Audition de M. Günter Verheugen, commissaire européen,
par la délégation du Sénat pour l'Union européenne,
(12 novembre 2003)

Extraits du compte rendu

« S'agissant de la Turquie, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé en 1999 qu'elle pourrait devenir membre de l'Union européenne. Mais, comme les autres pays, elle doit respecter les critères politiques de Copenhague pour pouvoir engager les négociations d'adhésion, ce qui n'est pas encore le cas : démocratie réelle, État de droit, respect des droits de l'Homme et protection des minorités. Avant la fin de l'année 2004, la Commission présentera un rapport exhaustif sur le respect de ces conditions par la Turquie. Si les conclusions du rapport sont positives et si les chefs d'Etat et de gouvernements en décident ainsi, alors les négociations pourront être engagées. La Turquie a déjà réalisé des progrès impressionnants. Mais il existe encore un décalage important entre les réformes décidées et la réalité, notamment pour la torture, la protection des droits des minorités, les libertés d'expression et de rassemblement, etc. Il faut laisser à la Turquie le temps de remplir ces conditions. Si les pays membres décident d'engager les négociations, il faudra alors en envisager les conséquences pour le fonctionnement de l'Union européenne, notamment en matière de politique de sécurité et de défense car la Turquie a comme voisins des pays instables : Irak, Iran, Syrie. La question de la Turquie concerne aussi Chypre, qui sera membre de l'Union européenne à compter du 1 er mai 2004. S'agissant de Chypre, le plan des Nations unies pourrait être mis en oeuvre si chacun fait preuve de bonne volonté. La Commission estime qu'il y a un lien politique entre la demande d'adhésion de la Turquie et le règlement de la question chypriote. Il serait très difficile de faire comprendre à l'opinion publique européenne que nous pourrions nous engager dans des négociations avec un pays qui ne reconnaîtrait pas un autre pays membre et qui, de plus, y stationnerait des troupes.

[...]

Concernant la Turquie, celle-ci est membre associé de l'Union européenne depuis quarante ans. Elle est le seul pays avec lequel l'Union européenne a une union douanière. Déjà, il y a quarante ans, le traité d'association entre la CEE et la Turquie a reconnu à cette dernière une vocation à adhérer, à une époque où les nouveaux États membres n'envisageaient même pas d'appartenir à l'Europe ! En 1997, le Conseil européen de Luxembourg a décidé de prendre en compte la demande d'adhésion de la Turquie. Depuis cette date, la Turquie est un pays candidat. Elle a refusé la démarche particulière qui lui était proposée par le Conseil européen, à mi-chemin entre le partenariat et l'adhésion, considérant que cette démarche était discriminatoire à son égard. En 1999, le Conseil européen a alors accepté de lui accorder les mêmes conditions qu'aux autres pays candidats. Il s'agit là d'une procédure démocratique, dans la mesure où, à terme, une éventuelle adhésion de la Turquie devra être ratifiée par les parlements de chaque État après avis favorable du Parlement européen.

L'attitude des gouvernements à l'égard de la Turquie a d'ailleurs beaucoup évolué ces dernières années, surtout après les événements du 11 septembre 2001 qui ont changé les rapports avec le monde musulman. La coexistence entre le monde occidental et le monde musulman sera l'un des grands enjeux du XXIe siècle. L'intégration de la Turquie donnerait l'exemple d'un État musulman qui est une démocratie, qui fonctionne comme un État de droit selon les normes occidentales, qui peut protéger les minorités et garantir les droits de l'Homme. Mais, comme tous les autres pays, la Turquie doit remplir les conditions requises pour l'engagement des négociations d'adhésion. Si le Conseil européen, sur base du rapport de la Commission, reconnaît en 2004 que ces conditions sont remplies, les négociations pourraient alors s'engager en 2005 pour s'achever, au plus tôt, en 2011. D'ici là, la Turquie risque d'avoir beaucoup changé. Les gouvernements ont un rôle d'avant-garde à jouer pour convaincre leurs opinions publiques. Ce n'est pas celui de la Commission. Quant à offrir à la Turquie un statut spécial sur le modèle de celui accordé à la Norvège - comme le souhaitait le Parti populaire européen (PPE) -, il me semble que c'est une mauvaise solution qui, pour l'heure, n'est pas acceptée par les dirigeants turcs. N'oublions pas que c'est la perspective de l'adhésion qui a déclenché la dynamique des réformes politiques en Turquie. »

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