II. EN FINIR AVEC LE MYTHE DE « L'ASSIETTE MIRACLE »

A. LES LIMITES ET LES RISQUES DE LA TVA SOCIALE

1. L'origine de la proposition

La proposition d'un financement, au moins partiel, de la protection sociale par des impôts sur la consommation ne constitue pas, à proprement parler, une nouveauté. Elle avait notamment été abordée, pour être écartée, dans le cadre du rapport du commissariat du plan précité. Selon ce rapport, il n'était guère question d'envisager le basculement des cotisations sociales patronales vers la TVA, mais plutôt de solliciter cette dernière comme un complément de financement pour les besoins futurs de la sécurité sociale. Cette hypothèse est désormais promue par une centrale syndicale, la CFE-CGC.

Deux commissions permanentes du Sénat, la commission des finances et celle des affaires économiques, ont également jugé utile d'inscrire le recours à la TVA comme une substitution aux cotisations sociales, dans l'objectif de transformer un mode de financement des dépenses sociales peu favorable à la compétitivité des produits français en instruments de compétitivité.

La commission des Finances propose un basculement mixte de cotisations sociales patronales et salariales :

« La TVA nette devrait rapporter 109 milliards d'euros au budget de l'État en 2003 et 113 milliards d'euros, à structure constante, en 2004. Si l'on prend comme référence le seul taux normal de 19,6 %, un point de TVA représente donc en moyenne 5,7 milliards d'euros.

« En 2004, les cotisations sociales effectives, versées par les employeurs et les salariés, devraient représenter 188 milliards d'euros. A titre d'illustration, une augmentation de deux points de TVA correspondrait donc à une diminution de 6 % du montant total des charges patronales et salariales.

« Cette augmentation pourrait être répartie pour moitié entre les charges patronales et les charges pesant sur les salariés, de manière à ce que, outre les effets sur la consommation des créations d'emplois, les augmentations de salaire net qui résulteraient de cette baisse des charges compensent l'impact sur la consommation de l'augmentation de la TVA.

« Si on prend cette hypothèse, la hausse du taux de TVA de deux points permettrait de diminuer de 11,7 % le montant des cotisations salariales et de 4,1 % le montant des cotisations patronales 3 ( * ) ».

Il s'agit donc d'organiser un basculement partiel de cotisations patronales et salariales sur la TVA. Les références sont en pourcentage du montant des taxes et non en taux pour les cotisations sociales.

En l'absence de précisions sur les périmètres retenus, notamment celui des cotisations visées (il ne peut s'agir de l'ensemble des cotisations recensée par les comptes de la protection sociales) 4 ( * ) - ou celui des taux de TVA qui doivent être relevés (vise-t-on le taux normal ou le taux réduit ?), votre commission ne peut apprécier les effets concrets de la proposition formulée par la commission des finances qui reste, à ce stade, au niveau de l'affirmation des principes.

La commission des Affaires économiques propose un basculement des cotisations sociales patronales d'assurance maladie, de prestations familiales ou de logement.

« Si le financement par l'activité professionnelle des dépenses sociales qui lui sont liées (chômage, retraite, accidents du travail, formation professionnelle) ne soulève aucune question de principe, il n'en est pas de même de l'assurance maladie, des prestations familiales ou encore du logement.

« Ces charges sont loin d'être négligeables. On observe, par exemple, qu'en ce qui concerne les salariés relevant du régime général de sécurité sociale, elles représentent plus du quart du salaire brut : 12,8 % de cotisations patronales d'assurance maladie, maternité, invalidité, décès, 0,75 % de cotisations salariales pour ce risque, 5,4 % pour les allocations familiales, 0,2 % pour le veuvage, 0,1 % ou 0,5 % selon les entreprises pour le fonds national d'aide au logement (FNAL), 0,45 % pour la participation des entreprises de dix salariés au moins à la construction, 5,25 % pour la part de la contribution sociale généralisée (CSG) affectée au régime d'assurance maladie, et enfin 0,5 % au titre de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Naturellement, même si leur nombre, leur structuration ou leurs taux diffèrent, des prélèvements similaires sont opérés sur les revenus des travailleurs non salariés.

