III. LA CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE : RELANCE DU COMMERCE SUD/ SUD

A. LE CYCLE DU DÉVELOPPEMENT : DES ATTENTES JUSQUE LÀ DÉÇUES

La participation des sénateurs membres de la mission à la CNUCED proprement dite, qui est une conférence intergouvernementale, n'a évidemment pas pu être aussi active. La revendication des élus des pays du Sud, entre nostalgie et combat, a été relayée par les chefs d'Etat et de gouvernement de ces mêmes pays. Chacun a fait part des attentes qu'avait créé le lancement du nouveau round de négociations OMC, lequel avait, pour la première fois, déclaré prioritaire l'intérêt des pays en développement en s'intitulant « cycle du développement ». Ces fortes attentes sont pour l'instant déçues, les négociations du cycle de Doha se trouvant dans l'impasse depuis Cancùn. Or, comme elle l'a rappelé à São Paulo, la Banque mondiale estime que la mise en oeuvre de l'accord de Doha diminuerait de 250 millions le nombre de pauvres dans le monde et accroîtrait de 5 milliards de dollars le PIB mondial.

Tout en appelant à la conclusion du cycle de Doha, les pays du G77, groupe qui, en fait, compte désormais 132 pays dont la Chine, se sont montrés solidaires sous l'impulsion du Brésil, pays hôte de l'événement mais aussi pays d'origine du secrétaire général de la CNUCED, M. Rubens Ricupero, et terre d'élection du président du Brésil, M. Luiz Inacio Lula da Silva, qui a annoncé une « nouvelle géographie du commerce mondial». Déçus par le multilatéralisme, ces pays ont unanimement exprimé le sentiment que les pays du Nord reprenaient d'une main (par des subventions aux exportations) ce qu'ils donnaient de l'autre (par une franchise de droits de douane pour les produits des pays les moins avancés) : un ton très critique a donc été communément adopté par la plupart des pays intervenants à la conférence, mais aussi par M. Kofi Annan, secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, pour stigmatiser l'incohérence de l'attitude des pays du Nord , qui plaident pour une libéralisation plus poussée du commerce mondial mais ne sont pas prêts à faire de même chez eux, s'arc-boutant notamment sur leurs systèmes de subventions agricoles.

B. RELANCE DES ÉCHANGES SUD/SUD : COMPLÉMENT OU SUBSTITUT AU MULTILATÉRALISME ?

L'idée a donc pris corps à São Paulo, parmi les pays membres de la CNUCED, de développer, à côté du cycle OMC, une autre démarche visant à promouvoir une plus grande coopération Sud/ Sud. C'est ainsi que les pays du Sud se sont engagés à São Paulo dans une relance des échanges entre eux.

D'ores et déjà, le poids du Sud dans le commerce mondial se manifeste de manière croissante. En effet, le commerce Sud/Sud a progressé, en volume, à un rythme deux fois plus rapide que le commerce mondial pendant les années 1990 (11 % par an en moyenne), si bien qu'aujourd'hui, le Sud intervient dans 30 % du commerce mondial (contre 20 % au milieu des années 80). En outre, la part des produits manufacturés dans les exportations des pays en développement est passée de 20 % en 1980 à près de 70 % en 2000. Il est particulièrement marquant de relever qu'en 2003, pour la première fois, les importations des Etats-Unis en provenance des pays en développement ont dépassé celles en provenance des pays développés, et la part de leurs exportations vers les pays en développement dépasse 40 %. Enfin, il convient de souligner que le Sud est déjà la destination de près de la moitié des exportations japonaises et du tiers de celles de l'Union européenne (hors commerce intracommunautaire).

Par ailleurs, les relations entre pays du Sud s'intensifient parallèlement, même si le commerce Sud/Sud ne représente aujourd'hui que le dixième du commerce mondial : les échanges entre pays en développement représentent déjà près de 40 % de l'ensemble de leurs échanges extérieurs. L'accroissement des exportations agricoles de l'Argentine et du Brésil vers la Chine et celui des exportations de produits manufacturés chinois vers ces pays l'illustre dès à présent. Ce mouvement a vocation à s'accélérer : à São Paulo, les pays du Sud ont en effet décidé d'ouvrir un nouveau cycle de négociations avant novembre prochain, pour se conclure deux ans plus tard. Il visera à réactiver entre pays en développement le système global de préférences commerciales (SGPC), créé en 1988 et permettant des concessions commerciales qui peuvent être refusées aux pays industrialisés. Ceci aidera à renforcer les gains commerciaux et les liens économiques des pays du Sud, d'autant que 70 % des tarifs supportés par les PED à l'export leur sont appliqués par d'autres pays en développement. Selon M. Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU, un développement de la coopération Sud/Sud qui permettrait de diviser par deux les tarifs douaniers moyens que s'imposent les uns aux autres les pays du Sud augmenterait de 15,5 milliards de dollars la valeur des échanges commerciaux.

