TRAVAUX DE COMMISSION

Réunie le mercredi 3 novembre 2004 sous la présidence de M  Nicolas About, président, la commission a entendu M. Alain Vasselle sur le rapport du Gouvernement sur les prélèvements obligatoires et leur évolution (article 52 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de financement).

M. Alain Vasselle a rappelé, en préambule, l'historique du débat relatif aux prélèvements obligatoires : à l'initiative de MM. Philippe Marini et Charles Descours, le Sénat avait adopté un amendement à la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001, imposant au Gouvernement le dépôt d'un rapport sur les prélèvements obligatoires et prévoyant, de manière facultative, la tenue d'un débat. Le Sénat a ainsi organisé ce débat en 2002 et 2003 et il y procèdera à nouveau en 2004, à quelques jours de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Il s'est félicité que cette discussion constitue l'occasion de mettre en perspective certaines caractéristiques de l'évolution des prélèvements sociaux, dont la situation est, à bien des égards, préoccupante.

M. Alain Vasselle a indiqué qu'en 2003, le périmètre des prélèvements obligatoires affectés aux administrations de sécurité sociale avoisine les 340 milliards d'euros, soit la moitié des prélèvements obligatoires supportés par la France et le cinquième de sa richesse. Ce chiffre, considérable, n'est en outre que partiel, car il ne prend pas en compte certaines données comme les déficits réalisés chaque année par la sécurité sociale et le coût de l'amortissement de sa dette par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).

Il a déploré que ce constat ne puisse être tempéré par des perspectives à court et moyen termes plus optimistes : en effet, à compter de 2005, les mesures prises dans le cadre de diverses lois - réforme de l'assurance maladie, solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et handicapées, industries électriques et gazières, réforme des retraites ou loi de financement de la sécurité sociale - contribueront à accroître la pression fiscalo-sociale de 6,5 milliards d'euros sans combler, en contrepartie, le déficit du régime général qui atteindra encore 10,5 milliards d'euros.

Il en a conclu que l'objectif de réduire les prélèvements obligatoires dans leur ensemble, de limiter la progression des prélèvements sociaux face aux prélèvements de l'État sans creuser le déficit du budget général ou de contrôler l'évolution de la fiscalisation des prélèvements sociaux se révélait être un exercice d'une extrême difficulté.

M. Alain Vasselle a constaté que la pression accrue exercée par ces prélèvements s'était accompagnée d'une modification de la base de la contribution des salariés qui s'est traduite par le basculement progressif des cotisations d'assurance maladie sur la contribution sociale généralisée (CSG), mais qu'en revanche, aucune réforme d'ampleur des cotisations sociales patronales n'avait été décidée.

Il a cependant observé que les objectifs qui auraient pu être assignés à une telle réforme peuvent être considérés de facto comme atteints, en raison de la mise en place de politiques d'allégements ciblés de cotisations : désormais, le volume global des exonérations de charges correspond à 9 % du total des cotisations. Pourtant, dès 1994, le Gouvernement avait commandé au Commissariat général du plan un rapport sur les perspectives de financement de la protection sociale, lequel, après avoir évoqué différentes alternatives et conclu qu'il n'existait pas d'« assiette miracle », avait formulé des propositions concrètes. Celles-ci mettaient en premier lieu l'accent sur la maîtrise des dépenses, puis sur la nécessité de clarifier le lien entre prestations et cotisations, d'élargir l'assiette des financements, de taxer les comportements à risques et enfin d'alléger la charge pesant sur le travail faiblement rémunéré.

Il a estimé qu'au total, l'ensemble des réformes mises en oeuvre au cours de la décennie passée ont servi ces objectifs, qu'il s'agisse du financement du non contributif par la solidarité nationale, de l'augmentation de la fiscalité du tabac et de la CSG et, enfin, des allégements de cotisations pesant sur les bas salaires. Seule la maîtrise des dépenses demeure à ce stade encore hors de portée.

M. Alain Vasselle a rappelé que, dans la perspective d'une augmentation de la part patronale du financement de la protection sociale, le plan Juppé avait proposé d'explorer la piste d'un élargissement de l'assiette des cotisations à la valeur ajoutée produite par l'entreprise, avec pour double objectif de soulager les secteurs à fort coefficient de main-d'oeuvre et d'élargir l'assiette de cotisations à une base plus large que la masse salariale. Ces conclusions furent toutefois remises en cause par une étude postérieure selon laquelle l'augmentation théorique de l'assiette risquait de se révéler finalement contre-productive en raison du caractère manipulable de la notion de valeur ajoutée et des transferts de charges entre les différents secteurs d'activité qu'occasionnerait un basculement sur cette assiette.

