Table ronde n° 2 :
Analyse des circuits de distribution

Sont intervenus :

Mme Françoise BRUGIÈRE , directrice des études de l'ONIVINS et Dominique de Vernejoul, consultant chez DVA Consultants

M. Yves FOURCADE , directeur des achats de Marks & Spencer

M. Jean-Louis VALLET , directeur de Prodis, activités « vins » du groupe Carrefour

Marie-Laetitia BONAVITA

Françoise Brugière, accompagnée de Dominique de Vernejoul, consultant chez DVA Consultants, va nous présenter une étude sur la perception du monde du vin par les restaurateurs.

Françoise BRUGIÈRE 2 ( * )

Notre exposé porte sur la France. La situation du marché intérieur est difficile. L'ONIVINS a choisi de travailler sur la restauration hors domicile, car nous pensons que tous les circuits sont importants et que nous connaissions déjà la grande distribution.

Les consommateurs sont de plus en plus des consommateurs occasionnels. L'apprentissage du vin se fait de moins en moins dans les familles. La primo-accession au vin se fait avec ses amis, dans un restaurant ou hors domicile. Ce moment est important pour la vision que le jeune aura du vin.

Les objectifs de l'étude consistaient à éclairer la consommation de vin hors foyer en termes quantitatif et qualitatif. Il s'agit de comprendre comment le vin passe du producteur à la table du consommateur en restauration et de comparer cette filière avec les autres pour améliorer les performances.

La consommation du vin hors domicile : résultats quantitatifs

Chaque année, 4,6 milliards de repas sont servis hors foyer dans 108.000 établissements de restauration commerciale traditionnelle (1,3 milliard repas servis), 1.300 cafétérias (230 millions repas servis), 14.800 restaurants d'entreprise et d'administration (950 millions repas), 41.700 restaurants scolaires et universitaires (1,3 milliard repas) et 8.100 restaurants hospitaliers (860 millions repas).

D'autres lieux correspondent au secteur hors foyer : les 43.500 débits de boisson, le catering (vente embarquée), les lieux spécifiques des ménages particuliers (ménages collectifs notamment : maisons de retraite, caserne...) et le reste (pique-nique, rue...).

Les distributeurs approvisionnant ces lieux de consommation sont divers : les grossistes (1.150 entrepôts, notamment les groupes brassicoles Stella Artois, Elidis et France Boissons), les producteurs, le cash & carry (notamment Métro et Promocash), les grandes et moyennes surfaces (GMS), les cavistes et le négoce viticole (par des filiales dédiées).

Le marché du vin représente 60,5 millions d'hectolitres. 25 % sont exportés. 18 % sont destinés à des usages non-vin. 3 % sont stockés. 3 % correspondent à des achats transfrontaliers. La moitié restante correspond à la consommation : 3 % de vins Effervescents au domicile, 31 % de vins Tranquilles au domicile (19 millions d'hectolitres) et 16 % de vins tranquilles ou effervescents consommés hors du domicile principal (9,7 millions d'hectolitres).

Les 9,7 millions d'hectolitres consommés hors domicile sont distribués comme suit : production en direct (2,75 millions d'hectolitres), grossistes (2,2 millions d'hectolitres), négoce (1,1 million d'hectolitres), cash & carry (850.000 hectolitres), grandes et moyennes surfaces (150.000 hectolitres), cavistes (50.000 hectolitres). Les 3,2 millions d'hectolitres consommés par les sans domicile fixe, les ménages collectifs et les consommations hors CHR et hors domicile ne sont pas pris en compte.

Le vin est consommé dans la restauration traditionnelle indépendante (5,55 millions d'hectolitres), la restauration chaînée (250.000 hectolitres), la restauration collective (600.000 hectolitres) et les cafétérias (100.000 hectolitres).

Les flux les plus importants vont donc d'un milieu atomisé, les vignerons, vers un autre milieu atomisé, la restauration traditionnelle indépendante.

La consommation du vin hors domicile : résultats qualitatifs

Dominique DE VERNEJOUL

Nous avons identifié trois questions à partir de ces résultats.

Comment peut-on améliorer et développer le service du vin au consommateur ?

Nous nous sommes intéressés uniquement aux établissements de moyenne gamme. Les établissements étoilés disposent d'un sommelier et n'ont pas de problème de service et de mise à disposition du vin. Le vin fait partie intégrante du repas et est systématiquement proposé.