« La réforme suggérée par votre commission consisterait dès lors dans le basculement de ces prélèvements sur une taxe assise sur la consommation, c'est-à-dire une taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Pour assurer la neutralité comptable du transfert, le niveau de cette taxe devrait être calculé de manière à garantir la collecte d'un produit au moins identique au montant actuel des cotisations concernées 5 ( * ) . »

A l'appui de cette suggestion, la commission des Affaires économiques met en avant plusieurs avantages, dont votre commission retient les deux suivants :

- assurerait le rétablissement de l'équité en matière de formation des prix, en favorisant le facteur travail au détriment du facteur capital ;

- améliorerait la compétitivité de la production nationale sur les marchés intérieurs et extérieurs.

Le débat organisé par le Gouvernement sur les prélèvements obligatoires et leur évolution 6 ( * ) constitue l'occasion d'étudier, dans le cadre du présent rapport, la pertinence de cette analyse.

2. Les contraintes du droit européen

Il n'est pas inutile de rappeler que le droit communautaire encadre strictement la fiscalité pesant sur les prix des produits, plusieurs directives régissant la TVA elle-même.

Ainsi, la directive du 19 octobre 1992 fixe un taux plancher et un taux plafond pour trois catégories de produits, selon qu'ils sont soumis à la TVA normale, réduite, très réduite. Le plafond est à 25 % ; les planchers sont à 15 % pour le taux normal et à 5 % pour le taux réduit, le taux super réduit se situant en deçà.

La France applique, pour sa part, trois taux en fonction de la nature des produits : 19,6 %, 5,5 % et 2,1 %. En poussant le raisonnement à l'extrême, elle pourrait, sans contrevenir aux règles de droit européen, porter l'ensemble de ces taux à 25 %.

En revanche, elle ne dispose pas de la faculté de créer, sauf à disposer d'une dérogation communautaire expresse, une taxe sur la consommation reposant sur un mécanisme de cascade qui correspondrait à une « TVA additionnelle » spécifiquement affectée aux régimes sociaux. Sur cet aspect, la direction générale des impôts écarte clairement la possibilité pour la France de faire valoir la jurisprudence relative aux taxes sur le chiffre d'affaires dont elle a pu bénéficier dans le cas de la contribution sociale de solidarité - contribution non fiscale au bénéfice d'un organisme de sécurité sociale - pour contourner la rigidité de cette règle et créer une nouvelle taxe portant le taux de TVA effective au-delà de 25 %.

Au total, la comparaison avec les pays scandinaves - dont le Danemark notamment - qui financent une fraction significative de leur protection sociale par l'impôt n'est pertinente que si l'on admet qu'elle a pour contrepartie un taux de TVA portée au plafond communautaire : un taux unique de 25 %.

3. Comparaison des enjeux financiers

Il est, à ce stade, nécessaire de confronter les masses représentées par ces différents prélèvements afin de préciser les enjeux financiers d'un tel basculement.

Le compte de la protection sociale en 2003 précise que le total des cotisations effectives s'élève à 280,7 milliards d'euros. Ce périmètre peut toutefois être réduit en prenant en compte les seules cotisations patronales ou les seules cotisations affectées au régime général de sécurité sociale. Ainsi, le total des cotisations patronales, tous régimes confondus, représente 178,5 milliards d'euros.

Cotisations effectives prélevées dans le champ de la protection sociale

(en milliards d'euros)

(1)
Sécurité sociale
(y compris régimes complémentaires)

(2)
Assurances sociales (1 + indemnisation du chômage)

Protection sociale
(2 + régimes d'employeurs, mutualité, intervention sociale)

Cotisations employeurs

161,2

176,5

178,5

Cotisations salariés

56,7

66,3

83,6

Autres cotisations effectives

16,9

16,9

18,6

Total

234,8

259,7

280,7

Source : Tableau établi d'après les comptes de la protection sociale.

Tel qu'estimé par l'annexe 4 du rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, le produit de la taxe sur la valeur ajoutée atteint 109,7 milliards d'euros en 2003.

