15. Audition du Réseau des Conservatoires d'Espaces Naturels (13 mai 2003).

A propos de la transposition en droit interne des directives Oiseaux et Habitats, il faut noter que les textes législatifs et réglementaires, s'ils demeurent nécessaires à l'encadrement du dispositif, ont pour effet dans la pratique de rigidifier une procédure qui se veut avant tout contractuelle. Ainsi, les Contrats d'agriculture durable ne semblent pas particulièrement adaptés aux zones Natura 2000 car ils limitent les cahiers des charges à deux grands enjeux par territoire, et l'impossibilité de cumuler prime herbagère et CAD sur une même parcelle, diminue leur attractivité. Il sera souvent difficile de répondre aux enjeux multiples dans le cas d'une grande zone et lorsqu'il y aura superposition avec d'autres types de zonage (ex : Natura 2000 dans un périmètre Parc naturel régional). Ainsi en Bretagne, où la problématique qualité de l'eau s'imposera, ne laissant plus qu'une priorité possible dans des milieux variés. Or le maintien de la biodiversité nécessite souvent une diversité dans la gestion des milieux et donc une diversité des pratiques dans une même zone.

Les limites budgétaires constituent également un frein à la contribution des CAD à Natura 2000. Ces considérations prennent en compte la possibilité pour les collectivités ou établissements publics de compléter le dispositif. Il conviendrait d'améliorer le dispositif de promotion des CAD et en particulier la possibilité de co-financements (collectivités territoriales et Europe) et il serait par ailleurs opportun de mettre en place des « dispositifs spécifiques à Natura 2000 » dans l'élaboration des cahiers des charges des CAD, ou de maintenir les dispositifs type « opération locale ».

Par ailleurs, les contrats Natura 2000, en tant qu'outil principal de la mise en oeuvre de Natura 2000, posent plusieurs problèmes notamment en raison de leur complexité administrative qui constitue un obstacle à une large diffusion.

-En outre, si les ayants droits ne sont pas volontaires pour contractualiser ou si le foncier cadastré est resté trop complexe, il n'est pas vraiment prévu de solution pour garantir la conservation des sites.

Plus généralement, les textes font abstraction de la maîtrise foncière et de la maîtrise d'usage et il n'existe pas d'ouverture vers les restructurations foncières qui permettraient d'apporter des réponses dans certains cas où les contrats ne sont pas possibles.

-Les textes ne sont pas non plus clairs sur l'animation de la mise en oeuvre des documents d'objectifs Natura 2000. Le législateur a institué une animation sans en définir vraiment le contenu, ni imposer d'obligation de moyens. Sans moyens financiers spécifiques, il n'y aura pas d'animation avec le risque de remettre en cause les dynamiques locales. C'est aussi un obstacle à l'engagement de contrats Natura 2000. Dans les DOCOB qui ont démarré, les structures animatrices signalent souvent cette insuffisance de moyens pour mettre en oeuvre une concertation approfondie. La concertation elle-même n'est pas clairement cadrée par les textes. Dans la pratique, les acteurs n'ont pas le même niveau d'influence, certains intérêts particuliers risquant d'être privilégiés par rapport à l'intérêt général. L'Etat se retrouve trop souvent dans une position d'arbitrage, qui peut être perçue comme dissuasive a priori. La circulaire d'application impose la désignation d'un opérateur unique pour la mise en oeuvre des DOCOB, or sur des sites vastes ou politiquement délicats, il est très important que plusieurs opérateurs puissent être désignés, tout en ayant bien sûr l'obligation de veiller à la coordination des actions et à leur cohérence. Cela se justifie également sur les sites interdépartementaux ou interrégionaux.

Enfin, la procédure d'approbation des DOCOB, par un arrêté préfectoral pour un site officiellement désigné par l'Europe, peut constituer un frein à sa mise en oeuvre compte tenu des retards de transmission des sites à l'Europe.

Une autre difficulté réside dans le fait qu'un opérateur ne doit pas être « dans la mesure du possible » bénéficiaire des contrats Natura 2000. Si on comprend cette logique qui tend à éviter qu'une structure soit juge et partie, cette disposition ignore largement les réalités locales puisque, dans de nombreux cas, lors du choix du rédacteur du DOCOB, la DIREN s'est tournée vers des organismes gestionnaires de terrains situés dans les zones Natura 2000 en raison de leur savoir-faire et de leur implication locale. C'est le cas de l'ONF, de nombreux Conservatoire d'espaces naturels, de réserves naturelles, de collectivités (syndicats intercommunaux, PNR...).

En ce qui concerne la désignation des zones, les acteurs locaux semblent maintenant mieux informés de la procédure Natura 2000, mais il reste difficile de parler de consultation satisfaisante. La procédure a plutôt consisté à suivre une procédure administrative qu'à réellement consulter. Ce constat est particulièrement vrai sur les sites ayant fait l'objet d'une nouvelle consultation début 2002. Une certaine confusion persiste encore actuellement entre la réalisation des inventaires scientifiques et la négociation/concertation des propositions de gestion.