Trois constats apparaissent. Premièrement, dans les restaurants et dans les brasseries, le vin n'est pas systématiquement proposé au consommateur. Les minéraliers sont pourtant parvenus à ce que ce soit le cas pour l'eau. Deuxièmement, le conditionnement principal (75 centilitres) est de plus en plus inadapté aux pratiques de modération de la consommation. Troisièmement, le prix est élevé en raison des coefficients. Le vin doit en effet participer à l'équilibre économique des établissements. Surtout, le rapport qualité/prix est mauvais. L'offre ne correspond ni à la clientèle, ni aux attentes de la clientèle. Le prix du vin n'est pas en adéquation avec le prix du repas.

Les réponses existent et sont efficaces : les restaurateurs faisant l'effort de mettre le vin approprié à la disposition des consommateurs réussissent. Toutefois, la majorité des établissements n'appliquent pas les réponses et les ventes baissent de 2 à 3 % par an.

Quatre remèdes peuvent être proposés.

Le prix du vin doit être adapté au prix du repas et justifié par une qualité de service : verrerie, température, conseil, positionnement adapté à la clientèle.

Le service du vin au verre doit être promu. Ce service existe seulement pour l'apéritif. Il permet pourtant de ne pas forcer tous les consommateurs d'une table à prendre le même vin. Des évolutions techniques permettent d'éviter les pertes, comme les « bags in box ».

Le vin doit à nouveau être considéré comme un élément à part entière du repas. Dans ces établissements, le vin est considéré comme un moyen annexe de faire du chiffre d'affaires. Il faut revenir à des formules qui disparaissent comme le « plat plus vin » ou les menus confiance (choix du vin par un sommelier).

Enfin, les restaurateurs et leurs équipes doivent être formés. C'est la question essentielle.

Qui peut assurer la formation des restaurateurs et de leurs équipes pour l'amélioration du service ?

La restauration collective et la restauration chaînée n'ont pas de problème sur ce point. Le groupe Accor et les frères Blanc, notamment, ont mis en place des services internes.

Dans la restauration indépendante, les grossistes doivent jouer un rôle important. Cependant, ce sont souvent des sociétés dépendant de groupes brassicoles. Pour eux, la vente du vin ne constitue qu'une compensation à la diminution de la consommation de la bière. Ils ont un déficit de légitimité lorsqu'ils évoquent le vin. Ils ont mis en place des modules de formation et disposent de services commerciaux. Néanmoins, ils restent réticents car le vin leur rapporte peu.

Les cash & carry et les cavistes disposent de spécialistes présents en magasins. Le problème est que les restaurateurs doivent se déplacer, ce qui est une limite importante.

Les négociants et les grossistes élaborent des fiches d'information sur les vins qu'ils vendent, mais cela reste trop technique et trop ponctuel pour avoir un impact significatif sur la commercialisation.

Le négoce est présent dans la formation, mais les équipes sont trop peu nombreuses.

Concernant l'amont, c'est-à-dire les lycées professionnels, la formation est trop tournée vers une connaissance encyclopédique du vin et non vers la vente.

Comment l'animation et la promotion des vins fonctionnent-elles dans les établissements ?

Le négoce et les grossistes mènent des actions trop tournées vers le restaurateur. L'objectif reste le référencement des produits. L'incitation à l'achat se fait par des cadeaux au restaurateur (verres, tire-bouchons...). En outre, le négoce et les grossistes se limitent à véhiculer les promotions mises en place par les interprofessions.

Les interprofessions réalisent également des actions, par exemple les vins de Saumur pour la Saint-Valentin. L'Association nationale interprofessionnelle des vins de table et des vins de pays (ANIVIT) est l'interprofession la plus impliquée dans la promotion des vins. D'autres opérations existent mais, au total, les animations et les promotions sont rares et elles sont trop peu tournées vers le consommateur. En outre, la coordination entre les maisons de négoce et les interprofessions est mauvaise, les opérations souvent montées au dernier moment et les entreprises prévenues trop tard.

Enfin, une promotion collective paraîtrait préférable, car les opérations régionales ne sont pas suffisamment fortes pour développer réellement la demande.

Françoise BRUGIÈRE

L'atomisation de la filière est un handicap qui rend encore plus nécessaires la coordination des efforts et la mise en commun des moyens, de la production à la mise sur le marché.

