ANNEXES

Annexe 1 - Actes du colloque du 6 février 2004 127

Annexe 2 - Auditions 285

Annexe 3 - Mission Besançon 287

Annexe 4 - Mission Amérique du Nord 289

Annexe 5 - Mission Grenoble 293

Annexe 6 - Les nanobiotechnologies 295
Sciences Physiques n° 4 - Juin 2003
Ambassade de France aux Etats-Unis
Mission Scientifique et Technologique

ANNEXE 1

ACTES DU COLLOQUE DU 6 FÉVRIER 2004

Office parlementaire d'évaluation

des choix scientifiques et technologiques

Nanosciences et médecine

du XXIe siècle

Colloque organisé
par MM. Jean-Louis Lorrain et Daniel Raoul, sénateurs

Débats animés

par M. Alain Cirou, consultant scientifique à Europe 1

Salle Clemenceau - Palais du Luxembourg

INTRODUCTION 131

- M. Daniel RAOUL,
Sénateur, membre de l'OPECST
- M. Jean-Louis LORRAIN,
Sénateur, membre de l'OPECST
- M. Alain CIROU, Consultant scientifique à Europe 1



COMMENT DÉFINIR LES NANOSCIENCES ? 137

- M. Jean-Louis PAUTRAT,
Conseiller technique MINATEC - CEA Grenoble

PREMIÈRE TABLE RONDE : L'ÉTAT DES RECHERCHES

Introduction 153
- M. Jean-Marc GROGNET,
Direction de la Recherche
technologique - CEA

Les nanosciences pour mieux voir : in vivo (imagerie) 157
- M. Jean-Paul DURAND,
Given Imaging France

Les nanosciences pour mieux voir : in vitro (biopuces) 163
- M. Jean ROSSIER,
ESPCI - CNRS

Les nanosciences pour mieux soigner :

La vectorisation des médicaments 169
- M. Elias FATTAL,
Centre d'études pharmaceutiques,
Université Paris-Sud

Les nanosciences pour compenser les déficits :

Ingénierie tissulaire de la cornée 175
- M. David HULMES,
Institut de biologie et chimie des protéines,
Université Claude Bernard - Lyon 1 - CNRS

DEUXIÈME TABLE RONDE : LES ENJEUX ÉCONOMIQUES

Introduction 197
- M. Renzo TOMELLINI,
Chef d'unité nanosciences et nanotechnologies, Direction générale de la recherche, Commission européenne

Le point de vue d'une start-up 203
- M. Marc CUZIN, APIBIO

Les études de marché 211
- M. Pascal BOULON,
Yole Développement

Le financement 215
- M. Bernard DAUGERAS,
Auriga Partners

TROISIÈME TABLE RONDE : LES CONSÉQUENCES SOCIALES

Introduction 235
- M. Jean-Louis LORRAIN,
Sénateur
- Mme Christiane SINDING,
Cermes - Centre CNRS Villejuif

Les préoccupations éthiques et environnementales 243
- M. Douglas PARR,
Direction scientifique Greenpeace

L'acceptabilité sociale 249
- M. Louis LAURENT,
CEA

La nécessité de formations interdisciplinaires 259
- M. Bertrand FOURCADE,
Université Joseph Fourier, Grenoble

L'information des citoyens (« Nanomonde 2005 ») 265
- M. Laurent CHICOINEAU,
CCSTI, Grenoble

INTRODUCTION

M. Daniel RAOUL

Sénateur,

Membre de l'Office parlementaire d'évaluation

des choix scientifiques et technologiques

Mesdames, Messieurs, tout d'abord je vous souhaite la bienvenue au Sénat.

En compagnie de mon collègue Jean-Louis LORRAIN, nous sommes heureux aujourd'hui de vous accueillir aujourd'hui dans le cadre d'un colloque sur les nanotechnologies et la santé.

C'est une commande de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques qui a été faite sur saisine du bureau du Sénat. Nous avons été presque commis d'office, si j'ose dire, excusez-moi cette expression, parce que nous avions déjà un rapport sur la téléphonie mobile et la santé, sujet qui a donné lieu à certains débordements médiatiques.

Mon collègue, Jean-Louis LORRAIN, est de formation médicale et moi-même, personne n'est parfait, je suis physicien.

Les nanotechnologies, à mon avis, sont au croisement de multiples disciplines et c'est l'interdisciplinarité qui gouvernera l'avenir dans ce domaine-là.

Concernant ce colloque, plusieurs thèmes vont être abordés. D'abord, l'état des lieux et des recherches, ensuite, les enjeux économiques associés. A mon sens, c'est l'un des axes stratégiques de la guerre économique mondiale, soit avec le bloc asiatique soit avec les USA ; en tout cas, c'est un enjeu stratégique pour l'Europe si elle veut exister dans ce domaine-là.

Le point qui sera ensuite traité, je laisserai à mon collègue Jean-Louis Lorrain le soin d'aborder ce domaine pour lequel il est plus sensible par formation et par contact avec ses anciens patients, ce sont les problèmes d'acceptabilité de ces progrès. Nous l'avons mesuré déjà dans le rapport « téléphonie mobile et santé » et ce n'est pas neutre.

J'ai fait partie d'une mission d'information sur les OGM et j'ai bien senti aussi l'écart qu'il y avait entre les scientifiques et la population ; on pourrait faire tout un discours sur cet écart.

Il y a certainement de l'irrationnel, du rationnel, mais sans doute la communauté scientifique elle-même a eu quelques défauts, c'est le moins que l'on puisse dire, de non-communication, peu importe les termes qu'on met derrière ceci.

En tous les cas, que ce soit l'affaire du sang contaminé, celle de la vache folle ou le problème de Tchernobyl, cela n'a fait que creuser l'écart entre la communauté scientifique et la population.

Concernant les progrès de la science, on a effectivement un écart qui ne fait que s'agrandir. Ce qui me préoccupe le plus, dans une civilisation qui devient de plus en plus scientifique et technologique, c'est la désaffection des étudiants concernant les études scientifiques. Mais c'est un autre débat sur lequel on pourrait, là aussi, passer des heures.

Je voudrais simplement saluer la présence d'Alain CIROU qui nous fait l'honneur et le plaisir d'animer bénévolement ce colloque. Merci Alain CIROU.

Je passe la parole à mon collègue Jean-Louis LORRAIN.

Ah, j'oubliais ! Je viens d'évoquer le problème de la désaffection des jeunes dans le domaine scientifique et technique et je voudrais saluer la présence d'élèves du Lycée international de Saint-Germain-en-Laye. Excusez-moi de cet oubli, mesdames et messieurs les élèves et leurs professeurs.

M. Jean-Louis LORRAIN

Sénateur,

Membre de l'Office parlementaire d'évaluation

des choix scientifiques et technologiques

Vous avez bien compris que, devant la qualité des intervenants qui sont devant vous, nous serons modestes.

M. Raoul et moi-même remercions à l'avance tous les participants qui donnent une certaine image de la réflexion qui peut être menée au niveau du Sénat.

Lorsqu'on nous a proposé de travailler sur le secteur des nanobiotechnologies, nous avons eu un peu l'impression de partir en mission tous les deux, et entrer dans un nouveau monde.

C'est vrai que face à l'engouement, à l'excitation intellectuelle, aux éventuels effets de mode... nous devons un peu nous freiner. Nous devons être vigilants afin d'éviter les effets de « bulle » que nous avons malheureusement connus récemment dans d'autres secteurs.

Il est donc indispensable que nous travaillions très en amont de manière à remplir notre rôle de politiques, c'est-à-dire au sens noble du terme, de nous trouver à mi-chemin entre les experts et les citoyens.

L'utilité de notre mission est de débusquer les grands sujets très en amont, de façon à pouvoir mobiliser le savoir et ensuite les expliquer.

Pour la partie qui me concerne plus spécifiquement, l'acceptation sociale, je crois que c'est à nous de mieux définir, de mieux expliquer les risques de façon à éviter ces fausses peurs que l'on rencontre vis-à-vis de la science. Je crois que c'est là aussi notre mission.

L'autre aspect qui nous semblait important, c'est d'avoir une approche éthique du sujet même si nous sommes très en amont des applications concrètes.

J'ai pu mobiliser le Comité national d'éthique où, très modestement, je représente le Sénat. Le Comité national d'éthique a décidé de créer un groupe de travail sur les problèmes d'éthique concernant les nanobiotechnologies où des personnes telles que Mme CANTO-SPERBER, telles que le professeur SICARD, sont vraiment très intéressées par ce sujet. Je crois que ces réflexions viendront en complément de ce que vous pourrez tous nous apporter ce jour.

Anticiper sur les grandes questions, les grandes interrogations nous aidera à éliminer les fausses peurs de façon à faire progresser la science mais, surtout la centrer sur la personne. Merci.

M. Alain CIROU

Consultant scientifique à Europe 1

Merci, Messieurs les sénateurs. Je voudrais juste donner un petit point de méthodologie sur la façon de fonctionner cet après-midi.

D'abord vous remercier et rebondir un tout petit peu sur le débordement dont vous parliez puisque je pense que, dans les médias, qui sont des loupes aujourd'hui à destination de la société, si les débordements existent c'est que les fantasmes existent aussi chez ceux qui sont chargés d'éclairer les autres.

Donc, pour moi, il est du « devoir », même si le mot est un peu grand, d'essayer de comprendre quels sont les débats et les enjeux entre la science mais aussi l'industrie, tous les pouvoirs en présence, pour éclairer ces grands débats, et les nanotechnologies en font partie. Ça, c'était pour vous remercier de votre invitation et rebondir un peu sur ce fantasme.

La ponctualité étant la qualité des princes, on va essayer d'être assez princiers dans cette assemblée en respectant les temps de parole. J'ai demandé à chacun des intervenants de se présenter et d'intervenir pendant dix minutes maximum pour pouvoir exposer sa présentation et permettre cette discussion avec vous, avec la salle, et même entre les intervenants.

Je voulais démarrer par Jean-Louis PAUTRAT qui, pour nous, dans les domaines médias, est peut-être la personne qu'on a tout de suite la plus attrapée pour nous expliquer ce qu'étaient les nanotechnologies, simplement parce qu'il est l'auteur d'un livre qui est sorti assez récemment, qui s'appelle « Demain, le nanomonde » dans lequel il conduit l'effort de mettre à disposition des personnes curieuses l'information scientifique en présence, sans rien cacher et des interrogations et des fantasmes et des développements possibles, dans un contexte où l'on a vu aussi encore assez récemment un certain nombre de livres. Et vous me permettrez de sortir un peu du domaine scientifique pour parler, par exemple, du livre de Michael CRICHTON qui exprime cette grande peur de l'infiniment petit qui viendrait un jour manger l'infiniment moyen, sous-entendu l'homme...

Avant tout débat et avant toute discussion sur la première table ronde consacrée à l'état des recherches, je remercie Jean-Louis PAUTRAT qui travaille au Commissariat à l'énergie atomique à Grenoble pour MINATEC (Micro et nanotechnologies) de nous faire cet exposé, bref mais dense et concis, de définition des nanosciences. Merci.

Comment définir les nanosciences ?

M. Jean-Louis Pautrat

Conseiller technique MINATEC - CEA, Grenoble

Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs.

Merci de cette introduction. Je remercie les organisateurs d'avoir bien voulu mettre un point d'interrogation dans le titre de la présentation, ce qui montre qu'il n'est pas si sûr que ce soit très facile de définir les nanosciences.

On va essayer de faire quelques pas dans cette définition pendant les dix minutes où je vais parler.

Pourquoi parle-t-on de nanosciences depuis une quinzaine d'années ? Parce qu'on parle aussi de nanotechnologies. Ce sont peut-être les deux versants d'une même approche des objets tout petits. Donc, s'il n'y avait pas de nanotechnologies, il n'y aurait pas de nanosciences parce que les nanosciences sont en fait un regard sur les sciences disons traditionnelles - la physique, la chimie, la biologie, etc. - mais vues par le prisme, par l'ouverture qu'apportent les technologies.

Je vais articuler ma présentation sur trois points, très brièvement.

1. D'abord nanosciences et technologies, on l'a vu.

2. Ensuite deux approches complémentaires vers les petits objets, donc à la fois vers les sciences et les technologies.

3. Enfin, puisque c'est la découverte, l'innovation, qui nous intéressent ici, quelques pistes pour articuler au mieux ces domaines que sont la science, la technologie et les applications.

D'abord un petit tour dans l'échelle des dimensions. On parle de nanomètre. Le nanomètre, c'est tout en bas de l'échelle, c'est un milliardième de mètre. Nous avons, de part et d'autre de cette échelle, des objets du vivant, les plus gros étant en haut et les plus petits en bas, puis des objets artificiels (cf. rapport p. 9)

On va s'intéresser au domaine nettement en dessous du micron, c'est-à-dire de 100 nm à 1 nm. Pour fixer les ordres de grandeur, il est important de rappeler qu'un atome, c'est à peu près 0,3 nm (donc, dans 1 nm, on va mettre 3 atomes) et un cube ou une sphère de 2 ou 3 nm de diamètre, c'est déjà 1.000 atomes.

Il est intéressant de se rappeler que le nanomètre, ça sera vraiment l'échelle ultime. On ne fera pas des objets bien plus petits que ça.

Quand on parle de nanotechnologies, c'est vraiment toute une espèce d'ambition d'aller faire les objets les plus petits que l'homme ne pourra jamais fabriquer dans le monde qui est le nôtre.

Les objets du vivant -les organismes vivants, bien sûr, dépassent le nanomètre, même le centimètre ou le mètre- mais disons que les petits organismes, les cellules, vous avez ici un globule rouge, ont des dimensions de 2 à 5 nm. Les cellules, c'est à peu près cet ordre de grandeur-là.

Par contre, quand on va aller voir un brin d'ADN, le diamètre n'est plus que de 1 ou 2 nm... Donc, on arrive dans des dimensions entre le micron et le nanomètre.

En face, ce qui est intéressant, c'est de voir que les objets artificiels que l'on sait fabriquer couvrent toute cette échelle, bien sûr. On commence à parler des objets de la microélectronique : le circuit intégré qu'il y a dans les ordinateurs, c'est 1 cm 2 . Les microsystèmes, vous avez ici l'exemple d'un capteur de pression, c'est 1/2 mm dans toutes ses dimensions, en gros. Egalement, on a des circuits de plus en plus petits, maintenant, des transistors qui vont ne plus faire que quelques nanomètres dans leurs dimensions les plus petites et des objets que l'on sait fabriquer qui sont à l'échelle nanométrique.

Donc on voit déjà qu'il va y avoir un rapprochement possible, une interaction possible entre ces objets que l'on fabrique, qui sont micrométriques ou submicrométriques et puis, peut-être, le monde du vivant. C'est une première constatation importante pour le colloque d'aujourd'hui.

Donc, les technologies, je vais d'abord dire un mot sur ces technologies, où elles nous amènent actuellement.

Vous avez l'image d'une tranche de silicium de 300 mm de diamètre. Cette tranche porte des microprocesseurs. Un microprocesseur c'est déjà quelque chose d'extrêmement complexe qui comporte 50 millions de transistors.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Les technologies, maintenant, permettent de fabriquer ces millions et milliards de transistors simultanément, avec un très grand rendement et en assurant une fabrication collective, donc la garantie d'un coût de revient très bas.

Ça, c'est l'état actuel des choses. On est dans ce qu'on appelle une course à la miniaturisation que j'évoque ici. Cette course à la miniaturisation nous dit qu'on va continuer encore dans la fabrication d'objets de plus en plus petits.

Si on parle de dimensions, on a ici un diagramme qui indique la taille des transistors : parti d'à peu près 1 micron, la plus petite dimension dans les années 90, maintenant, on est en dessous de 100 nm. Et les projections disent qu'on va bientôt aller vers 50, 40, 30, voire 20 nm. Donc, la course à la miniaturisation, la réalisation d'objets nanométriques, c'est quelque chose qui réellement va voir le jour.

En même temps que l'on fait plus petit, on ne fait pas plus petit pour le plaisir, on le fait aussi pour faire plus complexe, plus puissant. On sait bien que les ordinateurs sont de plus en plus puissants.

Il y a une autre courbe qui donne le nombre de transistors qui sont rassemblés sur chaque microprocesseur. On retrouve le chiffre de 50 millions que j'ai donné avant mais on sait que, dans quelques années, dans cinq ans, on sera à 500 millions de transistors. Donc le milliard de transistors dans notre microprocesseur ou dans notre téléphone portable, c'est pour demain.

Qu'est-ce qu'on va faire avec tout ça ? Pour l'illustration, j'ai montré le premier transistor qui, en 1947, dans un morceau de germanium, faisait 1/2 cm de dimension, en gros, alors que maintenant, dans les transistors qu'on est capable de fabriquer, la plus petite dimension va être seulement de 5 nm. Donc un million de différence de taille, d'échelle. En l'espace de cinquante ans, voilà à peu près ce qui s'est passé. C'est effectivement considérable (cf. rapport p. 11)

Comment va-t-on avancer vers la microélectronique du futur ? On va avancer par, d'une part la miniaturisation qui est ce qu'on appelle l'approche Top-Down, c'est-à-dire qu'on part du haut, on part des grandes dimensions, on part d'une grande tranche de silicium, vous l'avez vu, et on va faire dedans des tout petits motifs.

Ça, c'est la première composante de l'approche et pas seulement avec cette miniaturisation. On va aussi chercher à introduire des fonctionnalités nouvelles. C'est ce que cette figure veut présenter : sur une puce qui est une puce symbolique, on a représenté les apports qui vont être ceux du magnétisme, ceux de l'optique ou ceux des nouveaux concepts de la physique quantique.

Je ne vais pas commenter plus là-dessus, je veux surtout dire qu'il y a une autre approche qui va être l'approche dite du bas vers le haut, Bottom-Up, et qui va chercher à fabriquer des objets nanométriques.

On va en voir quelques exemples, les nano-tubes de carbone, par exemple, ou des grains nanocristallins et, ces objets, on va chercher à les assembler, à les utiliser.

Pourquoi faire ça ? Parce qu'on sait que la miniaturisation, découper des tout petits motifs dans des tranches très grandes, ça devient très difficile et très coûteux. Donc il peut y avoir, peut-être, des nouvelles approches, et on va voir qu'elles peuvent être extrêmement riches.

A ce stade-là, qui est l'état admis du développement des possibilités dans les technologies et la microélectronique, on peut se demander, dans les sciences du vivant, pour la médecine du XXI e siècle, si on va avoir une démarche comparable.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

J'ai introduit les objets qui sont des utilisés pour l'étude du vivant, pour soigner ou pour analyser, qui sont réalisés par des techniques de miniaturisation de microélectronique ou par des techniques d'assemblage, donc les techniques Bottom-Up.

On va en faire le tour très rapidement, voir un exemple de laboratoire sur puce et les présentations suivantes illustreront bien sûr tout cela : un capteur de pression que l'on peut intégrer dans un petit implant pour mesurer la pression à l'intérieur des poumons ou voir dans l'oeil d'une personne, une pompe à insuline qui peut être implantée pour injecter en cas de besoin des doses parfaitement calibrées d'insuline et puis un réacteur qui est un élément du labo sur puce et qui permet de mélanger les protéines, les faire circuler autour d'enzymes et permettre leur dégradation de façon contrôlée.

Voilà des petits objets fabriqués avec les techniques principalement de la microélectronique mais aussi de la microfluidique, etc., et qui vont contribuer aux sciences du vivant.

Mais on va aussi savoir faire des objets tout petits, par assemblage, à partir d'atomes ou à partir d'éléments très fins et qui vont avoir leur utilité. J'ai représenté ici des nanotubes de carbone. Ce sont des objets issus de la synthèse du carbone dans un arc électrique ; des technologies qui sont assez simples mais qui fabriquent des espèces d'aiguilles extrêmement fines et aux propriétés multiples. On envisage, par exemple, de s'en servir comme micro-nanoélectrodes pour implanter dans des terminaisons nerveuses ou dans le cerveau et avoir accès au signal d'un seul neurone.

Un autre exemple, celui des nanocristaux qui peuvent être des marqueurs fluorescents. Ce sont des grains de 2, 3, 4 nm qui vont avoir une couleur spécifique et qu'on peut accrocher à de l'ADN, introduire dans une cellule, etc., pour toutes sortes d'applications.

La complémentarité des approches Bottom-Up et Top-Down va certainement rester d'actualité dans ce nouveau domaine des nanotechnologies appliquées à la médecine.

J'ai repris ici la liste de ces objets qui sont dans l'approche par le haut ou l'approche par le bas : les microsystèmes à application biologique, les capteurs - pour mettre dans l'organisme, pour déterminer toutes sortes de paramètres,  on a vu la mesure de pression mais c'est également des tas d'autres choses -, des pompes, des micro-aiguilles, les biopuces, labos-puces (les présentations donneront des vues plus détaillées là-dessus), des nanocapsules pour emballer une substance active et lui permettre de pénétrer dans l'organisme et d'aller jusqu'à l'organe cible sans dégradation, des nanoélectrodes pour prendre des mesures de signaux électriques ou envoyer des signaux électriques, les moteurs organiques - je n'ai pas évoqué ça, mais on sait très difficilement fabriquer des moteurs miniaturisés ; par contre, on sait utiliser des moteurs du vivant et les exploiter d'une certaine façon.

Je crois qu'il faut que je termine. J'en arrive maintenant à cette dernière partie.

Il est sûr que les nanosciences, en relation avec les nanotechnologies, permettent d'écrire un nouveau chapitre des sciences. Ce chapitre sera bien écrit si l'on sait ménager une transdisciplinarité parce que les distinctions entre disciplines n'ont plus de raisons d'être quand on est à ces dimensions-là. Donc mélanger les disciplines, un lien très fort avec les technologies et savoir organiser un passage rapide du laboratoire vers l'application.

Je ne veux pas terminer sans montrer cette spirale qui est inspirée d'une image de M. Claude COHEN-TANNOUDJI récemment, qui montre que la création, l'innovation, se fait par un cheminement en spirale des interrogations fondamentales vers des idées d'application, vers des mises en oeuvre technologiques et avec un retour, ça c'est le point très important. Il n'y a pas de sens unique, ce n'est pas uniquement en partant de la science fondamentale qu'on va vers des applications et puis après plus rien, non, c'est une spirale où on revient, on génère de nouvelles interrogations.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Je crois que l'échange entre les différentes composantes de la science et de l'innovation doit être maintenu vivant dans les deux sens pour ces raisons-là. C'est ma conclusion, je ne veux pas être plus long, je vous remercie de votre attention.


M. Alain CIROU

Merci, M. PAUTRAT, de nous avoir montré, pour paraphraser le physicien Richard FEYNMAN, « toute la place qu'il y a en bas » et la façon d'y accéder que ce soit du bas vers le haut.

Je vous propose d'entamer la première table ronde et de nous poser la question de savoir quel est aujourd'hui l'état de la recherche.

Je demande donc à M. Jean-Marc GROGNET, de la direction de la Recherche technologie au CEA, à la fois d'introduire cette table ronde, de se présenter et, pendant dix minutes, de nous en donner les enjeux.

PREMIÈRE TABLE RONDE

L'ÉTAT DES RECHERCHES

Introduction de

Jean-Marc Grognet

Direction de la Recherche technologique - CEA

Les nanosciences pour mieux voir (in vivo - in vitro)

Jean-Paul Durand

Given Imaging France

Jean Rossier

ESPCI - CNRS

Les nanosciences pour mieux soigner :

la vectorisation des médicaments

Elias Fattal

Centre d'études pharmaceutiques, Université Paris-Sud

Les nanosciences pour compenser les déficits :

Ingénierie tissulaire de la cornée

David Hulmes

Institut de biologie et chimie des protéines,

Université Claude Bernard - Lyon 1 - CNRS

L'état des recherches

INTRODUCTION

M. Jean-Marc GROGNET

Direction de la Recherche technologique - CEA

Merci, Monsieur CIROU, rassurez-vous, je serai bref. Et afin d'être encore plus bref, je n'ai pas prévu de transparents.

Je voudrais remercier Messieurs Raoul et Lorrain de me donner le redoutable privilège de lancer la première table ronde sur la nanomédecine et particulièrement l'état de l'art.

Effectivement, c'était certainement important de démarrer cet après-midi par un état de l'art, montrer ce qui était le passé, c'est un passé assez court, ce qu'était le présent réellement et ce que pourrait être le futur en sachant que, là encore, il y a certainement différentes échelles dans le futur comme il y a différentes échelles dans la physique.

Je verrais peut-être, pour parler des nanobiotechnologies ou de l'application des nanotechnologies au vivant, deux moteurs.

Le premier moteur, c'est la convergence dans les tailles. Il faut être conscient que, bien que je sois indubitablement de taille macroscopique - bien que j'ai fait des efforts ces derniers temps pour l'être un peu moins - tout ce qui se passe chez moi est à l'échelle microscopique, voire inférieure : le sang qui circule, circule dans des capillaires qui sont de taille micrométrique ;  les bronches finissent par des bronchioles qui sont de taille micrométrique dans lesquelles circulent, pour les capillaires en tout cas, des cellules rouges.

Toutes les cellules de l'organisme sont de taille micrométrique et, à l'intérieur de ces cellules, il y a des compartiments et c'est là vraiment où se passent les réactions chimiques, des compartiments de taille nanométrique, ce sont des nanolitres ; c'est ce qui permet, je ne rentrerai pas aujourd'hui dans la démonstration, de réagir vite. Il est clair que, lorsque l'on se brûle, on a intérêt à réagir en un dixième de seconde. On n'a pas le temps de réagir dans des volumes qui sont de la taille d'une piscine.

Donc, première chose, on est dans une convergence de tailles. Même les agresseurs sont de taille nanoscopique : un virus de la grippe fait 100 nm. C'est une remarquable adaptation du concept de vectorisation puisque, pour vectoriser l'acide nucléique contenu dans le virus, il est enrobé dans une capsule qui comporte des protéines qui permettent de mieux pénétrer, de mieux agir dans la cellule et de mieux se reproduire.

Donc première convergence, une convergence de tailles.

Un deuxième moteur, je le dirais volontiers, c'est la jalousie. La jalousie des biologistes de voir ce qui a été fantastiquement fait au cours des trente ou quarante dernières années dans le domaine de la technologie et des micronanotechnologies, M. Jean-Louis PAUTRAT l'a montré, la réduction fantastique de taille dans les transistors, ce qui permet surtout d'avoir beaucoup plus d'informations, beaucoup plus rapidement.

On peut rêver, effectivement, les biologistes le savent, vous l'avez tous expérimenté lors d'un prélèvement sanguin, on le redoute tous parce que ce prélèvement sanguin, il est loin d'être microscopique, tout ça pour déterminer un, deux ou trois paramètres biologiques.

Peut-être deux enjeux aujourd'hui pour l'avenir.

Premièrement, mieux connaître le vivant. La fin du XX e siècle nous a montré qu'il y avait à peu près 30 000 gènes dans l'organisme. Ces 30 000 gènes vont peut-être donner 300 000 protéines différentes dans l'organisme. Aujourd'hui, on connaît la structure tridimensionnelle d'à peu près 3 000 protéines. Donc vous voyez qu'il nous en manque 297 000...

Sur l'ensemble de ces protéines, la cible pour des médicaments c'est à peu près 300. Donc vous voyez que, là encore, on peut rêver de connaître les 299 700 manquantes. Et on peut penser que, au travers des nanotechnologies, je pense que des présentations le montreront, on peut avoir des espoirs d'aller plus vite de ce point de vue-là.

La deuxième application dont je parlerai, ce sont les médicaments. Aujourd'hui, vous savez que, pour sortir un médicament, l'industrie pharmaceutique va synthétiser des centaines de milliers de composées et en éliminer de très nombreuses, tout ça pour en retenir une. Il est évident que c'est extrêmement consommateur de temps, consommateur d'énergie. On peut penser que, au travers des nanotechnologies, on pourrait avoir des outils qui permettraient d'aller là encore plus vite.

La table ronde s'est organisée assez naturellement autour de trois thèmes qui s'enchaînent presque logiquement dans le temps.

Le premier, c'est mieux voir, mieux diagnostiquer. Comment les nanotechnologies peuvent aider à mieux diagnostiquer des maladies, mieux connaître des événements biologiques ?

Quand on a mieux diagnostiqué, on peut penser mieux soigner. Ce sera la deuxième partie de cette table ronde : comment on peut envisager avec les nanotechnologies mieux soigner, mieux délivrer des médicaments. Le pharmacien que je suis sait que, bien souvent, la façon de donner vaut mieux que ce que l'on donne et donc on peut éventuellement rêver que de meilleures façons d'administrer des médicaments permettraient d'administrer de façon très utile des médicaments qui ont été abandonnés en cours de route pour différentes raisons.

Mieux voir, quasiment c'est du présent. Vous aurez de nombreux exemples qui montreront que, aujourd'hui, il y a des produits, il y a des outils qui existent réellement.

Mieux soigner, c'est quelque chose qui est en cours. De nombreuses recherches sont en cours et on peut penser que, dans les années qui viendront, des choses déboucheront.

Troisième application, c'est qu'effectivement on ne peut pas toujours soigner et on peut penser que les nanotechnologies auront une utilisation pour mieux compenser les déficits. Sans entrer dans la science fiction, on peut penser que ce sont des choses qui seront montrées à l'horizon d'une dizaine, d'une quinzaine d'années.

Voilà, c'était ce que je voulais lancer en préambule de cette table ronde. Je vous repasse la parole.

M. Alain CIROU

Merci. Juste une petite chose : pourquoi le CEA et ce que vous faites ?


