IV. LES POLITIQUES PUBLIQUES SONT RÉORIENTÉES EN FAVEUR D'UNE PLUS FORTE INCITATION À L'EMPLOI DES SENIORS

La récente réforme des retraites comporte de nombreuses mesures destinées à relever le taux d'emploi des seniors ; s'il est bien sûr trop tôt pour en dresser le bilan, il est probable que ces réformes permettront d'avancer vers la réalisation des objectifs fixés au niveau européen. La question cruciale de la formation tout au long de la vie est abordée dans un nouvel accord national interprofessionnel. Mais il demeure une incitation, du point de vue des entreprises, à l'éviction des salariés anciens, en raison des mécanismes de prime d'ancienneté exposés précédemment.

A. L'ACQUIS DE LA RÉFORME DES RETRAITES EST TRÈS SIGNIFICATIF
La loi portant réforme des retraites comprend un ensemble de mesures qui restreignent l'accès aux préretraites, incitent à la prolongation de l'activité et modifient la contribution dite « Delalande ».
1. L'accès aux préretraites est restreint
Pour les salariés du privé, la réforme a introduit les mesures suivantes :

- l' assujettissement de certaines préretraites d'entreprise à une contribution spécifique afin de dissuader les employeurs d'avoir recours à cette mesure d'âge. On rappellera à cet égard que le COR, dans son rapport de 2001, avait suggéré un « durcissement des mécanismes sociaux et fiscaux applicables aux préretraites d'entreprise » ;

- la suppression de la préretraite progressive (PRP), qui n'a pas réussi à trouver sa place au sein des différents dispositifs de cessation anticipée d'activité et qui ne constitue qu'un instrument imparfait de la gestion des ressources humaines dans les entreprises ;

- le recentrage des CATS (cessations anticipées d'activité des travailleurs salariés) vers les seuls salariés ayant exercé des travaux pénibles , en réservant à ces salariés les avantages sociaux et fiscaux dont bénéficie actuellement cette allocation.

Dans le secteur public , la loi de finances pour 2003 avait prévu une extinction progressive du dispositif de cessation de fin d'activité (CFA). La loi de réforme des retraites ne revient pas sur ce principe. Elle prévoit en revanche la prise en compte , pour les fonctionnaires maintenus en activité sur leur demande au-delà de la limite d'âge , de cette prolongation d'activité au titre de la constitution de leur pension, ce qui crée une incitation financière à la prolongation de l'activité .
2. La réforme du mécanisme de décote-surcote crée une incitation à la poursuite de l'activité
Avant la réforme, dans les régimes de base du secteur privé comme de la fonction publique, les durées de cotisation n'étaient prises en compte qu'à concurrence d'un plafond . Ce plafond était de 160 trimestres dans le régime général, soit 40 annuités, et de 37,5 annuités dans la fonction publique. Au-delà , les régimes de base n'offraient pas d'avantages supplémentaires à leurs ressortissants.

Par ailleurs, il existe, dans les régimes de salariés du secteur privé, un mécanisme de minoration du taux de pension dès lors que l'assuré ne justifie pas de la durée d'assurance nécessaire pour ouvrir droit à une pension de retraite à taux plein (160 trimestres). Ce coefficient de minoration n'existait pas dans les régimes du secteur public.

La loi de réforme des retraites a introduit un mécanisme de bonification en faveur de tous les salariés , du privé comme du public, s'élevant à 3 % supplémentaires par année demeurée en activité au-delà de la date à laquelle ils auraient pu faire liquider leur pension. C'est ce que l'on appelle la surcote .

Le coefficient de minoration , ou décote , est maintenu et étendu aux régimes du secteur public . A terme, celui-ci sera réduit pour qu'un même taux soit appliqué aux salariés du secteur public et du secteur privé (5 % par année de cotisation manquante).

En conséquence de l'introduction de la surcote, le projet de loi prévoit également le report à 65 ans de l'âge à partir duquel l'employeur peut mettre un salarié à la retraite d'office.
3. La « contribution Delalande » a également été réformée
La « contribution Delalande » est une taxe pesant sur les employeurs se séparant d'un salarié âgé de plus de 50 ans. Destinée à limiter le nombre de licenciements de salariés âgés, cette taxe a eu pour effet pervers de dissuader les employeurs d'embaucher des seniors. Dorénavant, la taxe ne sera plus exigible lorsque le salarié aura été embauché après 45 ans (contre 50 ans avant la réforme).

