14. Audition de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux (UNICEM) (13 mai 2003),

L'Union Nationale des Industries de Carrières et Matériaux (UNICEM) fédère les industries telles que le granulat, le plâtre, les roches ornementales, la craie, mais aussi le béton prêt à l'emploi, les adjuvants pour béton, et diverses branches le plus souvent orientées vers le secteur de la construction (comme l'isolation thermique par exemple, ou le recyclage de déchets du BTP, ou encore l'enfouissement de déblais inertes en centres de stockage autorisés). Elle compte 5000 entreprises, et 70.000 emplois directs. Ses branches extractives gèrent 4.500 sites, le plus souvent situés en milieu rural, qui représentent 0,21 % du territoire national métropolitain (soit 120.000 ha). La surface annuellement exploitée est d'environ 2.000 ha. Les carrières, une fois exploitées, sont réaménagées soit en zones de culture, soit en zones humides ou réservoirs naturels, soit en zones de loisirs, soit enfin en zones naturelles. Ces réaménagements sont définis et approuvés avant que l'exploitation d'une carrière soit autorisée et ils font l'objet d'une garantie financière de la part des pétitionnaires.

Les activités extractives de l'UNICEM, au premier rang desquelles l'UNPG (Union nationale des producteurs de granulats), sont particulièrement soucieuses de gérer correctement l'intégration de leurs activités dans un environnement le plus souvent rural.

De plus, la législation française encadre ces activités, qui relèvent de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement. Elles font donc à ce titre l'objet d'études d'impact substantielles (à la charge du pétitionnaire), d'une enquête publique préalable, et d'une autorisation préfectorale, supposant un accord des collectivités territoriales.

Au delà de ces obligations réglementaires, l'UNICEM a créé il y a dix ans un bureau d'étude spécialisé indépendant, pour faire des études d'impact pour les activités extractives. Depuis 10 ans, l'UNPG a initié une Charte environnementale, association de producteurs de granulat, qui a permis de financer des études confiées à des organismes scientifiques tiers et reconnus sur des sujets environnementaux.

L'UNICEM a partagé, bien avant la promulgation des deux directives Oiseaux et Habitats, les démarches publiques visant à préserver ou améliorer la biodiversité dans l'espace français. Il faut d'ailleurs rappeler que plusieurs anciens sites de carrière ont justifié un classement en ZNIEFF, voire en réserves naturelles volontaires, en raison de réaménagements particulièrement exemplaires. Les cas ne sont pas rares où la proposition de classement d'une zone au titre de Natura 2000 résulte, directement ou indirectement, d'une ancienne exploitation de carrière. C'est ainsi qu'ont pu être recréés des zones humides, des pelouses sèches, des landes à callunes, des cavités de colonies de chiroptères, des zones reposoirs pour oiseaux migrateurs ou encore des écopôles pédagogiques.

Mais ce faisant, elle a toujours préféré la voie du volontariat, de l'initiative et du contrat à celle d'interdits ou d'impératifs réglementaires fixés sans concertation suffisante. Tout en approuvant les objectifs déclarés du programme européen Natura 2000, elle redoute que son application nationale sans nuance, voire « bureaucratique » (du fait de pressions européennes visant à sommer la France de classer « suffisamment de surface » 34 ( * ) , faute de quoi elle pourrait ne pas bénéficier de certains fonds européens) ne dévoie cette louable intention, et ne provoque en France des dégâts collatéraux importants, en matière économique et d'aménagement du territoire.

Si l'on peut donner acte au ministère en charge de l'environnement de sa sincère volonté de voir se déployer localement les concertations utiles, les incertitudes et dérives « idéologiques » constatées dans plusieurs régions par les producteurs de granulats et autres industries extractives leur font craindre le pire. C'est leur existence même qui paraît à terme menacée dans certaines zones du territoire. Ont-ils la possibilité de participer à la concertation pendant l'élaboration des DOCOB, alors qu'ils n'ont pratiquement jamais accès aux études scientifiques supposées avoir conduit au choix de telle zone, et de telle espèce, pour un classement Natura 2000 ?

Il est vrai que la critique est facile, quand l'art est difficile. Aussi, et au delà de l'expression de ses vives inquiétudes, l'UNICEM formule cinq propositions de nature à rendre le processus Natura 2000 à son objectif premier, qui est de faciliter la coexistence en Europe d'un développement durable (économique et social) et de la préservation de la richesse de son biotope traditionnel.