Un premier constat peut être tiré de la confrontation de ces données : les montants de cotisations effectives représentant entre le double et le triple du produit de la TVA, un basculement total des cotisations ou même des seules cotisations patronales paraît impraticable.

Envisager la suppression des cotisations d'assurance maladie et des cotisations d'allocations familiales - respectivement 62,8 milliards et 28,4 milliards d'euros en 2004, soit un total de plus de 91 milliards d'euros - semble déjà en soi d'une ampleur considérable.

Pour l'appréhender, votre commission a, en quelque sorte, raisonné « par l'absurde », c'est-à-dire en calculant les marges de manoeuvre théorique qu'offrirait le passage à 25 % de l'ensemble des taux de la TVA.

Produit théorique d'un passage à 25% des trois taux de TVA

En millions d'euros...et en théorie

Taux

Taux normal

Taux réduit

Taux super-réduit

Total

3

386,1

386,1

4

815,1

815,1

5

1.244,1

1.244,1

6

1.096,5

1.673,1

2.769,6

7

3.289,5

2.102,1

5.391,6

8

5.482,5

2.531,1

8.013,6

9

7.675,5

2.960,1

10.635,6

10

9.868,5

3.389,1

13.257,6

11

12.061,5

3.818,1

15.879,6

12

14.254,5

4.247,1

18.501,6

13

16.447,5

4.676,1

21.123,6

14

18.640,5

5.105,1

23.745,6

15

20.833,5

5.534,1

26.367,6

16

23.026,5

5.963,1

28.989,6

17

25.219,5

6.392,1

31.611,6

18

27.412,5

6.821,1

34.233,6

19

29.605,5

7.250,1

36.855,6

20

2.195,6

31.798,5

7.679,1

41.673,2

21

7.684,6

33.991,5

8.108,1

49.784,2

22

13.173,6

36.184,5

8.537,1

57.895,2

23

18.662,6

38.377,5

8.966,1

66.006,2

24

24.151,6

40.570,5

9.395,1

74.117,2

25

29.640,6

42.763,5

9.824,1

82.228,2

Lire ainsi : l'augmentation du taux normal à 20% entraînerait, en cas de non-déformation de l'assiette, une hausse du produit de la TVA de 2,195 milliards d'euros

Cette démarche constitue, en elle-même, un non-sens économique car il est déraisonnable de supposer qu'une telle augmentation des taux laissera intacte l'assiette. Celle-ci se déformant nécessairement, le produit d'une TVA à 25 % ne pourra être mathématiquement d'un rendement proportionnel équivalent à celui d'une TVA à 5,5 % pour le taux réduit et à 19,6 % pour le taux normal. Pour autant, elle permet de mesurer, en termes de taux, l'ampleur du basculement nécessaire pour faire disparaître des feuilles de paie des salariés les seules cotisations patronales d'assurance maladie et de cotisations familiales.

4. Les conditions d'ajustement

Les risques induits par la déformation de l'assiette conduisent nécessairement votre commission à poser la question des conditions de l'ajustement économique d'un tel basculement. Celles-ci sont d'une grande complexité et, de surcroît, échappent totalement aux pouvoirs publics.

Le scénario vertueux suppose une répercussion intégrale, ou très forte à tout le moins, de la suppression des cotisations patronales sur les prix hors taxes.

Dans ce contexte, l'effet inflationniste du basculement serait contenu car la diminution des prix hors taxes compensera l'augmentation du taux, maintenant ainsi le prix TTC à son niveau initial. Mais l'assiette se trouvant réduite par cette répercussion, l'augmentation du taux devra être significative pour préserver le rendement de l'impôt.

Un scénario non vertueux où les entreprises répercuteraient peu ou pas la suppression des cotisations ne présenterait pas ce désavantage, l'assiette se trouvant peu modifiée. Mais elle provoquerait, en contrepartie, une augmentation des prix TTC égale à l'augmentation du taux.