Les mesures précédemment évoquées ne sont pas suffisamment mises en oeuvre.

Il appartient à la filière de poursuivre la réflexion et de formaliser des actions concrètes. Les actions interprofessionnelles existent, par exemple avec des affiches ou des sets de table, mais elles n'élèvent pas le niveau général de la vente de vin hors foyer.

Il faut veiller à ménager la susceptibilité des restaurateurs. Lorsque nous leur avons présenté l'étude, ils nous ont expliqué que la filière vin n'avait rien à leur apprendre et qu'elle devait simplement leur fournir du bon vin. Le travail avec la filière restauration sera donc difficile.

L'ONIVINS poursuit ce travail par le biais d'une étude in situ : un module de formation sera mis en place et testé sur un panel de restaurateurs. Nous connaîtrons ainsi l'impact financier de la formation et nous pourrons la mettre en avant dans la communication auprès de la filière restauration. Ce type d'action mériterait d'être développé plus largement.

Marie-Laetitia BONAVITA

Yves Fourcade, directeur des achats de Marks & Spencer, va nous présenter la vision du consommateur sur le marché britannique à l'égard des vins français et des vins du Nouveau Monde.

Yves FOURCADE 3 ( * )

Je suis un Français installé en Grande-Bretagne. Chaque fois que les résultats des ventes de vins sont publiés, mes collègues anglais prédisent un avenir morose aux vins français.

Lorsque Jean-François Galhaud m'a demandé de vous présenter un exposé sur les attentes des acheteurs étrangers, je me suis demandé ce que je pourrais vous apprendre de nouveau. Les études de marché, la progression des différents pays, les styles de vin ou la montée de la grande distribution dans les ventes de vin sont des problèmes largement connus.

Ensuite, mes collègues se sont interrogés sur l'intérêt d'un tel colloque. Beaucoup d'entre eux sont frustrés par l'attitude française qui consiste à produire du vin et à demander au consommateur d'adapter son goût et de comprendre les subtilités.

Certains de mes collègues se sont toutefois réjouis qu'un tel colloque ait enfin lieu. Ils l'ont perçu comme une prise de conscience conforme à l'attitude française traditionnelle qui consiste à attendre d'être accablé par les ennuis pour réagir. Ils sont prêts à nous soutenir.

Deux remarques peuvent être faites : si la situation est grave, elle n'est pas perdue, car il existe une réelle volonté d'avancer. A l'inverse, si la situation est grave, elle peut encore empirer, comme le montre l'exemple allemand.

L'état des lieux du marché britannique

Les chiffres présentés portent sur l'ensemble des modes de distribution, qui représentent 80 % du marché anglais des vins tranquilles.

La croissance du marché britannique est ancienne et continue. En 2003, elle a été de 3 % en volume et de 6 % en valeur. Les principaux bénéficiaires de la croissance sont les Etats-Unis, le Chili et l'Australie. La part de la France régresse de 5 % en volume et de 1 % en valeur. La France a perdu la première position au profit de l'Australie. Elle ne possède plus que 19 % des parts de marché, contre 30 % en 1996.

La croissance des marques est la principale caractéristique du marché britannique. Les 15 premières marques représentent 25 % du marché et l'essentiel de sa croissance. Une seule de ces marques est française. Huit sont australiennes, quatre sont californiennes et deux sont sud-africaines.

L'Australie vend 41 % de ses vins entre 4 et 5 livres, c'est-à-dire sur le marché le plus rentable. La France vend seulement 19 % de ses vins sur ce créneau.

Pour autant, je ne pense pas que la solution soit simplement de créer des marques, même si des Français se sont engagés dans cette voie avec un certain succès.

Pour trouver des solutions, il convient d'abord de comprendre la raison pour laquelle les consommateurs britanniques accordent autant d'importance aux marques.

Le marché britannique est jeune. Les consommateurs préfèrent les vins fruités. Ils sont non seulement faciles à boire, mais également faciles à acheter.

Leur étiquette contient une ou deux indications informant le client du contenu de la bouteille. Ce point est fondamental dans un pays davantage habitué au coca-cola qu'au beaujolais, car il donne au consommateur une assurance sur ce qu'il achète, sans se soucier du millésime, du producteur, de l'éleveur, de l'embouteilleur et des autres indications encombrant les étiquettes françaises. La référence au cépage constitue une grande aide pour le client, même si la notion de « vin de pays » se développe. Cependant, le consommateur apprécie avant tout la constance dans la qualité du produit.

