2. Un recentrage de la direction des musées de France sur ses missions d'orientation

Au-delà de la quasi impossibilité dans laquelle elle se trouve d'asseoir son autorité sur un domaine suffisamment vaste pour répondre efficacement à la mission ambitieuse qui lui a été confiée par les textes, la direction des musées de France rencontre également des difficultés à assurer de manière cohérente la gestion des musées nationaux.

Ces difficultés trouvent pour l'essentiel leur origine dans la tradition de gestion directe qu'a longtemps pratiquée cette direction au détriment de l'élaboration d'indicateurs et de méthodes de gestion lui permettant de mettre en oeuvre une approche globale de l'administration des musées nationaux.

Il faut bien admettre que les mutations qu'ont connues les musées nationaux au cours des trois dernières décennies n'ont pas ou peu trouvé d'écho dans leur mode d'administration.

En effet, la plupart des 33 musées nationaux sont directement gérés par la direction des musées de France.

A l'exception de quelques institutions dotées, pour des raisons historiques liées à la volonté des donateurs, du statut d'établissement public, tels le musée Auguste-Rodin, le musée Jean-Jacques Henner ou le musée Gustave-Moreau, les musées nationaux ont longtemps été administrés en régie directe.

Seules deux institutions prestigieuses, à savoir le Louvre et le domaine du château de Versailles, qui relève également de la direction du patrimoine et de l'architecture, ont été érigés en établissement public. Ces évolutions statutaires sont toutefois récentes ; 1992 pour le Louvre et 1995 pour Versailles, et de portée limitée.

Dans le cadre de ses travaux, la mission s'est plus particulièrement penchée sur le cas du Louvre.

Si le statut de 1992 a tiré les conséquences de la création d'un musée aux dimensions nouvelles à la suite des travaux engagés au milieu des années 1970, il n'a pour autant pas permis la mise en oeuvre d'une politique d'établissement cohérente.

En effet, le statut « concédé » par le ministère à l'établissement public apparaît pour une large part fictif dans la mesure où ses dispositions ont consacré l'organisation administrative héritée du passé, et où la direction des musées de France maîtrise pour une large part la gestion de l'établissement.

Les dispositions du décret du 22 décembre 1992 ont pour objet principal de doter l'établissement public du musée du Louvre d'un patrimoine, de fixer les compétences dévolues à ce dernier pour son entretien et de tirer les conséquences du nouveau statut sur les compétences de la Réunion des musées nationaux en matière de perception de droits d'entrée.

En revanche, l'organisation administrative de l'établissement public reprend peu ou prou celle préexistante : le décret consacre l'existence des sept départements 20 ( * ) , dont les missions de gestion des collections ne sont pas modifiées par rapport au décret du 31 août 1945 portant application de l'ordonnance relative à l'organisation provisoire des Beaux-Arts.

S'il revient au conseil d'administration le soin d'élaborer la « politique culturelle dans le cadre des orientations fixées par l'Etat », force est de constater que le président de l'établissement public ne dispose pas des moyens de la mettre en oeuvre.

L'article 2 du décret de 1992 attribue certes à l'établissement public des compétences très larges :

- conserver, protéger, restaurer pour le compte de l'Etat les oeuvres qui font partie des collections inscrites sur les inventaires du musée ;

- assurer l'accueil du public ;

- assurer l'étude scientifique de ses collections.

Cependant, dans la mesure où le décret de 1992 n'a pas eu pour effet d'abroger l'article 2 du décret de 1945, ces missions sont de fait exercées pour leurs collections respectives par les différents départements. Les relations directes entre les services centraux et les directeurs de département sont donc maintenues ; par ailleurs, ce sont ces derniers qui assument la responsabilité de la gestion des collections, le président ne disposant pas de pouvoir hiérarchique sur les directeurs, cela alors même que l'article 19 du décret lui reconnaît un pouvoir de direction.

