SUPPORTS ET MOYENS

L'ATTRIBUTION DES EFFECTIFS AUX UNITÉS : LA NÉCESSITÉ DE RATIONALISER LES CHOIX

Les éléments observés sur le terrain

Des critères d'attribution inégalement justifiés

Un premier fait marquant : lorsqu'on demande à un commissaire le nombre de fonctionnaires dont il devrait disposer au vu des ratios fixés nationalement, il ne peut pas répondre. La plupart du temps, ce chiffre n'est pas communiqué par l'administration centrale : « Ils ont peur des réactions de syndicats car on est en-dessous des effectifs . » Dans la gendarmerie en revanche, ces ratios sont connus et communiqués aux unités. S'ils varient en fonction de nombreux critères (l'activité délinquante, la concentration de population), là encore, les effectifs présents restent souvent en dessous des effectifs théoriques.

Ce sujet est souvent abordé sur un plan statistique 88 ( * ) et demeure une préoccupation constante dans les unités.

L'administration centrale de la police rappelle à ce sujet les travaux importants menés lors de la mise en place de la police de proximité. Ces travaux ont permis la définition précise d'effectifs de référence. Ces effectifs servent souvent aux commissaires pour faire le constat d'un écart avec le réel, même s'ils ne comprennent pas toujours très bien le mode de calcul utilisé.

Les éléments observés ici n'ont pas pour vocation de donner une vue chiffrée de l'attribution des effectifs. Ils traduisent le sentiment d'incompréhension quant aux mécanismes d'arbitrage. Chacun s'efforce de faire « au mieux avec les moyens donnés », mais d'après les personnes rencontrées dans les commissariats et les brigades différents éléments semblent entrer en ligne de compte pour avoir une estimation claire des effectifs nécessaires dans chaque unité.

Les éléments suivants, de nature très différente, sont cités lors des entretiens :

§ nombre de faits de délinquance constatés (apparemment pas toujours en rapport avec la réalité de la délinquance),

§ demandes de mutation et organisation des remplacements,

§ départ en retraite anticipé (jusqu'à 6 mois) avec blocage du poste budgétaire, et donc un non remplacement de l'effectif sorti du service,

§ saisonnalité, en particulier au moment de l'affluence estivale dans certaines zones, mais aussi au moment des week-ends prolongés permis par la RTT,

§ présence de l'unité en zone rurale ou en zone urbaine (avec d'innombrables possibilités d'interprétation),

§ spécificité parisienne liée à la présence de nombreux établissements publics et à la forte visibilité médiatique et internationale de la ville,

§ concentration de « personnalités » résidant dans une zone et considérés comme devant bénéficier d'un service privilégié de la part des forces de sécurité,

§ décisions particulières prises au niveau central (DAPN par exemple).

Au total, cette diversité explique les jugements très irrationnels exprimés sur ce sujet mais aussi des situations observées particulièrement problématiques.

Exemple : à Paris, le nombre de plaintes est un des critères visiblement pris en compte. Pourtant, on peut noter que jusqu'à 30 % des plaintes qui sont enregistrées dans un commissariat concernent un évènement ayant eu lieu dans un arrondissement ou une circonscription différente. Cette proportion est moins élevée dans un autre des commissariats visités.

Exemple : une des brigades de gendarmerie visitées est affectée du ratio le plus courant d'un gendarme pour 1.000 habitants et dispose de 10 gendarmes pour près de 14.000 résidents à l'année. Toutefois, dès la sortie de l'hiver, a fortiori en pleine saison estivale, la population à protéger est presque décuplée. Pour renforcer cette brigade, l'effectif est augmenté de seulement 28 militaires qui ne resteront que pendant les deux mois d'été, alors que le tourisme se poursuivra plusieurs semaines encore.

Exemple : la jeunesse des effectifs en Région Parisienne et la difficulté à obtenir des encadrants expérimentés constitue un facteur de risque très important. Nombreuses sont ainsi les patrouilles d'un des commissariats de la Préfecture de Police constituées d'un stagiaire et d'un ADS encadrés par un Gardien de la Paix d'un an et demi d'ancienneté. De même, dans une brigade de gendarmerie, la proportion de gendarmes non titulaires (« mono-galons ») observée témoigne de la très grande pénurie de sous-officiers expérimentés dans une zone où la pénibilité du travail est pourtant reconnue par la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale.

