2. Une action débouchant sur la banalisation du football professionnel

Partant d'une doctrine ambiguë combinant l'affirmation de principe de la reconnaissance des spécificités du sport et une concession aux aménagements concrets que suppose une telle pétition par rapport aux règles de droit commun , limitée par le rappel de leur prééminence , l'action de la Commission a été, pour l'essentiel, consacrée à asseoir celle-ci .

Ce choix est d'autant moins satisfaisant que , faisant prévaloir le principe d'une assimilation du football à une activité économique banale, la Commission n'en a pas tiré toutes les conséquences pratiques, sa vigilance concrète de gardienne des lois du marché à l'égard d'un secteur économique à part entière paraissant des plus timides .

a) Des interventions consacrant, in fine, la déréglementation du football professionnel

Pour être équitable, il faut remarquer que la Commission est la première à reconnaître la modestie de son action au service des spécificités du sport . Elle admet que rares ont été les mesures prises au niveau communautaire ayant eu pour effet de préserver la dimension d'intérêt général que représente le sport. Le seul exemple d' intervention positive qu'elle cite est la décision prise lors de la révision en 1997 de la directive « Télévision sans frontières ». Le texte révisé prévoit la possibilité pour les Etats membres de prendre des mesures, dans le respect du droit communautaire, afin de garantir l'accès du grand public aux événements sportifs majeurs.

La Commission mettrait sans doute à son crédit son abstention de condamner les systèmes de vente collective de droits de retransmission audiovisuelle , mais votre rapporteur ne peut que constater l'écart entre cette « bienveillance » par abstention et la justification que lui apporte la Commission, la préservation de l'équilibre sportif, qui appelle, selon lui, des décisions plus prescriptives aux fins de promouvoir cet objectif (v. infra ).

Le constat que dans ce domaine, comme dans celui relatif à l'harmonisation des prélèvements obligatoires ou encore aux législations sociales, la Commission n'a entrepris aucune initiative positive, est peu contestable.

Elle justifie cette situation par des raisons juridiques tenant à l'application du principe de subsidiarité.

En observant que l'absence de coordination entre les acteurs du sport (fédérations, Etats membres et Communauté européenne) agissant isolément risquerait de mettre en échec les principes communs sur lesquels repose le « modèle européen du sport », elle souligne, à juste titre, qu'elle n'est pas seule en cause.

Elle relève, en outre, qu'au niveau national , une action de clarification des règles de droit devrait être entreprise afin de sauvegarder les structures actuelles et la fonction sociale du sport , notamment les structures fédératives nationales qui pourraient se voir reconnues par la loi dans chaque Etat de l'Union.

De même, la Commission estime que les organisations sportives doivent entreprendre un effort de précision de leurs missions et de leurs statuts. Elle considère à cet égard que les statuts des fédérations devraient obligatoirement comporter la mission de promouvoir , conjointement , le sport amateur et professionnel , et un rôle d'intégration sociale (jeunes, personnes handicapées, etc.) et que ces responsabilités devraient se traduire effectivement dans la pratique par des mécanismes financiers de solidarité interne, la relation structurelle et solidaire entre sport de compétition et sport amateur.

Il reste que , lorsqu'elle est intervenue dans le secteur, la Commission n'a pas consacré des solutions propres à défendre la spécificité sportive . Ainsi, si elle a agi de façon résolue pour que soient donnés tous ses prolongements à l'arrêt Bosman de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) en imposant à la FIFA de modifier son règlement relatif aux transferts de joueurs, elle n'a pas tout entrepris pour que le nouveau règlement préserve les équilibres sportifs .

Dans ce domaine, la Commission a finalement entériné une réforme du règlement des transferts de la FIFA allant dans le sens d'une banalisation du statut des joueurs professionnels.


LES GRANDES LIGNES DE LA RÉFORME DES TRANSFERTS

C'est le 5 mars 2001 que les discussions entre la Commission et les présidents de la FIFA et de l'UEFA sur les transferts internationaux de joueurs de football ont trouvé leur aboutissement. La FIFA et l'UEFA se sont engagées à adopter de nouvelles règles de transfert fondées sur les bases suivantes.

Un joueur libre de tout engagement peut passer d'un club d'un Etat membre à un club d'un autre Etat membre en franchise de toute indemnité de transfert. Mais, une hypothèse particulière est prévue avec le versement d'une indemnité de formation. La Commission en reconnaît la légitimité dans certaines limites pour les jeunes footballeurs, c'est-à-dire ceux qui ont moins de 23 ans (un footballeur est considéré en formation jusqu'à l'âge de 21 ans). En cas de changement de club d'un jeune footballeur, il est admis comme légitime que le club ayant assuré sa formation souhaite percevoir des indemnités couvrant le coût de cette formation. La difficulté résidait dans le calcul de ce coût. La Commission a accepté d'aller au-delà du coût réel de la formation du footballeur considéré, en tenant compte des résultats du centre de formation.

Des précisions concernant les contrats sont apportées, notamment sur leur durée, l'un des objectifs étant d'éviter le contournement de l'arrêt Bosman . Ainsi, les contrats sont encadrés par une durée maximale de cinq ans destinée à éviter le retour à des pratiques limitant la libre circulation des joueurs, et une durée minimale d'un an afin d'éviter la multiplication des transferts en cours de saison, accusés de fausser la compétition. Ces derniers ne doivent intervenir que dans des cas exceptionnels, tels qu'une blessure ou une mésentente totale entre le joueur et son entraîneur, etc.