M. Jean-Marc GROGNET

C'est une question redoutable. Pourquoi ? Pourquoi pas ? Non... Premièrement, il faut savoir que, pour des raisons diverses, dès le début de sa création le CEA s'est intéressé à la biologie. Il faut voir que, aujourd'hui, il y a plus d'un millier de chercheurs en biologie au CEA.

Ça a été un voeu de Frédéric Joliot à la création même du CEA, c'est-à-dire à quoi peut servir cette radioactivité, cette radioactivité artificielle... Je ne vais pas alourdir le débat très longtemps pour expliquer pourquoi mais, très naturellement, la biologie a été présente au CEA.

Deuxième point, toujours dans cette notion de convergence, il y a une deuxième raison. Le CEA, depuis une trentaine d'années, a lancé des programmes dans le domaine de la microélectronique qui ont naturellement débouché dans le domaine des nanotechnologies.

Vous l'avez cité tout à l'heure, Jean-Louis PAUTRAT est issu d'une structure qui s'appelle MINATEC (Micro et nanotechnologies). Il est logique que, la biologie existant, les nanotechnologies et microtechnologies existant, on ait envie de faire converger les deux sur place avant de les faire converger au niveau nanoscopique.


M. Alain CIROU

Merci, Jean-Marc GROGNET.

Je vous propose de passer à la première partie de cette première table ronde consacrée aux nanotechnologies pour mieux voir et mieux diagnostiquer avec un premier intervenant, Jean-Paul DURAND, à qui je demande aussi de se présenter et de tenir, si possible, son temps de parole. Merci.

Les nanosciences pour mieux voir

IN VIVO (IMAGERIE)

M. Jean-Paul DURAND

Given Imaging France

Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, je vous remercie infiniment de m'avoir invité à participer à ce colloque.

Je vais vous présenter une application, sur le thème de mieux voir, d'un système d'imagerie qui est aujourd'hui utilisé et je voudrais vous présenter un petit peu son histoire.

Je m'appelle Jean-Paul DURAND. La société Given Imaging est une société israélienne que l'on peut considérer comme étant le modèle exact d'une start-up puisque cette société s'est constituée il y a seulement cinq ans sur un projet de recherche et de développement puis de mise en commercialisation d'un système de miniaturisation d'imagerie qui consiste à investiguer le tractus digestif.

Notre terrain d'application est donc l'appareil digestif. Vous savez qu'il est composé d'un certain nombre de segments : l'oesophage, l'estomac puis, après l'estomac, le duodénum et une première partie de l'intestin qui s'appelle l'intestin grêle, qui mesure 6 à 7 m - cela est important parce que c'était une boîte noire, une zone du tractus digestif qu'on ne pouvait pas visualiser d'une manière endoscopique. Puis enfin, le côlon, qui est la dernière partie de l'intestin et qui se termine par le rectum et l'anus.

Comment on visualise et comment on visite l'appareil digestif aujourd'hui ? Avec une technique qui est bien connue, qui s'appelle l'endoscopie. Un endoscope c'est une sonde, c'est un appareil qui permet d'atteindre par les orifices naturels un certain nombre de ces segments du tractus digestif qui embarquent des systèmes optoélectroniques qui restituent une image et qui, bien entendu, permettent donc de faire un diagnostic basé sur l'observation de ces images de la muqueuse.

Un endoscope, c'est une sonde. Ça mesure 7 à 8 mm de diamètre et ça peut aller jusqu'à 13 à 14 mm ; ses longueurs sont adaptées à la cible. Il est évident qu'un appareil qui va devoir aller visiter tout le côlon va être beaucoup plus long et plus gros qu'un appareil qui va juste être destiné à visualiser l'estomac.

Pour le grêle, justement, on avait un problème majeur qui est la longueur puisque pour aller dans le grêle qui fait à peu près 7 m, vous pouvez imaginer la longueur de l'endoscope qu'il fallait pouvoir concevoir.

C'était un peu le type d'examen qui pouvait être pénible, où il fallait introduire l'endoscope par voie nasale chez le patient et, ensuite, attendre que cet endoscope, tiré par le péristaltisme intestinal, progresse. C'est un examen qui pouvait durer quatre à cinq heures. Vous pouvez imaginer qu'on pouvait difficilement reproduire ce type d'examen chez des patients.

Là, intervient cette innovation technologique. Je ne suis pas au niveau des dimensions dont on parlait il y a encore quelques instants ; nous sommes, nous, dans une miniaturisation. Il s'agit d'une gélule et cette gélule va être une navette qui va réaliser un film à l'intérieur du tractus digestif et sa première mission est d'explorer le grêle.

Dans ma présentation, je vais vous expliquer en quoi consiste cette capsule endoscopique, ce qu'elle intègre comme technologie, également comment on réalise un examen, c'est important que vous le sachiez et puis, c'est d'ailleurs dans les thèmes des autres tables rondes, de la difficulté par moment de prendre en compte les enjeux économiques liés à la mise en place de cette nouvelle technologie dans le monde de la santé. Et je vous assure que ça, ce sont aussi des challenges extrêmement importants.

Le premier élément important qu'il y a dans la capsule, c'est l'imageur, on en a vu tout à l'heure une illustration, c'est un capteur CMOS ; ce sont ces semi-conducteurs qui vont transformer l'énergie photonique en énergie électronique et donc qui vont permettre de fabriquer l'image.

Dans une capsule, dans une gélule, on va donc trouver un certain nombre d'éléments nécessaires. On va trouver le système d'illumination parce qu'il faut qu'on embarque de la lumière - à l'intérieur du tractus digestif, c'est obscur, il nous faut donc un certain nombre de diodes électroluminescentes qui sont au nombre de six et qui vont nous donner l'éclairage nécessaire.

On va avoir, comme dans tout système optique, la nécessité de disposer d'un objectif, comme sur un appareil photographique ou une caméra et, derrière l'objectif, le fameux imageur qui va être le système de fabrication de l'image électronique.

Au centre de la capsule, l'énergie nécessaire : ce sont deux petites batteries à l'oxyde d'argent qui vont donner une autonomie d'environ dix heures au dispositif.

Enfin, à la partie arrière de notre gélule, deux éléments extrêmement importants : un circuit électronique qui est un émetteur de télévision numérique et son antenne d'émission.

Le système va fonctionner de la manière suivante : au rythme de deux images/seconde, on va capter ces images, les encoder sous forme d'un fichier électronique, donc numérique, bien sûr, et sur 434 MHz et via l'antenne, on les envoie vers l'extérieur.

Le système, pour fonctionner, a besoin de trois éléments. Bien entendu la capsule mais, pendant qu'elle fonctionne, il va falloir récupérer ces fameuses images qui sont émises. C'est réalisé de la manière suivante : le patient a sur son abdomen un petit faisceau d'antennes, comme des capteurs d'électrocardiogramme, qui va donc recevoir ces fameux fichiers images et les véhiculer vers un boîtier qu'on appelle un enregistreur, qui ressemble à un gros baladeur que le patient a à la ceinture et qui va, pendant les dix heures, récupérer nos fameuses images.

A la fin de l'opération, on va récupérer ce boîtier d'enregistrement, on va l'associer à une station de travail qui est composée d'un système hardware et essentiellement d'un logiciel propriétaire qui va télécharger l'ensemble de ces fichiers images et les restituer sous forme d'une séquence de vidéoendoscopie électronique. On fait deux images/seconde et on se retrouve donc, au bout de sept à huit heures de durée d'examen, avec 60 000 images du tractus digestif.

Une ou deux fonctionnalités particulières : le praticien aura non seulement une visualisation temporelle mais également une visualisation spatiale de la capsule. Vous voyez que sur la diapositive présentée, le tractus digestif se trouve coloré, les différents segments sont d'une couleur spécifique et le petit spot blanc matérialise la position de la capsule à un moment donné, à un temps t de l'examen.

Ça, c'est l'écran de pilotage du praticien, qui dispose de beaucoup d'informations. Mais il a une fonctionnalité également qui est importante, c'est d'aider le praticien en détectant les zones suspectes d'être hémorragiques. Pour ça, tout simplement, l'algorithme travaille sur la longueur d'onde spécifique du sang rouge frais et donc va « flaguer » l'ensemble des images qui peuvent être suspectes d'être à l'origine d'un saignement, permettant au praticien de les contrôler et de les valider comme étant pathologiques ou pas.

C'est une méthode qui est donc totalement ambulatoire. Parce qu'on parle d'évolution, il faut qu'il y ait un bénéfice patient et je crois que là, il faut pouvoir en dire quelques mots.

Par rapport à une endoscopie comme celle dont on parlait tout à l'heure qui nécessite une hospitalisation, une anesthésie générale pour visualiser l'intestin grêle - or les pathologies du grêle sont loin d'être peu nombreuses et sont surtout des pathologies relativement sévères : la maladie de Crohn, la maladie coeliaque, tout ce qui est anémie, saignements obscurs et/ou occultes -, là, on offre un moyen d'investigation qui se fait en ambulatoire, où le patient se présente simplement à jeun le jour de son examen, comme pour une prise de sang, ingère la capsule, peut vaquer à ses occupations professionnelles ou autres et, en fin de journée, l'examen est terminé. Donc, on voit quand même là un certain nombre d'avantages indiscutables.

Voilà des images, je vous en propose juste quelques-unes. Vous voyez qu'on a une excellente visualisation de la paroi de l'intestin.

C'est aujourd'hui, entre autres par la FDA, considéré comme l'outil de référence dans l'investigation du grêle. On arrive à atteindre, au travers de toutes ces études cliniques, des efficacités de diagnostic de l'ordre de 71 %, donc de très haut niveau.

Les implantations de ce système au bout de trois ans : il y a maintenant plus de 1 600 systèmes dans le monde, dont plus de 50 % aux USA. En France, on a 70 systèmes, voici leur carte d'implantation. Plus de 80 000 patients aujourd'hui ont bénéficié de cette technologie, ce qui n'est pas non plus maintenant quelque chose d'anecdotique.

L'aspect économique. Ça, c'est un challenge extrêmement difficile. Un certain nombre de pays a déjà accepté de prendre en charge ce type de dispositif médical. En France, c'est un dossier sur lequel je travaille depuis déjà trois ans.

Les développements potentiels ? Bien sûr, il y a les autres segments du tractus digestif. Mais j'ai listé aussi les domaines sur lesquels on peut travailler : larguer des substances actives, embarquer des biocapteurs qui peuvent permettre d'avoir un certain nombre de paramètres physiologiques (température, pression, pH...). On voit tout de suite tout ce que l'on peut attendre.

Egalement du traitement de l'image, on peut travailler sur la fluorescence, donc sur des longueurs d'ondes spécifiques de réaction. Et puis, des missions thérapeutiques.

Voilà, j'en ai à peu près terminé avec cette présentation. Je pense que je suis dans les temps.


M. Alain CIROU

Oui, merci beaucoup. Juste une petite question, Jean-Paul Durand. Vous parlez de coût mais vous ne nous avez pas donné le coût comparé de cette navette spéciale par rapport à un examen classique.


M. Jean-Paul DURAND

Un examen classique... C'est toujours très difficile de parler d'un examen classique parce que quand vous commencez à hospitaliser un patient et qu'il y a une anesthésie, ça dépend du site et d'où il vient parce que, souvent, il vient d'un hôpital relativement éloigné. Mais on sait que, de toute façon, à ce moment-là, on est largement au-delà des 2 500 euros. Parce que ça va très vite, entre l'acte anesthésique et tous les examens qui vont autour. Le coût de la capsule est de 600 euros.


M. Alain CIROU

Merci, Jean-Paul Durand. Je rappelle que vous représentez Given Imaging France.

Je passe la parole au professeur Jean Rossier qui travaille à l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle (ESPCI). Je vous demande aussi de vous présenter et de présenter vos activités dans le temps qui vous est imparti. Merci.

Les nanosciences pour mieux voir

IN VITRO (BIOPUCES)

M. Jean ROSSIER

Professeur de biologie, ESPCI - CNRS

Je suis professeur de biologie à l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle, une grande école qui est petite par sa taille mais grande par la réputation des nombreux prix Nobel qui ont émaillé sa carrière, en commençant par Pierre et Marie CURIE et en finissant récemment par Georges CHARPAK.

On fait de la biologie dans cette école depuis une dizaine d'années parce que la formation d'un ingénieur, aujourd'hui, ne peut plus se passer d'être vraiment embarqué dans une recherche également en biologie.

Je dirige un laboratoire de biologie depuis une dizaine d'années maintenant et j'ai formé près d'un millier d'étudiants, dont une bonne partie -c'était des physiciens qui avaient préparé le concours de Polytechnique et se préparaient à une carrière de physiciens ou de chimistes-, 10 à 15 %, démarrent maintenant une carrière à la marge de la biologie ou, parfois, complètement en biologie.

Déjà tout à l'heure, M. PAUTRAT a présenté ce premier type d'information, qu'est-ce qu'il y a vraiment de changé aujourd'hui lorsqu'on parle des nanosciences ? Pendant longtemps, avec la biologie et l'observation d'une façon générale, on était dans l'ordre du mètre, on regardait ce qu'on pouvait voir avec les yeux et on manipulait cela.

Aujourd'hui, nous sommes au nanomètre, donc un milliard de fois plus petit. Avec la transformation qui s'est faite, on est passé du micromètre que l'on avait avec les microscopes classiques, inventés au XVII e siècle, puis ça s'est un peu amélioré avec la microscopie électronique où on est descendu en dessous de la résolution de la lumière, c'est-à-dire qu'on était à la dizaine ou la vingtaine de nanomètres, mais pendant ce temps-là, on ne pouvait pas faire grand chose, on pouvait juste observer des choses qui étaient fixées.

Aujourd'hui, avec ces techniques de nanosciences, on descend au nanomètre et même au niveau de l'angström (0,1 nm), au niveau de la taille de l'atome. On ne descend pas, comme l'a dit M. PAUTRAT, à l'analyse de l'atome qu'on va laisser aux physiciens, aux atomistiques... Les questions générales qui se posent sont : est-ce que la matière est de la matière ou des ondes ? Est-ce que je suis une onde ou de la matière ? On ne va pas rentrer dans cette discussion qui est quasiment métaphysique...

Mais on peut aujourd'hui regarder des objets de la taille d'un atome de carbone. M. PAUTRAT l'a montré, ce sont ces tubes de carbone où chacun de ces points-là est un atome de carbone qui est à 1,54 ou 1,5Å, donc 0,15 nm de l'atome voisin. On voit cela et on peut construire ce type de tube, ce qui était complètement impossible précédemment.

Aujourd'hui, vraiment, qu'est-ce que les nanosciences? C'est d'être descendu au niveau de l'atome et de pouvoir le regarder et de pouvoir le construire. Donc on peut construire ce genre de tube aujourd'hui et c'est ça vraiment l'importance des nanosciences au début de ce XXI e siècle.

Je veux évoquer le triomphe du XXème siècle, c'est-à-dire la double hélice, structure de l'ADN. C'est l'information qui était la plus compacte pendant longtemps. M. PAUTRAT a parlé du nombre de puces, de transistors que l'on peut mettre sur une surface aussi petite que possible mais, encore aujourd'hui, vous devez savoir que chacune de vos cellules contient l'équivalent de 3 Go d'informations sous la forme de cette double hélice.

Si je vous montre cette double hélice pour vous parler après cela des biopuces, c'est que ce que vous voyez, ce sont deux brins qui sont anticomplémentaires et en face de ce qui va être une base ici, une pyrimidine dans ce cas-ci, une purine dans ce cas-là, opposées l'une à l'autre et donc on à ce qu'on appelle les paires de base qui sont complémentaires l'une à l'autre.

Ce qui est très important, c'est ceci : une fermeture éclair. Vous direz que je plaisante ! Non. Lorsque vous voyez une fermeture éclair, la force de la fermeture éclair est due à l'opposition des deux dents qui créent des liaisons entre elles. Eh bien, ce sont également des liaisons que l'on a entre les bases des deux hélices de l'ADN. C'est pour ça qu'une fermeture éclair, c'est solide.

Par contre, ce que vous savez aussi, c'est lorsque vous perdez une dent (de la fermeture éclair), plus rien ne fonctionne et cette fermeture éclair ne fonctionne plus du tout et va s'ouvrir.

Eh bien, pour vous parler des puces et de la détection des gènes par les techniques de puces à ADN, c'est cela qu'il faut avoir à l'idée, c'est que lorsque vous avez ces dents qui s'opposent l'une à l'autre, vous avez ce qu'on appelle en jargon de biologie moléculaire de l'hybridation et que c'est d'une stabilité très grande et que pour séparer deux hélices, les deux bras d'une hélice, il faut mettre une force immense.

Par contre si vous commencez à avoir ce qu'on appelle dans notre jargon de biologie moléculaire des « mismatch », un A qui est en face d'un G, par exemple, alors que normalement il serait en face d'un T (AT), ceci ne va plus résister.

Mais l'information qui est portée dans cette fermeture éclair est assez simple, là. Tout est pareil et tout s'organise l'un en face de l'autre. En fait, ce qui va se passer au niveau de l'ADN et de la reconnaissance, c'est qu'on va mettre des dents différentes - un A en face d'un T, un C en face d'un G - et si ce n'est pas le cas, cet édifice va s'écrouler.

Le principe des puces à ADN dont on parle beaucoup depuis quelque temps (le professeur ROSSIER sort une puce de son cartable)... Les puces à ADN que l'on peut fabriquer, c'est sur une lame de microscope, M. CUZIN vous en montrera de beaucoup plus belles qui sont faites au CEA.

Le principe général, c'est que vous fixez un brin de l'hélice. Il est fixé de façon définitive sur cette lame de microscope. Par l'appariement, le complémentaire va aller s'hybrider comme dans une fermeture éclair et ces liaisons vont être solides.

Si le brin que vous avez est éclairé, par une molécule fluorescente par exemple, vous voyez que vous allez pouvoir identifier que la molécule qui est en marron ici s'est hybridée à cette molécule verte. Et c'est ça tout le principe de la reconnaissance dans ces techniques de biopuces.

J'ai employé ce nom tout à l'heure, hybridation. L'hybridation entre un brin d'ADN et un autre brin d'ADN, c'est d'une spécificité absolue. Et lorsque vous avez 50 nucléotides qui se suivent, ce qui vous donne une variabilité énorme de 4 50 , donc 2 100 , le nombre de molécules que vous pouvez fabriquer est quasiment infini - c'est un mot qu'il ne faut jamais utiliser lorsqu'on parle à des physiciens, l'infini n'existant pas... -, donc vous avez un code barre, et je vais répéter ce mot plusieurs fois, un code barre quasiment infini.

Donc chaque fois que vous avez une molécule verte, il y aura une seule de ces molécules vertes sur les 4 50 , sur les 2 100 , qui va pouvoir s'hybrider à cette molécule qui est marron. C'est ça la force.

Ces liaisons sont très solides. Pour les casser, il va falloir chauffer. C'est cela tout le principe de la biologie moléculaire, que ces liaisons sont spécifiques et qu'elles sont très stables.

On fait avec ça des puces à ADN, des puces à protéines, des puces à cellules. Vous voyez ici qu'il y a des dépôts ; chacun de ces dépôts correspond à un brin vert différent dans les 4 50 .

Ce que fait la technologie, cette technologie qu'on a développée au laboratoire dans une start-up qui s'appelle GeneScore, c'est de fixer des oligonucléotides, ces petits brins qui étaient verts tout à l'heure - je m'excuse, pour la pédagogie ils sont devenus rouges... - qui vont s'hybrider et voilà le type d'expérience qu'on va faire.

Vous allez prendre de l'ARN messager, celui qui est entre l'ADN et les protéines, ce qui lui permet de transporter l'information de votre patrimoine génétique jusqu'à l'expression, jusqu'à vos caractères.

Cet ARN va être transformé en quelque chose de stable, de l'ADN. Il faut savoir si notre patrimoine génétique est de l'ADN, c'est que l'ADN est extrêmement solide.

L'ARN, par contre, est très instable. Donc on transforme notre ARN en cADN (ADNcopie), et ce que je veux vous montrer là, ce sont des gènes différents qui sont représentés par un plot - un plot, cela correspond à une de ces barres vertes ou rouges (les figures de tout à l'heure), c'est 50 bases qui se suivent sur un oligonucléotide - et on va regarder les messagers qui sont fabriqués dans une seule cellule ou dans un tissu.

Quand vous voyez des lumières intenses vers le blanc, vers le rouge, ou quand vous voyez des lumières froides, c'est simplement, pour la lumière froide, qu'il y a très peu de matériel dans votre tissu ; la lumière rouge ou blanche, c'est qu'il y a beaucoup de matériel dans votre tissu. Donc vous quantifiez l'expression des gènes grâce à ces techniques.

Dans le cas particulier fait au laboratoire, nous avons une souris qu'on appelle knock-out ; pourquoi est-elle dite « KO » ? Parce qu'il y a un gène qui manque. Ce que vous allez voir c'est que, dans ce gène qui manque, nous avons fait cette hybridation sur ce plot qui contenait ces séquences d'oligonucléotides spécifiques pour ce gène, c'est tout bleu, donc il n'y a pas de matériel, tandis que dans la souris qui est naturelle (non KO), c'est rouge.

Voilà le type de choses que l'on fait.

Cela sera développé tout à l'heure dans la session suivante. Mais il est certain qu'avoir un code barre et pouvoir l'utiliser vous permet une première chose, c'est de regarder la carte génétique de chacun des individus et également de pouvoir suivre la traçabilité, par exemple.

Il y a énormément d'applications qui sont possibles aujourd'hui. Le marché est en phase croissante et exponentielle, ce sera également discuté tout à l'heure. Je vais m'arrêter là, merci.


M. Alain CIROU

Merci beaucoup à vous. Juste peut-être une petite question. Vous avez parlé de start-up qui développent ces biopuces. Comment pouvez-vous lutter aujourd'hui avec de grosses sociétés comme Affymetrix qui ont déposé un certain nombre de brevets importants sur ce type de matériel ?


M. Jean ROSSIER

Je crois que, dans ce domaine, l'ingénuité est essentielle et que plus on grossit, moins on innove. Donc, je pense qu'il est essentiel d'avoir des petites structures qui permettent d'apporter une énorme valeur ajoutée. Lorsque vous créez des structures, et c'est une situation tout à fait française, on fait toujours non pas du Bottom-Up mais on fait du Top-Down.

Je ne sais pas si certains d'entre vous reçoivent beaucoup de publicités sur l'état de la recherche, mais il y a une présentation très drôle où l'on dit : « Quelle est la différence entre la recherche aux Etats-Unis et la recherche en France ? Si l'on compare la recherche française et la recherche américaine à une course d'aviron, qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi est-ce que c'est les Américains qui gagnent ? Les Américains, ils ont huit rameurs et les Français n'en ont qu'un seul mais ils ont neuf coachs. »

Je pense que c'est ça le problème. Donc, dans notre petite structure, il n'y a que des rameurs et il n'y a pas de coach... Il y en a un seul.


M. Alain CIROU

Merci, Jean Rossier. Small is beautiful, je retiens la leçon.

Je vous propose de passer à la seconde partie de cette première table ronde en demandant maintenant au professeur Elias Fattal d'intervenir à ce micro en se présentant et en respectant autant que faire se peut, et je sais qu'il le peut, le temps qui lui est imparti. Merci.

Les nanosciences pour mieux soigner :

La vectorisation des médicaments

M. Elias FATTAL

Professeur de pharmacotechnie, Centre d'études

pharmaceutiques, Université Paris-Sud

Merci beaucoup. Je m'appelle Elias FATTAL et je suis professeur de pharmacotechnie à la Faculté de pharmacie, à Chatenay-Malabry. J'appartiens à une unité de recherche qui est associée au CNRS au sein de cette faculté et dont l'objectif est de développer de nouveaux systèmes d'administration de médicaments. On appelle ça des nouvelles formes galéniques.

Je dirige une équipe de « Vectorisation pharmaceutique des molécules fragiles », c'est-à-dire qu'on essaie de cibler vers des tissus particuliers de l'organisme des molécules qui sont fragiles, c'est-à-dire qui se dégradent dans des milieux biologiques.

Au cours de cette présentation, je vais aborder le thème de la vectorisation et vous montrer son principe et les grandes applications (51 ( * )) .

Le concept de vectorisation est basé sur l'idée qu'on peut rendre le devenir, dans l'organisme, d'une molécule qui est pharmacologiquement active totalement dépendant d'un vecteur. C'est comme un passager dans un autobus, il est conduit par l'autobus.

Le vecteur, lui, devra guider la molécule active vers sa cible et uniquement sa cible. Cette cible, ça peut être un tissu, un organe, un groupe de cellules...

Grâce à ce concept, on va pouvoir concentrer le médicament là où il est utile et on va diminuer les concentrations du médicament là où il est inutile, et notamment au sein de tissus où il va entraîner des effets secondaires et exercer une certaine toxicité.

Ce concept de vectorisation est assez ancien. Il date du début du siècle dernier. Il a été imaginé, à l'époque c'était vraiment un fantasme, par un immunologue allemand qui s'appelait Paul ERHLICH. C'était une idée qu'il avait publiée dans ces années-là et ce concept commence un peu à se voir réaliser dans un certain nombre d'applications que je vais essayer de vous montrer.

Les nanotechnologies, dans le domaine de la vectorisation, doivent répondre à un certain nombre de critères, on a parlé tout à l'heure de l'innocuité. Evidemment, il y a une notion de taille. La taille est submicronique, il ne faut pas oublier qu'on va injecter ces vecteurs dans des vaisseaux sanguins et il faut absolument que ces vecteurs soient capables de circuler dans les vaisseaux sanguins.

Le deuxième paramètre, c'est qu'ils sont constitués d'un auto-assemblage moléculaire, en général, et le principe de leur préparation, de leur conception provient souvent de phénomènes physiques ou chimiques qui vont être mis en oeuvre.

La forme, mais ce n'est pas une obligation, est généralement sphérique et, en fait, ce sont des vecteurs qui sont biodégradables, c'est-à-dire qu'ils sont capables de se dégrader dans l'organisme, ils sont capables de se dégrader au niveau de leur cible.

Les produits qui résultent de cette dégradation doivent être tout à fait compatibles, non toxiques, et c'est au moment de leur dégradation qu'ils sont censés libérer le médicament et, généralement, cela doit se passer au niveau d'une cellule.

Je ne vais pas vous faire la liste de tous les types de vecteurs qui existent. Vous voyez sur cette diapositive, il y a une diversité importante de structures. Sur le plan de l'aspect extérieur, il s'agit de suspensions, qui ont cet aspect trouble, qui sont extrêmement simples, et au sein de cette suspension on va retrouver toute une série de structures qui sont organisées par exemple à partir de molécules qu'on appelle amphiphiles. On appelle ces structures des liposomes, elles ont une structure proche des membranes cellulaires.

On peut avoir des systèmes qui sont des nano-émulsions où, là, les molécules lipidiques entourent une cavité lipidique ou une particule solide.

On a aussi parlé tout à l'heure de nanoparticules. Ces nanoparticules sont constituées de polymères cette fois-ci biodégradables, ce n'est plus des molécules amphiphiles comme ici. Les nanosphères sont des sphères pleines ou des nanocapsules qui sont constituées d'une paroi polymère, bien évidemment dégradable, et qui entoure une cavité liquide qui peut être aqueuse ou huileuse.

Evidemment, on peut visualiser par des techniques de microscopie électronique ces structures. Vous voyez, ici, ce sont des structures liposomiales et l'on peut voir ici la présence d'une bicouche.

On voit ici ces structures qu'on appelle en oignon. On a non plus une seule bicouche mais on en a plusieurs.

Et sur la photo du bas, vous avez des nanoparticules, à droite des nanosphères, ce sont des structures poreuses qui sont capables de contenir des molécules actives ou des nanocapsules.

Tous ces systèmes peuvent contenir en leur sein des molécules actives et les véhiculer.

Evidemment, on peut aussi compliquer les structures. Vous avez ici des systèmes particulaires qui sont de plus grande taille, on va dire que ce sont des matériaux nanostructurés. Ici, ce sont des systèmes qui sont développés par M. Jean-Marie DEVOISSELLE à Montpellier, qui sont poreux et constitués à base de silice.

Vous avez ici, en bas, des systèmes dont l'expert est dans notre équipe, Nicolas TSAPIS, qui sont de grosses particules constituées de petites nanosphères. Il y a de nombreuses applications de ces systèmes mais je n'en parlerai pas aujourd'hui parce qu'elles sont tout à fait préliminaires.

Aujourd'hui, je vais surtout aborder le problème de la vectorisation à l'aide des vecteurs submicroniques. Il faut voir que, au sein d'une même famille, il y a une diversité d'architectures pour chaque type de vecteur et que cette diversité d'architectures a un impact sur le devenir tissulaire et sur le devenir cellulaire.

On va pouvoir concevoir des systèmes qui sont chargés négativement ou positivement (ceux-là sont principalement utilisés pour le transfert de gènes) et qui contiennent à leur surface des polymères. Je donnerai un exemple d'application sur ces particules contenant des polymères, ou qui peuvent même contenir au bout de ces chaînes polymériques, les polymères hydrophiles, des systèmes de reconnaissance qui vont aller reconnaître des récepteurs qui sont présents sur certaines cellules et uniquement sur certaines cellules. C'est ce qu'on appelle la vectorisation active.

Maintenant, qu'est-ce qui se passe - et ça c'est une notion très importante qu'il faut comprendre d'un point de vue fondamental - quand on administre ou quand on injecte ces particules dans une veine ?

Il faut savoir que les vaisseaux sanguins ressemblent un peu à une autoroute, qu'ils sont délimités par ces cellules, qui sont des cellules endothéliales, et qu'elles laissent difficilement passer des produits issus des nanotechnologies. C'est une notion très importante.