En conclusion, il a constaté que, simultanément à la tenue de ces débats théoriques, les mesures d'exonérations et d'allégements de charges furent multipliées. Cette tendance a profondément modifié le caractère des cotisations sociales. En effet, à l'origine, les cotisations étaient dégressives, car plafonnées ; leur déplafonnement a constitué une première étape de réforme en les rendant proportionnelles aux revenus, puis l'instauration d'allégements sur les bas salaires a parachevé cette évolution en les rendant progressives. L'impact positif sur l'emploi des exonérations de cotisations n'est d'ailleurs plus contesté, même si l'ampleur de cet effet reste complexe à mesurer.

Abordant la question du coût de la main-d'oeuvre, M. Alain Vasselle a déploré que la médiatisation de certains plans de licenciement ou de délocalisation ait jeté le doute sur l'efficacité des allégements de charges sociales et fait resurgir la proposition, pourtant écartée par le passé, de substituer la TVA aux cotisations patronales familiales et d'assurance maladie. Les promoteurs de cette démarche font valoir que cette substitution assurerait le rétablissement de l'équité en matière de formation des prix et améliorerait la compétitivité de la production nationale sur les marchés intérieurs et extérieurs. Cette analyse mérite d'être explorée plus avant.

M. Alain Vasselle a ainsi rappelé que le droit communautaire encadre strictement la fiscalité pesant sur les prix des produits, notamment la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La France pratique, pour sa part, trois taux fixes, selon les produits, à 19,6 %, 5,5 % et 2,1 %. Elle pourrait, sans contrevenir aux directives européennes, porter ces taux à 25 %, mais il lui est impossible de créer, sauf à disposer d'une dérogation communautaire expresse, une « TVA additionnelle », même en se prévalant de la jurisprudence relative aux taxes sur le chiffre d'affaires, dont elle a pu bénéficier pour la contribution sociale de solidarité sur les sociétés.

Il a noté également que le basculement total des cotisations sociales employeurs est totalement impraticable en raison des volumes financiers en cause, 178 milliards d'euros pour les cotisations patronales, contre 110 milliards constituant actuellement l'ensemble du produit de la TVA. Même en se limitant aux 90 milliards d'euros des seules cotisations d'assurance maladie et cotisations familiales, soit 80 % du produit actuel de la TVA, il en résulterait une hausse du taux de cette taxe d'une ampleur considérable.

Il s'est préoccupé ensuite des conditions d'ajustement de ce dispositif qui, outre leur complexité, échappent totalement à la maîtrise des pouvoirs publics. En effet, le scénario vertueux de la mesure suppose une répercussion intégrale sur les prix hors taxes de la suppression des cotisations patronales. Dans l'hypothèse inverse, il n'y aurait pas d'amélioration de la compétitivité des entreprises, mais un renforcement de leurs marges et une augmentation de l'inflation. Or, la réalisation de ce scénario repose sur l'attitude des entreprises et sur la réussite d'une négociation avec les organisations syndicales pour que l'augmentation des prix à la consommation, notamment des produits importés, ne se traduise pas par des revendications salariales. Il a estimé que les traditions sociales françaises, différentes de celles des pays à fort consensus social, comme c'est le cas en Scandinavie, rendent un tel accord improbable.

M. Alain Vasselle s'est inquiété enfin des futurs perdants d'une telle substitution. Il s'agit, en premier lieu, des bénéficiaires d'allégements de cotisations, dont les industries de main-d'oeuvre peu qualifiées pour lesquelles la substitution de la TVA aux cotisations sociales ne procurera pas un avantage - car elles ne peuvent répercuter la suppression d'une cotisation dont elles sont exonérées - mais produira seulement une augmentation de leurs prix. Il s'agit ensuite des commerçants implantés en zones frontalières : si la France présente des taux de TVA situés dans la moyenne communautaire, elle est voisine de pays à taux bas dont l'Allemagne, l'Espagne ou le Luxembourg. L'augmentation du taux normal français ne manquera pas de favoriser des détournements de consommation au profit de ces pays frontaliers.

Au total, il a fait part de son scepticisme sur cette proposition dont les conditions requises rendent peu vraisemblable un basculement massif de cotisations sociales même si, dans un contexte de fiscalisation et de diversification des ressources de la protection sociale, l'affectation de TVA aux régimes sociaux pourrait être préférée à la hausse de la CSG. Cette substitution devra toutefois être envisagée avec précaution et pour de petits montants, notamment en raison du caractère indolore de cette taxe qui n'est guère favorable à la maîtrise des dépenses.

Il a ensuite insisté sur le caractère complexe de la question du coût du travail. Chaque année, 10 % des emplois disparaissent pour être recréés sous d'autres formes. Il convient donc de disposer des instruments adaptés pour améliorer l'attractivité française comme le fait le Gouvernement en prévoyant, en 2005, plus de 2,1 milliards d'euros de mesures fiscales en ce sens. En conclusion, il lui a semblé préférable de formuler des propositions visant à favoriser la stabilité et la stabilisation des prélèvements sociaux.