Pour ce qui est de la rupture des contrats, la Commission encourage un système équilibré de rupture unilatérale de contrat. Auparavant, la FIFA exigeait l'accord des deux clubs pour qu'un footballeur puisse être transféré en cours de contrat. Aujourd'hui, un joueur peut être transféré sans ce double accord, mais des compensations peuvent être accordées, soit qu'elles soient prévues directement dans le contrat du joueur, soit qu'elles soient justifiées par le club d'origine. Les montants exorbitants sont toutefois passibles de recours devant les tribunaux.

De plus, les dirigeants de club et de fédération ayant souligné qu'une équipe se construisait sur plusieurs années et que le départ d'un joueur après seulement un ou deux ans ruinait en partie cette construction, pour limiter ces ruptures, un mécanisme de sanctions sportives, pouvant atteindre quatre mois de suspension en fin de première ou de deuxième année, est prévu. En revanche, ces sanctions ne peuvent plus être infligées au terme de la troisième année. Ce système limite donc les ruptures de contrat, mais lors des deux premières années seulement.

Enfin, des organes d'arbitrage paritaires, composés de représentants de joueurs et de clubs, sont prévus. Une cour d'arbitrage du football, instance d'appel, dont une chambre aura également une composition paritaire, statuera sur les litiges concernant les transferts internationaux. Ces nouveaux organes d'arbitrage ont pour mission de traiter rapidement les dossiers dont ils sont saisis, ce qui n'ôte pas aux joueurs la possibilité d'engager, s'ils le souhaitent, une action en justice, ce que les anciennes règles de la FIFA interdisaient.

b) Une activité insuffisante de surveillance des lois du marché

Dans le même temps que la Commission adoptait des décisions consacrant l'assimilation du football professionnel à une activité économique et commerciale comme les autres, elle se montrait défaillante dans sa mission de gardienne des lois du marché , du moins selon le sentiment de votre rapporteur.

L'intervention de la Commission dans ce domaine concerne a priori les règlements européens portant sur tel ou tel aspect de la vie économique des clubs et, tout particulièrement, les règles relatives à la concurrence.

Dans ce dernier champ, la Commission exerce une compétence de surveillance et de sanction des pratiques des entreprises ou des administrations publiques susceptibles de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.

S'agissant des entreprises, les pratiques visées sont les ententes ou les abus de position dominante. Pour les administrations publiques, des règles de limitation et une surveillance des aides publiques sont posées.

Au long du présent rapport, on a montré que le football européen des clubs professionnels connaît un développement caractérisé par deux processus majeurs : une tendance à l'émergence d'une élite financière de clubs acquérant une position dominante dans le secteur ; la multiplication d'interventions économiques qu'un investisseur « normal » n'entreprendrait pas .

Ces deux processus modifient en profondeur les conditions d'exercice de la concurrence sportive et économique . Ils ne sont que très partiellement le résultat d'un jeu normal des marchés. Les décisions prises dans le champ de la distribution des produits de la commercialisation du spectacle sportif conditionnent étroitement la hiérarchie financière des clubs. Quant aux investissements, à fonds perdus, ils sont manifestement étrangers aux règles normales de l'économie de marché.

Alors même que ces deux tendances caractérisent une situation où les conditions du jeu de la concurrence semblent affectées de dysfonctionnements et, ainsi, appeler une réelle attention , la Commission s'est montrée plus que parcimonieuse dans ses interventions .

Aux yeux de votre rapporteur , les conditions de répartition des droits de retransmission audiovisuelle dans les différents pays européens, et ceux attachés aux compétitions internationales, appellent un examen pour vérifier qu'elles ne traduisent pas d'abus de position dominante de la part des clubs dont le pouvoir de négociation conduirait à priver abusivement certains clubs, moins puissants, de la part des produits qui, en équité, devrait leur revenir.

De la même manière, il apparaît indispensable de se prononcer sur la question de savoir si les investissements récurrents réalisés par les personnes privées pour combler les déficits de leurs clubs ne témoignent pas d'un abus de position dominante .

Enfin, la présomption d'existence d'un assez grand nombre d'hypothèses de soutiens publics , parfois massifs, dont certains ont été largement rapportés par la presse, n'a pas suscité de réactions particulières de la Commission . Sa seule intervention ayant connu un certain retentissement est très récente et concerne les législations projetées en Italie pour alléger les dettes fiscales et sociales des clubs et échelonner les pertes sur des opérations de transferts.

L'attitude de la Commission peut , en partie , s'expliquer par la rareté des saisines adressées à elle par les parties intéressées. Mais , on rappelle que la Commission a le loisir de s'auto-saisir dans le champ concerné, ce dont elle ne se prive pas à l'égard d'autres secteurs. A cela il faut ajouter la considération qu'il peut être difficile pour un club se trouvant en relations d'affaires avec un concurrent indélicat pour estimer que, si les Etats concernés devraient mieux protéger leurs clubs en recourant davantage aux ressources du droit communautaire, et, au premier chef, l'Etat français, la Commission devrait aussi mieux assurer son rôle de gardienne des marchés.

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