe pas de pratique régulière pour le récolement des pièces inventoriées, qui occuperait probablement pendant plusieurs années une personne à temps plein s'il devait être réalisé de façon systématique. De fait, il y a eu une tentative de récolement exhaustif (...) dans les années 1970 (...) mais cette opération est restée incomplète et peu utile, puisqu'elle ne donnait pas lieu à inscription sur chaque pièce d'une mention indiquant qu'elle avait été récolée, non plus que de constat d'état ». Seule la liste des dépôts consentis par le musée semble à jour. Toutefois, les réponses au questionnaire adressé par la mission relèvent que « les oeuvres concernées ne sont pas toujours conservées dans des conditions idéales » mais que « ces dépôts sont si nombreux que leur retour massif dans les réserves ajouteraient encore à l'engorgement ». En conclusion, le conservateur note : « Au vrai, le récolement des pièces peut difficilement être réalisé en dehors d'événements particuliers ».

Des réponses comparables ont été fournies par d'autres institutions.

La conservatrice du musée archéologique de Strasbourg souligne que « le récolement général étant impossible faute de personnel et de temps, (...) il est effectué en relation avec l'inventaire informatisé ou la publication de collections. Il peut aussi être effectué à l'occasion de travaux de recherche un inventaire sur un site ou une catégorie de collections ».

Comme pour les musées nationaux, les lacunes de la tenue des inventaires handicapent très sérieusement les opérations de récolement. Le conservateur du musée des Beaux-Arts de Dijon note que « le manque de précision des inventaires ne permettra pas de résoudre entièrement le « puzzle » (à savoir les pièces sans numéro et les numéros sans pièce), et que certains mystères ne pourront jamais être éclaircis ».

• Un bilan préoccupant qui appelle un effort important

La situation des musées de France fait apparaître un bilan préoccupant qui laisse mesurer l'effort que ces institutions devront accomplir pour se conformer aux dispositions de la loi du 4 janvier 2002, qui a conféré aux opérations de récolement un caractère à la fois exhaustif et périodique.

Le projet d'arrêté fixant les normes techniques relatives à la tenue de l'inventaire et de récolement des biens des musées de France, dont la mission a eu connaissance, précise que « le récolement obligatoire au moins une fois tous les dix ans, est mené par campagnes planifiées en fonction de l'organisation des musées ». Ce projet dispose, par ailleurs, que « chaque campagne fait l'objet d'un procès-verbal (...) à l'issue de chaque campagne de récolement conservé par le musée. Le procès-verbal décrit la méthode adoptée et le champ couvert par le récolement ainsi que les résultats de la campagne (liste des biens non vus, liste des biens détruits, liste des biens inventoriés ou à inventorier à l'issue du récolement) (...) ».

La mise en oeuvre de telles opérations de récolement, qui constituera pour les musées un indéniable progrès, nécessite que soient dégagés des moyens proportionnés à leur complexité et à leur ampleur, moyens qui varieront bien sûr très significativement d'un musée à l'autre.

Les lacunes pointées par la mission concernant l'organisation ou l'état des réserves et la tenue des inventaires constitueront, avec l'insuffisance des effectifs de personnels qualifiés, les principales difficultés auxquelles seront confrontés les musées dans ces opérations.

Dans l'hypothèse d'effectifs et de budgets constants, cet effort exigera sans doute que des choix soient opérés par l'Etat et les collectivités territoriales, choix qui devront vraisemblablement s'effectuer au détriment de la réalisation d'actions plus visibles ou plus immédiatement rentables.

Dans ce contexte, la mission insistera sur le caractère prioritaire du récolement qui constitue avec la tenue des inventaires le fondement indispensable de la gestion des collections publiques . La pratique fait apparaître, en effet, que dès lors que des négligences sont commises dans l'exécution de ces tâches, c'est l'intégrité même des collections qui est menacée.

Au-delà de leur aspect strictement patrimonial, ces tâches s'inscrivent dans la mission de conservation et d'étude des collections. Elles permettront aux conservateurs de mieux connaître leurs collections, ce qui constitue incontestablement un atout pour assurer une meilleure valorisation des collections.