La situation des produits importés est équivalente : soit les producteurs diminuent leurs marges pour répercuter la suppression d'une baisse de charges au bénéfice de leurs concurrents - cette mesure diminue le risque d'inflation sur les produits importés mais limite l'intérêt du basculement en termes de compétitivité vis-à-vis des produits extérieurs - soit ils maintiennent leurs prix hors taxes inchangés et ceux ci, frappés d'une taxe au taux majoré, entraînent une inflation du prix des produits concernés.

La première incertitude du basculement se situe sur cette question : dans quelle mesure les entreprises préfèrent-elles accroître leur marge plutôt que de diminuer leurs prix hors taxes, c'est-à-dire renforcer leur compétitivité ?

La deuxième incertitude tient à la capacité des pouvoirs publics à négocier avec les organisations syndicales que l'augmentation des prix à la consommation, au moins celle des produits importés, ne se traduise pas par des revendications salariales pour permettre le rattrapage du rapport prix/salaires. Les traditions sociales de certains pays qui cultivent le consensus social, notamment en Scandinavie, ne rendent pas la conclusion d'un tel accord improbable. Mais le dialogue social en France présente des caractéristiques bien différentes et rend peu vraisemblable la conclusion de tels engagements entre les partenaires sociaux.

5. Les perdants potentiels

Au-delà des incertitudes et des risques que présente l'ajustement économique d'une substitution de la TVA aux cotisations sociales, les pouvoirs publics devront prévoir des mesures d'accompagnement pour les futurs perdants de ce basculement.

Il s'agit, en premier lieu, des bénéficiaires d'allégements de cotisations . Ces derniers perdent un avantage comparatif parfois décisif - comme dans le cas des zones franches urbaines. Le basculement pèsera également sur la situation des industries de main-d'oeuvre peu qualifiée qui ne trouveront pas, dans cette mesure, d'avantage dynamique par rapport à leurs concurrents extérieurs : par définition, elles ne peuvent répercuter la suppression d'une cotisation dont elles sont aujourd'hui exonérées. Au total, elles verront simplement leurs prix augmenter, sauf à réduire leurs marges dans des proportions équivalentes à celles de leurs concurrents. Mais, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation des prix due à la fiscalité réduira également leurs volumes vendus et, en conséquence, leur chiffre d'affaires.

Il s'agit, en second lieu, de la question des zones frontalières . Votre commission, compétente au fond sur la question de la fiscalité du tabac, connaît les difficultés d'une stratégie fiscale autonome dans un contexte international non convergeant. Actuellement, la France se situe, pour ses taux de TVA, dans la moyenne communautaire, mais elle se trouve géographiquement à proximité de pays pratiquant des taux bas : le taux normal en Allemagne, en Espagne ou au Luxembourg est de 15 ou 16 %. L'augmentation du taux normal français, par exemple de deux points comme le suggère la commission des finances, porterait l'écart nominal de TVA à cinq ou six points avec ces pays. On risque potentiellement d'assister à des détournements de consommation, le consommateur français frontalier trouvant dans ces pays un produit moins cher à l'exportation que sur le territoire national.

Quelle qu'en soit leur ampleur, les pouvoirs publics devront donc prendre en compte l'existence de ces situations et trouver les compensations appropriées, dans l'hypothèse où ils retiendraient une telle proposition.

6. Reformuler la proposition ?

Au total, votre commission éprouve un sentiment de scepticisme sur la faisabilité d'un basculement de grande ampleur, mais l'hypothèse d'une petite substitution pourrait être envisagée. Cette proposition présente-t-elle un intérêt suffisant pour justifier d'entreprendre l'opération ?

On pourrait tout d'abord considérer que, dans le contexte de la fiscalisation des ressources de la protection sociale, la TVA pourrait servir de substitut à une augmentation d'une autre ressource fiscale affectée à la sécurité sociale, comme par exemple la CSG. Il s'agit là d'un choix, celui de faire peser le financement de la protection sociale davantage sur la consommation que sur le revenu. Mais votre commission est réservée sur l'accroissement et la diversification des prélèvements sociaux dans un contexte de dérapages des dépenses.

