C. UNE INITIATIVE À CONFORTER PAR D'AUTRES SIGNAUX POSITIFS

1. L'incitation au rapatriement des capitaux

La mesure évoquée par le Premier ministre tendant à inciter les capitaux délocalisés illégalement à rentrer pour s'investir dans l'économie nationale moyennant un prélèvement représentatif des impôts, droits et taxes auxquels ils seraient normalement assujettis, constitue un signal positif pour les agents économiques. Cela montre, en effet, qu'au moment où l'on s'interroge sur l'attractivité du territoire, le Premier ministre est pleinement conscient de ce que la fiscalité du patrimoine est un handicap pour l'économie française.

Contrairement aux capitaux délocalisés légalement, qui n'attendent qu'un cadre fiscal plus favorable pour s'investir de nouveau en France, le rapatriement des capitaux délocalisés de manière irrégulière exige un traitement fiscal adapté, en général par la mise en place, de manière temporaire, d'un prélèvement libératoire à un taux significatif, mais non dissuasif.

En France, de tels dispositifs ont évidemment des précédents. Il est ainsi possible de remonter au plan d'Antoine Pinay au moment de l'arrivée du nouveau franc.

Depuis bientôt 18 ans, aucune mesure d'incitation au rapatriement des capitaux n'a été prise. Les pays européens voisins et notamment la Belgique 104 ( * ) ont pris conscience de l'opportunité d'une telle mesure. Les précédents français et les expériences étrangères permettent de déterminer les conditions de réussite d'un dispositif de rapatriement des capitaux investis à l'étranger.

Au cours des 25 dernières années, deux mesures d'incitation au rapatriement de capitaux ont été prises, l'une par un gouvernement de gauche, l'autre par un gouvernement de droite :

- l'article 101 de la loi de finances pour 1982 prévoyait que les résidents français détenteurs d'avoirs irréguliers à l'étranger pouvaient les rapatrier en acquittant une taxe forfaitaire égale à 25 % du montant de ces sommes, à condition que leur situation ne soit pas en cours de contrôle par les services des douanes 105 ( * ) ;

- l'article 11 de la loi de finances rectificative pour 1986 du 31 décembre 1986 disposait que les avoirs irrégulièrement détenus à l'étranger rapatriés en France avant le 1 er février 1987 seraient considérés comme étant en situation régulière au regard de la réglementation des changes et ne pourraient faire l'objet d'aucune réclamation au titre des impôts, droits et taxes dont le fait générateur était antérieur à la date d'entrée en vigueur de la loi. La contre-valeur de ces avoirs était soumise de manière anonyme à une taxe spéciale de 10 %. Cette taxe a engendré un produit de 240 millions d'euros pour un montant de 2,43 milliards d'euros rapatriés.

Les précédents en matière d'incitation au rapatriement des capitaux 106 ( * )

Date

Gouvernement

Ministre des finances

Modalités

Exclusion des avoirs ayant fait l'objet de procédures administratives ou judiciaires avant rapatriement

Loi du 2 février 1948

R. Schuman

R. Mayer

Le rapatriement des avoirs est assorti d'une taxe de 25 % jusqu'au 30 juin 1948, majorée de 1 % ensuite

oui

Loi de finances pour 1952 (14 avril 1952)

A. Pinay

A. Pinay

Possibilité de rapatrier sans paiement d'aucune taxe, jusqu'au 1 er janvier 1952

oui

Ordonnance du 24 juin 1958

C. de Gaulle

A. Pinay

Possibilité de rapatrier sans paiement d'aucune taxe, durant un délai fixé par décret

oui

Loi de finances pour 1982

P. Mauroy

J. Delors

Possibilité de rapatrier les avoirs avec paiement d'une taxe de 25 %.

Délai : avant le 1 er mars ou le 1 er juin 1982 selon la nature des avoirs.

oui

Loi de finances rectificative pour 1986

J. Chirac

E. Balladur

Possibilité de rapatrier les avoirs détenus à l'étranger avec paiement d'une taxe spéciale de 10 %.

oui

En Italie, la loi du 23 novembre 2001 107 ( * ) a mis en place un « bouclier fiscal » ( scudo fiscale ) permettant aux capitaux illégalement investis à l'étranger d'être rapatriés en échange d'une « amende libératoire » de 2,5 %. Selon le gouvernement italien, 54 milliards d'euros, soit 4 % du PIB italien, auraient été rapatriés en Italie et le produit de l'amende libératoire s'élèverait à 1,3 milliard d'euros.

De son côté, la Belgique estime qu'elle devrait pouvoir grâce au dispositif susmentionné bénéficier de 700 millions d'euros de recettes fiscales supplémentaires grâce à son projet de déclaration libératoire unique.

Les expériences étrangères comme les précédents français montrent que le taux du prélèvement libératoire a un effet direct sur le succès de la mesure. Le taux de 25 % retenu par la loi de finances de 1982 était manifestement trop important pour convaincre les détenteurs d'avoirs placés à l'étranger de les rapatrier, d'autant que le contexte fiscal était à l'époque particulièrement défavorable. A l'inverse, le taux symbolique retenu en Italie est à l'origine d'un afflux de capitaux.

Il n'est pas indifférent de noter que la mesure est plutôt populaire puisque, selon un sondage BVA pour l'hebdomadaire Marianne publié le 17 mai 2004, 54 % des Français jugent que l'idée avancée par Jean-Pierre Raffarin d'instaurer une simple taxe sur le rapatriement des capitaux évadés est « une bonne idée, car cela permettrait de faire rentrer de l'argent en France pour financer des mesures sociales ».

* 104 Selon le projet de loi instaurant une déclaration libératoire unique déposé le 28 octobre 2003 devant la Chambre des représentants de Belgique, « la déclaration libératoire unique ne constitue pas une mesure d'amnistie fiscale. Il s'agit d'une mesure réparatrice pour le Trésor ».

* 105 La taxe était alors libératoire de tout redressement fiscal et de pénalité portant sur ces avoirs. Le rapatriement des biens meubles devait être effectué avant le 1er mars 1982. L'article laissait jusqu'au 31 mai 1982 pour vendre les immeubles irrégulièrement acquis à l'étranger. Cette taxe a engendré un produit de 22,87 millions d'euros pour un montant de 91,47 millions d'euros rapatriés.

* 106 Il s'est davantage agi dans le passé de mesures douanières pour les résidents ayant enfreint la législation sur les changes que de mesures à objet purement fiscal.

* 107 Dont la durée d'application a été prolongée par la loi du 27 décembre 2002 et la loi du 1 er août 2003.

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