Ces multiples mesures attestent que le relèvement des taux d'emploi est une priorité de politique publique. Il est difficile d'évaluer l'impact que ces incitations nouvelles auront sur le taux d'activité des seniors. L'OFCE a toutefois proposé, dans le cadre de son évaluation des conséquences financières de la réforme des retraites, des estimations qui donnent un ordre de grandeur de ce que pourrait être l'effet de ces mesures à l'horizon de cinq ans : il pourrait y avoir 30 000 salariés seniors de plus en 2004, puis 60 000 les années suivantes, dans le secteur privé. Et il pourrait y avoir 30 000 fonctionnaires retraités de moins en 2008.

Le Gouvernement a complété son action par des mesures intervenant dans le domaine de la politique de l'emploi.
B. LES OUTILS DE LA POLITIQUE DE L'EMPLOI DOIVENT AUSSI ÊTRE MOBILISÉS
1. Réorienter les contrats aidés vers le secteur privé
A partir de 1994 (loi quinquennale relative au travail, à l'emploi, et à la formation professionnelle), les dispositifs de contrats aidés (contrats initiative-emploi et contrats emploi-solidarité notamment) ont été recentrés sur les publics les plus en difficulté , et notamment sur les chômeurs âgés . Les chômeurs de plus de cinquante ans constituent désormais une des cibles prioritaires des contrats aidés dans le secteur non-marchand (contrats emploi-solidarité et contrats emploi consolidés). En 1996, le contrat initiative-emploi (CIE) a été remanié et les seniors sont devenus un public très prioritaire ouvrant droit, pour l'employeur, à la prime maximale prévue par le dispositif.

En conséquence, la part des seniors dans les embauches sous contrats aidés a presque doublé depuis 1996 , pour représenter, en 2001, 12 % des entrées en CES, 21 % des entrées en CEC, et 18 % des entrées en CIE.

Il est légitime que les seniors, public largement exclu du marché du travail, soient d'importants bénéficiaires des contrats aidés. On peut cependant regretter que les contrats aidés dans le secteur non-marchand aient été privilégiés par rapport aux contrats aidés dans le secteur marchand. Le diagramme suivant montre que la part des seniors bénéficiant d'emplois aidés dans le secteur non-marchand s'est beaucoup accrue entre 1997 et 200l. Elle est passée d'un niveau inférieur à 40 % en 1995 à un niveau supérieur à 50 % en 2001.

Source : DARES (2003)

Ce choix de privilégier le secteur non-marchand est contestable : les contrats aidés dans le secteur non-marchand permettent moins d'acquérir les compétences utilisables ensuite sur le marché du travail. Et ils semblent, pour les seniors, moins efficaces comme outil d'insertion durable dans l'emploi. Après un CIE, les personnes âgées de plus de cinquante ans sont plus souvent en emploi que les autres demandeurs d'emplois présentant des caractéristiques comparables : 72 % contre 54 %. Les emplois aidés dans le secteur non-marchand ont également un effet favorable, mais de moindre ampleur : 58,7 % des bénéficiaires de CES sont en emploi un après, contre 47,5 % de l'ensemble des demandeurs d'emploi de plus de cinquante ans 25( * ) .

Le Gouvernement a, depuis deux ans, commencé de réorienter les contrats aidés vers le secteur marchand . Le nombre total de contrats aidés dans le secteur non marchand devrait baisser de 75 000 unités en 2003, puis de 70 000 en 2004, sous l'effet d'une diminution des entrées en CES (et du non-renouvellement des emplois-jeunes). Le CIE fait, en parallèle, l'objet d'une relance, avec un élargissement de la population éligible aux demandeurs d'emplois depuis plus de 18 mois (contre 24 mois auparavant), et une augmentation de la durée de versement de la prime, en cas d'embauche d'un chômeur de plus de 55 ans.

Les dispositifs de la politique de l'emploi appellent à l'évidence une grande attention. Il serait souhaitable qu'en soient évalués plus soigneusement les impacts afin de s'assurer notamment que d'éventuels effets de « file d'attente » ne se produisent pas (les contrats aidés bénéficieraient à certains demandeurs d'emplois au détriment d'autres demandeurs d'emplois, sans augmentation de l'emploi global).

2. Alléger le coût du travail pour les salariés anciens dans l'entreprise
Comme cela a été montré précédemment, le coût du travail tend à augmenter avec l'ancienneté des salariés dans l'entreprise, sans lien avec l'évolution de leur productivité. Ainsi, sans même retenir l'hypothèse d'une baisse de la productivité des salariés avec l'âge, un écart peut se creuser entre productivité et salaire, qui est de nature à créer une « pression en faveur de l'éviction du marché du travail des travailleurs les plus âgés, à rebours de la remontée des taux d'emploi des plus âgés qu'on cherche en général à atteindre » 26( * ) .