De manière générale, l'argumentaire scientifique reste une base essentielle de désignation des sites et de délimitation des périmètres. Les difficultés rencontrées au niveau scientifique sont liées essentiellement à l'insuffisance de certains inventaires initiaux (ex : confluence Moselle-Moselotte en Lorraine, vallée de la Double en Dordogne), ou certains périmètres trop approximatifs qui ont exclu des parties entières de sites (ex : haute vallée de l'Essonne). Les délimitations de sites sont également fortement dépendantes des contextes locaux qui ont entraîné des réductions ou des morcellements de sites qui ne permettent pas la mise en oeuvre de mesures de gestion cohérente. C'est le cas également de certains périmètres trop restrictifs du fait de la non prise en compte des zones tampons ou de matrices essentielles dans le maintien de la fonctionnalité de l'ensemble du site (exemple des tourbières, de certaines vallées alluviales et de certains bassins versants). Dès lors, la possibilité de reconsidérer des périmètres cohérents est fondamentale pour la cohérence du site et de la gestion future et elle est possible dans le cadre des DOCOB. Il faudrait que cette possibilité soit généralisée et reste ouverte après l'approbation des sites par l'Europe. Les périmètres ont très souvent été désignés « globalement » alors que les mesures de gestion sont pertinentes à la parcelle ou au groupe de parcelles. Enfin, les inventaires initiaux sont souvent incomplets pour les espèces étant à l'origine de la désignation du site ou pour des espèces prioritaires qui n'avaient pas été décelées lors des inventaires ou sous estimées.

S'agissant du cas particulier de la désignation des zones de protection spéciale (ZPS), au titre de la directive Oiseaux, il existe des blocages locaux fréquents, principalement de la part des agriculteurs et des chasseurs. Ceci induit une autolimitation des services de l'Etat eux-mêmes et donc un déficit de désignation. L'Etat défend une position minimaliste fondée sur des critères politiques sans rapports avec les enjeux « de terrain » liés aux milieux. De gros efforts de communication seraient à réaliser.

Sur les secteurs concernés à la fois par une ZPS et une zone spéciale de conservation (ZSC), les périmètres ne sont généralement pas superposables ce qui occasionne des difficultés de compréhension des acteurs de terrain et des sources de conflits potentiels. Il faudrait rechercher une concordance des deux périmètres et des procédures de consultation et d'établissement des DOCOB puisque les ZPS et ZSC ont vocation à intégrer le même réseau Natura 2000.

Il faut souligner que, hormis dans quatre régions, tous les Conservatoires ont été ou sont opérateurs de DOCOB.

- 97 DOCOB réalisés par les CREN/CDEN en tant qu'opérateur ;

- 81 DOCOB où les CREN/CDEN sont intervenus en appui d'autres opérateurs.

Il s'agit principalement de sites où les Conservatoires étaient déjà fortement impliqués dans la préservation d'espaces naturels par la maîtrise foncière et d'usage (tourbières, pelouses sèches, zones alluviales). La taille et les difficultés recensées sont très variables et diverses. 70 % des sites des Conservatoire d'Espaces Naturels et plus de 75 % de leur surface sont en zones Natura 2000.

Pour améliorer les conditions d'élaboration de ces documents, il faut impérativement apaiser le contexte relationnel difficile au démarrage du DOCOB afin d'engager une réelle concertation. En outre, la légitimité et le rôle réel de l'opérateur doivent être clarifiés et il faut remédier aux carences dans la méthodologie et à l'absence de cadres clairs pour les financements. On ne peut enfin que déplorer le manque de moyens pour mettre en oeuvre une concertation suffisante sur les sites où la situation est conflictuelle au départ.

A propos de dossiers d'implantation d'infrastructures ayant donné lieu à la définition de mesures compensatoires (article 6 - paragraphe 4 de la directive Habitats), il convient de souligner que ces mesures sont parfois peu satisfaisantes ou ne sont pas forcément appliquées. Cela ne change rien par rapport aux situations antérieures. Il est nécessaire d'imposer une évaluation forte des mesures compensatoires en terme de réalisation effective. Certains aménageurs prennent mieux en compte ces obligations que d'autres.

En matière de financements annoncés, les premières enveloppes n'étant pas encore entièrement disponibles dans les régions, les opérateurs du réseau sont inquiets sur la capacité de l'Etat à honorer l'augmentation du nombre de contrats de gestion. Pour ceux-ci, les montants ne semblent pas suffisants pour financer des cahiers des charges permettant de garantir l'expression de la patrimonialité des sites. L'unique méthode de calcul par surcoût ou manque à gagner n'est pas adaptée notamment dans des milieux peu productifs et les plafonnements rapides des aides ne permettent pas de prévoir des travaux assez lourds de restauration des milieux herbacés. Une plus grande modulation est impérative.

De plus, les crédits pour l'animation sont clairement insuffisants, avec le risque que toutes les démarches engagées se limitent à une vision à court terme. Faute d'animation et en raison de la complexité d'instruction des contrats, les fonds risquent paradoxalement d'être sous engagés. D'autre part, la pérennité et la réussite de la démarche passe par un contact continu entre les opérateurs Natura 2000 et les acteurs locaux. Ce climat de confiance qui se construit dans le temps nécessite des moyens ad hoc.

Il n'y a pas non plus assez de crédits pour les suivis écologiques et l'évaluation, et donc les opérateurs émettent des doutes sur la qualité de la réponse apportée aux obligations de Natura 2000.

Enfin, l'absence de références technico-économiques cohérentes et reconnues va probablement être à l'origine d'écarts dans les coûts d'intervention. La fédération des Conservatoire d'Espaces Naturels a proposé depuis plusieurs années de compléter une première publication en la matière, mais les dernières demandes ont été refusées dans le cadre des restrictions budgétaires alors même que les avancées du réseau dans ce domaine sont reconnues par de nombreux partenaires.

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