Les pistes pour les vins français

Les pistes que je présente concernent le consommateur moyen qui ne connaît pas le vin français et qui n'a pas envie de le connaître. Ce consommateur représente la large majorité des clients des vins de moins de 5 livres.

La qualité du vin

La première piste est la qualité du vin. Le consommateur cherche un vin d'abord facile, consommé le plus souvent dans un cadre festif et entre amis. C'est sur ce point qu'insistent les publicités : le vin est le gage d'une soirée réussie entre amis.

Améliorer la qualité du vin ne signifie pas copier les vins australiens. Deux raisons l'expliquent. D'une part, il faut produire des vins meilleurs que les vins australiens pour leur prendre des parts de marché. D'autre part, le marché n'a pas besoin d'une deuxième Australie. De toute façon, si c'est le cas, le Chili ou l'Afrique du Sud sont déjà présents.

A l'inverse, la spécificité des vins français doit être conservée. Lorsque la France aura repris sa place de leader, elle sera d'autant plus difficile à copier.

Certains journalistes pensent qu'il faudrait changer le goût du bordeaux et l'adapter à la demande. Ce n'est pas mon point de vue : le bordeaux a un caractère et doit le préserver. Néanmoins, des changements sont nécessaires. Les vins verts, acides, aux tanins secs et peu fruités ne doivent pas être vendus. L'assemblage de cabernet-sauvignon et de merlot produits en Gironde permet d'obtenir des tanins ronds et des fruits mûrs sans pour autant ressembler à des vins australiens.

Certains se plaignent de la réglementation et de l'impossibilité d'utiliser les mêmes méthodes que les producteurs du Nouveau Monde. Des évolutions sont en cours pour donner plus de souplesse. Cependant, de mon point de vue, aucune règle n'a jamais empêché de faire du bon vin. D'ailleurs, le savoir-faire français n'est pas en cause : la meilleure preuve en est les wine makers australiens ou chiliens envoyés chaque année en France pour se perfectionner.

Pour connaître les vins vers lesquels il faut tendre, il ne faut pas hésiter à demander conseil aux leaders d'opinion. Les journalistes spécialisés peuvent apporter une aide. Dans les années 80, les Australiens ont ainsi créé des liens avec la presse. Ils ont obtenu des informations intéressantes sur les consommateurs et sur le marché. Ils ont également pu faire connaître leurs vins plus rapidement. La presse est importante car, en Angleterre, les consommateurs ont besoin de références crédibles. Une recommandation dans un journal du week-end peut faire décupler les ventes. Un guide et un index des vins pourraient être publiés.

La constance dans la qualité

La deuxième piste est la constance dans la qualité des vins, surtout pour les AOC et les vins de pays. La notion de millésime ne doit pas exister à ce niveau de prix. C'est l'une des principales qualités des vins du Nouveau Monde : de gros volumes sont produits avec une qualité constante et correcte.

Les commissions d'agrément doivent jouer pleinement leur rôle sur ce point. Plutôt que de surveiller scrupuleusement la composition des vins, elles devraient être les garantes du goût et du style de l'appellation. C'est la principale faiblesse des vins français. Il est aberrant que des côtes-du-rhône 2002 de mauvaise qualité se soient vendus plus cher que le millésime 2001. Il est tout aussi aberrant de voir que ces vins reçoivent l'agrément. Le plus aberrant reste toutefois le fait que les viticulteurs n'hésitent pas à commercialiser ces vins, sapant ainsi non seulement leur propre travail, mais également celui de leurs collègues au sein de l'appellation.

Le cas des côtes-du-rhône est révélateur. Depuis plusieurs années, l'interprofession effectue une importante campagne en Angleterre afin d'améliorer son image de marque. Une semaine dégustation est organisée tous les deux ans pour les journalistes et les acheteurs. Une campagne de publicité remarquable a été réalisée. L'action de l'interprofession constitue un modèle. Pourtant, de nombreux viticulteurs ont osé commercialiser le millésime 2002. L'effort individuel et collectif a été gâché.

Il est temps que les commissions d'agrément travaillent sérieusement. Les copinages doivent disparaître.