Aussi, elle en revient aux objectifs éventuellement visés par cette substitution : s'agit-il d'améliorer le pouvoir d'achat des salariés (proposition de diminution des cotisations salariales) ? S'agit-il d'améliorer la compétitivité des entreprises ? S'agit-il encore de favoriser l'emploi des salariés les moins qualifiés ? S'agit-il enfin de résoudre d'éventuelles distorsions des cotisations sociales patronales telles qu'elles justifient qu'il leur soit trouvé progressivement un substitut ?

Améliorer le pouvoir d'achat des salariés

Votre commission considère que l'amélioration du pouvoir d'achat des salariés passe avant tout par la maîtrise des prélèvements obligatoires qui n'est possible que dans le cadre de la maîtrise des dépenses publiques. La substitution de la TVA aux cotisations sociales s'inspire finalement de la philosophie ayant justifié le basculement de ces cotisations sur la CSG, à savoir l'élargissement du prélèvement à une assiette plus large. La création de la CSG a, en effet, permis d'assujettir des personnes physiques jusque-là peu sollicitées par le financement de la protection sociale, notamment les retraités. Mais le bilan de la CSG montre qu'au terme de ce processus, l'ensemble des personnes physiques - salariés et retraités - ont vu augmenter le montant des prélèvements à acquitter.

Améliorer l'emploi des moins qualifiés et la compétitivité des entreprises

La proposition de substitution a, dans l'esprit de ses initiateurs, le mérite de limiter la surcharge que constituent les cotisations sur le coût du travail. Aussi son remplacement par une taxe déconnectée de cette assiette améliorerait, semble-t-il, la compétitivité des entreprises et, par ce biais, l'emploi des moins qualifiés.

Ce raisonnement souffre deux critiques importantes :

- il n'appréhende que partiellement la question du coût du travail qui, en elle-même complexe à évaluer, dépasse la seule question des délocalisations. Il faut garder à l'esprit que, chaque année, 10 % des emplois disparaissent pour être recréés sous d'autres formes : l'important est de sortir un solde positif de cette confrontation. Les comparaisons internationales sont utiles pour peu qu'elles soient établies avec des pays en situation comparable. Des ajustements sont peut-être nécessaires ici et là : le Conseil des impôts évoque, dans son rapport 2004, certains enjeux liés au revenu élevé pour la localisation des sièges sociaux et des entreprises à forte valeur ajoutée. Mais, dans l'absolu, il convient d'avoir des instruments adaptés pour améliorer l'attractivité nationale. C'est la politique du Gouvernement qui prévoit de consacrer, en 2005, plus de 2,1 milliards d'euros de mesures fiscales en ce sens. En général, les instruments conçus pour ne servir qu'un objectif sont plus efficaces ;

- il ne tient, en second lieu, pas compte de l'effet induit par les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires qui procurent aux salariés relevant de ces catégories un avantage significatif, une sorte de « discrimination positive », que la suppression des cotisations patronales rendrait impossible, tout du moins sous cette forme.

Résoudre d'hypothétiques distorsions fiscales causées par les cotisations patronales

Votre commission n'estime pas que cet argument puisse être valablement avancé, comme il aurait pu l'être au début des années 90 sur la question de l'employabilité des salariés peu qualifiés. Elle considère en revanche légitime que la question puisse être posée pour d'autres prélèvements situés hors de son champ d'appréciation, la taxe professionnelle par exemple.

La substitution de la TVA à des cotisations sociales aboutirait à accroître la complexité des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, en allongeant la liste déjà bien trop longue, des impositions partagées. Le Gouvernement souhaite-t-il se livrer à un tel partage entre budget général et loi de financement ?

B. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION : STABILITÉ ET STABILISATION DES PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX

1. Maîtriser la dépense publique

L'examen de l'ensemble des prélèvements fiscaux, dont l'affectation au financement de la protection sociale est concevable, aboutit toujours au même résultat : il n'existe pas d'assiette miracle susceptible de financer, sur le long terme, un taux de croissance des dépenses sociales équivalent à celui constaté en moyenne depuis quinze ans.

Pour autant, votre commission n'en conclut pas qu'il faut organiser le rationnement des soins et des prestations mais plutôt la prise en considération, par tous, que la protection sociale constitue un bien commun dont nul ne peut impunément abuser sans en saper les fondements.