En plus, quand on injecte une particule, le système immunitaire va tout de suite réagir. Une particule qui est étrangère à l'organisme entraîne une réaction du système immunitaire qui se traduit par l'accolement de protéines à la surface de cette particule. On appelle cela un phénomène d'opsonisation.

C'est comme si vous aviez un véhicule sur l'autoroute, les opsonines jouent le rôle du gendarme et elles disent à la particule : je vous emmène au poste. Le poste, ce sont ces cellules macrophagiques qui contiennent à leur surface des récepteurs pour les protéines qui appartiennent au système immunitaire et qui vont être capables d'internaliser les particules. Ces particules vont ensuite se dégrader au sein de ces cellules macrophagiques.

Ça, c'est le devenir tout naturel. On appelle ça de la vectorisation passive.

Ce qui se passe au sein de cette cellule c'est que, lorsqu'elle est dégradée, soit la molécule active est libérée dans la cellule, soit elle diffuse progressivement à partir de cette cellule et elle est capable, à ce moment-là, de traverser l'endothélium.

Il faut imaginer que, même si ce n'est pas le concept véritable de vectorisation active parce que là, c'est la cellule qui choisit la particule et non la particule qui choisit la cellule, il y a des applications.

Notamment, ces cellules macrophagiques sont le siège d'infections intracellulaires, parasitaires, bactériennes, virales extrêmement importantes et elles résistent au système immunitaire. Je vais vous donner un exemple : la leishmaniose, qui est une maladie extrêmement grave et très répandue.

On peut activer le rôle de ces macrophages destructeurs par l'administration d'immunomodulateurs et on peut vectoriser vers les macrophages des molécules en se servant de ces cellules comme réservoir. C'est-à-dire que, à partir de ces cellules, le principe actif va diffuser vers d'autres tissus.

Et vous imaginez très bien que si l'on concentre dans une cellule et dans un site particulier des molécules actives, on va les détourner de leur cible toxique.

Maintenant, on a une autre situation qui est le cas des tumeurs solides. Dans le cas des tumeurs solides, qui est un objectif extrêmement important de la vectorisation, la physiologie est un peu différente. Ces cellules qui étaient accolées vont être perméables au voisinage de la tumeur. Et si l'on prend des vecteurs qui contiennent à leur surface des chaînes de polymères, ces chaînes de polymères vont servir à repousser les protéines et notre vecteur va circuler dans l'organisme jusqu'à traverser l'endothélium et concentrer le médicament au niveau de la tumeur. On réalise ainsi ce qu'on appelle un ciblage tissulaire.

Je vais peut-être passer les exemples, mais c'est juste pour vous montrer que ça permet de concentrer énormément de molécules actives, il s'agit ici d'un anti-tumoral, et ça se traduit par une grande efficacité.

On peut tout à fait développer l'approche non seulement en ciblant la tumeur mais, au sein de cette tumeur, en mettant des ligands à la surface des particules qui vont aller reconnaître la cellule et uniquement la cellule cancéreuse - comme vous pouvez le voir ici, les systèmes sont internalisés - et libérés au niveau intracellulaire le principe actif.

Cette fois-ci, on a fait ce qu'on appelle de la vectorisation active et ça c'est un grand défi sur lequel beaucoup de cliniciens et de galénistes essaient de travailler. La vectorisation sera le grand défi de notre siècle.

Les applications : la chimiothérapie anticancéreuse et la thérapie génétique sont des vectorisations actives puisque là, on va cibler des cellules qui sont notamment des cellules tumorales.

Les nanotechnologies ne servent pas uniquement à faire de la vectorisation, on peut tout à fait, si on les introduit dans un milieu confiné - par exemple l'oeil, la cavité intraoculaire qui est un tissu, siège de nombreuses maladies, notamment d'origine génétique qui sont difficiles à traiter -, on peut introduire des nanoparticules ou des liposomes qui vont libérer de manière progressive le médicament en évitant de répéter des injections dans l'oeil, des injections intraoculaires dont on sait qu'elles sont traumatisantes et qu'elles ne doivent pas être répétées fréquemment.

Juste pour finir, je voudrais vous montrer un exemple de vectorisation mais qui ne fait pas intervenir des nanotechnologies mais plutôt des microtechnologies. Là, il s'agit d'utiliser des particules qui vont aller cibler un endroit, un site du tube digestif, on a parlé du côlon tout à l'heure. Ces particules qui restent intactes dans les parties hautes du tube digestif sont capables de s'ouvrir et de libérer le médicament dans le côlon.

La conclusion, c'est de dire que la vectorisation et les vecteurs, même si je suis allé un peu vite, c'est une science qui ne peut pas se réaliser toute seule. Elle est à l'interface de plusieurs disciplines : la physique, la chimie, la pharmacotechnie qui est la science de la formulation des médicaments et, bien sûr, fait intervenir la biologie.

J'espère vous avoir montré que le potentiel thérapeutique est extrêmement important. Merci beaucoup.


M. Alain CIROU

Merci professeur FATTAL.

Je vous propose de passer à la troisième partie de cette première table ronde consacrée aux nanosciences pour compenser les déficits. Je demande à M. David HULMES de l'Institut de biologie et chimie des protéines de l'Université Claude Bernard, à la fois de se présenter dans son travail et de tenir dans les dix minutes qui lui sont imparties. Merci beaucoup.

Les nanosciences pour compenser les déficits :
ingénierie tissulaire de la cornée

M. David HULMES

Directeur de la recherche, Institut de biologie et chimie des protéines

Université Claude Bernard-Lyon I, CNRS

Merci beaucoup Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs. Je vous remercie pour l'opportunité de présenter, l'ingénierie tissulaire aujourd'hui.

Qu'est-ce que c'est l'ingénierie tissulaire ? L'idée c'est d'utiliser les cellules et les biomatériaux afin, d'une part, de maintenir ou de réparer, ou même reconstruire, les différents tissus ou même organes et, d'autre part, de développer ces tissus artificiels, pour développer et tester de nouveaux médicaments.

Il y a plusieurs exemples en ce moment : la peau (qui est le plus développé, il y a déjà des produits sur le marché, des peaux reconstruites), les vaisseaux sanguins, les tendons, les ligaments, cartilages, os, vessie, foie, pancréas, valvules cardiaques, corde dorsale et la cornée dont je vais parler aujourd'hui.

C'est un sujet qui est assez nouveau, qui est en pleine expansion. Vous voyez sur le diagramme le nombre de publications depuis 1993, le nombre d'articles dans les revues scientifiques augmente rapidement.

Sur le plan industriel, le marché mondial a une valeur d'à peu près 5 milliards d'euros. Il y a à peu près 150 sociétés dans le monde qui travaillent dans ce domaine.

Il y a différentes stratégies pour faire de l'ingénierie tissulaire.

Soit on implante les cellules, ce sont des cellules qui sont soit autologues (qui viennent du patient), soit allogéniques (qui viennent d'une autre personne qui a des cellules compatibles avec celles du patient), soit des cellules xénogéniques (qui viennent d'une autre espèce). On fait l'implantation suite à l'amplification in vitro de ces cellules.

La deuxième alternative consiste à reconstruire les tissus in vitro à partir de ces cellules mais en présence des « scaffolds », des charpentes, qui sont des polymères formés en différentes formes tridimensionnelles afin de reconstruire la forme du tissu.

La troisième approche, c'est d'implanter directement ces polymères, ces biomatériaux, ces nanofibres, afin d'induire la réparation tissulaire par les cellules qui existent déjà dans le tissu, afin de guider les cellules, afin d'induire les cellules à se différencier, à former des nouveaux tissus.

Il y a une avancée importante pour laquelle il est possible d'envisager ce genre d'approche maintenant, c'est l'arrivée des cellules souches. On parle beaucoup des cellules souches, il y en a différents types. Il y a les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires.

Parlons des cellules souches adultes. Par exemple, si vous parlez des cellules de moelle osseuse, il y a des cellules dans la moelle osseuse qui sont capables de se différencier en plusieurs tissus différents, par exemple les muscles, le cerveau, le foie, les reins, les poumons. Donc il y a un grand potentiel pour la différenciation de ces cellules.

Les cellules souches embryonnaires sont encore plus polyvalentes mais là, il y a beaucoup de problèmes au niveau éthique. Donc il vaut mieux utiliser les cellules souches adultes.

Pour ce qui concerne les « scaffolds », les charpentes moléculaires, on peut utiliser différents types de polymères. Soit des polymères naturels du type collagène, des fibrines, qui sont souvent d'une autre espèce, qui posent des problèmes d'utilisation de protéines d'une autre espèce, voir les problèmes liés à la maladie de la « vache folle » par exemple. Soit des polymères synthétiques, des polyglicolides, polylactides, qui sont biodégradables.

Ou, maintenant il est possible d'envisager des polymères qui sont à la fois naturels et synthétiques, ça veut dire les protéines humaines recombinantes qu'on fabrique dans les cellules, par exemple dans la levure. La technologie existe maintenant pour produire ce genre de protéines.

Enfin, il y a les nanofibres intelligentes, les « smart » nanofibres. Je vous montre un exemple qui vient d'une publication toute nouvelle dans Sciences, il y a quelques semaines. Là, l'idée, c'est de créer des molécules qui sont capables d'auto-assemblage et qui portent des signaux, des peptides, qui vont à la fois guider les cellules pour former de nouveaux tissus et induire les cellules à se différencier, dans ce cas-ci, pour former des neurones.

Les challenges sont de créer, évidemment, la bonne architecture tridimensionnelle pour favoriser l'adhésion, la différenciation, la prolifération et la migration cellulaire en tenant compte des interactions des cellules avec les matrices extracellulaires en utilisant les approches des nanotechnologies (auto-assemblage, impression tridimensionnelle, polymères intelligents) et il ne faut pas oublier le rôle des forces mécaniques.

Pour les cellules souches, il s'agit de définir ces cellules souches et d'identifier et optimiser les conditions de culture.

Evidemment, lorsqu'il s'agit d'un produit, il faut penser au « scale-up » et au stockage des tissus reconstruits qu'on va essayer de mettre sur le marché.

Dans l'exemple de la cornée, nous avons la chance d'avoir reçu un contrat avec la Commission européenne qui a commencé tout récemment, le mois dernier, qui implique quatorze partenaires dans neuf pays. Le but, c'est de reconstruire une cornée par l'approche de l'ingénierie tissulaire.

Voici le consortium. Il y a plusieurs équipes dans différents pays et pas mal d'équipes en France. Il s'agit d'équipes de recherche fondamentale de plusieurs sociétés, des PME et aussi des ophtalmologistes, bien sûr.

Je vous remercie, M. FATTAL, d'avoir montré le même diagramme dans la présentation précédente... La cornée, c'est le premier tissu qu'on trouve dans l'oeil ; c'est le tissu le plus important pour focaliser la lumière sur la rétine. C'est l'élément le plus réfractif de l'oeil.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Pourquoi reconstruire des cornées humaines ? Il y a plusieurs raisons. Par exemple, le traitement qu'on utilise en ce moment pour réparer les cornées endommagées, c'est la greffe de cornées. Il y a 10 000 cas par an en Europe et un problème de manque de donneurs. Il y a des problèmes de maladies transmissibles (HIV, Creutzfeldt-Jakob, hépatite C).

Et aussi, il y a de plus en plus l'utilisation de la chirurgie réfractive afin de corriger les erreurs optiques dans les cornées et éviter l'utilisation des lunettes, des lentilles de contact, ce qui fait que ces cornées qui ont été opérées ne sont plus utilisables pour les greffes.

Les cornées artificielles qui existent actuellement sur le marché sont fabriquées à partir de polymères totalement synthétiques. Il y a plusieurs problèmes d'intégration, de stabilité, ce n'est pas du tout satisfaisant.

Dans le monde entier, il y a six millions de personnes qui sont aveugles à cause des maladies infectieuses de la cornée.

Un autre aspect, il y a un test qui s'appelle le test de Draize, qui est utilisé avec des cornées de lapins afin de tester des médicaments dans le domaine de la pharmacotoxicologie. Ce sera bien de trouver une alternative à l'utilisation des animaux pour ce genre de tests.

Voici, pour vous expliquer ce qu'est la structure de la cornée. C'est relativement simple, il y a trois couches cellulaires : la partie extérieure (la partie épithéliale), la partie intérieure (la partie endothéliale) et la partie centrale qui s'appelle le stroma.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme. Dans le stroma, il y a différentes sous-couches qui consistent en plusieurs fibres de collagène avec des protéoglycanes dans lesquels aussi il y a des cellules stromales qui s'appellent les kératocytes.

Le but, c'est de reconstruire cette cornée à partir des protéines recombinantes de la matrice extracellulaire (les collagènes, les protéoglycanes) et les cellules, différents types de cellules qui seront issues des cellules souches adultes.

Bien sûr, il faut fabriquer une cornée qui est à la fois biocompatible, qui est stable, qui a les bonnes propriétés optiques de transparence, réfraction et les bonnes propriétés mécaniques aussi.

Au niveau de l'ultrastructure, on commence à arriver dans le domaine des nanotechnologies, voici une section d'une cornée ; vous voyez les différentes couches des fibres de collagène ; là, vous avez une image des différentes couches de collagène et vous voyez que, dans chaque lamelle, les fibres de collagène sont toutes parallèles mais, entre une lamelle et l'autre, il y a un changement de direction.

Donc, ça fait plusieurs couches qui sont plus ou moins octogonales et, dans chaque couche, si vous regardez en section transverse, vous voyez les fibres de collagène qui ont toutes le même diamètre d'à peu près 30 nm. C'est pour ça que la cornée est transparente. C'est parce que les fibres de collagène ont toutes la même dimension et sont très fines.

Notre approche, je suppose que c'est plutôt Bottom-Up, c'est de reconstruire ces fibres de collagène et partir des précurseurs qui sont des molécules solubles, des procollagènes, qui sont des bâtonnets d'à peu près 300 nm de longueur, qui sont des molécules solubles, et qui sont convertis en forme insoluble par plusieurs différents enzymes afin de former des fibres.

La dernière étape, c'est la stabilisation de ces fibres par des formations de liens par notre groupe d'enzymes.

Il ne faut pas oublier le rôle des protéoglycanes qui sont aussi un composant de la cornée, comme cela a été montré sur cette image-là. C'est une expérience sur une souris dont un gène a été inactivé génétiquement. Il s'agit du gène qui forme un proteglycane appelé lumican. Vous voyez la cornée de cette souris-là ; là, c'est la souris sauvage et là c'est la souris dans laquelle on va activer le gène et vous voyez que la cornée est opaque. Ça montre donc clairement la relation entre la forme de ces fibres et la transparence de la cornée.

Juste pour finir, dans notre réseau, nous avons deux équipes italiennes qui sont leaders dans le domaine des cellules souches épithéliales, qui ont développé une technique pour amplifier les cellules épithéliales à partir d'une région de la cornée qui s'appelle le limbe, qui se trouve autour de la cornée.

Pour les patients qui ont subi un accident de la cornée, une brûlure chimique par exemple qui fait que ces patients ne sont plus capables de voir, il est possible de prendre le limbe de ces patients, d'amplifier ces cellules en culture sur un support et de remettre une couche épithéliale sur les cornées endommagées et les patients sont à nouveau capables de voir.

Cela marche très bien en Italie. Pour l'instant, ce n'est pas effectué en routine en France, donc une partie de ce programme sera une étude multicentrique pour valider cette approche.

Le problème avec cette approche, si la partie stroma est aussi endommagée, la seule chose qu'on peut faire, c'est une greffe. Cette approche ne marche que si la partie épithéliale seule est endommagée. D'où l'intérêt de reconstruire la cornée entière pour un certain nombre de patients. Je vous remercie.


M. Alain CIROU

Merci. Je vous propose ainsi qu'à tous les intervenants de cette première table ronde de rejoindre l'estrade pour entamer le débat questions-réponses avec la salle. Très simplement, je vous demande de lever la main pour qu'on puisse organiser ces discussions. La parole est à vous.

Débat

M. Louis LAURENT

C'est au sujet de la vectorisation des médicaments. Vous avez dressé un tableau très intéressant, vous avez dit qu'il y a pas mal d'équipes impliquées dans cette discipline, mais je voudrais savoir quels sont les verrous, qu'est-ce qui limite actuellement le développement de ce genre de thérapies.


M. Elias FATTAL

Aujourd'hui, ce que je n'ai peut-être pas dit, c'est qu'il y a un certain nombre de médicaments issus de la vectorisation qui sont sur le marché. Il y en a un grand nombre - il y a deux, trois grandes molécules qui sont sur le marché -, il y en a un grand nombre qui sont au stade d'étude clinique et vous devez savoir que, dans le développement d'un médicament, ces études cliniques, dans la durée, sont extrêmement longues. Il y en a un certain nombre qui sont en phase II, en phase III même d'étude clinique.

La grande difficulté aujourd'hui est celle de la vectorisation active, c'est de pouvoir finalement - et c'est vraiment l'objectif final de la vectorisation, cibler une cellule et une seule -, c'est de pouvoir d'une part trouver le bon récepteur qui ne se trouve pas partout ailleurs et, d'autre part, c'est la construction.

La construction du système, notamment d'un point de vue chimique, est assez complexe parce que là, il s'agit de coupler des protéines à d'autres types de molécules et de leur permettre de garder toujours leurs propriétés de reconnaissance. A ce niveau-là, on a des difficultés, on a des verrous techniques.

Pour les autres systèmes que j'ai montrés en amont, notamment les vecteurs qui échappent aux macrophages, là il y a des médicaments et d'autres systèmes qui sont au stade clinique.


Une intervenante

C'est une question pour M. Jean-Paul DURAND. Vous avez mentionné que les capsules étaient en développement, étaient sur le marché dans certains pays mais que, en France, ça faisait trois ans que vous essayez de les mettre sur le marché. Je voudrais savoir quelles sont les difficultés rencontrées, pourquoi c'est si long puisque finalement, financièrement, ça serait plutôt intéressant pour la Sécurité sociale.

M. Jean-Paul DURAND

Oui, je n'ai pas suffisamment précisé lors de ma présentation. La capsule vidéoendoscopie est actuellement implantée en France. Le problème, c'est qu'elle n'est pas prise en charge par un mode de remboursement qui soit à notre disposition. Donc, si on est dans le secteur privé, le patient doit financer lui-même les 600 euros. Ce qui, bien entendu, est toujours un frein important au développement de ce type de dispositif médical.

Je travaille avec le ministère sur la possibilité d'inclure dans les différents systèmes dont nous disposons en France le remboursement de cette capsule. Mais il admet tout à fait que cette capsule représente une économie en termes de diagnostic de l'intestin grêle.


Un intervenant

Je voudrais poser la question de l'interdisciplinarité, que vous avez plusieurs fois citée. Je voudrais savoir si le système éducatif y répond, aujourd'hui. Par exemple, M. Jean ROSSIER, vous dirigez une école si j'ai bien compris, qu'est-ce que vous faites pour y répondre ? Parce qu'on a besoin de savants aujourd'hui qui aient des connaissances assez étendues.


M. Jean ROSSIER

Je n'ai pas tout à fait compris votre question parce que j'étais en train de parler avec mon voisin, excusez-moi, j'étais le mauvais élève, là... Vous pouvez reposer le début de votre question ?

L'intervenant

Sur la multidisciplinarité, comment ça se passe aujourd'hui ? Est-ce qu'il y a des structures dans les systèmes universitaires, dans les écoles ?


M. Jean ROSSIER

Elle est essentielle parce que lorsque vous sortez de votre Bac, par exemple, vous êtes beaucoup plus multidisciplinaire que beaucoup de chercheurs plus tard. Et c'est un peu malheureux de voir que, au cours du temps, le chercheur s'hyperspécialise et devient un peu enfermé dans une tour d'ivoire et n'y voit plus grand chose.

Je crois qu'il est essentiel de rester toujours ouvert. Pourquoi, dans une école comme la nôtre, on arrive à avoir cette interdisciplinarité, même chez les patrons ? Parce que les étudiants doivent apprendre tout. Ils doivent apprendre à la fois de la physique, de la biologie, de la chimie et ils passent de laboratoire en laboratoire. Donc, généralement, ce sont eux qui collaborent sur des sujets interdisciplinaires et les patrons sont bien obligés de suivre.

Je dirais que, d'une façon générale dans l'enseignement, plus on monte, moins il faut de bons professeurs parce que ce sont les étudiants qui sont bons.


M. Alain CIROU

Une toute petite précision. Dans la troisième table ronde, vous avez une intervention qui s'intitule « La nécessité de formations interdisciplinaires », qui répondra aussi en partie à votre question.


Un intervenant

J'ai une question pour M. DURAND. J'aimerais savoir ce qu'il advient de la capsule après le diagnostic. Est-ce qu'elle est récupérée ?


M. Alain CIROU

Destination de la navette spéciale...


M. Jean-Paul DURAND

Vous voulez qu'on la réutilise ? Non, c'est un dispositif à usage unique, bien entendu. Il est éliminé, il est mû par le péristaltisme et est ensuite éliminé naturellement et à 95 % dans les 25 à 30 heures.


Un intervenant

J'ai une question générale pour les présentateurs. Quel est l'état de la recherche française en nanobiotechnologies ? Quelles sont les forces et les faiblesses et est-ce qu'il y a des études comparatives par rapport à d'autres pays ?


M. Jean-Marc GROGNET

Je ne répondrai pas directement à votre question mais je vais y répondre. Ce n'est pas l'état de la recherche française dont il faut parler, je crois que c'est de l'état de la recherche européenne, comment on se situe aujourd'hui au niveau européen.

Bonnes nouvelles. De toute évidence, il y a au niveau européen une force de recherche en nanobiotechnologies qui est très importante, qui va, et ça c'est extrêmement sensible, depuis le plus fondamental jusqu'au plus appliqué. On citera des équipes en Allemagne qui travaillent actuellement de façon extrêmement fantastique sur l'interaction ou l'interconnexion entre des neurones et des puces de silicium, par exemple, comprendre vraiment au niveau de l'interface ce qu'il y a, comment ça se passe, jusqu'à des équipes qui donnent naissance à des start-up. C'est-à-dire qu'on n'est plus très loin de l'appliqué, on n'est plus très loin de l'innovation qui crée de la richesse.

On a un niveau très intéressant. Jusqu'à présent, on avait un défaut, c'était peut-être qu'on n'apparaissait pas au niveau européen, on apparaissait trop dispersés, trop fragmentés. Et puis, grâce à la Commission européenne et au Sixième PCRD, il est né récemment, pas plus tard que la semaine dernière puisque c'est la semaine dernière qu'était lancée l'opération, un réseau européen en nanobiotechnologies qui s'appelle « Nano2Life », financé à 8,7 millions d'euros pour quatre ans, qui permet vraiment de rassembler toutes les équipes européennes sur le sujet en travaillant du fondamental jusqu'à l'appliqué et en ayant une force, une masse critique suffisamment importante.

Cette masse critique est tellement forte qu'elle emporte l'adhésion même au-delà de l'espace européen puisque ce réseau est associé de façon formelle à des équipes américaines, à des équipes australiennes, à des équipes coréennes et à des équipes canadiennes. Je crois que là on a réussi un bon tour. Donc plutôt de bonnes nouvelles.


Un intervenant (Université Joseph Fourier, Grenoble)

Je voudrais poser une question à l'ensemble des intervenants. Dans leur présentation, on a l'impression que les nanotechnologies vont remplacer tout ce qui existait avant, c'est-à-dire les microtechnologies et tous les différents niveaux de la biologie. Or, à mon sens, les nanotechnologies viennent en complément d'un certain nombre de systèmes au niveau micro.

La question que je pose est : est-ce qu'il est prévu un certain nombre de recherches pour intégrer cette nanotechnologie dans des recherches peut-être plus conventionnelles dans le domaine de la biologie ?


M. Jean ROSSIER

Je crois qu'il y a une autre composante dont on n'a pas discuté, c'est que toutes ces techniques actuelles permettent de faire du multifactoriel, qu'on peut avoir des dizaines de milliers sinon des millions de données et c'est ça le plus difficile à l'heure actuelle, c'est qu'on a trop d'informations et on n'est pas capables de faire le tri rapide de l'information.

Dans le cas des puces à ADN, c'est exactement ça. Vous pouvez regarder les 30 000 gènes de notre patrimoine génétique et, après, il faut pouvoir les analyser. En fait, dans le cas de la biologie, le biologiste est un peu comme l'ingénieur météo aujourd'hui, avec cette grande différence que, si l'ingénieur météo a dans ses ordinateurs le temps de la terre depuis une centaine d'années, s'il a la température de l'eau, de l'air en des milliers ou des millions de points du globe, on lui pose une question assez simple qui est : est-ce qu'il va pleuvoir demain ?

Le biologiste n'a pas ce type de questions. Il ne sait pas où il va parce que c'est trop complexe pour l'instant. Donc on a absolument besoin d'ingénieurs système, de gens qui ont l'habitude d'analyser des ensembles de données très complexes.


M. Jean-Marc GROGNET

Vous touchez du doigt un point important. Les nanotechnologies ne vont pas être utilisées telles quelles. Il est clair que l'on aura des nanodispositifs, des nanosurfaces, etc. inclus dans des dispositifs qui vont être de taille micro, dans des microdispositifs, dans des microsystèmes, eux-mêmes certainement dans des dispositifs de type macro parce qu'il faudra bien que les doigts les manipulent.

Vous touchez bien le fait qu'il n'y a pas que des nanosystèmes en soi, on va plutôt parler de « nano inside », c'est-à-dire de nanotechnologies dans d'autres dispositifs.


M. David HULMES

Si j'ai bien compris la question, je pense qu'il s'agit plutôt d'une évolution des disciplines qui existent déjà. On ne va pas oublier la biologie au profit des nanotechnologies, c'est une évolution des disciplines qui existent actuellement. Il n'y a pas un break entre les anciennes et les nouvelles disciplines.


Un intervenant

Vous m'avez presque volé la question, M. ROSSIER. C'était à propos justement de la gestion de cette multitude de données et sur la complexité qu'il y a à gérer cette masse de données très importante qu'on peut comprendre dans un test in vitro diagnostique et qu'on peut aussi essayer de voir sous l'angle de vue où les nanotechnologies vont apporter des outils informatifs sur des systèmes intégrés comme de la physiologie cellulaire.

Y-a-t-il une cohérence scientifique dans les programmes en se donnant les moyens d'aller analyser et traiter correctement cette masse d'informations ? Est-ce qu'il existe en France une cohérence qui ferait que, effectivement, on se donne les moyens en trouvant des ingénieurs qui sont dédiés au traitement de ces informations.

C'est clair à comprendre en ce qui concerne le diagnostic, on le voit, c'est immédiat. Mais dans des sciences qui seraient plus fondamentales dans la compréhension des modalités du vivant sous des aspects multiparamétriques, en biologie, y a-t-il de telles actions ?


M. Jean ROSSIER

L'INRIA par exemple s'interroge. Ils ne sont pas très biologistes pour l'instant mais comme le directeur de l'INRIA est devenu le directeur du CNRS, peut-être qu'il y aura une perméabilité plus grande. A Grenoble également, il y a des plates-formes qui s'intéressent à tout ça.

Mais je pense que là vous touchez du doigt un gros problème, à savoir que l'accumulation des données va être un petit domaine par rapport à l'exploitation des données et que, dans un laboratoire de biologie habituel où il y avait dix personnes qui s'occupaient de créer des résultats, de créer des données, il y avait parfois un mathématicien. Maintenant, il y aura moitié-moitié, sinon plus.


Une intervenante

Je voudrais revenir sur le traitement des données. Moi, il me semble que ce n'est pas que le traitement des données qui est limitatif mais c'est également ce qu'on va faire de ces données. Il faut relier ces données expérimentales à un état physiologique, à une pathologie et ensuite, cette pathologie, savoir comment on va la soigner. Je pense que là, il y a un énorme pas qui n'est pas du tout franchi.


M. Jean ROSSIER

Je suis d'accord avec vous.


Un intervenant (Laboratoires Grimberg)

J'ai une question à vous poser. Il y a quelques semaines, la recherche française était un peu dans la rue, il y avait des grèves. Donc là, je suis heureux de voir que tout va bien...Mais, est-ce qu'il y a beaucoup de brevets qui sont déposés sur les nanotechnologies, et en particulier dans le secteur médical ?


M. David HULMES

Ce n'est pas vrai que la recherche va bien.


M. Elias FATTAL

L'exemple de notre laboratoire. C'est vrai qu'on est dans un domaine où il y a une forte valorisation en termes de brevets, en termes de créations d'entreprise, c'est certain. Il faut savoir que le souci que nous avons, c'est que 70 % de notre financement, et c'est énorme par rapport à d'autres pays, proviennent d'un financement privé.

On peut donc dire que, pour nous, ce n'est pas un souci, mais ce qui reste un souci c'est qu'on n'arrive pas à se renouveler et à aller vers une recherche fondamentale qui est nécessaire pour pouvoir se renouveler. Notre souci, il est uniquement là.

C'est vrai qu'on est dans un domaine où il y a une forte valorisation et qu'on peut trouver des fonds privés mais ça, ça ne nous laisse pas la marge pour faire un travail fondamental qui, même dans le domaine que j'ai montré, est important.


M. David HULMES

Il faut dire que la concurrence est énorme. Pour notre projet, notre contrat européen, il y avait 450 demandes pour cet appel d'offres et 10 % ont été retenus. C'est difficile à trouver, l'argent.


M. Jean-Louis PAUTRAT

Il y avait quelques phrases dans ma conclusion qui peut-être donnaient à penser que tout n'allait pas si bien que ça. Je pense que la transdisciplinarité n'existe pas, que la relation étroite entre la création plus intellectuelle et la création technologique n'existe pas, ce va-et-vient n'existe pas entre les laboratoires d'innovation plus ou moins théorique et ceux qui appliquent. Les labos n'ont pas accès à des centrales technologiques. Je crois qu'il y a vraiment beaucoup à faire et il y a à refonder certainement une bonne partie de la science française.