La constance porte également sur les prix. Les aléas du millésime ou du taux de change n'entrent pas dans les critères d'achat du consommateur. L'Afrique du Sud et l'Australie ont dû faire face à d'importantes variations de leur monnaie par rapport à la livre sterling. Les prix en linéaire n'ont pas changé. Seul le niveau des promotions a été affecté. De même, il est inconcevable pour un Australien de demander une augmentation parce que les ventes sont soutenues.

La clarté des étiquettes

La clarté des étiquettes participe à la reconnaissance du vin par le client. Les 460 AOC et les innombrables vins de pays ne facilitent pas le choix. Le message doit être amélioré, car le vin doit être d'un abord facile. Le consommateur doit savoir rapidement et sans aide ce qu'il va trouver dans son verre et dans celui de ses invités. Il a besoin d'être rassuré sur son choix. L'indication d'une microzone géographique dont il n'a jamais entendu parler ne présente pas d'intérêt.

A ce niveau de prix, l'étiquette de la majorité des vins australiens porte le nom de la marque, le cépage et l'indication d'origine « Australie » ou, au mieux, « sud-est de l'Australie », zone plus vaste que la France. La France a une fâcheuse tendance à se découper en morceaux de plus en plus petits.

Le système de l'AOC et des vins de pays est d'une complexité inouïe, apte à décourager la plupart des clients. Rares sont ceux qui savent que chably est une AOC.

Le système n'a de sens que s'il est garant de la qualité et non du type de cépage, du rendement à l'hectare ou de la zone de production.

Le support à la vente

Enfin, il faut réfléchir autant à la manière de promouvoir les vins qu'au niveau des budgets consacrés à la promotion.

Il ne faut plus jouer à la guerre franco-française. Par exemple, j'ai obtenu de la part de la SOPEXA un budget pour promouvoir les vins de pays, mais je n'ai pas eu la possibilité de faire une tête de gondole globale sur ces vins avec des vins de pays d'Oc. J'ai également obtenu un budget pour les côtes-du-Rhône. L'opération dégustation a bien fonctionné, mais mon correspondant de la SOPEXA a observé qu'une hôtesse faisait goûter non seulement un côtes-du-Rhône villages, mais également un crozes-hermitage. Il m'explique que le budget ne s'appliquait pas à ce dernier. Il a fallu modifier le plan de dégustation. Pourtant, si un client apprécie le crozes-hermitage, toute la vallée en bénéficie.

On m'explique souvent que le budget est issu de cotisations basées sur les volumes et que les gros contributeurs souhaitent recevoir une aide en proportion. Les Australiens réagissent différemment. Il n'y a pas de rivalité entre gros et petits producteurs, car les premiers ont compris que les petits producteurs ne peuvent pas leur prendre de clients. En revanche, si le vin est bon, la notoriété rejaillira sur l'ensemble du pays. Dans le cas de la France, cela rejaillirait sur toute l'appellation.

Des raisons d'espérer

Tout n'est pas perdu.

Ainsi, un budget a été enfin dégagé pour promouvoir les produits de France en Angleterre.

La totalité des vins de pays correspond à un volume similaire à la marque la plus vendue, Blossom Hills.

Le mot « France » ou les mots à connotation française font toujours vendre. Deux marques françaises devraient ainsi bientôt faire partie des quinze premières marques sur le marché britannique.

Enfin, le consommateur anglais fait toujours confiance à la France pour les vins plus chers.

En conclusion, les efforts sont importants, mais ils sont nécessaires, car le vin français n'a plus le choix.

Il faut être optimiste. Les efforts peuvent aboutir, comme le montre l'exemple du muscadet. Ce vin était synonyme de vin blanc dans les années 80. Dans les années 90, les ventes ont baissé non seulement en raison de la concurrence, mais également en raison de la baisse de la qualité de plusieurs millésimes malheureusement mis sur le marché. Depuis 2000, les ventes redémarrent grâce aux efforts réalisés sur la qualité, sur l'arrachage des vignes et sur la promotion. Le client anglais peut donc être récupéré. Cependant, ce sera long et difficile.

Marie-Laetitia BONAVITA

Jean-Louis Vallet, responsable de la filière « vins » du groupe Carrefour, va expliquer comment il assure la gestion d'un assortiment permanent de 800 références.