Elle estime que le talent créatif des pouvoirs publics devrait davantage s'attacher à élaborer de nouveaux instruments de maîtrise des dépenses et d'élimination des gaspillages plutôt que des dispositifs fiscaux visant à améliorer la rentabilité des prélèvements obligatoires.

Au total, s'il fallait ne retenir qu'un argument pour s'opposer à l'institution d'une TVA sociale, elle reprendrait à son compte le constat déjà formulé en 1995 par le rapport du commissariat du plan : « les partenaires sociaux et les assurés pourraient avoir le sentiment que les problèmes de financement de la sécurité sociale peuvent être facilement résolus grâce à un impôt relativement indolore et que la maîtrise des dépenses est donc moins nécessaire ».

Un tel signal déresponsabilisant constituerait, pour votre commission, un contresens majeur, quelques mois après le vote d'une réforme de l'assurance maladie exposant avant tout sur la modification profonde des comportements individuels et collectifs.

2. Limiter la création de prélèvements nouveaux

Dans ce contexte, il lui semble important de réitérer le souhait, déjà formulé à plusieurs reprises, d'éviter la création de nouveaux prélèvements spécifiques et complexes comme ce fut souvent le cas par le passé.

L'histoire récente ne dément d'ailleurs pas cette habitude. La cotisation sur le jour férié, prévue par la loi relative à la solidarité pour l'autonomie est certes incontestable dans sa philosophie : financer l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées par une journée de travail supplémentaire. Pour autant constitue-t-elle un prélèvement lisible pour le monde du travail, aisé à calculer, à liquider et à recouvrer ? La même analyse peut être formulée pour la contribution exigée des employeurs dont il est établi qu'ils ont mis leurs salariés au contact de l'amiante et que le projet de loi de financement de sécurité sociale pour 2005 propose de créer : il reste à savoir comment sera établi ce lien de causalité.

3. Promouvoir la stabilité et la simplicité du cadre des finances sociales

Enfin, votre commission insiste sur l'importance d'assurer la stabilité et la simplicité du cadre des finances sociales.

Les règles relatives à la gestion des exonérations de cotisations sociales sont d'une grande complexité. Lors du vote de la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, il avait été proposé aux entreprises un pacte durable de simplification des dispositifs d'allégement de cotisations sociales autour d'un plafond de référence fixée à 1,7 SMIC.

Or, les engagements pris par le Gouvernement lors du vote de cette loi ont été déjà retouchés par le projet de loi de finances pour 2005, qui ramène à 1,6 SMIC le montant maximal de l'exonération. Votre commission ne peut que déplorer cette situation : les entreprises ont besoin de visibilité pour embaucher ; elles réclament, à ce titre, des mesures d'accompagnement durable sur lequel elles puissent construire une stratégie à moyen ou plus long terme.

Certes des progrès louables ont été réalisés en matière de sécurité juridique. Les dispositions proposées lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, où prises dans le cadre des projets de loi de simplification I et II, notamment l'introduction du « rescrit social », constituent autant d'instruments destinés à rassurer les employeurs qu'ils ne seront pas victimes d'un « arbitraire social ». Mais elles ne sont pas en elles-mêmes des outils de clarification.

Aussi votre commission propose que soit mise à l'étude la fusion des règles relatives aux exonérations de cotisations sociales dans un dispositif général , qui pourrait être le dispositif Fillon accompagné, le cas échéant, d'une prime modulée en fonction des objectifs supplémentaires poursuivis par les pouvoirs publics.

*

* *

Telles sont les principales observations formulées par votre commission sur le rapport du Gouvernement relatif aux prélèvements obligatoires et leur évolution .

* 3 Rapport n° 55 (2003-2004) de Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances.

* 4 Les comptes de la protection sociale pour 2003 fixent le montant des cotisations effectives à 259,714 milliards d'euros (Cf. infra, p. ...).

* 5 Rapport de M. Francis Grignon n° 374, 2003-2004.

* 6 Séance publique fixée au 10 novembre 2004.

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