Une intervenante

J'avais une question pour revenir sur les financements privés. Je sais qu'il y avait eu, il n'y a pas très longtemps, des scandales qui ne se sont pas vraiment répandus en dehors de la communauté scientifique sur des problèmes de publication trop rapide... de résultats qui n'avaient pas été confirmés parce que les chercheurs avaient reçu des fonds privés et que l'entreprise leur avait demandé de montrer que les fonds avaient vraiment servi à quelque chose. Donc ils n'étaient pas vraiment libres de dire que cela n'avait marché qu'à moitié ou qu'ils avaient encore besoin de vérifier.


M. David HULMES

C'est souvent l'inverse qui se produit parce que si l'on travaille avec les industries, il s'agit de brevets et les industries nous demandent de ralentir la publication pour que la propriété intellectuelle soit protégée avant de publier.


M. Alain CIROU

Pour garder l'image Up et Down, qu'est-ce qui pousse aujourd'hui la recherche ? Est-ce que c'est la demande ? Est-ce que c'est l'offre ? Quelle est la stimulation ? Vous avez parlé tout à l'heure de reconstruction et vous avez cité la peau, par exemple. On voit très bien les types de marchés qui peuvent apparaître. Est-ce que ces pressions vous les sentez, comme on les devine aussi dans les questions, la demande peut influencer fortement l'orientation de la recherche ?

M. David HULMES

La demande du public ?


M. Alain CIROU

Oui.


M. David HULMES

Oui, c'est sûr. Il est clair qu'il y a le besoin de guérir les patients de leurs maladies...


M. Alain CIROU

... jusqu'aux médicaments de confort ?


M. David HULMES

Si on ne peut pas voir, il faut faire quelque chose ! Il faut essayer de régler ce problème, donc ce n'est pas une question de confort.

M. Jean-Marc GROGNET

Dans l'aspect confort, on peut citer les micro-aiguilles. Ces micro-aiguilles sont des dispositifs que l'on met sur la peau et qui permettent de traverser la peau. C'est juste pour éviter la douleur. Ça permet d'administrer des médicaments mais un des objectifs c'est d'éviter les douleurs à l'injection. Donc là, il y a eu des recherches extrêmement importantes pour trouver des micro-aiguilles pour qu'elles puissent avoir entre autres cet objectif. Bien sûr, il y en a d'autres mais le confort existe, bien sûr.


Une intervenante (CEA)

J'aurais une question pour l'ensemble des orateurs. Vous nous avez présenté le potentiel extraordinaire des nanosciences pour mieux voir, pour mieux soigner, pour compenser les déficits, j'aurais une question concernant les risques. Y a-t-il des risques des nanotechnologies ou des nanosciences sur la santé ?

M. Jean-Marc GROGNET

Très courageusement, je renvoie cette question sur la troisième table ronde qui sera spécifiquement dédiée à ce sujet. Je crois qu'il y a trois ou quatre personnes qui aborderont les différents sujets. Il faudra reprendre votre question impérativement.

Juste un point sur la demande. Est-ce que c'est la demande qui pousse les recherches ? Certainement, mais on a vraiment besoin que cette demande arrive, revienne, soit exprimée et je voudrais dire que l'OPECST, entre autres,a son rôle à jouer.

Et cette réunion ici fait partie des éléments qui permettent de faire remonter cette demande parce que la demande n'est certainement pas uniquement une demande en termes de confort, elle est aussi une demande en termes de questions. Vous, vous souleviez un problème, est-ce qu'il y un danger ? On doit répondre à ces questions et pas seulement en disant à la troisième table ronde.

M. Alain CIROU

Dernière question pour cette première table ronde.


Un intervenant

Ce n'est pas tellement une question, c'est plutôt une réponse à l'une des questions qui a été posée sur les brevets et l'état des brevets en France.

D'après notre expérience, on suit ce domaine depuis pas mal d'années, la France et l'Europe ont un retard considérable par rapport au Japon et aux Etats-Unis. Depuis l'initiative Clinton en 2000 pour lancer l'activité des nanotechnologies, on constate qu'il y a une activité très forte actuellement aussi bien au niveau de la recherche que de l'industrie aux Etats-Unis. En France et en Europe, on cherche encore.

Il y a quelques applications fortes mais il reste, comme ça a été souligné par Jean-Marc GROGNET, à rapprocher les laboratoires de recherche publics avec les réelles demandes du marché.


M. Alain CIROU

Merci pour votre observation. Merci Messieurs.

Je vous propose de conclure cette première table ronde là, d'enchaîner directement sur la seconde table ronde consacrée aux enjeux économiques. On marquera une petite pause à la fin de la seconde table ronde pour pouvoir respirer un petit peu et entamer le troisième volet.

Cette seconde table ronde est consacrée aux enjeux économiques des nanosciences, nanotechnologies. Je vais demander à M. Renzo TOMELLINI qui est chef d'unité nanosciences et nanotechnologies à la direction générale de la recherche (DG XII) à la Commission européenne de faire cette introduction de la table ronde consacrée aux enjeux économiques.

Voilà. La parole est à vous dans le temps que vous connaissez.

DEUXIEME TABLE RONDE

LES ENJEUX ECONOMIQUES

Introduction de

Renzo Tomellini

Chef d'unité nanosciences et nanotechnologies

Direction générale de la recherche, Commission européenne

Le point de vue d'une start-up

Marc Cuzin

Apibio

Les études de marché

Pascal Boulon

Yole Développement

Le financement

Bernard Daugeras

Auriga Partners

Les enjeux économiques


INTRODUCTION

M. Renzo TOMELLINI

Chef d'unité nanosciences et nanotechnologies

Direction générale de la recherche, Commission européenne

Je suis Renzo Tomellini, chef d'unité nanosciences et nanotechnologies à la Commission européenne.

Dans le cadre de la recherche, la Commission européenne a deux chapeaux. D'un côté, c'est une institution politique - Conseil, Commission, Parlement, Cour de justice, Cour des comptes - mais aussi une agence de financement. C'est une différence par rapport à ce qui se passe aux Etats-Unis et au Japon, nous avons le chapeau politique et le chapeau de la gestion de l'argent, des sommes importantes d'argent.

Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, bon après-midi, merci pour l'invitation.

Monsieur le sénateur Lorrain parlait et s'interrogeait, est-ce que nous parlons d'une bulle ? Est-ce que les nanotechnologies sont une bulle ?

En tant qu'Italien, je dirais que c'est une mode qui est destinée à passer ou à rester. Je crois que la première session a donné des éléments suffisants pour dire qu'il y a du solide, que les enjeux sont grands, les possibilités sont grandes pour rendre service au citoyen, pour offrir des produits ou des services de qualité, pour rendre la vie plus sûre, plus simple, meilleure et réduire la souffrance.

Où nous en sommes ? Je me base un peu sur les questions qui ont été posées. Combien nous dépensons en général ? L'Europe et les Etats-Unis ont dépensé, en 2003, presque 1 milliard d'euros, un peu plus en Europe, un peu moins aux Etats-Unis.

Grosso modo, aux Etats-Unis on est à 700 millions pour le Gouvernement fédéral avec toutes les agences (Département d'énergie, National Science Foundation...) et 300 millions pour les Etats (Californie, Massachusetts...).

Dans l'Union européenne, c'est un peu le contraire, ce ne sont plus les Etats membres qui dépensent (la France environ 180 millions d'euros en 2003, l'Allemagne 215 millions d'euros, 110 millions pour le Royaume-Uni, 60 millions la République italienne...) et, grosso modo, 180-190 millions au niveau de l'Union européenne dans le Sixième programme cadre.

Au Japon, on atteint quelque 700 millions, probablement, qui ont été alloués en 2003 et, grosso modo, la même chose dans les autres pays. On a la Chine, on a Taiwan, on a l'Australie, le Canada et d'autres, moindres, l'Inde, la Malaisie et les autres pays tiers.

Nous sommes dans une situation où l'argent public est déterminant. L'argent public est très important aujourd'hui, les nanotechnologies en sont à une phase de recherche très importante. On a dépensé probablement en 2003 quelque 3,5 milliards d'euros. C'est-à-dire, si on ajoute les qui ont été mentionnées contributions privées, on va peut-être arriver là,  entre 4 et 5 milliards d'euros ou de dollars (prenons le dollar et l'euro comme équivalents pour cette analyse semi-quantitative) en 2003.

Quelle est l'estimation du marché ? On a différentes sources qu'on peut regarder tranquillement. La Deutsche Bank, la National Science Foundation, etc., sont toutes des agences qui ont fait récemment des estimations. Ces estimations sont bien en ligne les unes avec les autres. On considère un marché qui était, dans les années 2000, aux alentours de 80-90 milliards d'euros. On est entre 100-120 milliards d'euros en 2005. On pense atteindre les 1 000 milliards d'euros entre 2010 et 2015.

Là, il faut voir ce que ça veut dire. Est-ce que nous parlons de Bottom-Up, de Top-Down... Les nanotechnologies, comme ça a été dit tout à l'heure, ce sont une partie particulièrement intelligente dans un système qui est micro, mini ou macro. Il n'y a pas nécessairement l'objet nanotechnologique ou les nanorobots qui bougent et qui représentent un marché en soi. Les nanotechnologies sont et seront pour la majeure partie intégrées dans des systèmes micro, macro et mini.

En ce qui concerne les brevets, on peut prendre comme exemple trois grandes catégories de secteurs : les instruments (très très important), l'électronique et la mécatronique, la chimie et l'industrie pharmaceutique. Nous voyons que la France est plutôt en avant - j'ai ici 72 brevets, chiffres qu'on m'a donnés mais je ne peux pas défendre les chiffres sur lesquels j'ai toujours des doutes -, la majeure partie de ces brevets porte sur la chimie et la pharmaceutique. Alors, la République française, dans ce message que je reçois, montre un grand intérêt pour ces secteurs.

Royaume-Uni et Allemagne, plutôt sur les instruments. Japon, plutôt sur l'électronique et la mécatronique. Etats-Unis, grosso modo, c'est réparti entre instruments, électronique, mécatronique, chimie et pharmaceutique d'une façon plus ou moins homogène.

Grand absent mais grand potentiel : la Chine. Quand on fait des comparaisons entre les dépenses dans les différents pays, on ne peut le faire avec précision parce qu'on n'est pas capable de savoir ce qu'on met vraiment dedans (le salaire des professeurs universitaires ; dans quelle mesure on met les investissements dans les infrastructures...) et quel est le pouvoir d'achat.

Les 50 millions dépensés en Chine, ce qui est le chiffre pour 2003, ont une valeur énorme. Et tous les indicateurs nous font soupçonner que la Chine sera une grande actrice dans les nanotechnologies dans cinq, dix ans à partir d'aujourd'hui.

Sinon, la situation des brevets est répartie, grosso modo, aux Etat-Unis et dans l'Union européenne. Evidemment, toutes les données nous indiquent des chiffres énormes pour les Etats-Unis parce que les brevets sont déposés plutôt aux Etats-Unis qu'en Europe.

La situation des brevets européens est fixée pour nous avec comme cap 2010 - mais probablement en 2010, ce sera déjà obsolète et il faudra voir les brevets mondiaux. Mais on est bloqué de toute façon pour les traductions parce qu'on n'a pas l'argent pour traduire tous les brevets. Il y a des petites peaux de banane...

Grosso modo, il y a une proportion raisonnable entre Etats-Unis et Europe.

Quelle est notre approche ?

L'approche qu'on propose, et j'espère qu'on arrivera à concrétiser avec une communication de la Commission dans quelques semaines, c'est une approche intégrée. Une approche qui regarde les nanotechnologies dans leur ensemble et essaie de regarder un peu tout. La vision européenne est une version intégrée, une vision responsable du développement des nanotechnologies.

Faire de la recherche signifie dépenser de l'argent pour produire de la connaissance. L'innovation signifie utiliser la connaissance pour produire de la richesse. C'est ce mécanisme-là qu'il faut mobiliser, mettre en dynamisme.

Nous avons reçu, en tant que Commission européenne, de la part des chefs d'Etat et les chefs de gouvernement à Lisbonne en 2000 l'objectif de contribuer à faire de l'Europe l'espace, l'économie, la société basée sur la connaissance la plus dynamique du monde dans les dix prochaines années.

Nous avons vu dans les années passées un phénomène en Europe qu'on peut appeler le paradoxe européen, c'est-à-dire que l'Europe était première dans le développement de la science, première dans les publications et, après, on a importé les technologies du Japon et des Etats-Unis. C'est-à-dire que les contribuables européens ont payé deux fois. Ils ont payé le salaire des professeurs universitaires pour leur faire faire de la recherche et ont payé après l'industrie japonaise ou américaine pour importer la technologie.

Dans les nanosciences, nous sommes à un moment où on a beaucoup d'éléments de connaissance, on fait de très beaux travaux mais on n'est pas encore au moment des paquets technologiques. Il y a très peu de choses « nanoreconnaissables » sur le marché. Il y a des chemises, des pneus, des crèmes solaires, il y a des cathéters, il y a des sparadraps, des systèmes autostérilisants mais il y a encore peu de choses nanotechnologiques.

Le défi, évidemment, est de ne pas faire des nanotechnologies un exemple du paradoxe européen. Au contraire, de faire un élément pour remettre l'Europe dans le coup dans des secteurs technologiques où elle a un peu trébuché dans le passé. Le fax a été inventé en Italie, développé par les Etats-Unis et vendu par les Japonais... Essayons de faire quelque chose de différent.

Il y a évidemment la production de la connaissance, il y a la gestion de la connaissance. On a parlé des brevets tout à l'heure. La culture des brevets est un défi pour les nanotechnologistes. On parle de multidisciplinarité mais il y a une culture du brevet complètement différente chez ceux qui travaillent dans la biologie, dans la biotechnologie, ceux qui travaillent dans l'électronique, ceux qui travaillent dans la science des matériaux.

Je suis responsable pour la gestion, par exemple le projet « Nano2Life » dont on a parlé auparavant, et j'ai vu un autre projet magnifique qui est tombé à l'eau parce que les parties en présence ne se sont pas mis d'accord. Ils ont commencé à se bagarrer pour la question de la gestion de la propriété industrielle.

Ça c'est évidemment une clé de la réussite. Quand on parle de l'approche intégrée, quand on parle du développement des nanotechnologies, il faut penser à tout ça, il faut aussi penser à la gestion de la connaissance. Il faut penser aux industries qui existent, qui doivent entamer un processus de changement culturel pour être dynamiques, pour s'ouvrir à la nouveauté, mais aussi aux industries qui n'existent pas encore. C'est-à-dire aux professeurs universitaires, aux centres de recherche qui font des spin-off, qui font des start-up, qui lancent des nouvelles compagnies, mais ça c'est le programme que vont traiter les orateurs qui vont suivre.

Et qui doit, après, attirer du capital, de l'argent du marché. Et ce que les investisseurs nous demandent, demandent aux chercheurs, c'est l'excellence scientifique et technique. Les investisseurs mettent de l'argent si les professeurs universitaires ou les chercheurs ont vraiment atteint un niveau de leadership mondial dans leur secteur.

La question de la propriété des résultats doit être claire. Le management, la gestion aussi... Des idées excellentes conduites d'une façon misérable donnent des résultats nuls. Les idées acceptables très bien conduites donnent de très bons résultats. Donc le management, la gestion et les aspects éthiques feront l'objet de la troisième session, consacrés aux aspects éthiques et sociaux.

Je ne parle pas d'une approche morale de la chose mais d'une approche utilitaire. Les grands investisseurs, ceux qui veulent mettre de l'argent dans le triple A, AAA ou AAB, mettent de l'argent dans des secteurs qui sont neutres ou sûrs du point de vue de l'environnement et des aspects éthiques.

Ils veulent éviter des coups de barre type OGM, c'est-à-dire faire du développement responsable. Pas seulement une chose correcte éthiquement, correcte moralement, mais aussi une chose convenable pour l'économie parce qu'on donne une sécurité aux investisseurs. Et les investisseurs ont besoin de sécurité.

Voilà, j'ai terminé mes dix minutes et je m'arrête ici. Merci.


M. Alain CIROU

Merci à vous. On se retrouvera au moment de la table ronde mais juste une petite question. Vous avez donné un certain nombre d'informations mais avec un budget de plus de 100 milliards de dollars au ministère de la Défense américain, n'y a-t-il aucun investissement dans ce secteur ? Le savez-vous ?


M. Renzo TOMELLINI

Moi je parle des recherches civiles. Si on parle des recherches militaires, on change complètement... De toute façon, pour le moment, la majeure partie des investissements est utilisée pour la biodéfense et pour créer de nouveaux capteurs. Il y a, par exemple, tout le développement de poussières intelligentes. C'est quelque chose qui a été lancé à Berkeley en 1997-1998.

C'est un système conceptuellement plus simple à visualiser. Ce sont des petites particules de 1 mm 3 où il y a le capteur, qui sera un capteur capable de reconnaître la molécule précise de l'anthrax ou l'ADN d'un certain monsieur qu'on veut attraper, etc. Il y aura une petite batterie, il y aura un petit système d'analyse de données et de transmission de données et voilà que la nanoparticule, la particule intelligente, la poussière intelligente peut faire son travail. Ça, ce sont des choses importantissimes.

Il y a tout ce qui concerne la miniaturisation, encore une fois pour la question de sécurité mais aussi pour la question spatiale. Le fait de pouvoir avoir des choses très petites qui consomment moins d'énergie et peuvent être envoyées dans l'espace d'une façon beaucoup plus sûre et plus économique. Dans l'espace ou dans le corps humain, évidemment.




M. Alain CIROU

Je demande à l'orateur suivant, Marc CUZIN de la start-up Apibio, d'abord de se présenter, de présenter cette start-up et de nous donner son opinion sur les enjeux économiques vus à travers une start-up.

Le point de vue d'une start-up

M. Marc CUZIN

Directeur technique Apibio

Merci beaucoup Messieurs les sénateurs, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs. Merci de m'accorder ces quelques minutes pour présenter ainsi l'activité.

Je viens du CEA. J'ai proposé cette création de société concernant les biopuces en 1998. La société a vu le jour en mai 2001 et aujourd'hui cette société est à certains points de vue véritablement une start-up, c'est-à-dire qu'on développe toute notre énergie pour conquérir des parts de marché pour vivre et pour devenir profitables.

Elle est start-up dans le sens où elle bénéficie de fonds pour aujourd'hui vivre et se développer, fonds qui sont à 95 % privés puisque Apibio est une filiale de BioMérieux SA qui est dans les dix premiers mondiaux du diagnostic in vitro.

Aujourd'hui, il est clair que les biopuces ont pour vocation de servir la santé et donc d'être appliquées à la médecine, de remplacer et d'aller plus vite pour donner plusieurs réponses à des analyses médicales, pour remplacer les techniques existantes qui prennent souvent, en raison de leur sensibilité et de leur aspect multiparamétrique, plusieurs heures, plusieurs jours, quelquefois quelques semaines pour fournir une réponse.

Nous nous appliquons, nous, à cibler aujourd'hui sur les marchés qui sont déjà accessibles en fournissant des sondes contrôlées, de qualité, pour une réponse sans ambiguïté. Nous travaillons un peu pour la recherche mais, vous allez le voir, beaucoup plus pour des secteurs déjà industriels, demandeurs.

Les biopuces, pour être utilisées en grande quantité, se doivent d'être simples d'utilisation, dans un environnement complet qui va depuis le composant qui est l'élément qui fournit une signature très précise d'une cible recherchée, identifiant un gène, identifiant une maladie, les réactifs qui permettent d'assurer que la réaction tout au long de l'analyse est bien quantifiée, précise, et un outil de lecture.

Donc, il y a un ensemble à fournir à un client pour, après une formation, assurer un service à l'égard d'un utilisateur final. Et c'est dans ce secteur très précis, très ciblé de l'analyse et non pas de l'analyse multiparamétrique que nous nous plaçons.

Il y a, à côté de ça, puisqu'il faut utiliser ces puces dans un format qui correspond à l'utilisation que les biologistes ont aujourd'hui, qui est la microplaque, qui est bien connue de tous les biologistes, il faut avoir quelque chose de très convivial, de très simple.

L'utilisateur, demain, ne sera pas un Bac + 8 ou Bac + 11, ce doit être un laborantin de quartier, d'hôpital, un grand service d'analyse agro-alimentaire, un contrôle d'eau municipal, quelque chose qui devient vraiment banal et donc il faut développer l'utilisation, l'interface et la qualité jusqu'au bout pour qu'il y ait véritablement une réponse qui convient à l'utilisateur.

Aujourd'hui, nous avons une puce qui est relativement simple, développée peut-être sur des principes d'arrière-garde, c'est sur du pastique, mais pour autant vous voyez que ces sondes nanométriques qui font quelques vingtaines, quelques cinquantaines, quelques cent bases de long, 50, 70 m/oligonucléotides pour de l'expression, sont déposées sur une surface qui a une préparation pour que l'homogénéité, pour que la reproductibilité, pour que la sensibilité soient au mieux.

En développement, nous avons aussi avec le CEA, un brevet qui a déjà une dizaine d'années... Les brevets, c'est pour nous fondamental, on en a quand même environ 70 en portefeuille, pour une société de 35 personnes qui fait aujourd'hui 300-400 K€ de CA et, nous l'espérons, cette année un peu plus.

Nous développons, sur la base de brevets anciens qui commencent à entrer maintenant dans une phase totalement étendue au niveau mondial, différentes technologie et, avec le CEA, une fabrication de biopuces parallèles pour fabriquer, avec l'aide de la microélectronique et de l'adressage électronique, des puces par lot.

Cette révolution a clairement été initiée par le monde de la recherche. Aujourd'hui, le marché démarre par des domaines peu réglementés et c'est bien là qu'on peut faire tout de suite de l'argent, ce qui est la préoccupation d'une société qui est jeune, qui doit vivre et qui n'a pas d'autres revenus.

Les marchés, aujourd'hui demandeurs, sont l'agroalimentaire, l'environnement pour contrôler réellement tout ce que nous avons, tout ce que nous mangeons. Ce sont nos premiers clients.

Quant à la visée médicale, il a été évoqué tout à l'heure qu'elle prenait plusieurs années pour être réglementée, acceptée par les organismes de remboursement. C'est pour nous un grand frein, un gros problème que de devoir passer des milliers de cas, de devoir valider sur des grands nombres des puces pour telle et telle application à visée diagnostique d'abord et, bien pire encore, à visée thérapeutique.

La recherche, au début, a eu besoin de puces de forte complexité, souhaitant même mettre un gène complet sur une puce avec une réponse qui était d'abord de type oui-non, et pouvait donc entraîner des coûts élevés.

Lorsqu'on arrive à des utilisations très grand public, il faut penser beaucoup plus simple mais beaucoup plus précis, un contrôle qualité absolu (on n'a pas droit à un faux positif ni à un faux négatif). Et qui a envie de payer cher, même pour se contrôler ? Personne. Les organismes de remboursement veillent à cela de très près. Donc la préoccupation pour nous, aujourd'hui, est de faire une puce qui coûte quelques euros avec le contrôle qualité, avec les réactifs, et fournie de la même manière du 31 janvier au 31 décembre.

Ce ne sont les mêmes puces, Ce n'est pas la même voiture qu'on utilise suivant les utilisations. Nous ne faisons pas l'autocar grand tourisme, nous faisons la voiture de tous les jours, de tous les instants, de toutes les applications.

Parmi toutes les applications, la recherche de médicaments qui utilise pour développer un médicament environ 500 000 tests, représente est un gros challenge, avec les maladies infectieuses en contrôle hospitalier, la génétique humaine. Nous travaillons pour le contrôle agro-alimentaire avec des sociétés de service, avec des grands groupes. Nous développons pour le cancer, en validation méthodologique, des puces. Puis, en immunochimie ou en contrôle de toxicologie, nous travaillons avec des industriels de la cosmétique. En particulier, LVMH Christian Dior a choisi notre plate-forme pour développer la toxicologie des produits cosmétiques.

Donc preuve de qualité, preuve de simplicité qui nous permettent d'avancer.

Mais aujourd'hui où est le marché ? Où est la concurrence ? Ce n'est pas Grenoble où nous sommes implantés, ce n'est pas Rhônes-Alpes, c'est véritablement mondial.

Pour nous, notre souci, c'est que les Etats-Unis sont partis plusieurs années avant nous. Pour autant, il n'y a pas eu encore de grandes diffusions publiques, je crois que le chiffre est d'environ 500 000 puces produites il y a deux ans. La pénétration sur le marché américain est difficile parce qu'il y a eu beaucoup de protectionnisme dans les brevets déposés, dans les brevets de base, des brevets extrêmement simples mais de base.

Affymetrix, par exemple, qui est quand même le premier, le pionnier, le leader, possède aujourd'hui plus de 300 brevets qui bloquent quand même pas mal l'implantation sur leur territoire.

Des sociétés, non des moindres, se développent mais ce qu'il faut quand même avoir en tête, c'est que les levées de fonds pour ces sociétés, les start-up de notre style, aux Etats-Unis, ont levé quelques dizaines de millions d'euros pour travailler.

L'autre marché qui est important aujourd'hui, qui à mon sens prend une dynamique très vite et très forte, c'est l'Asie. Pour nous, notre principal concurrent en termes de produits et de formats est à Taiwan. Il est clair que, là-bas, la notion de brevet n'a pas de valeur, en tout cas pas du tout la même que chez nous. Donc la concurrence n'est pas la même.

Au Japon nous avons, sur des brevets qui mettent six ou sept ans à sortir, une petite PME qui s'appelle Hitachi qui propose aussi des lames de verre avec le génome humain et beaucoup de puces. Donc, la concurrence là aussi va vite.

Et n'oublions pas que des pays comme la Chine peuvent faire une validation biomédicale des puces avec des centaines de milliers de patients en quelques mois, sans problème de réglementation ni trop d'éthique, ce qui leur permet de valider très vite des puces applicatives.

La spécificité de notre domaine en termes économiques est que le retour sur investissement pour nos actionnaires est long. Donc, il faut des gens qui le sachent, qui soient prêts à investir longtemps et qui sachent que si l'on a un équilibre financier qu'on peut espérer à cinq ans, le retour sur investissement, hors valeur de l'entreprise, est plutôt à huit, dix ans.

Donc on est très loin de l'aspect microélectronique, de l'aspect standard, on est beaucoup plus proche de l'aspect pharmaceutique, et ça il faut bien le savoir au niveau investissement.

Les efforts technologiques et les validations sont très coûteux, nécessitent minimum 10 M€. J'ai cité les contraintes réglementaires, et comme les marchés sont très variés, cela demande de la part d'une petite structure comme la nôtre un gros effort commercial qu'il n'est pas toujours facile de faire.

Il y a aussi des contraintes administratives. Permettez-moi juste un petit focus sur notre situation qui n'est pas la seule, nous sommes filiale d'un grand groupe et plusieurs start-up le sont ainsi. A ce titre, nous ne sommes, ni vis-à-vis de la région, ni de la France, ni de l'Europe, une PME. Ce qui veut dire que n'avons pas droit à toutes les aides accordées aux PME. Ceci complique un petit peu la donne, les règles. Le financement, s'il est privé, effectivement il l'est, ferme la porte à beaucoup d'aides, ce qui ne nous facilite pas toujours les choses.

Un petit focus sur la TVA, ça c'est universel, j'en ai discuté avec beaucoup de mes collègues. Certaines aides incluent la TVA, comme celles du ministère de la Recherche qui nous sont utiles et précieuses pour défricher des sujets amont, mais elles incluent la TVA dans leurs montants, ce qui fait d'emblée 20 % de moins.

Ce qui n'est pas le cas au ministère de l'Industrie et des Finances dont un service nous dit : « Voilà une subvention exceptionnelle », alors que, un autre service qui ne connaît pas le précédent nous dit : « Ça, ce sont des revenus, donc c'est imposable sur la TVA ».

Donc on a un gros problème de management de ces deux poches du ministère de l'Industrie et des Finances, l'une qui donne et l'autre qui aimerait bien reprendre 20 %.

Enfin, je dirais qu'il y a des règles administratives et pures qui sont que tant que vous n'avez pas atteint vos fonds propres - je passe sur le détail en séance publique mais il faut l'expliquer  -, si vous avez atteint vos fonds propres, on ne vous prête plus, on ne vous donne plus d'argent. C'est une petite règle très française, les fonds propres sont une limitation absolue à la capacité d'avoir des aides publiques.

Ce n'est peut-être pas vrai pour tout le monde puisque j'ai mis un « sauf pour ». Aujourd'hui, il y a des promotions exceptionnelles. Ce n'est pas la période des soldes mais il est encore quand même sorti, tous les ans à la même époque, un appel d'offres pour utiliser une plate-forme américaine. Permettez-moi de dire que j'aimerais bien profiter des mêmes règles de fonctionnement !

C'est-à-dire qu'il y a des plates-formes qui ont été équipées avec la plate-forme Affymetrix en France et qu'il y a, à ce moment-là, une aide et une subvention de 75 % si vous utilisez ces plates-formes qui sont implantées en France par les pouvoirs publics dans quelques génopoles, qui ont payé ces matériels et qui veulent aujourd'hui aider les chercheurs à les utiliser.

Pour la première phase, c'est très bien. Je dis simplement : à quand le soutien pour des produits de sociétés françaises à la même hauteur ?

Ensuite, pour se développer, Apibio comme d'autres sociétés qui vendent des services et des produits, a besoin de vendre et il ne faut pas qu'il y ait sur les mêmes objets, sur les mêmes produits, la concurrence de services publics.

