LA PÉRÉQUATION DANS LE CADRE DE LA
NOTION FRANÇAISE DE SERVICE PUBLIC
ET D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE


M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines, président de la Commission des
Affaires économiques du Sénat

Monsieur le président, merci de m'accueillir.

Un modèle de service public en réseau s'est progressivement imposé en France. Son principe fondateur est l'égalité de traitement et d'accessibilité à l'ensemble des citoyens. Le maillage postal de l'ensemble du territoire, puis sa desserte ferroviaire l'ont incarné. Ce modèle appliquait une péréquation financière au sein de chaque réseau afin qu'il puisse être présent sur chaque partie du territoire. Ce maillage comprenait les régions dont l'isolement ou l'enclavement géographique ne permettait pas une couverture suffisante des coûts.

Cette péréquation financière a pris une forme essentiellement tarifaire. Il s'agissait de garantir le même prix pour le même service en tout point du territoire, quels que soient les coûts de production. La péréquation tarifaire des services en réseau est un corollaire de la notion d'égalité devant le service public. Il existe donc un lien très fort non seulement entre les notions de péréquation et aménagement du territoire, mais aussi avec celle de citoyenneté.

Ce modèle est à l'origine du prix unique du timbre en France ou de la tarification de la SNCF, de l'abonnement à la téléphonie fixe, ou du barème de la facture électrique et gazière. Expression de la solidarité et de la cohésion à l'échelle nationale, la péréquation implique des transferts de charge géographiques. Par exemple, les recettes de lignes à grand trafic permettent de doter des lignes déficitaires.

Cependant, ce principe connu depuis plus d'un siècle évolue. L'assouplissement de la péréquation peut être mis en oeuvre grâce au progrès technique. Des logiciels performants permettent désormais, par exemple, de calculer précisément les coûts horaires des consommations de téléphone. De plus, il est apparu que l'assouplissement de la péréquation des tarifs pouvait servir l'objectif d'efficience économique, en favorisant une répartition temporelle plus harmonieuse des prestations. Ainsi, des modulations tarifaires en fonction des plages horaires sont apparues depuis longtemps dans le domaine des communications téléphoniques, et plus récemment pour l'électricité. De même, les tarifs des TGV sont majorés pendant les périodes de trafic intense. Traduisant le jeu de l'offre et de la demande, ces modulations tarifaires ont permis d'orienter la consommation : nous avons donc bien déjà dérogé au principe de péréquation absolue.

Il faut, en outre, prendre en compte l'ouverture à la concurrence. Dans un premier temps, elle incite les opérateurs à réduire les écarts entre tarifs et coûts de leurs secteurs les plus exposés, et à relever les prix sur les secteurs non concurrencés. Ce comportement interdit les transferts de charges et peut, à terme, conduire à la fermeture du réseau dans ces zones non rentables. Ceci entraîne de lourdes conséquences pour l'aménagement du territoire, en accélérant le dépeuplement de certains territoires. Péréquation et concurrence semblent donc incompatibles.

Il est impératif de trouver des solutions pour garantir à nos citoyens l'accès au service public à des conditions tarifaires acceptables. D'autres formes de péréquation doivent être imaginées. Si la péréquation absolue est impossible, il faut définir pour chaque réseau le service garanti auquel chacun peut avoir accès pour un prix raisonnable, les éventuels écarts faisant l'objet de compensation par l'Etat ou les collectivités locales. D'autres systèmes peuvent être envisagés. Par exemple, en matière d'électricité, une taxe proportionnelle à la consommation d'énergie en kilowatt/heure est appliquée pour prendre en charge le surcoût lié à la production d'électricité dans les territoires insulaires.

Toute la difficulté est de déterminer les prestations relevant de ce service garanti et justifiant cette compensation. À cet égard, force est de reconnaître que le maintien à tout prix de la péréquation peut générer des effets pervers. Ainsi le maintien de tarifs de l'électricité artificiellement bas dans certaines régions isolées peut décourager le développement d'énergies renouvelables pour des territoires qui possèdent des atouts dans ce domaine. En outre, il est nécessaire que les populations acceptent de supporter certaines contraintes en contrepartie de leur connexion au réseau, comme l'installation d'infrastructures sur leur territoire.

Il convient, par ailleurs de considérer la possibilité de faire évoluer la forme des services en réseaux, lorsque la fermeture de structures peu fréquentées devient inévitable. Ainsi, assurer l'accès au service postal ne signifie pas le maintien d'un bureau de poste dans chaque village, et peut passer par l'implication d'autres acteurs locaux. Il ne faut pas confondre le maintien d'un service et celui de ses formes de délivrance.

Enfin, rappelons que la péréquation des services publics peut être réalisée à d'autres échelles que le territoire national. Les cas de la gestion de l'eau ou des transports urbains en sont des exemples. L'attention portée par les associations de consommateurs permet de limiter les dérapages des prix observés. Il n'en demeure pas moins que l'organisation de services en réseaux au niveau régional ou local ouvre de nouvelles possibilités de péréquation, qui permettent de prendre en compte de nouveaux critères, comme celui des ressources des usagers.

Les services publics en réseaux, de par leur vocation à l'égalité sur l'ensemble du territoire national, continueront à donner lieu à une certaine péréquation. Mais celle-ci devra s'adapter aux nouvelles exigences que sont la concurrence et la nécessité de l'efficacité. La péréquation doit être modernisée pour accompagner les évolutions de notre société.

M. Jean François-Poncet : Je remercie le sénateur Larcher d'avoir abordé la question du service public, qui ne figure pas dans l'enquête du Sénat, puisque celle-ci s'est concentrée sur la péréquation interdépartementale. La question du service public est néanmoins essentielle. Le sénateur Larcher nous annonce que la péréquation traditionnelle est en train de céder sous le poids de l'exigence de compétitivité qui résulte de l'ouverture des frontières, comme dans le cas de la poste. Cette compétitivité passera par la fermeture d'un certain nombre d'établissements et sera sans aucun doute très difficile à faire accepter.

Nous avons délibérément écarté ces problèmes dans le cadre du groupe de travail sur la péréquation car la tâche initiale que nous nous sommes assignée est déjà suffisamment complexe. Mais la transparence des explications du sénateur Larcher indique bien que nous serons amenés à aborder ce problème, dont la gestion sera extrêmement délicate. Je donne maintenant la parole à Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

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