Il paraît difficile de remettre en cause cette liaison entre ancienneté et salaire. Les économistes mettent souvent en avant le lien entre progression des salaires au cours de la carrière et motivation au travail. Pour Lazear 27( * ) , un contrat implicite serait noué entre l'entreprise et le salarié au début de sa carrière, visant à maximiser l'effort de ce dernier. La promesse d'un salaire relativement élevé en fin de carrière garantit fidélité et implication de la personne employée, dans la mesure où la perte de son emploi avant la fin de sa carrière signifierait la perte de la prime à l'ancienneté associée au contrat de travail.

On peut aussi justifier les primes à l'ancienneté, en arguant que la motivation des salariés passe à la fois par le niveau et par le taux de croissance de leur salaire : dans la mesure où les salaires et la productivité ont tendance à s'équilibrer sur l'ensemble de la vie active, cela peut justifier des salaires plus faibles que la productivité en début de vie active et supérieurs à celle-ci en fin de vie active.

On est ainsi confronté à une difficulté : le vieillissement global appelle une augmentation de l'emploi des plus âgés , mais la relation âge-salaire prévalant actuellement vient contrarier ce premier objectif , et la remise en cause de cette relation est difficile.

Une intervention des pouvoirs publics permettrait peut-être de résoudre cette contradiction. Depuis 1993, les employeurs bénéficient d'allègements de cotisations sociales sur les bas salaires (actuellement, les allègements concernent les salariés rémunérés entre 1 et 1,7 SMIC). On pourrait envisager de moduler le barème de ces allègements afin de les faire augmenter avec l'ancienneté du salarié dans son emploi. Ainsi, l'augmentation mécanique du coût du travail résultant de l'application des règles d'ancienneté serait, au moins pour partie, compensée par des allègements de charges plus élevés. Seuls les salariés occupant des postes peu qualifiés seraient concernés par ce dispositif.

Votre rapporteur est conscient des inconvénients et limites de cette suggestion. On a vu que le problème de la concurrence entre salariés jeunes et anciens se posait surtout pour les emplois les moins qualifiés. Ainsi, on risquerait d'amplifier les difficultés des jeunes non-qualifiés en accentuant encore les phénomènes de « file d'attente ». En outre, les effets d'aubaine associés à une telle disposition seraient vraisemblablement élevés. Cette mesure accroîtrait la complexité de la gestion administrative des dispositifs d'allègement de charge. Et une mesure générale ne tiendrait pas compte de la diversité des règles de rémunération à l'ancienneté, qui varient d'un convention collective à une autre : la mesure pourrait se révéler incitative dans un secteur, mais insuffisante dans un autre.

A ce stade, votre rapporteur souhaite donc que cette mesure fasse l'objet d'études complémentaires , pour en évaluer l'utilité et la faisabilité concrète.

Un autre moyen de combler l'écart qui peut exister entre salaire et productivité des salariés âgés est d'élever la productivité de ceux-ci, grâce à un recours plus intensif à la formation professionnelle continue.
3. Ouvrir un plus large accès des seniors à la formation tout au long de la vie
Allonger la durée d'activité des seniors appelle, dans une économie qui connaît des mutations technologiques rapides dans certains secteurs, un effort supplémentaire en terme de formation continue, pour lutter contre l'obsolescence des connaissances, qui peut être source d'éviction du marché du travail.

Or, les seniors ont aujourd'hui un accès réduit à la formation continue : « à partir de 45 ans, l'accès à la formation continue baisse pour les actifs en emploi, en se réduisant encore plus au-delà de 55 ans » 28( * ) . Le taux d'accès à la formation continue est de 36 % pour les 30-49 ans, de 31 % pour les 50-54 ans, et de moins de 20 % pour les 55-59 ans. En situation de chômage, les seniors bénéficient aussi moins de la formation continue que leurs cadets.

Source : enquête « formation continue 2000 » ; traitement : DARES.

Ce moindre accès à la formation pour les plus âgés se retrouve à tous les niveaux de qualification : cadres, professions intermédiaires, et ouvriers-employés de plus de 50 ans ont tous des taux d'accès à la formation bien inférieurs à ceux de leurs cadets de même catégorie socioprofessionnelle.