Pour ceux qui veulent la référence, elle est sur le Web, vous voyez que l'appel d'offres Affymetrix de subvention à l'achat de puces et de réalisation d'expériences sur les machines des génopoles est soutenu à 75 % alors que, sur toutes les autres aides, nous avons 30, voire 35 % au mieux. C'est un petit peu mon souci, essayer aussi d'être la cible d'une telle offre en tant que produits de société française.

Sur le contexte international, j'aimerais souligner deux points avant de conclure.

Il y a une directivité quand même très différente entre les Etats-Unis, l'Europe et la France.

Après les événements du 11 septembre 2001 bien présents dans tous les esprits, il a été proposé en 2002 un appel d'offres bioterrorisme. Lorsque j'ai proposé aux autorités compétentes un projet d'environ 1,5 M€, on m'a répondu : « Non, il y a 300 K€ par projet ».

Sachant qu'un chercheur ou un travailleur coûte environ 100 K€/an, sur trois ans, vous voyez que ça permettait de mettre une personne au travail. Donc, nous nous sommes retirés, ne pouvant pas répondre à un produit de qualité dans ces délais.

En comparaison, la société CEPHEID, qui compte à peu près soixante personnes, a reçu de la Direction des Postes aux Etats-Unis, pour détecter l'anthrax dans les enveloppes, 130 M€...

A noter aussi une petite différence concernant les brevets et notre concurrence vis-à-vis de nos partenaires ou notre positionnement n'est pas non plus tout à fait le même. Il ne faut pas oublier que lorsqu'on publie aux Etats-Unis, on a un an, après, pour prouver, démontrer et déposer un brevet. En Europe, c'est l'inverse : dès qu'on a publié, on n'a plus le droit de breveter. Donc la règle n'est pas tout à fait la même.

Les perspectives, c'est ma conclusion, de quoi avons-nous envie et que pouvons-nous faire ?

Je crois qu'on a des forces, c'est clair. Je crois qu'on a l'envie de réussir. On a l'énergie, on a la volonté, on a la capacité, on a la confiance d'investisseurs, on a la qualité de recherche, nous travaillons avec plusieurs organismes publics (le CEA, l'Ecole normale, le CNRS, d'autres laboratoires), on a la force de nos brevets. Ceci, c'est ce qui nous aide.

Mais derrière, il y a de sérieuses contraintes réglementaires qui nous coûtent du temps pour vendre, pour réaliser. Il y a les engagements dont j'ai parlé, par exemple développement d'une puce pour l'anthrax, pour le SRAS, pour la légionellose, des tas de choses qu'on pourrait faire si on avait véritablement un contrat ou un engagement derrière de fourniture. Parce que s'il faut investir et avoir 70 % du travail à mettre de notre poche, l'actionnaire dit : « Stop ! Le retour, il est dans dix ans, ce n'est pas ce qui va vous faire vivre, je ne suis pas d'accord ».

Il y a le coût de la main-d'oeuvre (quatre fois moins cher en Chine), j'ai cité mon concurrent sur le format microplaques qui est là-bas, la poussée véritablement globale de ces pays.

Ce que nous attendons aujourd'hui pour rester dans une course dynamique et gagner, je crois que c'est passé sur des contrats véritablement à un facteur d'échelle plus important, pour réaliser, pour vendre, et une prise en compte liée aux règles et au développement.

Je vous remercie de votre attention.


M. Alain CIROU

Merci, Marc CUZIN. On va réserver les questions à la fin de cette table ronde.

Je vais demander à l'orateur suivant, M. Pascal Boulon de Yole Développement, de se présenter, de présenter sa société et d'intervenir sur les études de marché pendant les dix minutes imparties. Merci.

Les études de marché

M. Pascal BOULON

Directeur adjoint Yole Développement

Bonsoir. Je suis directeur adjoint de la société Yole Développement qui est une petite société composée d'une quinzaine de personnes et fondée par M. Eloy en 1998.

M. Eloy avait une responsabilité au préalable au sein du bureau d'études marketing du CEA où il a réalisé un grand nombre d'études de marché dans le domaine des microtechnologies, des microsystèmes en particulier.

Constatant un manque de prestataires pour réaliser des études marketing, et je reviendrai sur ce mot, il a décidé de fonder cette société.

Nous avons donc largement travaillé au cours des cinq dernières années sur le domaine des biopuces et des biocapteurs. Nous avons été missionnés à plusieurs reprises par l'Etat français notamment. Nous avons réalisé une étude à laquelle d'ailleurs il a été fait référence tout à l'heure par M. Rossier concernant les volumes de marché dans le domaine des biopuces.

Je vous disais tout à l'heure que j'allais revenir sur le mot marketing. En effet, le titre de ma présentation s'intitule « Les études de marché ». Ce n'est pas jouer sur les mots que de dire que, en fait, nous passons l'essentiel de notre temps, non pas à réaliser des études de marché mais des études marketing.

Il y a une grosse différence entre les deux et cela s'applique particulièrement bien au domaine de l'étude des microtechnologies et nanotechnologies. En effet, lorsqu'on réalise des études de marché, on s'attache à obtenir des données quantitatives sur le marché. On évalue un marché existant et on fait de la prospective pour essayer d'évaluer l'évolution de ce marché.

Lorsqu'on réalise des études marketing, on est dans le domaine du marketing de l'innovation, c'est-à-dire qu'on essaie, de mieux comprendre quelles sont les attentes des industriels et en quoi les innovations qu'on leur présente répondent à leurs besoins.

On est généralement dans le cas de ce qu'on appelle une approche constructiviste, c'est-à-dire qu'on travaille en relation avec les laboratoires de recherche. Nous sommes en relation avec le CEA, le CNRS, l'INSERM, etc., ainsi qu'avec de nombreux laboratoires étrangers avec lesquels nous réalisons, laboratoires et entreprises, un peu plus de la moitié de notre chiffre d'affaires, et nous nous insérons dans la poursuite des travaux de recherche et développement.

Je parle d'approche constructiviste parce que nous sommes amenés à valider ou à invalider des hypothèses concernant le lancement de technologies, de produits ou de services innovants.

Nous travaillons avec les laboratoires de recherche pour décrire, par exemple, des développements dans le domaine du stockage de l'énergie appliqué à des dispositifs médicaux tels que les pacemakers et nous allons tester auprès des industriels, des prescripteurs, qui pourraient être amenés à acquérir cette technologie, leur intérêt pour cette technologie, bien comprendre leur cahier des charges.

Nous ne sommes pas amenés à prendre la photographie de marchés existants mais à peindre les marchés, à construire les marchés en essayant de comprendre quelles sont les attentes techniques des industriels mais également en essayant de comprendre quels sont les facteurs explicatifs de leur comportement.

C'est quelque chose que nous rappelons sans cesse car, en particulier en étant spécialisés dans le domaine des microtechnologies et nanotechnologies, nous sommes sans cesse confrontés à l'étude d'innovations pour la plupart majeures, pour lesquelles, bien souvent, nous sommes amenés à étudier des marchés qui n'existent pas. C'est-à-dire décrire des groupes d'utilisateurs potentiels qui vont constituer la cible principale, notamment de start-up.

Evidemment, nous réalisons également des études de marché. Tout à l'heure, il a été cité une étude dans le domaine des biopuces, mais nous n'avons pas la prétention, et je n'ai pas la prétention, à l'instant, de vous présenter des résultats sur le marché des nanotechnologies.

Il y a un tel foisonnement d'applications, que ce soit dans le domaine de la médecine ou dans d'autres domaines, que nous ne pouvons pas présenter de données générales, nous sommes obligés de travailler au cas par cas.

Si nous en revenons à des cas concrets, je parlais tout à l'heure du cas des pacemakers, les nanotechnologies peuvent permettre de développer des sources d'énergie qui auront des durées de vie plus importantes pour des dispositifs médicaux comme les pacemakers. Et, lorsqu'on s'intéresse à l'évaluation du marché, il est assez facile de quantifier le marché parce qu'on connaît le nombre de pacemakers vendus dans le monde, ne serait-ce qu'en étudiant le nombre de microsystèmes, de capteurs, qui ont été produits pour fabriquer ces pacemakers.

Donc là, le travail de l'analyste de marché est assez « simple ». Il va certes tester l'innovation mais, lorsqu'il aura bien compris quel est le profil des clients, il va faire référence à des données de marché extrêmement diverses - dans les microtechnologies et nanotechnologies, on a affaire à tous les domaines industriels d'application - mais il va en tout cas disposer d'un certain nombre de données. Tout à l'heure, on parlait de la cornée, j'ai vu des chiffres précis. Donc on peut essayer d'imaginer quelle va être la part de marché prise par l'innovation développée.

En revanche, lorsqu'on s'intéresse à des marchés qui n'existent pas encore, et ce n'est pas une boutade, nous sommes amenés à étudier des produits qui n'existent pas encore sur des marchés qui n'existent pas encore... Donc, vous imaginez que la tâche est difficile ! Mais c'est dans ce cas qu'on est obligé d'avoir une approche constructiviste et, finalement, une fois qu'on est arrivé à décrire le profil type des clients, l'approche constructiviste consiste à construire avec les porteurs de projets - et en particulier avec les start-up puisque dans le domaine des nanotechnologies, nous avons affaire à de nombreuses start-up -, consiste à essayer d'imaginer quelle va être la croissance du marché pour cette entreprise en partant des moyens de l'entreprise. En partant certes du marché qu'on a décrit mais en revenant très rapidement aux moyens de l'entreprise.

En particulier dans le domaine de la médecine, si l'innovation répond à des attentes fortes et si le coût des produits ou des services est en adéquation avec les capacités du marché, le développement des entreprises est plus lié aux moyens que ces entreprises ont la capacité de mettre sur la table qu'au volume du marché. Peu importe le nombre de milliards, ce qui compte c'est d'être capable d'accéder au marché.

Je conclurai cette introduction en disant que, dans le cas des microtechnologies et nanotechnologies en particulier, il est nécessaire de réunir des fonds importants pour développer de nouvelles activités.

J'ai eu, il y a une semaine, l'occasion de présenter dans le cadre d'un séminaire de l'OMNT (Observatoire des micro- et nanotechnologies) les levées de fonds que j'avais pu recenser dans le monde au cours de l'année 2003. J'ai recensé une douzaine de levées de fonds. Malheureusement, je n'ai pas recensé de levées de fonds en France, la moitié de ces levées de fonds avait lieu aux Etats-Unis. Bien sûr, nous n'avons pas la prétention de toutes les connaître, et on en oublie peut-être certaines en France, voire en Europe, mais en tout cas, une chose est certaine, c'est que les levées de fonds allaient de 1 M$ à 38 M$, avec une moyenne qui se situait autour de 7-8 M$.

Si on totalise sur quelques années les start-up qui sont vraiment génératrices des innovations, avec les groupes industriels évidemment - vous m'excuserez mais mon travail concerne essentiellement un accompagnement de start-up -, ces start-up réunissent environ 15 M$, 20 M$ pour réussir à faire émerger une activité. Donc ce sont des fonds très importants qui sont nécessaires pour créer les marchés. On est véritablement dans une dynamique de création de marché. Merci.


M. Alain CIROU

Merci Pascal BOULON. Comment trouver ces fonds pour des start-up dans un marché dont vous nous avez expliqué qu'il était virtuel, c'est la question qui est fondamentalement posée à l'orateur suivant, Bernard DAUGERAS, d'AURIGA PARTNERS.

Le financement

M. Bernard DAUGERAS

Cofondateur d'Auriga Partners

Merci. Je suis Bernard DAUGERAS, le cofondateur d'Auriga Partners qui est un fonds de capital risque qui gère à peu près 200 M€ et qui l'investit uniquement dans les créations d'entreprise, les start-up à la fois de technologies de l'information et de biotechnologies. On est un petit peu à l'interface de ces deux secteurs.

Je suis docteur ès sciences en physique des particules, ce qui me qualifie particulièrement puisque je suis totalement incompétent en biotechnologies. Il y a deux significations : la recherche mène à tout à condition d'en sortir et il n'y a pas besoin d'être compétent pour réussir.

Je vais tout de suite répondre à l'orateur précédent parce qu'il y a un problème de terminologie. En arrivant tout à l'heure, j'ai écouté toutes les présentations, je me suis rendu compte, comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, puisque, pour nous, dans notre jargon de venture capitalistes, la thérapie cellulaire, les biochips, le drug delivery, ce n'est pas des nanotechnologies, ce n'est pas ce qu'on appelle nanotechnologie.

Donc, si on appelle ça nanotechnologies, alors il y a eu deux closings en France auxquels j'ai participé l'an dernier dans les nanotechnologies, l'un pour 12 M€, l'autre pour 5 M€, qui est en train de se terminer ce mois-ci à 12. J'ai participé aux deux, j'ai même été le leader des deux. Ça veut dire que les statistiques sont difficiles à trouver...

Moi, je ne m'occupe que de financement de créations d'entreprise, donc je vais rappeler brièvement ce qu'est un venture capitaliste. D'abord, on n'est pas des mécènes, donc on doit rémunérer nos actionnaires, on doit les rémunérer plutôt mieux que les Caisses d'Epargne, et ce n'est pas neutre ce que je dis. Ça veut dire que, nous, il faut qu'on gagne beaucoup d'argent pour leur rendre plus d'argent qu'ils n'en gagneraient en achetant des bons du Trésor. Donc nous devons, nous, impérativement gagner de l'argent. La seule façon de gagner de l'argent, pour nous, c'est de faire des plus-values en capital sur les investissements que nous faisons.

Schématiquement qu'est-ce qu'on fait ? On achète des actions qu'on essaie de payer pas cher dans des sociétés en création. Avec l'argent que les sociétés récoltent, elles développent leur société, leur technologie -elles font de la R&D d'ailleurs encore !-, développent leur marché, créent de la valeur en faisant ça ; et on espère, nous, au bout de quatre, six, huit ans et quelquefois hélas beaucoup plus, sortir en vendant les actions plus cher qu'on ne les a payées. Et c'est avec la différence de prix que nous rémunérons nos actionnaires et, par voie de conséquence, nous aussi.

Nous sommes des spéculateurs, soyons clairs et nets. Mais je pense que spéculer c'est très bien. Tout le monde spécule.

Le cadre général a des conséquences fortes et cela a été dit tout à l'heure très brillamment. Il y a quatre conséquences fortes.

Il faut que les sociétés soient fondées sur des technologies innovantes, différentiations exceptionnelles, je n'investis que sur la science de première classe, science de top niveau, et je crois que vous l'avez dit de façon tout à fait brillante.

Cela se dit rarement, on croit que les financiers ne financent que la recherche appliquée de bas étage et que la recherche noble est financée par le public. Ce n'est pas vrai ! Nous n'investissons que sur la recherche de top niveau. J'ai plusieurs prix Nobel dans mes sociétés, j'ai plusieurs prix Nobel dans les conseils d'administration de mes sociétés. Nous ne finançons que de la top recherche.

Deuxièmement, je veux dire un mot sur les brevets parce que ce n'est pas assez dit ici. S'il n'y a pas de brevets, on ne fait rien. Avec une institution qui est représentée ici, je me suis heurté à un problème, à savoir qu'ils ont publié avant de prendre le brevet, de sorte que je n'ai pas pu faire la société. On avait un projet de start-up et je n'ai pas pu le faire parce le scientifique, le sachant d'ailleurs très bien, a breveté. Et il m'est arrivé déjà de me promener dans les labos et de les empêcher de publier... C'était à huit jours près.

Une de mes plus belles sociétés actuelles, je l'ai rattrapée juste à temps. Deux jours avant une publication dans un congrès américain, j'ai appelé un de mes amis, qui est le patron d'une société de brevets, qui est venu rédiger le brevet pendant le week-end avec lui. Et c'est devenu une de mes plus belles sociétés de portefeuille. Si je ne l'avais pas fait, il n'y aurait pas de société. Donc brevet, brevet, brevet, brevet, il n'y a que ça. Ce qui n'empêche absolument pas de publier !

Troisièmement : potentiel de marché important. Je crois que cela a été dit, je ne vais pas le rappeler.

Dernier point, mais c'est évident, il faut un management top parce que ces sociétés sont fragiles. C'est difficile, elles se heurtent à des PME comme Toshiba ou Hitachi, comme il a été dit précédemment, et c'est vrai ! Donc la seule façon de réussir, c'est d'être plus intelligents, d'être meilleurs managers, d'avoir une meilleure recherche, une meilleure propriété intellectuelle. Il faut être top.

Le cas des nanotechnologies : à la réserve sémantique près de tout à l'heure, moi je pensais naïvement que les biotechnologies, c'était plutôt des micro ou nanodispositifs plutôt orientés physique du solide, circuits intégrés, microfluidique, enfin tous ces machins-là dans la tranche des dimensions micro et nano, bien sûr, avec des tas d'applications dont beaucoup d'applications sciences de la vie, bien entendu. Je ne pensais pas que la thérapie cellulaire était incluse dans les nanotechnologies.

J'ai deux sociétés de thérapie cellulaire, l'une en Israël, l'autre en Belgique dans lesquelles on a investi pour la première 12 M€, la deuxième pour 17 M€.

J'ai deux sociétés de drug delivery, sur des véhicules, un peu comme ça a été décrit tout à l'heure, assez astucieux, qui font du targeting positif d'ailleurs et sur lesquelles nous venons de terminer un closing à 12 M€ pour l'une et 10 M€ pour l'autre.

Je vais vous amuser un petit peu. Hors de ces applications classiques, on est en train de regarder quelque chose qui est assez amusant, qui hélas est à Minneapolis, qui est un spin-off de Oak Ridge National Laboratory. Pour ceux qui connaissent un peu, c'est un laboratoire de physique nucléaire. Je faisais partie de cette communauté, donc je les connais très bien.

C'est une nouvelle génération de batterie rechargeable, pas tout à fait encore nanométrique mais on espère y arriver. Pour l'instant, elle est strictement micrométrique au sens propre du terme puisque c'est une monocouche qui est inférieure à 1 micron, qui est fabriquée par les techniques de circuits intégrés et qui a une densité électrique, une densité de charge absolument phénoménale. A tel point que ça peut alimenter des tas de dispositifs.

Elle est rechargeable par induction, donc elle est utilisable à distance in vitro pour des très longues durées de vie. On n'a pas encore décidé de faire l'investissement. Il faut lever une quinzaine de millions de dollars, donc une douzaine de millions d'euros. On est assez tentés, on va le faire. J'imagine de multiples applications de biotech !

Je pense qu'on va faire cet investissement uniquement pour qu'il serve, et ça répond à des questions, pour qu'il serve à permettre de nouveaux dispositifs de diagnostic, de drug delivery in vivo assez astucieux.

La question sur les pacemakers tout à l'heure sera envisagée dans ce cadre. Il n'y aura plus de batterie dans les dispositifs auditifs, par exemple. Vous les posez le soir, ils se rechargent tout seuls sur votre table de nuit, etc. Il y a des choses assez étonnantes à faire.

Attention aux effets de mode, ça été dit tout à l'heure. Y a-t-il un hype dans les nanotechnologies ? La réponse est évidemment oui. Il y a vingt ans que je fais le métier d'investisseur, j'ai connu trois ou quatre hypes comme ça. Le dernier, c'est celui de la génomique, on a vu à quoi il amenait...

Donc attention ! On ne financera jamais des technologies, on finance des sociétés. Je voulais le dire assez solennellement parce que ce n'est pas la même chose. On ne finance pas la fin de la recherche fondamentale. On finance des sociétés qui ont des projets, qui sont structurées et qui attaquent des marchés réels dont on pense qu'ils existent.

Je suis content d'avoir écouté l'orateur précédent parce que j'ai une sainte méfiance vis-à-vis des études de marché sur les produits innovants. C'est très très difficile d'imaginer les réponses du marché d'un produit innovant, surtout un produit qui n'existe pas, une technologie qui n'existe pas, en général en rupture par rapport à ce que nous faisons, c'est particulièrement difficile. Mais je crois que l'orateur a bien dit à quel point c'était un travail délicat à faire.

Y a-t-il de l'argent ? Oui, il y a de l'argent. Il y a beaucoup d'argent. Je vous ai donné les chiffres de quatre investissements dans ce secteur auxquels j'ai participé. C'est vrai que les sociétés ont besoin de plusieurs dizaines de millions d'euros, c'est absolument vrai.

Les sociétés européennes dans lesquelles j'ai participé, et je considère qu'Israël c'est en Europe dans ce cadre là, ce sont des sociétés qui ont toutes levé plus de 10 M€ et qui s'apprêtent à en lever 20, 30 à peu près pour développer ça.

L'argent est principalement européen, il y a un peu de fonds américains dans ces entreprises, mais il est principalement européen. Donc ce n'est pas désespérant, il y a de l'argent en Europe pour créer des sociétés.

On a eu une crise très très violente en 2001-2002. La crise a commencé par le capital risque et je voudrais vous rappeler un petit chiffre : le 1er janvier 2002, il y avait 250 fonds de capital risque en Allemagne ; le 31 décembre 2002, il n'en restait plus que 50... Donc, il y a eu 200 sociétés de capital risque qui ont disparu en Allemagne en un an.

Je voudrais que tout le monde se rappelle ça, parce que c'est le mot risques. On dit toujours que les banquiers ne prennent pas... Je ne suis pas banquier, bien sûr... les financiers ne prennent pas de risques. Si, ils prennent beaucoup de risques. Je voulais vous le dire.

Typiquement, un projet, ça met quoi ? Ça met deux, trois mois à six mois à se financer quand c'est un bon projet. On insiste beaucoup sur la qualité du management, je l'ai déjà dit mais c'est absolument clair, à tel point que ce sont les patrons qui viennent nous présenter leurs projets. Ce qu'on fait immédiatement quand on aime le projet, on staffe la société et on recrute.

Nous sommes des gens actifs, on s'intéresse à ce que fait la société. Si ça ne marche pas, on prend des mesures drastiques, comme je l'ai fait cet été un peu en catastrophe au mois d'août dans une de mes sociétés. Ça a fait un peu de bruit mais c'est normal parce que si ce n'est pas ça, c'est le mur.

Donc pas d'inquiétude, il y a de l'argent. Si vous avez des bons projets, vous pouvez venir nous voir ! On n'a pas à rougir de nos confrères américains, dans ce domaine-là, on est plutôt assez bons. On n'est pas aussi bons partout mais, dans ce domaine-là, on est plutôt assez bons.

Dernier commentaire politique. Là, je pense que l'Europe en général et la France en particulier ne dépensent pas assez d'argent dans ces technologies innovantes. Je vais vous donner un chiffre : l'accroissement du budget du NIH l'an dernier est égal à la totalité du budget du CNRS. Voilà.


M. Alain Cirou

Merci. Je propose à tous les intervenants de cette deuxième table ronde de rejoindre le pupitre. Ouverture du bal des questions-réponses entre la salle et les différents intervenants.

Débat

M. Daniel RAOUL

J'aurais une question à poser à mon voisin de droite, M. TOMELLINI.

Je crains que vous ayez utilisé dans les décomptes des crédits entre l'Europe et les Etats-Unis la méthode Coué. En tout cas, les comparaisons des fonds investis aux USA et en Europe dans les domaines que vous avez évoqués et le dernier chiffre qui vient d'être évoqué par M. DAUGERAS me font penser que entre l'accroissement, simplement dans le domaine du NIH, et puis le budget du CNRS, il y a quand même une distorsion énorme.

Je veux bien croire qu'il y ait des crédits en Europe, qu'il y ait un potentiel, ça j'y crois, mais ce qui me fait un peu peur, indépendamment de cette remarque - et je ne fais pas partie des gens qui croient à la France du déclin, je crois que l'Europe peut arriver à jouer dans un match entre l'Asie et les USA et pas simplement compter des points entre les deux - mais on oublie toujours les masses cachées aux USA et en particulier celles du ministère de la Défense. J'ai été frappé, lors de la visite que nous avons pu faire avec mon collègue Lorrain dans les différents laboratoires, des masses énormes du ministère de la Défense ! Et qui n'apparaissent d'ailleurs pas toujours dans les budgets officiels.

Ce qui me fait penser qu'on est réellement, en tout cas dans le domaine des nanotechnologies, enfin le couplage des deux, déjà dans une guerre économique et dans des enjeux en tout cas stratégiques au niveau mondial.

Si on prend l'exemple typique de Moreno, de Gemplus, tout le monde sait que c'est quand même une filiale de la CIA qui a racheté Gemplus. Ce ne sont pas non plus des philanthropes, les filiales de la CIA ! On est bien dans des enjeux économiques mais je pense que c'est plus large que ça et que c'est plus au-delà de la finance et des pouvoirs financiers. C'est un enjeu de maîtrise du monde. C'est le sens de ma question.


M. Renzo TOMELLINI

C'est une question très complexe. En ce qui concerne les chiffres, je crois que M. DAUGERAS s'est référé à l'augmentation sur plusieurs années...


M. Bernard DAUGERAS

Hélas non ! C'est beaucoup plus grave que vous ne le croyez ! Moi qui me promène dans tous les laboratoires du monde, j'ai l'impression d'être dans le Tiers-Monde dans les laboratoires français et d'être au paradis dans les laboratoires américains !

La situation est proprement catastrophique ! Moi, je représente quelqu'un qui dépense mon enthousiasme et mon argent pour ne pas être en décadence et pour justement créer de la valeur à partir des résultats des chercheurs. Et j'ai le regret de constater que je fais plus d'investissements hors de France qu'en France actuellement parce que je ne trouve plus, en France, la matière.

Je trouve ça particulièrement inquiétant. Je l'ai dit à Francis Mer, je l'ai dit à beaucoup de gens et je tire la sonnette d'alarme.

Aux Etats-Unis, depuis quatre ans, l'accroissement de la recherche américaine est égal à la totalité de la recherche européenne. Ça, c'est vrai depuis quatre ans. Mais c'est sur un an que l'augmentation du budget du NIH est égale à celui du CNRS. Donc je pense qu'on n'est plus dans la course ! Soyons clairs, nous ne sommes plus dans la course ! (Applaudissements)


M. Renzo TOMELLINI

Je ne vais pas rentrer dans cette polémique-là...


M. Daniel RAOUL

... Non, non, c'est indépendamment des chiffres qui complétaient mon sentiment. C'est suite à la visite aux USA et avec le cynisme américain qu'on connaît. C'est de dire, en gros : « Vous formez de très bons chercheurs, nous sommes capables de sélectionner les meilleurs post-doc et nous avons les moyens de les acheter, ce n'est pas la peine qu'on investisse ».


Un intervenant

Il y a véritablement un enjeu stratégique pour l'Europe !


M. Renzo TOMELLINI

C'est intéressant d'écouter ça, je veux seulement apporter quelques éléments de réflexion. Il y a, c'est que je disais dans mon intervention, une question de financement parce que si l'on ne se donne pas les moyens, on ne fait rien.

Mais il y a la question de savoir comment on dépense et ce qu'on fait en réalité. Il y a une question de mécanismes et quand je parlais du paradoxe européen, du concept de créer de la connaissance et, après, d'importer de la technologie, évidemment tout ça, ça ne relève pas seulement de la question de dépenser ou pas dépenser parce que, la connaissance, on arrive à la créer quand même. On peut arriver à discuter de ça, de la masse critique, et ça c'est le concept même de réaliser un espace européen de la recherche.

Mais il y a toute une série d'autres éléments qui comptent, par exemple les infrastructures. En Europe, où sont nos infrastructures ? Vous avez Grenoble, c'est un excellent exemple, vous avez eu le courage, l'argent en tant que République française et la capacité en tant que société structurée d'une façon suffisamment centralisée, de faire Grenoble.

Dans les autres pays, c'est impossible. Soit parce qu'il n'y a pas l'argent, il n'y a pas la masse financière critique, parce que les pays sont plus petits, soit parce que ce sont des pays fédéraux et ce sont des pays avec d'autres mécanismes.

Il y a la question de la formation. Si on arrive à avoir mille milliards d'euros de marché de matériaux non structurés basés sur les nanotechnologies, il faut avoir deux millions de techniciens, d'ingénieurs qui travaillent sur les nanotechnologies, c'est-à-dire qu'on a besoin des gens qui font ça.

On a besoin des structures, des mobilités des industries, d'une révolution culturelle à l'intérieur des industries et d'une perméation public-privé pour arriver à créer de nouvelles sociétés ; nouvelles sociétés qui vont, après, créer des problèmes parce qu'il y aura une concurrence et les autres sociétés vont fermer.

Là, ce sont des occasions à ne pas rater dans le sens qu'on peut faire de l'argent mais on peut aussi perdre de l'argent. C'est un mécanisme beaucoup plus complexe. Hélas, il faut l'approcher avec une approche politique qui est complexe.

La question des chiffres. Je ne rentre pas dans les crédits militaires parce que le mandat que vous avez donné à la Commission dans le Sixième programme cadre est seulement recherche civile et on a même une clause qui nous empêche de mentionner le mot militaire. On verra sur le Septième programme cadre si on s'occupe de sécurité et du militaire ou pas. Ça, ça dépend des Etats membres. Mais si on reste dans le civil, on n'a pas en réalité trop de différences de chiffres. Là, on peut travailler sur les chiffres mais ce n'est pas le moment.

Où il y a le problème, c'est dans le manque de capital privé mis dans la recherche en Europe. Fondamentalement, les industries européennes sont sous-capitalisées. Ça, c'est un problème européen. Pourquoi ? Parce qu'il y a des dettes publiques importantes, parce que les bons d'Etat vont absorber l'épargne des citoyens, parce que l'industrie trouve moins d'argent, etc. Mais il y a un effet de sous-capitalisation dans les industries européennes et ça, c'est un problème.