Jean-Louis VALLET 4 ( * )

La problématique du marché français en GMS est presque identique à celle du marché anglais.

La grande distribution n'est pas trop pessimiste. En 2003, les ventes ont baissé de 2,6 % en volume et de 0,4 % en valeur. La distribution raisonne en valeur et non en volume. Cette baisse est raisonnable, car nous savons que la consommation ne peut que régresser.

La répartition par mode de distribution

La répartition des volumes entre les hypermarchés et les supermarchés a peu évolué depuis 2000 : 24 % pour les premiers, 26 % pour les seconds. Le « hard discount » a connu une poussée significative depuis 1997, passant de 9 % à 16 %. Le commerce de proximité est stable, avec 6 % du marché. La part des autres modes de distribution (magasins spécialisés, vente directe, vente par correspondance) a baissé de 33 % à 28 %.

La réussite du « hard discount » dans les vins est intéressante à analyser. La part de marché est de 12,7 % en valeur des produits de grande consommation (PGC), c'est-à-dire l'alimentaire et le bazar. Le « hard discount » ne se préoccupe pas du marché : la répartition des ventes entre vins de table, des vins de pays et des vins de qualité produits dans des régions déterminées (VQPRD) n'est pas cohérente avec le marché national car le « hard discount » fait une offre de prescription, organisée autour d'une quarantaine de références. Il choisit des vins présentant un bon rapport qualité/prix. Enfin, les achats en « hard discount » sont rapides. La réussite du « hard discount » est à observer car elle n'est pas sans impact sur l'évolution de la distribution et de la filière vin.

Le conditionnement

Les conditionnements apportent un éclairage sur les ventes. La brique n'a jamais eu de succès en France. Le cubitainer perd des parts de marché en volume, mais il est relayé par le « bag in box ». Ce conditionnement est récent, mais il nous rassure sur les possibilités d'innovation de ce marché. Il peut également être porteur de marque. Il permet de vendre du rêve et non plus seulement du terroir. Le verre consigné a presque disparu. C'était le principal vecteur du vin-aliment. La croissance des ventes en verre perdu, c'est-à-dire en bouteille de 75 centilitres, est terminée. Une rupture de tendance est apparue il y a cinq ans. Depuis, la part diminue de 2 à 4 points par an.

Les consommateurs

Les consommateurs peuvent être divisés en cinq catégories, selon les études commandées par l'ONIVINS. Deux catégories - les passionnés et les curieux - peuvent faire l'objet d'une communication « fun ». Ces consommateurs ont du temps et ils ont l'envie de chercher. Les trois autres catégories - les contraints (7 %), les quotidiens (21 %), les acquis (23 %) - font des achats rapides. Le distributeur doit être prescripteur pour leur faciliter le choix. Il doit également les rassurer. Cela impose une lisibilité de l'offre, facteur clé du succès.

La répartition des ventes en volume

La répartition des ventes en volume est importante, car elle constitue la base du merchandising. Nous analysons les parts de marché et nous essayons de les reproduire dans les rayons. Les rouges représentent 66 %, les blancs 15 % et les rosés 18 %. Les rosés connaissent une forte croissance. La répartition par qualité est la suivante : VQPRD : 53 % (74 % en valeur), vins de table : 23 %, vins de pays et vins de cépage : 21 %, vins étrangers : 1,7 %. Les vins de table sont trop souvent négligés, mais ils sont importants, car ils prennent la place des vins en verre consigné.

L'importance des vins étrangers est liée pour moitié à la consommation traditionnelle des personnes d'origine immigrée (Italie, Espagne, Pieds noirs) et aux nouveaux consommateurs (curieux et initiés). Le marché des nouveaux consommateurs va croître, mais il se portera probablement essentiellement sur les vins français, à moins d'une opération marketing des vins étrangers.

Les vins de cépage sont passés de 3,2 % à 7,1 % de part de marché, mais cette augmentation correspond à une baisse des vins de pays, dont ils constituent une sous catégorie. Toutefois, cette évolution est significative, car elle traduit un développement des vins de marque aux dépens des vins de terroir.

Enfin, les AOC progressaient de 2 % par an depuis trente ans. Une rupture de tendance a eu lieu en 2001. Depuis, ils baissent de 1 % à 2 % par an. Ce phénomène est inquiétant. Des actions doivent être menées.