Le récolement doit permettre d'établir un bilan de l'état de conservation des collections, et donc de systématiser l'élaboration de plans de conservation préventive des collections, qui pourront servir de base à des projets de rénovation des réserves et des salles d'exposition, mais également à une meilleure quantification des besoins de restauration.

En ce domaine, il convient de souligner que la direction des musées de France ne dispose d'aucun instrument lui permettant de mesurer les besoins des musées, tant nationaux que territoriaux.

Il faut sans doute voir dans cette situation la conséquence, non seulement de l'absence de récolement régulier, mais également d'une sensibilisation tardive des conservateurs français aux exigences de la conservation préventive.

Cette situation présente, quelle qu'en soit la cause, plusieurs inconvénients.

En premier lieu, le ministère de la culture ne dispose pas des indicateurs lui permettant de formuler dans le cadre de la préparation des lois de finances des demandes budgétaires adaptées aux besoins des musées, ce qui aboutit à une sous-évaluation chronique des crédits consacrés aux travaux de restauration et, donc, par voie de conséquence, à une dégradation inéluctable des collections.

En second lieu, cette absence de planification des travaux de restauration constitue un obstacle au développement d'un marché de la restauration car elle interdit aux personnels concernés de disposer de perspectives à long terme sur l'évolution des besoins des institutions muséographiques.

On rappellera que pour l'essentiel, ces besoins sont satisfaits par des restaurateurs libéraux.

En effet, le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) a essentiellement vocation à participer à l'exercice du contrôle scientifique et technique de l'Etat pour la conservation et la restauration des musées de France et n'a pas les capacités opérationnelles lui permettant de réaliser des travaux de restauration en grand nombre.

Par ailleurs, les musées ne disposent en leur sein que d'un très faible volant de restaurateurs titulaires : outre l'insuffisance traditionnelle des effectifs de personnels scientifiques, ils pâtissent d'une inadaptation des corps ou des cadres d'emplois de la fonction publique à la spécificité de ces métiers, qui, depuis quelques années, ont connu une profonde évolution. En effet, les seuls postes ouverts relèvent du statut d'attaché de conservation, dont les conditions d'emploi et de rémunération ne correspondent pas aux qualifications ni aux profils des professionnels concernés.

La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France a marqué un progrès incontestable en permettant de garantir par une procédure d'habilitation la compétence des personnels chargés de la restauration des collections des musées de France. Le décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 pris pour son application prévoit que sont habilités à restaurer ces collections :

- les personnes titulaires d'un diplôme français ou équivalent, à finalité professionnelle dans le domaine de la préservation et de la restauration du patrimoine et reconnaissant un niveau au moins équivalent à quatre années d'études et à la fin d'un second cycle de l'enseignement supérieur ;

- les personnes dont les acquis professionnels ont été validés dans les conditions prévues par les articles L. 613-3 et L. 613-4 du code de l'éducation ;

- les personnes qui, au cours des cinq années précédant la publication du présent décret, ont restauré des collections de musées de France ou ont été habilitées à cet effet ;

- et les fonctionnaires appartenant à des corps ayant vocation statutaire à assurer des travaux de restauration.

Cette remise en ordre se heurte toutefois à certaines difficultés. En effet, dans bien des cas, l'examen des demandes d'habilitation fait apparaître la nécessité pour les professionnels concernés de suivre une formation complémentaire. Or, la diversité des formations à mettre en oeuvre comme la méconnaissance des besoins exacts de restauration des musées rendent complexe la mise en place des cursus universitaires nécessaires.

Cette situation est d'autant plus préoccupante que la concurrence exercée par les professionnels européens, rompus aux nouvelles techniques de la conservation est très vive. Ainsi, les stucs de la galerie d'Apollon du Louvre sont depuis septembre dernier restaurés par une équipe italienne. Les procédures d'appels d'offres européens risquent donc de s'effectuer au détriment des professionnels nationaux alors que, comme le remarquait Mme France Dijoud, directrice adjointe du C2RMF, « les restaurateurs français se regroupent peu et manquent d'expertises, notamment en comptabilité. Au contraire des Italiens et des Allemands, mieux organisés » 14 ( * ) .

La mission considère qu'au-delà d'un effort de planification, la direction des musées de France doit engager avec les professionnels du secteur en liaison avec l'Institut national du Patrimoine et les divers établissements d'enseignement supérieur concernés, un dialogue afin d'identifier les besoins de formation à la fois initiale et continue.