Le problème sera de faire bouger et d'arriver à mobiliser de l'argent privé, arriver à trouver des mécanismes - j'espère que le prochain programme cadre sera une bonne occasion pour ça - pour créer des partnerships entre capital privé et capital public.

On a par ailleurs un article du traité, le 171, qu'on n'a jamais utilisé, qui pourrait être un très bon outil pour s'appuyer et créer ces systèmes.

Je suis d'accord avec vous, c'est un problème complexe, réponse politique, réponse articulée, mais ce n'est pas seulement une question d'argent. Ce n'est pas en mettant plus d'argent directement ici et là. Il faut voir où mettre l'argent et comment mettre l'argent.


Une intervenante

En discutant avec de nombreux collègues qui ont créé des sociétés soutenues par l'ANVAR, donc des gens qui viennent du public parce qu'il y a eu un gros effort fait en France, on leur donne des subventions assez facilement par l'ANVAR et toutes aides publiques mais, après trois ans, ces sociétés se retrouvent très souvent dans des difficultés très grandes.

J'aimerais qu'il y ait des commentaires ici d'experts pour nous dire pourquoi ces sociétés ont tant de difficultés après trois ans. Est-ce que ça tient au fait que l'on a décidé de soutenir, sans les sélectionner, des projets qui ne méritent pas de l'être ou, tout simplement parce qu'il y a des efforts importants de financement qui n'ont pas été faits ?


M Bernard DAUGERAS

Je veux bien répondre à cette question. Trois ans, c'est l'âge critique pour une jeune société, c'est vrai. Pourquoi ? Ce n'est pas anormal parce qu'il y a beaucoup de déchets, il y a beaucoup d'échecs. Moi même, dans mon métier, il y a des sociétés qu'on finance et qu'on arrête de financer parce que cela ne mène à rien. Parce que la science n'est pas là. Parce que le marché n'est pas là. Parce que God knows what... Donc, on arrête. Donc, oui, les sociétés ont des difficultés.

Très souvent aussi, ce qui se passe, c'est que les sociétés croient qu'elles vont se financer par l'argent public. L'argent public, c'est la meilleure et la pire des choses. Moi, j'appelle ça le baiser de Judas pour les sociétés. Elles croient que c'est de l'argent gratuit mais ça n'est pas de l'argent gratuit ! En général, il faut beaucoup plus d'argent pour réussir un projet, on l'a dit tout à l'heure, tout le monde l'a dit autour de la table. Il faut 10-20-30 M€ pour réussir un projet. Ce n'est pas l'argent public qui va faire ça !

L'ANVAR ne peut donner qu'une microscopique partie de ça. Donc, il faut que les gens lèvent de l'argent auprès de gens comme nous. Il faut qu'ils lèvent du capital, il n'y a pas d'autres solutions ! S'ils ne lèvent pas de capital, il n'y a pas de solutions. Or, très souvent, les gens ne veulent pas partager leur capital, donc voilà, c'est difficile. Mais c'est la vie.


M. Marc CUZIN

Je crois qu'il est clair, si l'on se met dans la peau d'actionnaires, et M. DAUGERAS vient de l'expliquer, au bout de trois ans, il faut qu'il y ait des perspectives. Or une start-up n'est pas liée simplement à des projets de R&D. Il faut que, la troisième année, il y ait vraiment une visibilité de prise de parts sur un marché avec des produits éprouvés, validés.

Là, il y a un point de concours qui est obligé, il y a quelquefois un passage de main qui doit être accepté ou doit être fait. Nous, on a changé de président l'année dernière. On a embauché ce mois-ci un directeur commercial et il s'agit d'aller à l'export, de valider, de retransformer l'essai parce qu'on a des marchés qui démarrent et sur lesquels il faut faire des preuves.

Et il est normal que la répartition qui est au départ 80 % de R&D et 20 % de perspectives de produits en vente, en fiabilisation et en production pilote, passe la troisième année à 20 % de R&D, 80 % de production pilote pour, après, se stabiliser comme toute société au bout de cinq ans, six ans, à environ 10 % de R&D, le reste étant du commercial, de la production ; c'est une structure qui n'est plus la même.

Il faut toujours anticiper ce virage, ce que nous essayons de faire. Ce qui impose de se remettre en question, ce qui impose de compléter l'équipe de management par ce qui convient au moment et aux besoins posés.


M. Pascal BOULON

Pour compléter, je voudrais dire que, actuellement, j'accompagne deux start-up. L'une basée à Saint-Etienne dans le domaine de la nanométrie, l'autre basée à Grenoble dans le domaine des piles à combustible.

L'argent qui est donné à ces entreprises et qui provient de l'ANVAR est capital pour l'étincelle du départ, pour commencer à créer quelque chose. Mais, effectivement, à partir du moment où l'on veut vraiment construire une gamme de produits, construire tout simplement une entreprise - parce qu'une entreprise ça se construit, ce sont des choses simples à réaliser mais il faut la construire l'entreprise - là, il faut beaucoup d'argent. Là, il y a besoin d'un soutien souvent massif d'institutions, de capital privé, donc pas de l'ANVAR.


M. Daniel RAOUL

Je voudrais simplement rappeler que les collectivités sont quelquefois coupables de la mortalité de ce genre de projets. Il y a souvent des prêts irremboursables qui ne font que plomber le haut de bilan de ces sociétés, c'est-à-dire que, au bout de trois ans, il faut rendre sous une forme quelconque. Je crois que ce n'est pas un service qu'on rend à ces business plans de jeunes sociétés. Je crois qu'on devrait être plus filtrants que ça, quitte à déshériter ou désespérer certains.


M. Alain CIROU

Peut-être une question à M. DAUGERAS. Vous avez dit quelque chose qui est surprenant. Vous avez dit ne vous intéresser qu'aux sociétés, aux sociétés elles-mêmes, mais cette révolution scientifique, technologique qui est annoncée dans le monde des nanotechnologies, économiquement est-ce qu'elle a un sens ? Est-ce que vous percevez aussi une révolution, non pas à la hauteur de ce que l'on peut connaître avec les sciences de l'information mais, pourquoi pas, économiquement un très fort potentiel ?


M. Bernard DAUGERAS

Je crois que oui. Encore une fois, ça dépend de la terminologie. Si on se ramène à la terminologie du jour, je pense que les cellules souches, la thérapie cellulaire au sens large du terme risque de changer le paradigme de la pharmaceutique.

C'est pour ça que j'ai placé quelques billes pour voir comment cela se passait et que j'ai commencé à y investir. Et c'est en train de se passer. Je crois que c'est en train de se passer. Je pense d'ailleurs que ça va être un choc culturel majeur pour l'industrie pharmaceutique qui est fondamentalement une industrie de chimie.

Ils ont beaucoup loupé le virage de la biotech. Il faut savoir, quand même, que les deux tiers des molécules pharmaceutiques en phase III actuellement proviennent des start-up de biologie, de biotech. Les deux tiers des molécules en phase finale de développement viennent de la biotech. Donc la grande industrie pharmaceutique a loupé cette révolution, soyons clair, je crains qu'elle loupe encore plus profondément la thérapie cellulaire.

Pour le drug delivery... oui. Mais ce n'est qu'un outil. C'est un outil important mais ce n'est qu'un outil. Quant à toutes les méthodes de diagnostic, oui, ça va se développer très fort.

Moi, je crois beaucoup aussi au système bon marché, applicable partout, comme vous l'avez expliqué pour Apibio est évident que ça va se développer. J'y crois beaucoup.

Il y avait une question qui avait été posée tout à l'heure sur le danger de cela, par rapport au risque. Nous, c'est quelque chose qui nous préoccupe énormément parce que l'argent qu'on met, on voudrait bien le récupérer. Ma réponse est oui, tout est risqué. Il n'y a pas de questions, c'est très risqué...


M. Alain CIROU

... C'est aussi le sujet de la troisième partie.

M. Jean-Marc GROGNET

J'ai une question pour Bernard DAUGERAS. On a appris une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c'est qu'il y a de l'argent. La mauvaise nouvelle, c'est que vous ne trouvez personne pour le dépenser.

Quelle est la raison ? Est-ce qu'il y a une raison structurelle - je ne parle pas des raisons culturelles parce que ce n'est pas forcément les bonnes qu'on met en avant et c'est souvent quand on n'a plus de réponses qu'on sort les données culturelles -, est-ce que c'est un problème structurel ? Est-ce qu'on n'a pas été capables de mettre en place des masses critiques suffisantes sur certains sujets de recherche pour pouvoir faire le lit de start-up ?


M. Bernard DAUGERAS

C'est une bonne question et je suis un bon observateur parce qu'il y a vingt ans que je m'occupe du transfert de technologies, il y a vingt ans que je fais du capital risque. Or, je ne sais pas bien répondre à ça. Vraiment.

Dans notre premier fonds, Auriga 1, on a investi 60 % de nos fonds en France, à peu près. Dans le deuxième fonds sur lequel on a investi depuis fin 2002, on n'arrive pas à tenir les 50 % et cela nous traumatise un peu.

Moi, je suis assez patriote, je le reconnais, donc je fouine pas mal dans les labos... Je reçois beaucoup de dossiers français, je reçois énormément de dossiers ! J'en reçois deux par jour en moyenne, rien qu'en bio. Donc, ça fait beaucoup. Mais la qualité de ce que je reçois de l'étranger est quelquefois meilleure. Alors, pourquoi ? Je n'en sais rien.

Tout à l'heure, la question a été soulevée sur Grenoble qui est un très beau centre. On vient de faire deux investissements à Louvain, autour du CHU de Louvain, qui est exceptionnel, totalement exceptionnel !

Comment ils ont fait ? Ce n'est pas compliqué. Les autorités flamandes ont considéré que la biotechnologie était restructurante pour l'avenir de l'industrie pharma et que, donc, il fallait mettre de l'argent. Ils en ont mis massivement. Ils ont battu le rappel de leurs meilleurs chercheurs qui, comme chez nous d'ailleurs, étaient aux Etats-Unis, ils les ont ramenés à Louvain, ils les ont payés comme aux Etats-Unis, c'est-à-dire à peu près trois fois plus qu'en Europe et ils ont donné de l'argent aux labos.

Le résultat, c'est que j'ai déjà fait deux sociétés à Louvain et je pourrais en faire trois. Je ne peux pas n'investir qu'à Louvain ! Voilà, c'est un cas que je cite. Il n'a pas de valeur statistique, évidemment, moi je n'ai pas de valeurs statistiques.


Une intervenante

Est-ce qu'investir dans les nanotechnologies et investir dans les nanotechnologies appliquées à la médecine, ce n'est pas deux choses complètement différentes ? Parce que dès qu'on parle de médecine, il y a forcément des délais qui sont beaucoup plus longs et je pense que les investisseurs sont peut-être moins prêts à mettre de l'argent, si le retour sur investissement est beaucoup plus long.

Je pense qu'on confond un peu les deux et que peut-être ceux qui créent des starts-up, ils ont un peu l'illusion que les retours sur investissement seront beaucoup plus rapides.


M. Bernard DAUGERAS

C'est vrai.


M. Marc CUZIN

Je crois que c'est très clair. Il y a peut-être un intermédiaire qui est tout ce qui est cosmétologie. Je l'ai évoqué rapidement. C'est quelque chose qui est lié à la santé sans avoir toutes les lois et les réglementations médicales. Mais c'est un marché qui demande beaucoup et qui est quand même...

Mais il est clair que ce n'est pas avec la médecine qu'on va pouvoir vivre dans les trois ou quatre ans qui viennent. Pas du tout ! Ça consomme de l'argent, il faut les validations technologiques, derrière il faut les validations médicales, après il faut les dossiers administratifs.


M. Jean-Louis LORRAIN

Je pense qu'il y a un autre créneau, indépendamment des cosmétiques, c'est quand même la partie diagnostique qui ne relève pas des mêmes contraintes.


M. Louis LAURENT

Du côté recherche fondamentale, on voit un type d'acteurs qui est plutôt anglo-saxon, qui est la société qui est là pour dix ans, vingt ans sans faire de profits et qui accumule les brevets pour être acteur majeur ou se faire acheter à bon prix quand ça démarrera.

Il y a un bon exemple que vous connaissez peut-être, c'est la société D-Wave à Vancouver, qui a accumulé une bonne partie des brevets sur le calcul quantique. Personne ne parierait là-dessus mais eux se disent : de toute façon, notre investisseur dit que ça ne coûte pas cher mais dans dix ans, quinze ans, si ça marche, ça peut rapporter gros. Quelle est votre position là-dessus ?


M. Bernard DAUGERAS

Moi, je ne peux pas toucher ça, évidemment. Je n'ai pas d'avis. Ce sont un peu des lubies de milliardaire ! Ça peut marcher mais je ne crois pas qu'on puisse fonder une stratégie de création de valeurs autour de ça. Je ne crois pas. Je n'en sais rien mais je ne crois pas.

Un intervenant

Dans votre expérience de vingt ans, vous dites que des gens qui vous ont confié de l'argent, c'est quand même mieux que la Caisse d'Epargne les revenus Qu'attendent-ils ? C'est 10, c'est 50, c'est 100 % ? Sur dix entreprises que vous créez, il y en a une qui va devenir quelque chose de bien ? Est-ce que c'est de cet ordre-là ?


M. Bernard DAUGERAS

Ils attendent le maximum, c'est comme les moteurs de Rolls. Ce qu'ils attendent, ça ne se mesure pas tellement en rentabilité annuelle. Ils attendent des multiples, en gros. C'est-à-dire que quand ils me confient 100, ils aimeraient bien toucher 300. Vous pouvez faire les calculs, ce n'est pas simple.

Par exemple, pour un fonds qu'on a levé en 1992, on a rendu déjà quatre fois et j'ai encore deux sociétés là-dedans, je pense que je vais le rendre encore une fois, donc on va faire cinq fois sur ce fonds. Ils sont contents les actionnaires ! Ils sont revenus dans mes fonds suivants...

C'est pour ça que je suis encore en vie ! Tout le monde n'a pas cette chance. Mais ils ne viennent pas pour moins de 20 %, ça ne les intéresse pas.


M. Alain CIROU

C'est l'heure de la pause, 17 h 15 très exactement. Je vous propose de marquer une interruption de 10 minutes avant de reprendre pour la troisième partie. Merci.

(Pause)


M. Alain CIROU

Je vous propose de reprendre maintenant. Si vous voulez bien regagner vos places.

En introduction de cette troisième partie, la troisième table ronde consacrée aux conséquences sociales, je vais laisser la parole quelques minutes au sénateur Lorrain pour une brève présentation de ce thème avant de laisser la parole à Mme SINDING.

TROISIEME TABLE RONDE

LES CONSEQUENCES SOCIALES

Introduction de

Jean-Louis Lorrain

Sénateur

Christiane Sinding

Cermes - Centre CNRS Villejuif

Les préoccupations éthiques et environnementales

Douglas Parr

Direction scientifique Greenpeace

L'acceptabilité sociale

Louis Laurent

CEA

La nécessité de formations interdisciplinaires

Bertrand Fourcade

Université Joseph Fourier, Grenoble

L'information des citoyens (« Nanomonde 2005 »)

Laurent Chicoineau

CCSTI, Grenoble

Les conséquences sociales


INTRODUCTION

M. Jean-Louis LORRAIN

Membre de l'OPECST, sénateur

Au cours de cet après-midi, par les questions qui ont déjà été introduites, je crois que le souci des conséquences sociales des biotechnologies -conséquences sociales, me paraît un peu dur comme expression, je crois que cela englobe toute une approche culturelle et sociologique, voire de type moral-, notre souci en souhaitant cette table ronde, c'est que l'acceptabilité sociale de la science mais aussi des produits que la science met dans notre société -j'en reviens au souci que nous avions eu, en particulier dans le cadre des préoccupations sur les ondes électromagnétiques ; bien avant, il y avait bien sûr le nucléaire- mais je crois que cette acceptabilité sociale, il faut absolument l'approfondir. Non pas pour faire avaler la pilule à nos concitoyens, je crois que ce n'est pas ça, mais que, vraiment, ça s'inscrive de façon tout à fait consciente, critique, pour nos concitoyens.

C'est vrai qu'il y a des préoccupations éthiques et environnementales. Tout à l'heure, M. DAUGERAS disait que les investisseurs tenaient compte des préoccupations éthiques et cela me confirme dans la position de dire qu'il n'existe pas, qu'il n'y a pas une éthique de l'entreprise ou une éthique de l'économie, il y a l'éthique en général.

Et cette éthique appliquée au marché ne serait qu'un des éléments, une des composantes dont il faut tenir compte de façon à ne pas effrayer et à offrir des produits qui correspondraient à une certaine mode éthique.

Je crois que les préoccupations éthiques sont des préoccupations, il faut le dire, supérieures. Sinon, ce mot devient complètement galvaudé. Ce qui ne veut pas dire que c'est ésotérique, que c'est tout et n'importe quoi, moralisateur et autre, bien au contraire. L'éthique, c'est un lieu de tensions au niveau de l'expression des valeurs et en aucune façon je crois qu'elle ne peut être intégrée ou prise en otage par un système commercial, voire par une certaine préoccupation de type environnemental.

Je crois qu'il s'agit d'autre chose. Sur le plan de la profession, il y a des préoccupations déontologiques, il y a des préoccupations quant à la qualité mais je crois que c'est autre chose.

Cette table ronde aussi était souhaitée parce que nous pensons que nos concitoyens ont besoin d'information, voire d'éducation, dans ce domaine. Je n'oserais pas parler de vulgarisation, vous savez très bien le côté péjoratif que cela a eu, mais au contraire je crois que ce transfert de savoir est quelque chose qui nous paraît absolument fondamental et c'est aussi à la science de s'adapter en fonction des interlocuteurs, en fonction des angoisses, en fonction de tous les niveaux.

Je crois que, là aussi, on a tout un travail pédagogique à faire et le politique doit être aussi pédagogique. Mais, pour ça, il faut rétablir ou établir, pardon, des liens véritablement de confiance avec les experts et aussi avec les citoyens. Merci.


M. Alain CIROU

Merci, Monsieur le sénateur. Je propose à Mme Christiane SINDING d'introduire cette table ronde. Vous êtes médecin, pédiatre, historienne des sciences, directeur de recherche à l'INSERM et vous travaillez pour le CERMES, le centre CNRS Villejuif.

Mme Christiane SINDING

Directrice de Recherche CERMES - Centre CNRS Villejuif

Merci beaucoup. Je me permets aussi de signaler que j'ai fait partie du comité scientifique du Dictionnaire de la pensée médicale qui vient de sortir aux PUF et qui était dirigé par Dominique LECOURT. C'est un ouvrage collectif qui est destiné à aider à penser la médecine.

Moi, je ne suis pas du tout spécialiste. Je suis médecin, certes, donc j'ai quelques idées sur ces questions, mais je ne suis absolument pas une spécialiste au sens d'expert de ces questions.

Je vais juste essayer de proposer une ou deux pistes, comme ça, de réflexions à partir d'un schéma simple de définition de la technique parce que, en fait, c'est de cela qu'il s'agit. On a des inventions techniques, de technologie, et il faut essayer d'évaluer ou de prévoir les conséquences que l'invention de ces techniques va avoir.

Le schéma que je propose, c'est le schéma aristotélicien. Rassurez-vous ! Je ne vais pas partir dans un exposé de philosophie. Aristote définissait la technique comme un moyen en vue d'une fin, donc les problèmes vont se poser au niveau de la fin. La fin, c'est-à-dire la finalité, le but recherché par le développement de certaines techniques.

On a déjà commencé à en discuter, d'ailleurs, en posant la question de savoir qui, qu'est-ce que c'est que cette demande de médicaments, de thérapies. Demande sociale est un terme très vague, il faut essayer de le préciser, peut-être d'informer, on en parlera tout à l'heure, le public beaucoup mieux et d'essayer de voir s'il est vraiment demandeur de ces techniques, ce qui n'est pas totalement évident.

Qui décide ? Est-ce que c'est le public ? Non, probablement pas. Mais il faudrait faire des enquêtes sociales plus précises. C'est un avis que je donne comme ça mais qui n'est peut-être pas tout à fait justifié.

Mais est-ce que ce n'est pas plutôt la communauté scientifique ou les communautés scientifiques qui, on l'a dit, sont un peu dans leur tour d'ivoire ? En même temps, elles sont quand même insérées dans des sociétés et donc, un chercheur est à la fois scientifique, certes, mais aussi fait partie de la société, donc il a les besoins des autres citoyens. On ne peut donc pas dire qu'il est complètement coupé de ces fameux besoins de la société qui, encore une fois, demandent à être précisés.

C'est le problème de la responsabilité scientifique qui est un problème difficile, qui demande à être un peu éclairé, mais je ne vais pas me lancer dans ce débat ici.

Ce que je veux dire c'est qu'il n'y a pas seulement le problème de la fin et du but poursuivi, sans compter que souvent on n'arrive pas exactement avec toutes ces techniques et ces inventions à la fin qu'on voulait au départ. Souvent, on arrive à quelque chose d'un peu différent.

Mais surtout, au cours du développement et de l'utilisation des techniques en général, et plus particulièrement des techniques dans le domaine du médical, apparaissent un certain nombre d'effets secondaires qu'on n'avait pas prévus au départ. Tout le monde sait ça.

Je prends l'exemple des farines animales. Celui ou ceux qui les ont inventées (c'est probablement une communauté de chercheurs ou de scientifiques qui a inventé ça), c'est juste un exemple, il y en a bien d'autres, ne pensaient certainement pas, au départ, qu'ils allaient répandre une maladie qui ferait parler d'elle.

Ou ceux qui ont extrait l'hormone de croissance dans des hypophyses humaines n'ont pas pensé, c'était quand même un outil thérapeutique assez formidable, qu'ils allaient beaucoup plus tard contribuer à disséminer la même maladie, la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Il y a toute une série d'effets secondaires imprévus de pratiquement toutes les techniques, la technique en général. Alors, est-ce qu'il y a des problèmes plus particuliers au niveau des nanotechnologies ? Encore une fois, je ne suis pas compétente mais j'ai quand même lu quelques textes (...) pour généraliser un peu ou synthétiser que ces techniques posaient problème du fait qu'elles sont petites et qu'elles peuvent être disséminées facilement. On pense bien sûr à l'ouvrage de science fiction de Crichton mais bon... on ne va pas sombrer dans ce biocatastrophisme.

Les nanotechnologies en particulier, s'il y a des problèmes spécifiques, ça tiendrait donc au fait que les objets sont petits, micro ou nano, donc faciles à disséminer dans certains scénarios de science fiction, c'est pour ça que je me suis mise à parler de Crichton...

La deuxième chose, je crois que c'est surtout ça le point important, c'est que la plupart de ces techniques sont très informatisées, ce qui les rend extrêmement utiles dans les domaines biomédicaux mais qui peut faire aussi qu'elles peuvent être utilisées, par exemple, à des fins de contrôle des individus ou de traitements qu'ils n'auraient pas forcément souhaité avoir. On pourrait imaginer, par exemple, des distributions de psychotropes par ces dispositifs qu'on a un peu évoqués tout à l'heure.

Maintenant, si l'on en vient plus spécifiquement à la médecine, je crois que le schéma le plus simple pour discuter, c'est celui qu'on a dans le programme du colloque et que la plupart des intervenants ont suivi, c'est-à-dire que les problèmes vont se poser aux différentes étapes de la pratique médicale, notamment le diagnostic et la thérapeutique.

Au niveau diagnostic, je ne vais pas faire une énumération, ce n'est pas mon but. Mais simplement dire que, peut-être, même à l'étape diagnostic qui paraît neutre et innocente, on peut avoir des problèmes imprévus, notamment le cas du « diagnostic » génétique. Je le mets entre guillemets parce que je ne crois pas qu'il y ait de véritables diagnostics autres que cliniques.

Par exemple, une étiquette génétique de maladie collée à un individu peut avoir d'abord des effets fâcheux sur cet individu. Si ce diagnostic, autre exemple, est posé chez un embryon, on est dans un problème d'incertitude parce qu'on ne sait jamais exactement si la maladie apparaîtra et sous quelle forme elle apparaîtra, sauf dans quelques très rares cas de maladies dites monogétiques.

Donc on voit qu'on est toujours dans l'incertitude, contrairement à ce qu'on croit souvent. Ce problème de l'incertitude est l'un des problèmes majeurs de toutes les inventions techniques.

Pour continuer dans le domaine du diagnostic, on a évoqué des dispositifs qui sont quand même tout à fait intéressants, comme ces petites caméras miniaturisées dans des gélules. Pour le moment, on ne voit pas d'effets négatifs ou de problème social, sauf peut-être le problème du coût. Là, je crois qu'on va aussi évoquer le problème de l'accès aux soins, la médecine à deux vitesses...

Maintenant, il n'est pas exclu, parce qu'il est toujours difficile de prévoir les effets négatifs, il n'est pas exclu que dans cette technique ou dans d'autres, on voie en cours de route apparaître des effets secondaires qu'on n'avait pas prévus au départ.

Ça, c'est au niveau du diagnostic. Maintenant, au niveau de la thérapeutique, c'est peut-être là -c'est l'impression que j'ai parce qu'on a quand même commencé à utiliser un certain nombre de ces techniques en médecine-, il me semble que c'est vraiment dans le domaine thérapeutique que, pour le moment en tout cas, ces nanotechnologies sont les plus prometteuses.

Déjà, les dispositifs qu'on a vus de distribution, de vectorisation des médicaments sont extrêmement intéressants parce qu'un médicament ne vaut que par la façon dont il est administré, les doses, la répartition dans les journées, le mode d'administration, etc... Il n'y a pas de molécules qui porteraient en elles la guérison ou l'effet palliatif. Ça, c'est tout à fait intéressant.

A priori, je ne vois pas de problèmes, sauf si ces dispositifs étaient utilisés à l'insu du patient, ce qui n'est pas impossible. On a vu dans certains pays, et ça doit exister encore, des utilisations plus classiques de médicaments comme les psychotropes pour traiter les opposants politiques...

Donc il n'est pas exclu, comme d'habitude, qu'on se serve d'une technique pour des buts qui n'étaient pas inclus ou prévus ou départ.

Il y a, par contre, des dispositifs plus complexes tout à fait intéressants, je ne veux pas entrer dans le détail, comme par exemple la pompe à insuline qu'on a évoquée tout à l'heure, qui sont des dispositifs qui visent plus ou moins à remplacer un organe qui serait défaillant, comme le pancréas dans le diabète.

C'est l'exemple classique dans ces technologies mais c'est un exemple réellement intéressant parce que, s'il marche (il commence à marcher mais on peut progresser), il permettrait d'éviter le recours aux greffes d'organes qui sont quand même des techniques très problématiques à la fois sur le plan éthique, sur le plan des résultats, on n'en parle pas assez, et sur le plan bien sûr du don d'organes.

Je suis peut-être en train de dépasser mon temps... Excusez-moi, je vais m'arrêter là. Je finirai en disant que les problèmes posés sont à la fois liés à l'incertitude même de l'invention technique et puis ajouter quand même les problèmes économiques qu'on a évoqués, que je ne connais pas bien, les problèmes d'appropriation des brevets, etc... Voilà. C'est juste une petite piste de discussion.


M. Alain CIROU

Merci beaucoup, Mme SINDING. Je propose maintenant à M. Douglas PARR de rejoindre le pupitre pour présenter en dix minutes les préoccupations éthiques et environnementales. M. Douglas PARR représente la direction scientifique de Greenpeace et s'exprimera en anglais traduit en direct live.

Les préoccupations éthiques et gouvernementales

M. Douglas PARR

Direction Scientifique, GREENPEACE

traduit simultanément en Français

(en français)

Bonjour. Merci de me donner l'opportunité de parler ici. Mon nom est Douglas PARR et je suis de Greenpeace Londres. Pardon mais je parle en anglais. Au lieu de quelque chose bizarre en français, je parle quelque chose d'intelligent en anglais. En français, ce n'est pas possible.

(M. PARR parle maintenant en anglais)

Je voudrais parler de différentes questions pour lesquelles j'envisage des problèmes possibles dans l'avenir.

Je voudrais d'abord vous présenter notre position sur la nanotechnologie : nous n'avons pas de position... La nanotechnologie est beaucoup trop diversifiée pour pouvoir avoir une position globale sur cette question. Par contre, il y a des questions qui sont soulevées en relation avec la nanotechnologie.

Beaucoup des allocutions qui ont été présentées cet après-midi concernent l'aspect médical de la nanotechnologie et je ne vais pas en reparler.

Tout d'abord, je dois dire que nous voyons des bénéfices de la nanotechnologie pour l'environnement et pour la société. L'un des exemples est l'énergie solaire bon marché dont nous avons désespérément besoin dans notre société et également la possibilité de détruire les déchets nocifs de l'industrie.

Je pense également que la société attend avec impatience beaucoup de développements qui se font dans le domaine de la nanotechnologie mais les applications dépendent de la recherche, du développement et du déploiement. Je vous parlerai plus tard de ces différents choix.

Nous, nous avons un souci particulier en ce moment concernant les nanoparticules qui peuvent entraîner des risques terriblement dangereux. Il faut bien comprendre ces risques, en connaître les effets, l'impact que cela a sur l'environnement. Les applications dans le domaine médical seront traitées par les organismes qui attribuent des autorisations de mise sur le marché dans le domaine médical.

En ce qui concerne l'environnement, il y a d'autres soucis concernant d'autres questions. Le développement des nouveaux capteurs risque de soulever des problèmes en ce qui concerne la vie privée et les données sur la vie privée.

Le développement des nouvelles technologies va soulever des questions concernant les brevets et le niveau de contrôle industriel. Il y aura également des problèmes du fait que les personnes qui ont un intérêt légitime dans ces produits seront exclues de la prise de décision en ce qui concerne le développement.