La rotation des produits

Une étude a été réalisée sur un hypermarché de 24.000 mètres carrés. Il a commercialisé 1.400 références en trois mois : 900 références permanentes et 500 références liées aux promotions et aux foires aux vins. Le nombre de références est très important et complexe à gérer.

Dans un hypermarché de 7.000 mètres carrés, 55 % des références ont une rotation d'une bouteille par jour. Dans un autre de 24.000 mètres carrés, 45 % des références sont dans ce cas. 93,6 % des références ont une rotation inférieure à un carton par jour. La rentabilité du rayon n'est pas très élevée, contrairement à l'idée commune. De ce fait, la distribution doit gérer des stocks considérables. Les poids morts sont très importants. Comme tous les magasins Carrefour sont livrés en vin quotidiennement et en flux tendu, la logistique est particulièrement complexe.

L'inflation des références

Le nombre de références augmente de 4 à 6 % par an depuis 1997 dans les hypermarchés et de 2 à 3 % dans les supermarchés. Depuis quelques mois, la croissance a ralenti. Carrefour cherche à avoir la plus grande exhaustivité de l'offre, ce qui est difficile pour le vin du fait des 470 appellations et des innombrables vins de pays.

En conséquence, le volume par référence baisse de 6 % par an, d'autant plus que le marché n'est pas porteur. La taille des linéaires consacrés au vin est donc menacée. Pour mémoire, les plans d'occupation des sols (POS) sont gérés pour optimiser les surfaces car la réglementation limite la croissance des magasins. C'est donc le moment d'agir si nous voulons maintenir la taille des linéaires face à des produits rayons plus performants.

En outre, la consommation des vins est fortement marquée sur le plan régional. Par exemple, 32 % des ventes portent sur le bordeaux dans la région de Bordeaux, contre 46 % dans le Nord et 20 % dans le sud-est. L'assortiment doit donc s'adapter au marché local, ce qui est également complexe à gérer. En outre, cette régionalisation de la consommation s'accentue. En particulier, les ventes des produits de la région augmentent. C'est l'inverse de la mondialisation. Le « géomarketing » doit donc être très localisé.

L'élasticité des parts de marché par rapport au prix

Dans la distribution, les fluctuations des cours sont difficiles à gérer. Les volumes évoluent clairement à l'inverse des prix. La filière doit donc apprendre à gérer ses cours et à maîtriser son offre.

La saisonnalité pose également problème. Les ventes de rosé connaissent un pic en été. Les blancs se vendent particulièrement en fin d'année. Les rouges se vendent surtout lors des foires aux vins et en fin d'année. Le rayon doit donc s'adapter en fonction des saisons, ce qui est un autre facteur de complexité. Cependant, la saisonnalité est positive pour la distribution et il n'y a donc pas d'action particulière à mener.

Les marques

Les marques pour le vin sont un tabou en France. Pourtant, du point de vue de la distribution, les marques ne s'opposent pas aux terroirs, car ce sont deux marchés clairement différenciés. Des terroirs peuvent d'ailleurs être vendus comme marques : c'est un problème d'approche du consommateur. Le consommateur peut souhaiter acheter un bordeaux rouge à 3 euros, un « bag in box » ou un JP Chenet. Autrement dit, le consommateur peut avoir plusieurs démarches. La distribution cherche à répondre à chacune de ces clés d'entrée. Il ne faut donc pas opposer les marques aux terroirs.

Une mesure urgente consisterait à autoriser la mise en rayon de vins de pays dans l'univers VQPRD. Actuellement, la ségrégation réglementaire interdit de les faire cohabiter, ce qui réduit la visibilité des rayons. Lorsque le consommateur cherche un vin de pays de Carcassonne, il doit trouver dans le même rayon le corbières ou le minervois. Ce problème est mis en évidence depuis longtemps et la réglementation n'a pas évolué, malgré les difficultés de la filière.

La progression des marques

En prenant les huit premières marques de bordeaux, la croissance est faible en valeur, mais elle est d'un point en volume. Les marques progressent également dans les vins de table et dans les vins de pays. Ce mouvement doit être accompagné.

La communication

Le budget communication des vins tranquilles est de 35 millions d'euros, contre 110 millions pour les apéritifs et alcools et 74 millions pour les bières. En outre, hormis Castel, seules les interprofessions communiquent. Autrement dit, la communication ne porte pas sur le produit, mais sur l'image.