La mission formulera également le souhait que la mise en oeuvre de récolements systématiques soit l'occasion de gérer de manière plus dynamique les dépôts effectués par les musées de France.

Si, à l'évidence, on peut mettre à l'actif des musées -et en particulier les musées nationaux -une politique de circulation des oeuvres plus active que par le passé, il semble que des progrès peuvent encore être effectués pour assurer une meilleure exposition des collections publiques.

Les dépôts visent à assurer une répartition équilibrée des collections, les institutions les plus riches contribuant par ce biais à enrichir les fonds de musées plus modestes. C'est grâce à ces dépôts au demeurant qu'ont été créés au début du XIXe siècle les grands musées de province, constitués pour les plus importants d'entre eux autour de dépôts d'oeuvres appartenant aux collections du musée du Louvre.

Au-delà de ces « envois fondateurs », cette pratique a perduré : ainsi, le musée « La Piscine » de Roubaix, évoqué plus haut, a pu assurer la cohésion de son projet muséographique grâce à d'importants dépôts d'oeuvres appartenant au musée d'Orsay.

Toutefois, l'impression domine encore que les musées nationaux sont réticents à déposer des pièces de leurs collections et sont peu désireux de contribuer à un aménagement culturel du territoire.

Sans avoir eu la certitude d'une telle réticence de la part des institutions concernées, la mission a estimé que la politique de dépôts des musées nationaux pourrait être infléchie dans deux directions.

A la différence du prêt par nature et par vocation temporaire, les dépôts ont dans de nombreux cas abouti à ce que les oeuvres ainsi mises à disposition en viennent à être considérées comme la propriété du dépositaire, ce qui, conjugué à l'absence de récolement, a conduit à ce que pour le déposant, de telles opérations se traduisent par un appauvrissement de ses collections, même si les textes -en l'espèce le décret n° 81-240 du 3 mars 1981 15 ( * ) qui concerne toutefois les seuls musées nationaux- prévoient que les dépôts sont consentis pour une période de cinq ans renouvelable.

Il conviendrait sans doute de redonner leur sens à ces dispositions réglementaires en promouvant, à l'occasion des opérations de récolement, une révision systématique de la pertinence des dépôts effectués afin d'assurer une meilleure circulation des oeuvres.

Par ailleurs, il serait envisageable que certaines grandes institutions nationales, au-delà du concours qu'elles apportent par des prêts temporaires ou des dépôts ponctuels à des musées en régions, s'inspirent de la politique suivie par le Centre Georges Pompidou en matière d'activité « hors les murs ».

Mise en oeuvre à l'occasion de la fermeture du Centre, limitée d'abord à des expositions temporaires, cette politique se traduit désormais par le projet d'implantation d'une antenne permanente à Metz, qui devrait bénéficier du dépôt de quelques 1 500 oeuvres.

Cette initiative pourrait faire utilement école dans la perspective d'une meilleure répartition territoriale des collections nationales. A cet égard, la mission se félicitera que le ministre de la culture et de la communication ait annoncé, lors de la présentation en conseil des ministres de son plan en faveur des musées nationaux, le 4 juin dernier, sa volonté que le Louvre pratique à son tour une politique comparable.

Cependant, les conditions de financement de l'antenne du centre Georges Pompidou à Metz, dont la charge en termes d'investissement et de fonctionnement devrait être pour l'essentiel supportée par les collectivités territoriales, incite à une certaine prudence.

Au risque d'être accusée de jouer les Cassandre, la mission souligne que ces antennes doivent faire l'objet d'un véritable partenariat entre ces institutions prestigieuses et les collectivités territoriales qui, pour reprendre une expression chère à M. Jacques Rigaud, ne doivent pas être appelées, dans ce domaine, à « faire les fins de mois d'un Etat nécessiteux ». Le coût des institutions nationales doit être assumé par l'Etat, même si elles sont implantées en régions. Cette affirmation de bon sens semble être de plus en plus souvent démentie par les faits.

* 13 Rapport public particulier, février 1997.

* 14 Le Monde Économie, 3 juin 2003.

* 15 Modifié par le décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 pris pour l'application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.

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