Ce statut en « trompe-l'oeil » a rendu quasi impossible l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique d'établissement, faute de pouvoir conduire des actions communes aux sept départements en matière de gestion des collections. Ainsi, comme le soulignait M. Henri Loyrette, président de l'établissement public du Louvre, devant la mission, le président ne dispose pas des moyens de mener une action commune en matière de prêts et de dépôts ou encore d'acquisition, les différents départements ayant chacun leurs propres doctrines et priorités, variables de l'un à l'autre. Cette organisation aboutit à des résultats absurdes. Ainsi, dans la mesure où les acquisitions se font pour la plupart sur des crédits de la Réunion des musées nationaux et où les directeurs siègent es qualité dans les instances consultatives, qu'il s'agisse du comité consultatif des musées nationaux ou du conseil artistique des musées nationaux, instances dont est absent le président de l'établissement public, il apparaît qu'en pratique, le Louvre peut acquérir des oeuvres sans que son président en soit averti. Le désordre informatique relevé plus haut par la mission trouve également son origine dans ce découpage en départements qui, comble d'ironie, voient leurs propres compétences soumises à des règles arbitraires de partage des collections, qui peuvent dans certains cas aboutir à des incohérences dans leur présentation.

Par ailleurs, il apparaît que les effets négatifs et sclérosants de cette organisation se trouvent renforcés par une absence de mobilité des personnels entre les différents départements, mais également entre le Louvre et les autres musées nationaux, ce qui, à l'évidence ne favorise pas le développement d'une culture de l'évaluation.

Au-delà des aspects liés à la gestion des collections, jusqu'à une date très récente, les marges de manoeuvre de l'établissement public étaient également très étroites en ce qui concerne son fonctionnement même.

A cet égard, l'autonomie procurée par le statut d'établissement public s'avérait, en effet, très restreinte.

Comme l'a souligné à de nombreuses reprises la commission des affaires culturelles lors des discussions budgétaires, les budgets des établissements publics relevant de la tutelle du ministère de la culture, et celui du Louvre pas plus qu'un autre, ne permettaient d'avoir une vision exacte du coût de ces structures. Une des raisons était que les crédits de rémunération des fonctionnaires qui y sont affectés sont inscrits sur le budget du ministère de la culture, dans la mesure où ces fonctionnaires sont rémunérés sur crédits d'Etat et sont gérés au niveau du ministère et non pas de l'établissement.

Les inconvénients de cette situation pour le Louvre avaient été soulignés par le rapport public de la Cour des comptes pour l'année 2001. « Au 31 décembre 2000, le Louvre comptait près de 1 900 agents dont 60 % sont des fonctionnaires, gérés par le ministère de la culture et affectés à l'accueil et à la surveillance, aux travaux muséographiques et aux départements de conservation, services dont ils composent l'essentiel des effectifs ». La Cour notait que : « dans la pratique, cette situation empêche l'établissement public de connaître le nombre des emplois qui lui sont affectés pour un exercice et de prévoir ceux qui resteront vacants en cours d'année ».

L'importance de ces emplois non pourvus, qui ont pu atteindre 17 % des effectifs, constitue l'une des causes de la fermeture au public d'un nombre croissant de salles, faute d'effectifs en nombre suffisant et donc, par conséquent, de l'accroissement des besoins de personnels « vacataires ». La mission souligne que les conséquences de cette difficulté rencontrée dans la gestion des personnels s'avèrent véritablement préoccupantes : M. Henri Loyrette a indiqué à la mission que chaque jour 26 % des salles du Louvre étaient fermées. Cet indicateur, déjà très élevé, représente toutefois une valeur moyenne : tandis que certaines salles ne peuvent être fermées en raison des oeuvres prestigieuses qui y sont présentées ou de leur localisation, certains départements atteignent des taux de fermeture de l'ordre de 30 %, à l'image de ceux des oeuvres d'art ou des antiquités orientales. Il a indiqué que cet état de choses « ronge le musée », le personnel ne comprenant pas qu'alors que des investissements considérables ont été consentis pour l'aménagement des bâtiments, l'effort budgétaire ne soit pas poursuivi afin d'en assurer le fonctionnement dans des conditions satisfaisantes.

Ce n'est qu'avec retard que le ministère de la culture a pris les mesures nécessaires pour remédier à cette situation et accroître la maîtrise du Louvre sur la gestion de ses personnels.