En conclusion, la filière doit aider la distribution à améliorer la lisibilité du rayon et à structurer l'offre. Le vin est le seul rayon qui ne s'articule pas autour des marques. Or les marques constituent le seul moyen d'éviter l'atomisation de l'offre néfaste à la promotion des ventes.

Emmanuel DRION, Interprofession des vins de la Vallée du Rhône

Je reviens sur l'importance de la qualité, de sa constance et de la typicité des vins. L'agrément, tel qu'il est actuellement conçu, n'y contribue pas. 97 % à 99 % des vins sont agréés : ce n'est pas un véritable agrément.

Deux moyens permettraient de redonner de la valeur à l'agrément. D'une part, l'externalisation de l'agrément paraît nécessaire, car il n'est pas possible d'être juge et partie. De nombreuses autres industries agricoles et non agricoles s'adressent à des organismes certificateurs qui sont réellement indépendants. D'autre part, l'agrément devrait être le plus proche possible de la certification.

Par ailleurs, je me demande quelle raison justifie l'interdiction de la mention du nom de cépage, alors qu'il s'agit d'un guide évident pour le consommateur étranger.

De la salle

La réglementation européenne permet à tout le monde d'indiquer le nom du cépage sur l'étiquette. Pourtant, les pouvoirs publics nous ont expliqué qu'ils l'interdiraient d'ici quelques mois. J'espère qu'ils reviendront sur leurs intentions, sinon ce serait une catastrophe pour la filière.

Jean FLEURY, président de la commission vin et spiritueux des Conseillers du Commerce extérieur de la France (CNCCEF)

Les conseillers du commerce extérieur (CCE) de la France représentent 3.600 hommes et femmes de terrain spécialistes de l'export. Nous collaborons avec François Loos pour comprendre le marché.

Le message des CCE s'établit autour de deux idées fortes. D'une part, si le marché mondial devient une priorité de la filière, il faut en accepter les règles. Si ce n'est pas le cas, il faut continuer d'écouler la surproduction en France.

D'autre part, les filières concurrentes n'apparaissent nulle part ailleurs aussi divisées qu'en France. Les ministères estiment que la filière viticole doit se prendre en main et conserver sa liberté, mais sa division est telle qu'aucune expression claire ne peut apparaître. L'Etat a donc un rôle essentiel à jouer pour aider la filière à s'unir.

Gérard CÉSAR

Le ministre chargé de l'Agriculture répondra sur ce point lors de la conclusion du colloque.

Concernant la politique des cépages, je suis favorable à ce que chaque bassin de production gère sa politique, comme le ministre l'a souhaité en juillet. Chaque bassin doit faire des propositions cohérentes entre viticulteurs et négociants.

Jean-Pierre ANDLAUER, Monoprix

J'appuie la démarche de Jean-Louis Vallet. La distribution souhaite pouvoir faire ce qu'elle veut dans ses linéaires. Les linéaires doivent correspondre aux clients - les clientes pour Monoprix -. Dans les linéaires, l'offre doit être simple.

Patrick ÉVIN, ONIVINS

Les marques de distributeur (MDD) n'ont pas été évoquées. Qu'en est-il ?

Jean-Louis VALLET

Les MDD ont un réel succès. Elles représentent 20 % de nos ventes et continuent de prendre des parts de marché. Leur existence est anachronique, car les MDD s'articulent autour de marques nationales et qu'il n'existe pas de marque nationale dans le vin. En fait, les MDD se substituent aux marques nationales.

Françoise BRUGIÈRE

Les MDD existent également en restauration. Les grossistes brassicoles ont essayé de les développer car, lorsqu'ils ont souhaité vendre du vin, ils se sont rendu compte de la confusion et de la complexité de l'offre. Cependant, il est difficile pour les petits établissements de proposer les mêmes vins que le supermarché ou le Monoprix situés juste à côté. Les MDD des brasseurs rencontrent donc peu de succès.

* 2 Voir en annexe II les documents projetés lors de l'intervention de Mme Françoise Brugière.

* 3 Voir en annexe III les documents projetés lors de l'intervention de M. Yves Fourcade.

* 4 Voir en annexe IV les documents projetés lors de l'intervention de M. Jean-Louis Vallet.

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