- Il faut élargir la concertation entourant l'élaboration des DOCOB aux professions et aménageurs présents en zone rurale. Les professions agricoles, sylvicoles, les aménageurs de l'espace rural (y compris pour en faire des zones de loisir), mais aussi les activités extractives, doivent être spécifiquement consultés et leurs besoins pris en compte, de même que doivent l'être les aménageurs de zones portuaires lors du classement de zones maritimes ou fluviales. Des consultations trop rapides d'organismes trop généralistes ne sont pas suffisantes. Et puisqu'il existe dans chaque département des Schémas départementaux des carrières (SDC) approuvés ou en cours de finalisation, il faut rendre obligatoire leur prise en compte lors de l'élaboration des zonages et des DOCOB. Il est également regrettable qu'une suite défavorable ait été réservée à la demande de l'UNICEM d'intégrer le Comité national de suivi Natura 2000, qui est la première instance de concertation en amont de la transposition, et qui associe tous les autres acteurs du monde rural.

- Il faut organiser l'accès aux études scientifiques justifiant la demande de classement en zone Natura 2000 d'un périmètre donné. La transparence est aujourd'hui un impératif trop largement partagé par la société civile pour qu'en l'espèce l'administration s'y refuse. La justification de cette démarche Natura 2000 étant d'ordre scientifique et écologique, l'UNICEM souhaite voir appliquer à la détermination des sites et à leurs règlements les règles usuelles de la discipline scientifique à savoir que les arguments doivent être étayés par des études, inventaires de terrain ou mesures, publiés ou du moins consultables et que ces documents doivent répondre aux critères usuels de scientificité qui sont ceux de la publication universitaire. Ils doivent notamment comporter les éléments bibliographiques ad hoc et toutes indications utiles sur les protocoles de mesure ou d'observation, afin de permettre, par d'autres écologues, la réplication d'une expérience, d'une nouvelle campagne de mesures ou d'observations, autorisant ainsi une « mise à l'épreuve » efficace. Ils doivent citer explicitement leurs sources méthodologiques, pour en permettre l'évaluation, voire la réfutation.

- La notion de richesse du sous-sol n'est pas prise en compte dans les textes fondant le dispositif Natura 2000. Un tel silence est facteur d'insécurité juridique pour les industries extractives, d'où le risque de voir diminuer l'investissement local. Les textes réglementaires devraient préciser plus explicitement la façon dont les carrières peuvent cohabiter avec des sites d'intérêt communautaire, et -si elles ne le peuvent pas- les conditions objectives et précises de leur interdiction, pour autant qu'une telle interdiction soit justifiée et inévitable. Puisque des contrats types existent déjà concernant l'agriculture, la sylviculture et les zones de loisirs, pourquoi ne pas faire de même pour les activités extractives ?

- La notion d'occupation temporaire d'un sol n'est pas prévue par ces textes réglementaires, ce qui constitue une lacune. On pourrait ainsi organiser de façon plus raisonnable la présence temporaire d'activités telles que carrières ou sablières pendant quelques dizaines d'années, définir les mesures intérimaires à prendre lorsqu'elles se situent en zones sensibles, et les conditions de réaménagement exigées pour la préservation ou la reconstitution d'habitats ou la protection d'espèces visées par la directive. Les textes qui fondent Natura 2000 oublient que les zones d'exploitation de carrière sont temporaires, et restent ouvertes à un large biotope une fois réaménagées, voire même en cours d'exploitation.

- Les textes actuels font de l'interdiction d'équipements ou d'aménagements du sol la règle a priori , et n'entrent dans une logique de compensation que lorsque l'utilisation du sol présumée « perturbatrice » ne peut être faite ni ailleurs ni autrement. Cette « charge de la preuve » mise sur le compte de l'aménageur (public ou privé) est excessive et bien peu raisonnable. A ce compte, peu d'ouvrages, aucun équipement ni aucune carrière (sauf de matières précieuses et rares) ne satisferont à ce préalable : on peut toujours faire une route ou un pont plus loin, une école ou des logements ailleurs, tout comme une exploitation de sables, graviers ou roches courantes, puisque aucune considération d'économie n'entre ici en ligne de compte. Or, selon les ouvrages, il faudrait laisser aux aménageurs la possibilité de proposer - étude d'impact à l'appui - à la fois son appréciation de l'impact sur les habitats et les espèces protégés et les mesures de compensation envisageables. La décision d'autoriser ou non tel équipement en zone Natura 2000 serait ainsi prise « en connaissance de cause », et non a priori .

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* 34 - Quelques contre-exemples semblent suggérer que le souci de « faire de la surface » le plus rapidement possible, a parfois conduit à préempter des zones pour leur vide apparent plus que pour leur intérêt écologique attesté. On a par exemple vu afficher un objectif de protection de telle espèce d'oiseaux - sur certains contreforts alsaciens - que de mémoire de chasseur on n'avait plus vu depuis cinquante ans à cet endroit ! Et que dire de la loutre de la Montagne Noire (dans le Tarn)...

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