La gendarmerie s'efforce pourtant de conserver un niveau de compétence minimum, notamment par le biais de sa gestion des carrières. Celle-ci obéit à un processus de validation hiérarchique de type militaire bien différent de la police. Dans un groupement, le besoin de gendarmes spécialisés en investigation criminelle conduira la hiérarchie à privilégier « l'intérêt du service ». Par conséquent, s'il n'existe aucune contre-indication d'ordre personnel, un gendarme jugé indispensable à son poste ne sera pas considéré comme prioritaire au moment de la validation de sa mutation par sa hiérarchie. Une limite toutefois : cette contrainte ne devra pas empêcher la promotion des gendarmes dans le grade supérieur.

Exemple : dans un commissariat central, le mois de septembre correspond systématiquement à un sous-effectif. A cette période en effet, les mutations ont pris effet dans le sens Région Parisienne - Province, mais les remplacements ne sont pas encore réalisés.

Exemple : le commissaire central d'un commissariat central de la Préfecture de Police a expliqué pouvoir utiliser ses gardiens pour la prise de plainte des personnalités de l'arrondissement et/ou pour un service d'ordre spécifique facturé aux organisateurs des grands salons qui se tiennent dans son arrondissement. Dans le même temps, le directeur départemental de la Sécurité Publique d'un département hors de Paris ne reçoit quasiment jamais de renforts en période de fin de ramadan par exemple, dans des villes où cette fête revêt une grande importance pour une large part de la population. Dans le même sens, un responsable de Brigade Anti Criminalité (BAC) ne peut envoyer qu'une patrouille lorsqu'il en faudrait deux par insuffisance d'effectifs (8 gardiens disponibles où il en faudrait 10 pour assurer les cycles horaires).

L'Ile-de-France, une gestion des renforts inégale entre police et gendarmerie

On a évoqué plus haut la pénurie chronique de personnels expérimentés dans l'ensemble des forces de police situées en Région Parisienne. Une divergence a toutefois pu être observée entre police et gendarmerie en matière de répartition des renforts. La politique d'attribution de forces de soutien en Région Parisienne est propre à chacune des directions.

La doctrine d'emploi des forces mobiles prévoit que l'ensemble des forces de maintien de l'ordre est mis à disposition de la Préfecture de Police. Mais en application des mesures de renfort aux unités de terrain en Région Parisienne, la Préfecture peut détacher une partie de ses forces disponibles, avec une logique d'affectation qui prévoit que la police reçoit des CRS et la gendarmerie dispose de Gendarmes Mobiles. Considérés comme des moyens transversaux par la Préfecture de Police, ils proviennent de toutes les unités de France, à tour de rôle. Lorsque le besoin en maintien de l'ordre décroît, ils participent à la politique locale de sécurité.

Cependant, la disponibilité de ces forces reste aléatoire et imprévisible pour les responsables d'unité de la petite couronne. Cette faiblesse est plus durement ressentie pour la police alors que la répartition des escadrons de gendarmerie mobile par zones de défense leur permet d'intervenir plus fréquemment au profit de la gendarmerie départementale.

Exemple : le directeur départemental de la Sécurité Publique d'un département visité déplore qu'à quelques exceptions près chaque demande de renfort fasse l'objet d'une fin de non-recevoir de la part de la Préfecture de Police.

Exemple : une brigade de gendarmerie parvient à réduire le niveau de délinquance grâce à l'appoint des pelotons de gendarmes mobiles qui permettent, par ailleurs, d'adapter les heures d'accueil du public aux besoins de la population. En petits groupes autonomes ou intégrés dans des opérations majeures, ils aident au retour de l'ordre public et de la paix sociale dans les zones difficiles. Le commandant de cette brigade assure que l'appoint déterminant de 150 gendarmes mobiles a permis à la gendarmerie de reprendre en main une « zone de non-droit ».

* 88 Par exemple dans le rapport Carraz-Hyest au Premier Ministre en avril 1998

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