En effet, il aura fallu attendre la loi de finances pour 2003 pour que soient transférés au Louvre les crédits afférents aux rémunérations des personnels titulaires qui y sont affectés. Cette mesure dont le coût s'élève à 41,1 millions d'euros (soit 31,4 millions d'euros au titre du transfert et à 9,7 millions d'euros 21 ( * ) pour les mesures nouvelles) correspond au transfert sur le budget du Louvre de 1 233 emplois d'agents titulaires et contractuels inscrits jusqu'ici au budget de l'Etat.

Ce transfert, qui constitue une « première » dans la mesure où il concerne des personnels titulaires, a été accompagné de la signature d'une convention pluriannuelle de gestion du personnel conclue entre l'établissement public et le contrôleur financier destinée à accroître les marges de manoeuvre dont il disposera grâce à une déconcentration de la quasi-totalité des actes de gestion des personnels.

Le contrat d'objectifs et de moyens du Louvre, qui a été signé le 17 avril dernier, prévoit de distinguer trois enveloppes, respectivement consacrées à la rémunération des titulaires, des contractuels et des agents rémunérés sur crédits.

Pour ces deux dernières catégories de personnels, une gestion globalisée de la masse salariale devrait permettre à l'établissement public d'assouplir les conditions de recrutement et de gestion des personnels contractuels.

Cette mesure constitue une avancée. Par ailleurs, la mission se félicitera que le contrat d'objectifs et de moyens prévoit la création sur trois ans de 147 postes supplémentaires d'agents d'accueil et de surveillance, avec pour objectif de porter à 90 % le taux d'ouverture des salles en 2005.

Au-delà, la mission ne peut que souligner l'urgence des évolutions statutaires, qui ont été annoncées par le ministre de la culture, notamment dans la perspective de la création d'un huitième département au sein du Louvre, consacré aux arts de l'Islam.

Dans la même perspective, la mission se félicitera également que le ministre ait annoncé son intention d'ériger en établissement public le musée d'Orsay et le musée national des arts asiatiques Guimet, qui présentent les dimensions et l'organisation administrative nécessaires pour accéder à ce statut.

Toutefois, l'autonomie ne peut constituer un progrès que si elle permet aux institutions concernées d'améliorer leur gestion. A cet égard, la mission considère qu'il serait judicieux de mener un audit approfondi de ces musées préalablement à leur transformation en établissements publics afin que puissent être évaluées les marges supplémentaires d'action dont elles pourront bénéficier. Ce travail d'évaluation serait susceptible de servir de base à l'élaboration de contrats d'objectifs qui pourraient être signés, sur le modèle de celui du Louvre .

En effet, l'autonomie statutaire ne constitue pas une fin en soi et exige de la part de l'autorité de tutelle comme des musées une définition très claire, et donc quantifiée, de leurs engagements réciproques. Les difficultés rencontrées par la direction du Louvre dans la procédure de négociation du contrat d'objectifs et de moyens laisse quelque peu songeuse la mission sur la volonté du ministère de s'engager dans une contractualisation à long terme, qui constitue pourtant la condition nécessaire pour réaliser l'ambition -au demeurant parfaitement légitime- affirmée par le ministre : « autonomie ne signifie pas indépendance et (...) les musées nationaux sont tenus, au-delà de leur mission patrimoniale fondamentale, d'être moteurs dans le développement des politiques nationales » 22 ( * ) .

Ce principe suppose, par ailleurs, plus que jamais de la part des services centraux du ministère la capacité de définir ces politiques et de veiller à leur mise en oeuvre.

* 20 Antiquités grecques, étrusques et romaines ; antiquités égyptiennes ; antiquités orientales ; peintures ; sculptures du Moyen-Âge, de la Renaissance et des temps modernes ; objets d'art du Moyen-Âge, de la Renaissance et des temps modernes ; arts graphiques.

* 21 La mesure nouvelle résulte de la nécessité de soumettre la rémunération des agents transférés à la taxe sur les salaires et à des charges de pensions civiles supérieures.

* 22 Communication au conseil des ministres, 4 juin 2003.

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