Cette relance de la coopération Sud/Sud, selon M. Kofi Annan, ne vise pas à remplacer mais bien à compléter le processus de libéralisation multilatéral. Il est en effet important que les pays du Sud ne se détournent pas pour autant du multilatéralisme.

C'est donc parallèlement, et de manière complémentaire plutôt qu'alternative, que les négociations doivent se poursuivre à l'OMC à la faveur du climat de confiance créé par la onzième CNUCED. Toutefois, si l'OMC avait besoin du succès de la CNUCED pour créer la confiance dans un système international cohérent, il n'est pas sûr que le succès de la CNUCED suffise à assurer celui du cycle engagé à l'OMC et à permettre la réalisation des promesses de Doha. On sait que des contacts informels ont eu lieu à São Paulo entre Pascal Lamy et ses homologues américain et brésilien, notamment, le Brésil jouant un rôle essentiel au sein du G20. L'objectif affiché est d'aboutir à un accord sur le volet agricole du cycle de l'OMC avant la fin du mois de juillet , dans la mesure où la campagne présidentielle américaine risque de geler toute avancée par la suite. Les commissaires européens Fischler et Lamy ont pris l'initiative, en mai dernier, de faire une fois de plus la preuve de la flexibilité de l'Union européenne, qui, pourtant, a déjà réformé deux fois la PAC récemment. A cette occasion, ils se sont dits prêts à faire des concessions sur les subventions aux exportations, à deux conditions :

- que soit respecté un « strict parallélisme » dans les subventions aux exportations, donc qu'y soient inclues toutes les formes de ces subventions (les crédits publics aux exportations, l'aide alimentaire américaine, les entreprises commerciales d'Etat qui ont le monopole des échanges agricoles dans plusieurs pays du groupe de Cairns...) ;

- que des progrès soient faits par nos partenaires pour faciliter l'accès au marché et diminuer le soutien interne à l'agriculture.

Il s'agit d'une « offre historique » de l'Union européenne , selon l'expression utilisée par M. Supatchai Panitchpadki, directeur général de l'OMC, lors de son intervention à São Paulo : alors même que, il y a quelques années, une simple réduction des subventions européennes aux exportations était difficile à envisager, la proposition de les éliminer est une révolution, qu'il s'agisse ou non d'une erreur tactique. Or aucun signe de flexibilité chez les partenaires de l'Union européenne n'est apparu ouvertement, même si le commissaire Lamy a déclaré que le huis-clos de São Paulo -qui a été suivi d'une autre réunion à Paris entre l'Union européenne, les Etats- Unis, l'Inde, le Brésil et l'Australie les 10 et 11 juillet derniers- permettait de considérer comme acquis le parallélisme à l'égard des subventions à l'exportation. Dans un entretien accordé à La Tribune 3 ( * ) , le directeur général de l'OMC, M. Supachai Panitchpakdi, a confirmé que les Etats-Unis s'étaient en effet engagés à réformer leurs crédits à l'exportation, mais il reste à s'accorder sur ce qui est négociable, c'est-à-dire sur ce qui peut être considéré comme une subvention à l'intérieur des crédits à l'exportation (hauteur des taux d'intérêt accordés aux agriculteurs américains, durée des prêts...). Un projet d'accord-cadre préparé par la direction de l'OMC devrait être étudié dans les prochains jours par les membres de l'organisation, et pourrait être adopté lors du conseil général de l'OMC prévu à Genève du 27 au 29 juillet.

En tout état de cause, votre rapporteur rappelle que l'objectif d'un accord équilibré doit primer sur l'objectif de calendrier .

* 3 La Tribune , 12 juillet 2004.

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