Un exemple est la consultation et l'implication des handicapés et leur droit à participer à ces recherches. Beaucoup de ces questions sont traitées dans un rapport qui a été publié l'année dernière. J'ai un exemplaire pour les personnes que ça intéresse.

Je voudrais vous parler maintenant de l'avenir et des choix qui seront soulevés avec le développement de la nanotechnologie.

Je pense que les applications à court terme ne seront pas révolutionnaires, elles développeront notre connaissance mais elles ne seront pas vraiment révolutionnaires. Par contre, les possibilités à plus long terme pourront apporter des révolutions industrielles. Parmi ces révolutions industrielles, nous pouvons citer l'assemblage moléculaire et également les nouveaux comportements chimiques présentés par le résultat de ces nanochimies.

S'il y a une nouvelle révolution qui intéresse chaque individu, alors se pose la question : dans l'intérêt de qui est-ce que cette technologie sera déployée ? Et la question est de savoir comment et quand.

A ce stade, la nanotechnologie a de nombreuses voies d'évolution possibles. Si le développement est essentiellement commercial, cela sera pour développer des produits et, à ce moment-là, ce sera dans l'intérêt des industries et des gouvernements. Est-ce que ça va entraîner des applications pour les pays en développement ?

L'un des choix auxquels nous serons peut-être confrontés sera le suivant : est-ce que l'on va développer les organismes génétiquement modifiés ou bien est-ce qu'on va développer les organismes déjà existants ? Est-ce qu'on va apporter de l'eau potable aux pauvres ou bien est-ce que cela sera utilisé pour avoir des pantalons proprement nettoyés ?

Ces questions ne sont pas différentes de celles qui se posent dans d'autres domaines scientifiques concernant les produits qui sont en cours. Mais je pense que la question des nanotechnologies est beaucoup plus importante que d'autres domaines technologiques.

Je voudrais parler du débat qui fait rage concernant les organismes génétiquement modifiés et la nourriture génétiquement modifiée. Je crois que le grand public a une bonne connaissance des questions à ce sujet. Il y a eu des recherches et des décisions qui ont été prises au niveau transeuropéen par plusieurs pays européens. La question est : qui bénéficie de ces recherches ? Qui prend les risques ? Et avec quelles incertitudes ?

Tout le monde est très sceptique sur la capacité de la science à prédire et à contrôler les choses nouvelles. En général, les gens ne croient pas vraiment ou se posent la question, se demandent si les gouvernements, l'industrie et la science vont se comporter de façon responsable.

Le document que j'ai ici (future technologies, today's choices) est disponible sur le Web et ces questions concernent aussi bien la nanotechnologie dans tous ces différents secteurs que les récoltes génétiquement modifiées (adresse : www.greenpeace.org.uk)

Je n'ai pas le temps maintenant de développer le sens des résultats que l'on peut prévoir sur les nanotechnologies. Ce n'est pas uniquement une question morale mais également un sens commercial. Créer des produits dont personne ne veut, ça n'a pas beaucoup de sens.

La première leçon qu'il faut tirer, c'est que la politique et les réglementations ne doivent pas être faites par des petits groupes d'experts et de bureaucrates. Il doit y avoir un engagement réel, ce n'est pas seulement une question d'éducation avec le public, ça doit aller dans les deux sens.

Comme je l'ai dit, la technologie est prometteuse mais quelles promesses est-ce qu'elle va nous offrir et quelles sont les promesses qui vont avoir la priorité ? Cela veut dire que cela implique des choix de la part des gouvernements, de la part des sociétés concernant la recherche et le développement et ces choix ont déjà été faits. Les gens ne comprennent pas toujours que les choix ont déjà été faits.

En ce qui concerne la santé et l'environnement, la question se pose sur les risques et il faut vraiment les étudier attentivement. On peut également avoir des preuves, ce qui associe les nanoparticules avec la santé.

Nous devons éviter de répéter les erreurs qui ont déjà été commises. Des erreurs telles que celles commises pour le DDT, l'amiante et la vache folle. Je répète que Greenpeace demande qu'il y ait un moratoire sur cette question. Nous le demandons très fortement.

Merci de votre attention.


M. Alain CIROU

Je vous propose de poser des questions si vous en avez maintenant car il y a un train qui doit ramener Douglas PARR vers Londres et je pense qu'il y aura moins de stress si ces questions se font maintenant.

M. Louis LAURENT

Vous parlez d'un moratoire sur les nanomatériaux mais, comme vous le savez, beaucoup de choses sont déjà nanostructurées comme le bois ou une coquille d'oeuf. Où mettez-vous les limites pour un tel moratoire ?


M. Douglas PARR

Je vois une très grande différence entre les nanoparticules libres et les particules qui sont liées naturellement. Il n'y a aucun souci si les nanostructures restent liées avec leurs matrices, dans lesquelles elles sont liées originellement.

Par exemple, le nitrure de carbone est utilisé pour rendre l'acier encore plus robuste. Donc ça, c'est utile. Et je pense qu'il n'y a aucun risque que ces particules se libèrent. Donc, ça ne pose aucun problème.

A ce stade, nous sommes prêts à développer des nanoparticules synthétiques, et ceci par tonnes, et il faut savoir ce qu'on fait avant de démarrer.


Une intervenante (journaliste au Figaro magazine, « Pages Sciences »)

J'aimerais connaître votre background et depuis combien de temps vous êtes à la direction scientifique de Greenpeace.


M. Douglas PARR

Je suis directeur scientifique de Greenpeace depuis dix ans. J'ai un doctorat en physique-chimie porrtant sur les cinétiques en phase gazeuse.


M. Laurent CHICOINEAU

Vous dites que vous souhaitez l'engagement du public, pas l'éducation du public. Comment escomptez-vous avoir l'engagement d'un public qui ne serait pas éduqué et qui pourrait donc être très facilement manipulé ?


M. Douglas PARR

Je crois que la façon dont ceci peut être fait est encore à établir mais il y a des principes de base très simples. Il faut qu'il y ait une implication et une sélection du public et, pour cela, le public doit entendre ce qu'ont à dire les scientifiques pour bien comprendre. Ces techniques ont déjà été éprouvées, par exemple pour les jurés de citoyens ou pour les conférences du grand public.

Comment est-ce que ceci peut être construit et quelles questions poser ? Ceci reste à établir en démarrant et en essayant de le faire. Mais, actuellement, il ne se passe rien du tout dans ce domaine sur cette base et nous pensons que ce type de perspectives doit être envisagé maintenant plutôt que dans l'avenir.


Une intervenante

Bonjour. Pouvez-vous nous éclairer sur le type de controverses qui se développent aux Etats-Unis autour des nanotechnologies et la place que les Américains veulent donner au débat public au sein même du programme de développement des nanotechnologies.


M. Douglas PARR

Aux Etats-Unis, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'implication du public. Il y a des universitaires qui disent qu'il doit y avoir une plus grande implication de la part du public. Mais ce qui est différent dans le système de financement américain, c'est qu'ils affectent des fonds relativement faibles pour les études de l'environnement. Les études scientifiques étaient assez limité jusqu'à présent.


M. Alain CIROU

Merci beaucoup à vous. Je vous propose de continuer en accueillant l'intervenant suivant, M. Louis LAURENT, du CEA, pour les nanotechnologies et leur impact sur la société, l'acceptabilité sociale. Merci.

L'acceptabilité sociale

M. Louis LAURENT

Directeur de Recherche, CEA

Je vais vous parler de l'acceptabilité des nanosciences. Je parlerai assez peu de progrès médical.

Je vais vous en retracer un peu l'histoire, pour ceux qui n'en seraient pas familiers. Lorsqu'on discute de la contestation des nanosciences, on situe souvent l'origine des temps au livre de Drexler, Engine of Creation , qui parle du développement dans le futur de petits nanorobots à l'échelle de quelques molécules capables de faire beaucoup de choses.

D'ailleurs, c'est une vue assez équilibrée. Une partie de son livre est dédiée à tous les bienfaits, une autre à la technique, mais vers la fin il discute aussi, dans un chapitre qui s'appelle Engines of Destruction , des effets négatifs, voire fortement négatifs.

Un peu plus tard, il y a un papier de Bill JOY, l'un des cofondateurs de Sun Microsystems qui a fait beaucoup de bruit. C'est un long monologue sur les nanotechnologies, l'intelligence artificielle, les biotechnologies, le devenir de l'espèce humaine. Je crois que ça s'appelait Pourquoi le futur n'a pas besoin de nous , ce qui est un titre assez évocateur.

Il s'est passé beaucoup de choses ces dernières années, c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles nous sommes ici pour en parler.

Il y a eu, en un an, d'abord la sortie du livre La Proie de Michael Crichton, qui est sorti un an avant aux Etats-Unis, qui a fait pas mal de bruit. Presque simultanément, le groupe ETC a sorti The Big Down plus une série d'autres rapports qui parlaient des nanotechnologies et des dangers associés, que ce soit les nanomatériaux, la gelée grise, les biotechnologies, un petit peu tout dans une série de rapports qui posaient à la fois des vraies questions mais qui, du point de vue scientifique, n'étaient pas toujours rigoureux. Les questions, par contre, étaient tout à fait rigoureuses.

Vous avez tous entendu parler du prince Charles qui, je ne sais pas à cause duquel de ces deux ouvrages, s'est inquiété, a fait quelques déclarations et a convoqué des scientifiques au sujet de cette fameuse gelée grise qui risquait de dévorer le monde, en faisant allusion à l'oeuvre de Drexler.

Il s'est passé énormément de choses ensuite. Greenpeace a sorti son rapport dont M. Douglas PARR a parlé précédemment. Il y a également eu des mouvements au Parlement européen, un certain nombre de députés ont organisé une réunion en juin. Je peux citer Caroline Lucas, qui est assez connue, elle a sorti sur son site Web, par exemple, une intéressante question sur les cosmétiques en disant que les femmes se prêtent aux expériences comme des cochons d'Inde. Sous-entendu : les nanoparticules, ce n'est pas très bon pour la santé.

Une enquête est en cours en Angleterre pour essayer de regarder à la fois sur des bases scientifiques mais aussi dans le cadre d'un débat public sur le danger des nanosciences.

Il y a d'autres mouvements de contestation. Je voulais citer aussi, j'y reviendrai, le groupe CASPIAN (Consumers Against Supermarket Privacy Invasion And Numbering), c'est dédié aux RFID dont je parlerai tout à l'heure, tous ces systèmes, ces petits capteurs qui font que bientôt, si aucune précaution n'est prise, on pourrait être facilement tracé en faisant des rapprochements entre les Cartes Bleues et les produits qu'on achète, par exemple.

Il y a énormément de papiers, des centaines de pages écrites... Je vais essayer de vous résumer ce qui fait peur, ce qui inquiète.

Avec mon collègue Jean-Claude PETIT, on a essayé de dire : il y a trois choses qui font peur, qui sont indépendantes. C'est un diagramme qui est commun à toutes les sciences, il n'est pas spécifique aux nanotechnologies.

C'est lié à des mythes : la transgression, le contre-nature, le fait de faire des choses qui dépassent ce que devrait faire l'homme qui veut être l'égal de Dieu, qui veut dépasser la nature. Vous avez le mythe de Prométhée qui est un bel exemple de ce genre de transgression et ce qu'il en coûte.

Une autre peur, on parlait de la gelée grise, des nanomatériaux, c'est la perte de contrôle, l'irréversibilité due à une grosse bêtise de l'humanité qui se met en danger.

Enfin, à l'autre bout du triangle, vous avez le mauvais usage. Un gouvernement ou un terroriste qui utilise la science, une invention qui n'est ni contre nature ni hors de contrôle mais il l'utilise à mauvais escient. Là, il n'y a pas de mythes. Il y a beaucoup de films de science fiction, mais je n'ai pas trouvé de mythe correspondant à ça.

Associée aux nanotechnologies ou aux technologies de l'information, vous avez toute cette série de craintes qui sont en fait différentes. C'est un peu arbitraire, d'autres personnes pourraient trouver que c'est mal rangé... Vous avez ici les choses qui font peur à la fois parce qu'on peut perdre le contrôle et à la fois parce qu'on veut être un peu l'égal de Dieu. La gelée grise, on veut créer la vie, faire des choses qui pourraient absorber la planète.

Le quantique aussi, ça fait peur. Quand on dit que les particules dans les cosmétiques ont des effets quantiques, ça fait peur à certaines personnes.

L'intelligence artificielle a fait beaucoup peur à une époque, beaucoup moins maintenant. Par contre, vous avez des choses réelles, ça a déjà été cité juste avant, comme le prion, les OGM, l'ADN recombinant dans les années 70 où on s'est mis à manipuler l'ADN des virus, des bactéries, à jouer avec et on a eu à un moment assez peur de ce qui pouvait en sortir.

Côté irréversible, qui n'est pas contre nature mais qui est bêtement irréversible, je dirais la nanopollution, le fait que des petits objets soient irréversiblement disséminés dans la nature. Vous avez le DDT, l'amiante.

Côté Etats malfaisants ou indélicats, ou grosses sociétés, vous avez le non-respect de la vie privée, les nouvelles formes de délinquance qui pourraient apparaître. On connaît les spams avec les courriers électroniques, les escroqueries à la Carte Bleue, etc., ça veut dire qu'il y a de nouvelles formes de délinquances qui peuvent apparaître.

Un peu plus haut, en direction de la transgression, vous avez l'abus de tests ADN ou de tests médicaux, le fait qu'ils ne soient plus confidentiels ou qu'un employeur pourrait faire une espèce d'horoscope à partir de votre ADN pour voir si vous êtes bon pour l'emploi.

Et puis en haut, plutôt vers le contre nature, vous avez le clonage humain, la manipulation de cellules souches d'embryons qui font peur non pas à cause de la perte de contrôle ou à cause d'un mauvais usage mais parce qu'on tend au contre nature.

C'est une série de peurs qui se retrouvent récurrentes dans tous ces articles. Mais en fait, je dirais qu'il y a, comme en marketing, un produit d'appel qui est la gelée grise. Souvent ces papiers mentionnent la gelée grise parce que c'est un danger à long terme, après ils passent à la suite. Mais c'est quand même le produit d'appel numéro 1.

Comme j'ai peu de temps, je vais vous parler de trois choses.

Les nanomatériaux et nanoparticules. C'est difficile de diaboliser comme ça les nanomatériaux parce que tout est nanostructuré ou presque tout - l'homogène, c'est l'exception -, le bois, les oeufs...

D'autre part, c'est un peu simple de dénoncer la nanotechnologie en tant que telle parce que la combustion c'est de la nanotechnologie. La combustion, que ce soit du pétrole, même le gaz qui est réputé très propre, tout ça fait des nanoparticules. Et couramment, dans un environnement urbain, quand vous regardez la gamme en dessous des 100 nm, à chaque inspiration - si vous faites un peu de sport ça fait 1 litre - ça fait 10 à 20 millions de nanoparticules par inspiration que vous inhalez à chaque fois.

Donc, d'un côté, on peut dire que ça fait partie de la vie de tous les jours. D'un autre côté - je suis désolé, j'ai l'impression de paraphraser ce qui a été dit avant ! - il y a des raisons de se méfier.

Il y a d'abord les exemples du passé : l'amiante, le DDT, le platine des pots d'échappement qu'on trouve jusque dans les glaces du Groenland. On en trouve partout sur la planète, à des niveaux extrêmement faibles qui ne sont pas dangereux mais ça montre que lorsqu'on met un nouveau produit en circulation, il faut penser à tout. Peut-être qu'il y a moins de plomb dans l'air mais on est en train de recouvrir les pingouins de platine... Il faut penser à tout.

Autres effets observés. Les nanoparticules pénètrent dans l'organisme et peuvent s'accumuler dans le foie. Ça a été vu. Vous avez un article qui vient de sortir dans Nature où l'on voit de petites nanoparticules qui sont inhalées par le nez et qui réussissent à rentrer dans le cerveau. On l'avait vu dans les années 30 aussi, pour le virus de la polio, ce mécanisme de rentrée dans l'organisme.

Il y a beaucoup de choses qui ont été faites dans le domaine des nanoparticules mais ça ne vient pas de la communauté des nanosciences mais de la communauté de l'environnement. Beaucoup de choses se font avec l'air urbain, simplement.

Il y a des études épidémiologiques qui sont en cours, dont certaines d'ailleurs se font dans le cadre du réseau européen, d'autres aux USA, d'autres actions en France. On regarde les corrélations avec des pathologies, effectivement on en trouve. Mais le problème c'est que les nanoparticules, c'est comme le sable d'une plage, il y en a des tas de sortes. On ne sait pas si c'est un problème générique ou si c'est une espèce donnée de nanoparticules.

Il y a du travail en cours et je dirais qu'il y a des raisons de se méfier mais, en tant que chef d'un département de nanosciences, je dirais également que les nanosciences apportent de nouvelles façons de s'interroger sur ces problèmes qui existent, indépendamment de cette industrie. C'est un nouvel éclairage sur la pollution, sur les techniques de mesure et la caractérisation de ces objets. Donc je vois aussi comme bienfaits des nanosciences le fait qu'on ait une meilleure compréhension de notre environnement et des nouvelles techniques aussi.

Pour résumer, la situation est complexe. L'aspect moratoire me paraît difficile à mettre en oeuvre parce qu'il y aurait très peu de produits, si l'on était purs et durs, qui ne sont pas nanostructurés. On ne sait pas quel est le critère qui fait qu'un produit est dangereux.

Effectivement, le fait qu'il puisse relarguer des nanoparticules est dangereux mais cela reste à préciser. C'est effectivement un sujet d'étude important.

Après, on y reviendra, qui décide de la mise d'un produit sur le marché ? Est-ce qu'il faut une réglementation ou est-ce que ce qui existe est suffisant ?

Si on fait une analogie, ce genre de paradigme ressemble à ce qui s'est passé avec les OGM ; ils sont rentrés sur le marché et puis on a réfléchi après à la réglementation.

Je vais maintenant vous parler de la manipulation de la matière atome par atome. Je n'ai pas parlé de gelée grise, c'est plus général que ça.

Le but ultime des nanosciences, dans un siècle, ce sera de manipuler la matière atome par atome. Ça fait peur, ça se vend bien aussi... D'abord, je dirais que le vivant le fait. Le ribosome c'est une usine dans chaque cellule, il y en a des tas, qui prend le code génétique et qui fabrique des protéines avec. Ce n'est pas atome par atome, c'est acide aminé par acide aminé.

Les plantes qui poussent dans la nature, en fait, ce sont des nanorobots qui fabriquent des constituants de la plante, que ce soit la cellulose, les protéines, et ça pousse.

Le fromage, c'est un produit de haute technologie. Vous avez des organismes, des cellules qui bricolent le lait pour en faire du fromage.

Pour être plus sérieux, il y a un autre thème qui avait été lancé par Drexler, c'est cette manipulation ex nihilo. Il disait que l'évolution naturelle, la nature, a fait un truc formidable mais rien ne dit que c'est un optimum. Il prend une image assez proche de ça en disant que le cheval ne va jamais, sous l'influence de l'évolution naturelle, devenir une jeep. Il dit qu'il y a peut-être d'autres façons de faire mieux. C'est ce qui a été discuté dans son fameux livre.

C'est quelque chose qui est à très long terme. Personne n'a la moindre idée de comment faire quelque chose de ce type-là. Il y a actuellement des discussions sur le principe, sur la faisabilité. Je dirais que ça rejoint l'exobiologie. C'est un peu la question : existe-t-il une biologie parallèle qui ferait appel à autre chose que de l'ADN ou des protéines ?

C'est une question qui est à long terme. Les gens ne travaillent pas dans ce domaine mais on peut comparer ça avec l'état de l'art actuel, on sait faire des petits assemblages, des nanomoteurs.

Ce qui est le plus proche de cela actuellement, c'est plutôt l'aspect biotechnologies. Comme je vous l'avais dit, la nature fait ça, donc on peut laisser l'idée de Drexler à court terme qui consiste à dire : refaisons ce que fait la nature. Parce que vraiment, pour l'instant, c'est hors de portée, même s'il y a d'excellents livres de science fiction qui font peur...

Par contre, ce que font nos collègues biologistes, avec les physiciens, ce sont des choses qui ont des points communs. Par exemple, l'idée c'est de prendre le vivant et de le simplifier jusqu'à voir quel est l'être vivant minimum possible - il y a un programme aux Etats-Unis, il y a des recherches en Europe aussi -, quel organisme vivant a le moins de gènes, est le plus simple possible. C'est un petit peu pour voir ce qu'on peut faire pour maîtriser les choses.

Vous avez une bactérie célèbre, elle n'a que 517 paires de gènes, qui est l'un des organismes avec le plus petit génome. On arrive à réduire à peu près à 300 en l'aidant un petit peu à survivre. C'est pour l'instant l'organisme minimum.

Vous avez des projets plus futuristes notamment Craig Venter qui, après ses aventures sur le génome humain, s'est engagé dans un institut pour les énergies alternatives biologiques, qui a comme idée de créer des organismes synthétiques pour séquestrer le carbone -il veut larguer cela dans la mer pour absorber le gaz carbonique- ou alors pour fabriquer de l'hydrogène.

Ce genre de travaux pose des questions à court terme, on y reviendra, mais ce n'est pas une situation hors contrôle, c'est fait dans le cadre de comités d'éthiques.

Le dernier point, c'est les RFID. Ce sont ces petits objets de la taille d'un grain de riz qu'on peut implanter sous la peau et qui échangent des informations avec l'environnement.

Il y a eu, notamment aux Etats-Unis, des réactions assez fortes sur le fait que si on mettait ça dans des objets du commerce, on pouvait tracer les gens jusque chez eux, savoir ce qu'ils avaient acheté. Ce mouvement avait lancé des campagnes de boycott contre Gillette et Benetton parce qu'ils étaient suspectés d'avoir des projets dans ce sens.

Vous avez également des sociétés qui proposent d'implanter ça dans le corps. Cela a été fait, aux Etats-Unis, en Angleterre, à des fins de sécurité. Au Mexique, vous avez une société qui le propose pour vos enfants, pour les protéger contre les kidnappings.

Dans le domaine de la santé, lorsque vous avez un malade, plutôt qu'il soit à l'hôpital, c'est vrai qu'il est mieux qu'il puisse sortir de chez lui mais qu'on puisse éventuellement le retrouver.

Cela a été envisagé ; aussi, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, comme paiement sécurisé... Si on vous coupe le bras pour vous piquer la puce, je ne suis pas sûr que ça soit sécurisé...

Et cela a soulevé un autre type de réactions très intéressantes. Il y a énormément de choses sur le Web. Il est fait référence à un morceau de l'apocalypse qui prédit à peu près ce scénario : « Puis je vis monter de la mer une bête (...) et elle fit en sorte que tous, petits, grands et riches, reçussent une marque sur la main droite ou sur le front et que personne ne pût ni acheter ni vendre sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom. »

Si vous tapez sur un moteur de recherche « Mark of the beast » ou « RFID », vous avez une quantité gigantesque d'items qui vont de la secte la plus allumée jusqu'à des articles de journaux tout à fait raisonnables.

Pour conclure, je dirais que je ne veux pas donner l'impression d'être catastrophique sur les risques, mais il y a beaucoup de choses qui existent et les questions sous-jacentes à toutes ces inquiétudes sont là et il y a des mécanismes qui existent, à discuter.

En gros, la question de base est : comment une société est informée de sa recherche -je n'ai pas dit « éduquée », j'ai dit « informée »- et maîtrise sa recherche, notamment qui décide quelle recherche faire et comment ça se passe ?

Dans la gamme « perte de contrôle - mauvais usages », c'est : comment un produit est-il lancé sur le marché ? Comment évaluer ses inconvénients ? Quelles mécanismes d'alerte si malgré tout on a fait une grave erreur (je pense au sang contaminé) et qu'on veut revenir en arrière ? Qu'est-ce qui est acceptable ? Parce que beaucoup de produits ont des inconvénients mais ils ont des avantages tels que, finalement, l'inconvénient peut être acceptable.

Et dans le domaine « transgressions - mauvais usages », quels garde-fous ? Quel rôle des scientifiques ?

Pour finir, je citerai Jean-Pierre DUPUY. Il y a une spécificité des nanosciences qui complique ce débat -j'ai essayé de vous montrer dans chacun des transparents- c'est que, des nanosciences, on en fait depuis des millénaires, depuis toujours. En même temps, lorsqu'il faut lever des fonds ou publier un papier, on parle évidemment de révolution, de promesses, de choses nouvelles.

Ce sont deux discours qui, de mon point de vue, sont tout à fait acceptables et cohérents mais qui, en ordre dispersé à l'extérieur, peuvent brouiller le message et créer des débats qui n'ont pas forcément raison d'être. Merci.


M. Alain CIROU

Merci, Louis LAURENT. La nécessité de formations interdisciplinaires pour apprécier les conséquences sociales est le thème de l'intervention suivante par M. Bertrand FOURCADE de l'Université Joseph Fourier à Grenoble.

La nécessité de formations interdisciplinaires

M. Bertrand FOURCADE

Physicien, Université Joseph Fourier, Grenoble

Bonjour. Je viens de Grenoble. Je suis professeur à l'Université Joseph Fourier de Grenoble. Je suis physicien et on m'a demandé de parler de formations interdisciplinaires et nanosciences.

C'est un sujet extrêmement vaste, je vais l'attaquer par le petit bout de la lorgnette, par une présentation qui va être volontairement biaisée vers les sciences du vivant et de la santé.

Je pense qu'il est important de montrer quelques aspects très simples. Je vais vous les montrer dans le cadre d'une expérience qui est conceptuellement très simple parce que vous la testez tous les jours avec votre fil de téléphone. Là, au lieu de la tester avec votre fil de téléphone qui s'embobine autour du combiné et que vous ne pouvez plus débobiner, on va le faire avec de l'ADN.

Si on le fait avec de l'ADN, on est capable de voir comment les enzymes travaillent sur l'ADN. Ça, c'est une expérience qui a été faite à 400 m d'ici et c'est cette expérience qui va nous servir de guide.

Cela va me permettre de sortir les caractéristiques les plus saillantes de cet aspect des nanosciences et de montrer comment la formation peut en tenir compte et comment, à Grenoble, on est en train de monter ce qu'on pourrait appeler une start-up, c'est-à-dire qu'on lève des fonds pour créer une école de nanosciences et de nanotechnologies qui va impliquer tous les organismes du site.

L'expérience qui m'intéresse, c'est celle que vous pouvez faire avec un simple fil et ça marche très bien avec un fil de téléphone parce que ceux-ci ont vraiment tendance à faire des scoubidous. Pour faire un scoubidou, c'est très simple : vous prenez un fil, vous le tournez et vous voyez que, à un moment ou à un autre, il commence à se tordre sur lui-même.

Les gens qui font ces expériences pensent scoubidou et ils écrivent plectonème, c'est exactement la même chose. Dans l'expérience qui est là, vous avez un fil d'ADN, un double brin d'ADN que vous avez entré sur une table, vous vous être débrouillé pour l'accrocher à une petite bille et vous tournez la petite bille. Si vous tournez suffisamment la petite bille - environ des milliers de tours -, vous allez créer des scoubidous.

Ce qu'il y a d'extraordinaire dans la machine du vivant, c'est que vous avez des enzymes qui vont travailler sur ce scoubidou. Vous avez des enzymes qui sont spécialisés pour défaire ou pour refaire des noeuds.

Ce qui a changé ces dernières années, c'est qu'on est capables de voir travailler ces enzymes un par un, c'est-à-dire que vous allez avoir un enzyme qui va aller là, qui va couper l'ADN, passer un brin l'un sur l'autre et qui va le recoller.

Il n'y a pas besoin d'aller très loin pour voir de la science moderne puisque cela est tiré d'une publication qui a été publiée l'an passé. Les expériences continuent à être faites à 400 m d'ici, elles sont faites par Bensimon, Croquette et Heslot.

Ce que vous voyez, c'est en fonction du temps. Chaque fois, il y a des petits sauts et ce sont ces enzymes qui sont en train de travailler sur l'ADN. Donc, il y a deux aspects. Le premier aspect, c'est que vous avez une localisation spatiale, vous regardez une seule molécule. Le deuxième aspect, qui est tout nouveau, c'est ce qu'ont apporté ces expériences, c'est-à-dire que maintenant vous les voyez travailler en temps réel.

Ces expériences sont faites par des physiciens mais, au départ, elles ont été pensées par des biologistes. Ensuite, elles ont été importées par des physiciens, elles ont été conceptualisées par des physiciens qui viennent d'apporter l'aspect temporel et maintenant, ce à quoi on va assister, c'est un retour vers les biologistes.

Ce type d'expérience est très intéressant parce qu'il nécessite de faire un pont entre deux domaines qui sont a priori sans aucun rapport : la mécanique, ce qui se passe quand vous tournez un brin d'ADN - là, il s'agit d'une simulation numérique qui a été faite par un étudiant qui vous montre que les efforts mécaniques sont concentrés au bout et c'est naturellement là que vous allez dénaturer le brin d'ADN -, donc vous avez un rapport entre les efforts mécaniques et la biochimie. Ce qui se passe dans les molécules du vivant, c'est que vous avez une biochimie qui peut dépendre des efforts mécaniques.

Ça, c'est un aspect tout à fait nouveau, qui va servir à illustrer mon propos. C'est une expérience qui a été choisie pour sa simplicité de principe -vous faites comme moi, vous pestez contre votre fil de téléphone - mais il en existe beaucoup d'autres.

Ce qui caractérise les nanosciences, c'est que ce sont des disciplines qui interagissent et qui s'enrichissent mutuellement. C'est là-dessus que je voudrais insister.