Mais les salariés qualifiés ont, à tout âge, des possibilités d'accès à la formation continue bien supérieures à celles des moins qualifiés.

Source : enquête « formation continue 2000 » ; traitement : DARES.

Le faible accès des seniors à la formation professionnelle s'explique aisément d'un point de vue économique : l'investissement en formation représente un coût pour les entreprises, ou pour la collectivité. Il est dès lors rationnel de vouloir rentabiliser au mieux cet investissement en capital humain , en le concentrant sur les salariés jeunes plutôt que sur les salariés âgés, dont on prévoit qu'ils ne resteront plus très longtemps dans l'emploi.

Mais, le relèvement souhaité du taux d'emploi des seniors ne pourra se réaliser sans un accès amélioré de ces derniers à la formation continue . L'objectif, à terme, devrait être d'aboutir à un véritable schéma de formation tout au long de la vie, complément indispensable de l'allongement de la durée de la vie active.

On peut supposer que les réformes décidées en matière de retraite et de préretraite auront, par elle-même, un effet sur l'accès des seniors à la formation continue ; le calcul économique que formera une entreprise ne sera en effet pas le même, selon qu'elle prévoira que ses salariés seniors quitteront, en moyenne, l'emploi à 55 ans ou à 65 ans.

Il est cependant nécessaire d'aller au-delà. Il faut saluer, à ce sujet, la détermination nouvelle des partenaires sociaux à renforcer « l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle », pour reprendre le titre de l' accord national interprofessionnel conclu le 20 septembre 2003 .

Le principal point de cet accord est la création d'un droit individuel à la formation ( DIF ), qui relève de l'initiative du salarié, avec l'accord de l'entreprise. Il permet aux salariés de bénéficier de 20 heures de formation par an, qui peuvent être cumulées sur six ans pour aboutir à un total de 120 heures. Tous les salariés ont un égal droit à la formation, quel que soit leur âge.

L'accord prévoit aussi que tout salarié puisse bénéficier, après vingt ans d'activité professionnelle, et, en tout état de cause, à compter de son quarante-cinquième anniversaire (sous réserve d'un an d'ancienneté dans l'entreprise), d'un bilan de compétences .

Si leur « qualification est insuffisante au regard de l'évolution des technologies et des organisations », les mêmes salariés pourront bénéficier, « afin de consolider la seconde partie de leur carrière professionnelle » d'une période de professionnalisation . Cette période aura pour objet de permettre l'acquisition par le salarié d'un diplôme ou d'une qualification professionnelle reconnue, ou le suivi d'actions de formation.

A ce stade, il convient d'être vigilant pour s'assurer que la mise en oeuvre de cet accord bénéficiera effectivement aux travailleurs âgés . Afin de faire évoluer les esprits, qui se sont accoutumés à un recours fréquent aux préretraites, les pouvoirs publics pourraient sensibiliser les chefs d'entreprise à l'enjeu que représente le maintien dans l'emploi des salariés âgés.

4. Améliorer les conditions de travail et mieux veiller à la santé des salariés au travail
Les études disponibles montrent qu'il existe un lien statistique fort entre pénibilité du travail et cessation précoce d'activité, ainsi qu'entre dégradation de l'état de santé et arrêt de l'activité professionnelle 29( * ) .

Ainsi, un travail qui s'effectue selon des modalités défavorables (pénibilité, horaires décalés, travail répétitif sous contrainte de temps...) est associé à un risque significativement plus élevé de sortie d'emploi.

La mauvaise santé perçue est également fortement reliée aux sorties d'emploi précoces. Les salariés âgés se plaignent surtout de troubles physiques : troubles musculo-squelettiques, troubles du sommeil, fatigabilité... Ces symptômes se manifestent principalement chez les travailleurs manuels dans le secteur de l'industrie, catégorie effectivement très concernée par les cessations précoces d'activité.

Ainsi, au-delà des incitations financières à la poursuite de l'activité, qu'il convient de renforcer, les pouvoirs publics doivent aussi se préoccuper d'améliorer les conditions de vie des salariés au travail. Ceci passe par un ensemble d'actions, notamment le renforcement des règles relatives à la sécurité et à la santé au travail, ainsi que l'augmentation des moyens de la médecine du travail. Les entreprises doivent aussi se préoccuper de l'évolution de carrière des salariés qui effectuent les travaux les plus exigeants physiquement : un travailleur manuel devrait pouvoir, passé un certain âge, se reconvertir dans un emploi de bureau ou de service occasionnant un moindre effort physique.

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