En premier lieu, M. Alain Vasselle a rappelé que la maîtrise des dépenses sociales doit constituer un préalable à toute réflexion sur les recettes, car aucune assiette n'est, en elle-même, susceptible de croître aussi rapidement que l'évolution des dépenses constatée au cours de ces dernières années. Ce rappel fait, il a insisté sur l'importance d'assurer la stabilité du cadre des finances sociales. Or, les règles relatives à la gestion des exonérations de cotisations sociales sont d'une grande complexité et leur stabilité est souvent remise en cause par des retouches successives : le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 modifie, par exemple, la loi Fillon relative aux salaires, au temps de travail et à l'emploi. Il faut permettre aux entreprises, qui ont besoin de visibilité pour embaucher, de construire une stratégie à moyen ou plus long terme.

Il a reconnu que des progrès ont été réalisés en matière de sécurité juridique, notamment par l'introduction du « rescrit social », mais qu'ils ne constituent pas en eux-mêmes des outils de clarification. Aussi a-t-il appelé de ses voeux la fusion des règles relatives aux exonérations de cotisations sociales dans un dispositif général, qui pourrait être le dispositif Fillon, le cas échéant accompagné d'une prime en fonction des objectifs supplémentaires visés par les pouvoirs publics.

Enfin, il a souhaité que soit, à l'avenir, évitée la création de nouveaux prélèvements spécifiques et complexes, comme la cotisation sur le jour férié prévue par la loi relative à la solidarité pour l'autonomie ou la cotisation « amiante » proposée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 qui, bien qu'indiscutable dans sa finalité, paraît difficile à gérer.

M. Louis Souvet s'est interrogé sur la probabilité de voir un jour comblés les déficits de la sécurité sociale et s'est inquiété de la persistance de gaspillage dans la gestion des investissements hospitaliers.

M. François Autain a regretté que le rapporteur n'ait pas dressé une étude comparative de la situation des prélèvements obligatoires en France par rapport aux autres pays européens et a estimé que les pertes de compétitivité pourraient être opportunément compensées par des mesures de protection. En revanche, il a déclaré partager le scepticisme du rapporteur sur l'opportunité de créer une TVA sociale.

M. Guy Fischer s'est inquiété du fait que l'évolution des prélèvements obligatoires traduit une augmentation de la pression sur les ménages et une diminution de celle pesant sur les entreprises.

M. André Lardeux a estimé que les finances de la protection sociale en France sont proches d'une situation de faillite et que l'opposition entre prélèvements pesant sur les ménages et sur les entreprises constitue un faux débat en raison de la stabilité du partage, sur le long terme, de la valeur ajoutée. Il a affirmé que la croissance de l'économie française resterait limitée à l'avenir en raison des caractéristiques de la démographie nationale. Enfin, il a jugé nécessaire de distinguer clairement les risques devant relever de la solidarité nationale, familiale ou de l'assurance.

Mme Marie-Thérèse Hermange s'est associée aux interrogations formulées par M. Louis Souvet sur la gestion hospitalière et a estimé que l'échec des réformes dans ce secteur est imputable, pour partie, aux effets pervers de l'indice synthétique d'activité, le point ISA.

M. Dominique Leclerc s'est inquiété des structures hospitalières, entraînant des doublons qui accroissent les coûts.

M. Paul Blanc a déploré que les objectifs de la réforme de 1996 n'aient pas été complètement atteints. Il a insisté pour qu'à côté d'une responsabilisation des assurés et des professionnels, une réforme hospitalière d'ampleur soit conduite.

M. Alain Vasselle a partagé le sentiment des différents intervenants sur le fait que le plan hôpital 2007 ne pouvait constituer l'unique réponse aux difficultés rencontrées par l'hôpital. Il s'est engagé à mener cette réflexion, notamment dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005.

La commission a donné acte au rapporteur de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Prélèvements sociaux : quelles voies pour la stabilité ?

En 2004, notre pays aura consacré plus de 340 milliards d'euros au financement de sa protection sociale...

En 2005, les Français acquitteront pas moins de trois impôts nouveaux pour financer de nouveaux droits, dont la préservation de l'autonomie des personnes âgées et handicapées. Dans le même temps, ils continueront de payer le prix de la dérive des dépenses de santé.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics n'ont d'autre choix que d'exercer leur créativité au service de la maîtrise des comptes sociaux plutôt que de céder à la tentation d'accroître la rentabilité de l'impôt.

Le débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution est né en 2001 de la volonté du Sénat de sacraliser un espace de dialogue annuel entre finances sociales et finances de l'État, en préambule à l'examen de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale.

A cette occasion, Alain Vasselle, rapporteur des lois de financement, fait le point sur l'évolution des prélèvements sociaux et explore des pistes pour parvenir à leur nécessaire stabilité.

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