S'il faut former des gens, il faut que ces gens puissent savoir importer des connaissances et un savoir-faire d'autres disciplines pour les pratiquer dans le contexte de leur propre méthode. Ce n'est pas parce que vous êtes physicien et que vous travaillez sur des matériaux biologiques que vous dénaturez votre métier de physicien, ce n'est pas pour ça que vous dénaturez votre métier de biologiste. Vous vous enrichissez mutuellement, vous élargissez mutuellement votre horizon.

C'est une approche, une interface qui permet d'analyser des objets et donc de savoir comment les modifier ou les créer dans de nouveaux contextes, tailles ou temps. Vous manipulez des molécules, il faut apprendre à les manipuler, et il faut savoir importer des connaissances d'autres disciplines. Cela veut dire qu'il faut travailler à l'interface.

Pour que quelqu'un puisse travailler à l'interface, il y a quelque chose qui est absolument nécessaire. Parce que ce qui est important pour le législateur, c'est de savoir quel type de formation il faut créer.

Travailler à l'interface, comme on l'a souligné tout à l'heure, c'est ce qu'il y a de mieux, mais c'est ce qu'il y a finalement de plus difficile. Pourquoi ? Parce qu'il faut déjà très bien posséder les bases d'une discipline et connaître les bases de l'autre pour pouvoir apprendre au contact de l'autre et pouvoir et savoir travailler en équipe. Donc les interfaces, les nanosciences, ça se situe à un niveau qui est quand même supérieur à celui du travail scientifique normal.

Ce qui caractérise aussi ces développements, c'est la fulgurante rapidité des développements et l'importance d'un lien étroit entre une recherche qui est finalisée, c'est-à-dire que vous cherchez un point précis, le court terme, et une recherche d'ouverture qui défriche les nouvelles voies.

Il y a un aller et retour incessant entre les deux qui est illustré par ces expériences de physique-biologie où il y a un aller et retour incessant entre la physique et la biologie, voire même la physique théorique. Ça, c'est tout à fait caractéristique de ces développements.

Dans le contexte, je ne vais pas vous dresser un tableau de toutes les formations en nanosciences qu'il faudrait faire en France. Simplement, on s'est posé la question de ce qu'on pourrait faire à Grenoble.

On a décidé de monter notre petite start-up à nous de formation, c'est-à-dire de monter une école européenne de nanosciences où, pendant trois semaines, on va faire venir des étudiants européens à Grenoble. Et la moitié de ces trois semaines va se passer dans des laboratoires. C'est au niveau doctorat et il s'agit de créer une communauté et un lieu de culture en recherche d'ouverture, en recherche fondamentale, où puissent venir puiser les créateurs de hautes technologies.

Cette définition n'est pas celle d'un universitaire. Ce n'est pas la définition que j'ai donnée, c'est la définition qu'a donné quelqu'un de STMicroelectronics, qui n'est quand même pas connu comme un endroit où l'on pratique la recherche fondamentale à des fins de loisir. Ça, c'est quelque chose qui, a priori, intéresse absolument l'industrie. On garde notre caractère de recherche fondamentale mais en couvrant tout le champ des applications, du plus fondamental au plus appliqué.

Pratiquer les nanosciences et les nanotechnologies nécessite des connaissances relativement élaborées et structurées. Et, pour avoir un facteur d'impact important au niveau européen, on se place au niveau du doctorat parce que le doctorat est un standard européen.

Je tiens à souligner encore quelque chose qui paraît anodin mais qui est très important, c'est l'importance de la mise en situation pratique, c'est-à-dire les travaux pratiques, le travail de salle blanche.

Savoir travailler en équipe est une chose qui est absolument indispensable. Et le savoir qu'on peut avoir, les connaissances du travail en équipe qu'on peut avoir se développent dans la pratique au contact des autres.

Apprendre aux gens à mettre la main à la pâte a un coût et le coût en nanosciences est totalement exorbitant. Donc les formations qui traitent vraiment des nanosciences seront forcément des formations très onéreuses. Il faudra prendre cet aspect en compte.


M. Alain CIROU

Merci beaucoup. Je vous propose d'entendre maintenant l'intervention sur l'information des citoyens par Laurent CHICOINEAU du CCSTI (Centre de culture scientifique technique et industrielle) de Grenoble.

L'information des citoyens

M. Laurent CHICOINEAU

Directeur du CCSTI, Grenoble

Bonsoir. Je vais vous parler d'un projet qui est en cours de démarrage et en cours de réalisation en me présentant très rapidement et en vous situant très rapidement ce qu'est un CCSTI (Centre de culture scientifique, technique et industrielle) et quelle est sa place dans les dispositifs d'information des citoyens.

Un CCSTI est une association de loi 1901 qui est conventionnée avec le ministère délégué à la Recherche. Il y a une cinquantaine de ces centres en France, vous en avez au moins un dans chaque région, excepté Champagne-Ardennes.

La mission, la finalité de ces associations, c'est la diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle au plus grand nombre, c'est-à-dire la sensibilisation de tous ceux qui ne sont pas de formation scientifique ou qui n'ont pas d'attaches professionnelles scientifiques.

De plus en plus, nous nous retrouvons au coeur de la problématique sciences-société. Je veux dire par là que la mission traditionnelle de vulgarisation telle qu'elle avait été initiée par le Palais de la Découverte dans les années 30 et ensuite reprise dans les années 60-70 n'est plus suffisante.

On se rend compte qu'on a un travail complémentaire à faire au niveau de la simple vulgarisation, c'est-à-dire à la simple simplification ou transmission des connaissances dans le public. Donc, on adopte des méthodes aujourd'hui de pluralité de points de vue, d'approches non disciplinaires, c'est-à-dire que les gens ne s'intéressent pas à une information sur la chimie mais plutôt à des sujets - on a parlé des cosmétiques, on a parlé de la santé à différents angles -, les gens s'intéressent à des angles, à des sujets et pas à des disciplines scientifiques a priori.

Puis, ce qu'on a également remarqué, c'est que, par une mise en culture des sciences, c'est-à-dire quand on fait le lien avec l'histoire, l'histoire des sciences mais aussi l'histoire, la grande histoire, quand on fait le lien avec l'économie, avec l'art parce que les artistes parlent des sciences et parlent du monde d'aujourd'hui et de demain, et aussi avec la philosophie, on touchait un plus large public et on pouvait peut-être mieux faire passer un certain nombre d'informations qui comprennent des éléments scientifiques.

Nos modes d'action consistent dans des expositions interactives, des ateliers de pratique scientifique, des rencontres-débats avec les chercheurs eux-mêmes et avec d'autres professionnels, la fête de la science en France (vous en avez sûrement entendu parler), mais aussi des formations, de l'édition et des collaborations avec les médias locaux, radio et presse quotidienne, pour parler de nos modes d'information.

Si on parle des nanotechnologies et des nanosciences, la question de base est : qu'est-ce qu'on attend comme information ?

Si on veut aller à la rencontre du public et lui parler des nanotechnologies, en partant du principe que, a priori, il n'est pas forcément intéressé, essayons de réfléchir à l'angle sous lequel on va pouvoir lui en parler, quelles sont les attentes principales. Donc d'abord, évidemment, qu'est-ce que c'est les nanotechnologies, de quoi parle-t-on et surtout, comment puis-je le comprendre, c'est-à-dire à quelles connaissances que j'ai déjà je vais pouvoir raccrocher ces nouvelles connaissances.

C'est aussi à quoi cela va servir. Est-ce que ça pourra résoudre mes problèmes de santé, mes problèmes de travail, trouver un emploi par exemple ? Est-ce que ça va pouvoir résoudre mes problèmes du quotidien ou tout basiquement de confort, comme on disait tout à l'heure ? Et puis, tout de suite après, est-ce que c'est dangereux ? Est-ce qu'il y a des risques pour l'environnement ? Est-ce qu'il y a des risques pour moi, pour mes enfants, pour les générations futures ?

Egalement : ou est-ce que ça se fabrique ? Qui le fabrique ? Combien ça coûte ? - parce qu'on est dans une question sur les technologies, on parle de produits, de production ; ce sont des attentes d'information de la part du public qu'on retrouve assez fortement - et puis, la question a été soulevée tout à l'heure, c'est un public déjà plus spécialisé mais ça intéresse aussi beaucoup les gens de savoir comment la France et l'Europe se situent par rapport aux Etats-Unis, au Japon, aux autres pays émergents dans les matières scientifiques.

Toutes ces questions, je ne les tire pas de mon chapeau mais de différentes enquêtes que nous menons régulièrement auprès du public. Cela a été fait pour la microélectronique, pour les biotechnologies, et aujourd'hui autour des nanotechnologies : comment, face à ce déferlement de prouesses technologiques, le simple citoyen réagit-il et comment peut-il avoir un accès ? Qu'est-ce qui va le motiver pour avoir un accès à l'information et participer au débat, comme les précédents orateurs le souhaitaient ?

Quelles sont les difficultés ? Elles ont été largement évoquées aujourd'hui. Les nanotechnologies sont des technologies émergentes, il n'y a pas encore beaucoup d'applications, je parle du point de vue du grand public, c'est-à-dire qu'il n'y a pas encore l'application qui tue, il n'y a pas l'équivalent du téléphone portable pour les nanotechnologies, on n'arrive pas bien à les distinguer des microtechnologies, ce n'est pas tout à fait clair en termes d'échelle.

Et puis, il n'y a pas non plus d'entreprises porte-drapeaux, ces entreprises qui apportent de la lisibilité, comme il y a eu Microsoft pour l'informatique, Yahoo pour Internet, etc...

La convergence biotechnologies-numérique-robotique induit pas mal de confusion aussi dans l'esprit des gens, cela a été soulevé tout à l'heure.

Quand on parle de thérapie cellulaire, on parle de nanotechnologies, de nanobiotechnologies. Il y a beaucoup de controverses scientifiques, il y a aussi des chercheurs qui font part de leurs doutes, cela a été soulevé dans des exposés précédents.

Puis, il y a un environnement concurrentiel international très fort qui est aussi soutenu fortement par les politiques, ce qui a été aussi dit par le représentant de la Commission européenne et par d'autres orateurs, ce qui fait que, aujourd'hui, on n'a pas le droit d'être contre ou de douter de l'intérêt des nanotechnologies. C'est un impératif technologique, un impératif de développement qui est à la fois mentionné par les entreprises en concurrence internationale et par les pouvoirs publics qui disent qu'il faut que l'Europe soit avant les Etats-Unis et qui en font un fer de lance.

Ces discours ne contribuent pas à rendre très claires les nanotechnologies. On observe aussi une méfiance croissante envers les nouvelles technologies de la part du public, de la part de l'opinion publique.

Evidemment, l'éclatement de la bulle Internet y est pour quelque chose et puis je vous rappelle tous les discours quasi mystiques qu'on avait autour d'Internet qui allait révolutionner la société... Certes, aujourd'hui nous communiquons par mails et nous avons développé un certain nombre de services mais, que je sache, la révolution n'a pas encore eu lieu.

Puis, dernier point sur lequel on a commencé à travailler, c'est que les nanotechnologies, comme beaucoup de disciplines scientifiques modernes, sont très difficiles à communiquer parce qu'il n'y a pas d'images ou peu d'images. Il n'y a pas de représentations. C'est très flou, on parle de l'invisible, on parle de l'infiniment petit et c'est la porte ouverte à tous les fantasmes.

Quelles sont ces vues du nanomonde ? C'est là-dessus qu'on a commencé à travailler. Evidemment, il y a des images scientifiques, tout de même, la fameuse image IBM. Là, on se projette déjà dans une approche Bottom-Up. Il y a des images d'artistes aussi, c'est-à-dire que, à côté de la communauté scientifique - c'est ça qui est peut-être aussi dommage, il faudrait plus d'interactions entre les deux communautés -, il y a des artistes qui se sont emparés du sujet nano, de l'infiniment petit, pour travailler leur création.

Puis, il y a les images populaires. J'ai mentionné le film Le Voyage fantastique qui date de 1966 et L'Aventure intérieure qui date des années 80 avec ce fantasme d'aller se promener à l'intérieur du corps humain et de voir l'intérieur du corps humain comme on l'a vu tout à l'heure avec la caméra dans la capsule, le voyage fantastique que fait cette microcaméra dans la capsule.

Tout ça, toutes ces images populaires vont façonner l'imaginaire et surtout les représentations du public. Cela va orienter à la fois les attentes, à la fois les préjugés, à la fois les idées fausses et les idées vraies que le public peut se faire de ces technologies.

L'étape 2004, celle dans laquelle nous sommes entrés cette année, sera celle d'un travail sur les images et les représentations qui passe d'abord par - inventaire, c'est un grand mot - une recherche, une classification des images scientifiques.

On se rend compte que, lorsqu'on demande à un chercheur ce qu'on pourrait mettre comme image si on devait résumer les nanobiotechnologies en une image... C'est une question très compliquée et pourtant le public en a besoin parce que le public a besoin d'images, nous avons tous besoin d'images et si nous (nous, communauté scientifique) ne sommes pas capables de produire ces images, d'autres vont le faire à notre place, et pourront « manipuler », en tout cas induire des idées dans l'opinion publique, et nous aurons une perte de contrôle, de maîtrise des images « réelles », en tout cas de comment on peut représenter en tant que scientifiques le nanomonde, les nanotechnologies.

De même, il y a un certain nombre d'artistes qui ont déjà travaillé là-dessus, effet de mode peut-être, je n'en sais rien, je ne suis pas historien de l'art. En tout cas, ce qui est intéressant là-dedans, ce n'est pas tellement l'apport de ces artistes dans l'histoire de l'art mais plutôt tout ce qu'ils vont mettre en oeuvre dans ces représentations, ce qu'ils vont essayer de dénoncer, de quoi vont-ils faire l'apologie, comment vont-ils projeter leur problématique personnelle autour de ce nanomonde, dans ce nanomonde. Tout ça, c'est autant d'indices qui peuvent être des portes d'entrée vers de la compréhension.

Puis, en dehors de ce travail sur l'image, en parallèle, nous faisons aussi un travail d'enquête, donc de type sociologique, auprès de la population en essayant de travailler sur les attentes des gens.

L'idée est de valider les questions que je vous présentais précédemment, et puis de voir si d'autres sont aussi présentes. Donc, les attentes du public vis-à-vis des nanosciences, les niveaux de compréhension.

C'est très important parce que, quand on a fait une enquête sur les biotechnologies, il y a trois ou quatre ans, on s'est rendu compte que les gens, quand on leur demandait s'ils avaient entendu parler d'ADN, ils disaient oui ; mais quand on leur demandait s'ils savaient ce que c'était, ils disaient non.

Donc il ne faut pas s'arrêter simplement au niveau du vocabulaire mais il faut voir quels sont tous les niveaux de compréhension qui sont à l'oeuvre dans la population, qui ne sont pas forcément induits par les médias, et c'est pour ça d'ailleurs que, tout à l'heure, je posais une question sur l'éducation.

Et puis les références aussi. C'est-à-dire que, en matière de nouvelles connaissances, on va s'accrocher forcément à quelque chose, à une référence, donc quelle est la référence ? Quand on parle des nanotechnologies, à quoi fait-on référence immédiatement ?

Ce qui est intéressant, il me semble, c'est de doubler cette enquête par une enquête auprès des scientifiques, auprès de la communauté scientifique, c'est-à-dire que la question de l'image et de la représentation n'est pas uniquement dans la tête de la population. Tout à l'heure, quelqu'un a dit justement qu'un chercheur c'était aussi un citoyen, ça peut être un père de famille, une mère de famille, donc c'est aussi quelqu'un qui vit des passions et qui vit dans sa société.

C'est intéressant aussi de savoir comment tout ça, vis-à-vis de son travail, et en l'occurrence des chercheurs dans les nanotechnologies, comment tout ça est utilisé en termes de visions, en termes de stratégies, en termes de doutes.

Tous les scientifiques ne pensent pas la même chose, heureusement, même s'ils ne travaillent pas dans le même domaine. Et c'est intéressant de voir par exemple, ça a été cité tout à l'heure, de voir comment et si les étudiants en thèse connaissent les personnes visionnaires qui ont été citées tout à l'heure, Bill Joy ou Drexler.

Comment ils se positionnent par rapport à ça ? Est-ce qu'ils sont conscients que les controverses qui sont largement médiatisées, ils en sont en fait un des acteurs ? Au lieu de subir ces controverses, peut-être que ce serait intéressant d'avoir une sorte de formation de ces jeunes scientifiques pour répondre à toutes ces questions de médiation et de diffusion vers le public.

Enfin, le travail que nous faisons cette année comporte également un recensement de manipulations et d'expositions sur le même thème mais aussi sur des scénographies de salons professionnels ou des documents de communication industriels comme le film Nanotechnologies qui a été produit par la Commission européenne.

C'est très intéressant de voir comment les acteurs eux-mêmes communiquent, quelles sont les images qu'ils produisent, dans lesquelles ils se retrouvent et donc par lesquelles ils vont se présenter au public.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme.

Erreur ! Des objets ne peuvent pas être créés à partir des codes de champs de mise en forme. Je termine là-dessus. L'objectif de ce projet, « Nanomonde 2005 », vous l'avez compris était un projet d'exposition avec toute une série d'environnements, d'informations et de débats et d'éducation avec un objectif qui est de contextualiser les informations et relier les connaissances.

Encore une fois, il ne suffit pas de vulgariser ou de faire des enquêtes sociologiques, il ne suffit pas de mettre un artiste avec des scientifiques. Par contre, l'ensemble est intéressant et c'est par l'ensemble de ces différents éléments que nous allons peut-être créer du sens, motiver le public à aller un peu plus loin dans ces technologies.

Je termine sur les partenaires et diffusions pour dire que ce projet a une base scientifique importante. Il a été initié par l'Institut polytechnique de Grenoble et le CEA à Grenoble, soutenu par la région Rhône-Alpes et le ministère délégué à la Recherche. Il a démarré en 2003 par la création de sites Internet pour parler des nanotechnologies à travers deux sites : l'idée de faire un jeu pour les jeunes et puis un site de ressources pour les enseignants.

En 2004, je vous en ai parlé, nous organisons le module « Expo images et représentations » dont nous prévoyons la finalisation de l'exposition et sa présentation au public fin 2005.

Ce qui est important pour nous, c'est de ne pas rester à Grenoble, non pas parce qu'on aime les voyages mais parce que d'autres acteurs font du développement dans les nanotechnologies en dehors de Grenoble.

Ce travail est fait en relation forte, de plus en plus forte, notamment avec la Cité des Sciences, à Paris, mais aussi en Italie avec la Cité des Sciences de Naples, avec un autre centre de culture scientifique implanté à Marseille, l'Agora des Sciences, avec l'Université libre de Bruxelles en Belgique, qui a une unité de médiation scientifique qui s'appelle Inforsciences, et d'autres partenaires qui sont en cours de validation.

L'idée, encore une fois, c'est d'essayer d'avoir un regard - là, je parle en tant que Grenoblois - un peu plus universel que simplement lié à des préoccupations qui, pour le coup, sont très locales.

A Grenoble, vous l'avez compris, il y a beaucoup de développement autour des nanotechnologies et il y a aussi quelques manifestants et quelques opposants qui font entendre leur voix. Donc, de cette problématique locale, nous souhaitons aller vers quelque chose d'un petit peu plus universel. Merci.


M. Alain CIROU

Merci, Laurent CHICOINEAU. Je vous propose de rejoindre l'estrade en compagnie des autres intervenants pour répondre jusqu'à 19 heures, à quelques questions, quelques observations en guise de conclusion.

Débat

Un intervenant

J'ai bien aimé votre intervention qui rappelait bien ce qui a été répété cet après-midi, le besoin d'interdisciplinarité et le besoin de conjuguer des compétences qui sont très diverses.

Vous, vous proposez une formation de trois semaines pour permettre à des gens d'acquérir des bases solides pour mettre en avant leurs qualités mais est-ce que vous ne croyez pas qu'une solution, j'ai envie de dire « la solution », bien sûr ce n'est pas à votre échelle, serait de pouvoir favoriser le retour en France et l'insertion des post-doctorants. Parce que c'est quand même là le but premier: partir à l'étranger, acquérir une expérience dans un domaine différent, s'intégrer dans une équipe.

On retrouve les valeurs que vous voulez dispenser, et ceci sur une échelle de temps qui est nettement plus élevée puisque, habituellement, un post-doc dure un, deux, voire trois ans parfois en biologie. Donc permettre à ces gens de revenir en France et d'apporter les richesses qu'ils ont pu acquérir à l'étranger.


M. Bertrand FOURCADE

La réponse est oui. D'abord parce que, effectivement, je suis parti à l'étranger, je suis même parti avant le post-doc. Je suis resté dix ans en Amérique et j'ai eu un mal fou, mais vraiment fou, à réintégrer le système français. C'est une expérience que je connais.

Ce qu'on aimerait faire, c'est créer une communauté à Grenoble pour montrer que, à Grenoble, les gens peuvent revenir et peuvent se réintégrer. Ça, c'est quelque chose qui nous tient vraiment à coeur.

Mais effectivement, à l'heure actuelle, quelqu'un qui part en post-doc, que ce soit un biologiste, que ce soit un physicien ou que ce soit un chimiste, il y a peu de chance qu'on le revoit. En tout cas, on ne le reverra jamais dans nos laboratoires, enfin, là où il a fait sa thèse.

Cela me paraît tout à fait normal et maintenant c'est une règle du jeu qui est acceptée. Mais je trouve extrêmement grave que le système français exporte des post-doc et que nous, moi personnellement, dans nos équipes, nous ne puissions pas avoir de post-doc !

Autrement dit, je ne peux pas dire à un collègue de Paris : « Tiens, cet étudiant, il me paraît très bien, s'il venait travailler pendant deux ans chez moi ? » Non. C'est obligé qu'il aille aux Etats-Unis, donc on ne le revoit plus.

On fabrique des gens, on forme des gens et puis on ne les revoie plus. On n'en profite pas alors que, au point de vue scientifique, c'est au niveau du post-doc qu'on est le pus créatif. Mais ça, c'est à force de le dire, de le montrer, que ça va finir par rentrer.


M. Jean-Louis LORRAIN

Je vais mettre un bémol à la réaction de M. Fourcade. Les difficultés qu'il y a pour les post-doc qui sont partis à l'étranger pour réintégrer le système, c'est vrai, on les connaît tous. Ceci étant dit, on peut parler d'autre chose que de Grenoble à ce moment-là et puis dire qu'il existe des bourses de post-doc dans des régions et financées par les collectivités, justement en raison de la carence de l'Etat dans ce domaine-là.


M. Bertrand FOURCADE

D'accord, je suis tout à fait d'accord. Mais ce qu'il faut noter c'est que, pour le post-doc, ce qui est extrêmement important c'est la réactivité du système. Quand vous avez un bon post-doc, il ne va pas être sur le marché pendant trois mois, pendant six mois. Moi, j'ai quinze jours pour dire oui ou non. Et je vous garantis que là, quelquefois je baisse les bras...


M. Jean-Louis LORRAIN

C'est un marché concurrentiel. Exactement comme le marché financier est un marché concurrentiel.


Une intervenante

J'ai une question sur la diffusion dans le public de tout ce qui est nanotechnologies. Il y a quand même un engouement pour ces informations-là de la part du grand public.

Il y a eu des expositions à la Cité des Sciences sur les objets communicants et les gens sont vraiment fortement intéressés. Ces nanotechnologies arrivent dans le grand public juste après, finalement, la publication chez les scientifiques. Il y a même des prospectives qui sont diffusées dans le grand public. Mais je me demande comment ce grand public, il peut avoir un oeil critique et comment il peut faire la différence entre ce qui est déjà une réalité et ce qui est virtuel dans tout ce qu'on lui montre. Là, il est perdu le grand public, il ne sait pas. Je pense qu'on ne sait pas montrer cela et on va très très vite dans la diffusion de l'information mais peut-être qu'on n'est pas assez critique.

Mme Christiane SINDING

On n'a peut-être pas assez parlé du hype, ce que les Américains appellent le hype, c'est-à-dire des promesses un peu extravagantes de thérapies.

Par exemple la thérapie génique, c'est quand même quelque chose qui ne marche pas pour le moment et qui ne va pas marcher de sitôt. Or on manipule un peu les gens, le public, il faut bien le dire, par exemple à travers le téléthon.

Il y a d'ailleurs des associations de patients qui commencent à protester parce que, pendant quinze ans, on a dit qu'on allait guérir les maladies avec la thérapie génique mais on savait bien que cela ne marcherait pas si facilement. Donc là, on manque effectivement de pensée critique sur les sciences et sur ces fameuses promesses.

M. Laurent CHICOINEAU

La pensée critique est très difficile à notre époque. Il me semble qu'il y a là deux éléments que j'ai essayé de dire un petit peu. Il y a d'un côté la dimension économique. Il y en a certains, peu nombreux, qui pensent qu'il faut changer radicalement le système économique, arrêter les usines, arrêter de travailler, etc. Ce n'est pas l'avis de l'immense majorité.

Je pense à la pub de HP à la TV (HP et nanotechnologies). HP a fait une pub qui est très jolie en images de synthèse où l'on ne comprend strictement rien : ça bouge dans tous les sens, on va dans le petit, dans le grand, ça zappe, ça zoome. Là, on est dans le hype, c'est magnifique et le message qui passe c'est : de toute façon HP s'occupe de nanotechnologies.

Voilà. HP surfe sur la vague nanotechnologies pour faire de la communication. Ça n'apprend rien aux gens mais ça leur donne l'idée qu'il faudra un jour consommer (la preuve, y a une pub à TF1...), consommer des nanotechnologies.

Il y a déjà une difficulté d'avoir une pensée critique sur l'économique aujourd'hui et notamment sur la science et les technologies liées à l'économique. A fortiori, et cela a bien été dit aujourd'hui, quand les pouvoirs publics, depuis la Commission européenne, l'Etat français et, en ce qui nous concerne, la région Rhône-Alpes, la collectivité locale, les communautés de communes à Grenoble ont financé le projet MINATEC. Donc quand vos impôts servent à ça c'est que, évidemment, cela doit être bien quelque part. Ce ne sont même plus là les industriels, ce sont les pouvoirs publics.

Voilà, tout le monde est pris dans le mouvement qui s'impose à vous, et avoir une pensée critique peut être suspect parce que quand la collectivité décide de financer MINATEC, elle décide par ailleurs de financer un stade de foot, elle a financé une patinoire et une ligne de tram à Grenoble et elle finance aussi un centre de micro et nanotechnologies. Donc, dans la tête des gens, des citoyens locaux, c'est que forcément cela doit être bien.

Il n'y a pas de pensée critique à avoir et c'est pour ça aussi que, très vite, on l'a bien vu aussi, il faut informer les gens parce que c'est de l'argent public, donc il faut informer les gens.

Mais comment informer les gens sur des choses qui aujourd'hui n'existent pas -c'était le cas aussi des biotechnologies-, qui n'ont pas de résultats ? On s'escrime à maintenir la flamme parce qu'on est pris dans une logique économique.


M. Louis LAURENT

Je voudrais dire aussi quelque chose sur ce phénomène du hype. Je dirais qu'il est quand même généré en partie par le mode de financement de la recherche. C'est parti pas mal aux Etats-Unis, effectivement, parce que là-bas, pour survivre, il faut être le meilleur, faire parler de soi.

C'est vrai même en France ! D'une certaine façon, dans mon laboratoire, je pousse les gens à communiquer et à bien formater leurs projets pour qu'ils le vendent. Si on fait quelque chose de gris, de monotone, en se disant que cela se verra peut-être un jour, on se fait doubler par quelqu'un.

C'est donc le système qui a tendance à générer cela et je trouve que cela n'a pas que des avantages. Cela a un inconvénient certain, par contre. C'est une interprétation qui m'est peut-être personnelle mais une partie de l'opposition aux nanosciences est en fait une réaction à cela. Même moi, quand je vois des promesses exorbitantes, cela me donne envie d'écrire quelque chose en disant : arrêtez ça !


M. Alain CIROU

Bref, ça favorise le débat...


M. Louis LAURENT

Oui. Pas le meilleur.

M. Jean-Louis PAUTRAT

Ma question ne s'adresse pas à quelqu'un en particulier. Je reviens sur un point qui a été souligné par Douglas Parr dans sa présentation. Finalement, cela profite à qui ? On peut se poser la question de qui est le prescripteur d'innovations ? Les nouveaux produits qui sortent, qui les prescrit ?

Il y a un peu le chercheur dans son laboratoire mais, en général, le chercheur il va plutôt trouver une idée et pas un produit, donc c'est en fait souvent un industriel qui se dit qu'il y a un marché.

Le marché est un des gros moteurs et les exemples qui nous ont été donnés sur HP vont évidemment dans le même sens. On peut se demander s'il est bien normal que toutes ces innovations soient soumises impérativement à la loi du marché parce qu'on sait bien qu'il y a des besoins qui sont des besoins qu'on pourrait dire orphelins comme il y a des maladies orphelines, c'est-à-dire des besoins qui vont être à destination de personnes handicapées qui ne sont pas en grand nombre, ou des besoins minoritaires dans le champ social qui ne correspondent pas à un vrai marché.

Je pense qu'il n'y a pas de processus de décision, de sélection, d'encouragement de ces innovations par le corps social dans son ensemble, par les politiques et par les agences gouvernementales, donc un certain encouragement, un certain financement à des innovations qui ne sont pas dans la droite ligne du marché.


M. Alain CIROU

Je vous propose, compte tenu de l'heure, de clore cette discussion en remerciant tous les intervenants et en remerciant l'Office parlementaire pour son accueil.

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* 51 Cf. rapport planches p. 37 à 46.

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