IV. LA CULTURE : QUELLES SONT LES CONDITIONS DU MAINTIEN D'UNE IDENTITÉ ALIMENTAIRE ?

A. UNE MENACE À RELATIVISER

Dans l'introduction de cette étude, nous avons exposé les facteurs qui relient l'alimentation à l'identité culturelle des nations ou même des régions. Une des inquiétudes rémanentes - et déjà ancienne - de la société française est le risque d'un envahissement progressif de notre modèle alimentaire par une « mal bouffe » uniformisée dont les chefs de file traditionnellement cités sont deux marques provenant d'outre-Atlantique.

Sur ce point, plusieurs observations permettent de relativiser ce risque :

- la mondialisation des références alimentaires, que l'on peut constater aux gondoles de nos grands centres commerciaux, conduit à la diversification de l'offre . A titre d'illustration, aux rayons d'un supermarché on peut, si on le souhaite, acheter des cafés en provenance d'une quinzaine de pays différents. De même, la nourriture à emporter, qui s'est beaucoup développée ces dernières années, offre des choix variés qui ne se limitent pas aux hamburgers ;

- les grandes multinationales de l'agroalimentaire, qui pourraient être le vecteur d'une uniformisation de l'offre d'aliments, savent prendre en compte les caractéristiques des demandes locales ;

- l' attitude vis-à-vis de l'alimentation demeure très typée suivant les pays . Une enquête effectuée par un groupe de sociologues sur les modèles alimentaires de différents pays révèle :

- qu'un Américain va faire un rapport entre la façon de s'alimenter et sa responsabilité personnelle ;

- qu'un Allemand 76 ( * ) insistera sur l'éthique de production des aliments et sur les connexions alimentation-santé ;

- qu'un Français va insister sur la convivialité de l'alimentation et, à un moindre degré, sur la qualité des produits ;

- et qu'un Italien va développer un discours presque lyrique sur la qualité et l'authenticité du produit.

Soulignons également, pour nous en féliciter, que les appellations d'origine, les indications d'origines géographiques, les labels de qualité, qui sont la traduction de l'identité alimentaire, se multiplient au sein de l'Union européenne.

B. DEUX DOMAINES À SURVEILLER

Mais ce constat, somme toute optimiste, de la résistance des cultures à une tendance à l'uniformisation mondiale de l'alimentation, doit être tempéré. Car deux facteurs de ces identités culturelles doivent faire l'objet d'une certaine vigilance : les possibilités d'une mondialisation des différences et le maintien d'une transmission culturelle des liens avec l'alimentation.

1. La mondialisation des différences

La mondialisation des différences , qui permet de donner une assise mondiale aux particularismes culturels alimentaires, et donc d' opposer une offre alimentaire de diversité à une offre alimentaire d'uniformisation , fait, au sein de l'OMC, l'objet d'un débat entre l'Union européenne, qui défend les appellations et les indications des origines géographiques, et les Etats-Unis, partisans du caractère générique des produits et de la non protection des appellations. C'est un enjeu important.

A l'opposé, cette mondialisation des particularismes alimentaires peut être confortée par une initiative supportée, notamment en France, par l'INAO : « Origins ». Cette association a pour but de généraliser, au-delà des frontières de l'Union européenne, les appellations d'origine. Des transpositions à l'étranger de la procédure des AOC, par exemple en Chine, permettent d'imaginer une vision alternative de la mondialisation fondée sur le maintien des identités agroalimentaires.

2. La transmission culturelle de l'identité culinaire

La déstructuration des comportements alimentaires, que l'on a évoquée dans la première partie de cette étude, peut avoir des conséquences sur le maintien de nos traditions culturelles alimentaires.

Le changement progressif du rapport au temps alimentaire, la montée du taux d'activité des femmes sont autant de facteurs potentiels qui pourraient conduire à une rupture de la mémoire alimentaire .

Il n'existe pas, a priori , d'étude disponible sur les pratiques culinaires des familles sur plusieurs générations. Il serait possible d'aborder cette question par l'étude des ouvrages d'édition culinaire. Une première approche permet de marquer une opposition entre les bibles culinaires de nos grands-mères et les livres de recettes actuels, plus simplifiés, plus segmentés par types de recettes, plus internationalisés dans leur propos.

Mais est-ce une évolution, parallèle à celle de nos modes d'alimentation, ou la marque d'une première déperdition de mémoire culturelle ?

Il serait souhaitable, à cet égard, que les initiatives prises par certains chefs de cuisine de sensibiliser les élèves des écoles au goût des produits et aux données de leur préparation puissent être généralisées. Des actions de ce type seraient pertinentes au plus près du terrain, par exemple au niveau des bassins de populations, à condition d'être portées par les professionnels de l'alimentation et les élus.

* 76 A l'exception des ex-Allemands de l'Est qui sont désemparés par toute interrogation sur leurs choix alimentaires.

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