Le point de vue d'un pays voisin : l'Espagne

M. Pau Roca, secrétaire général de la Fédération espagnole du vin

La loi

En Espagne, une première loi sur le vin a été votée en 1932. Le fait qu'il s'agisse d'une loi nationale, adoptée par les Cortes, témoigne de l'importance du sujet. Elle a été remplacée par une autre loi en 1970 et finalement une nouvelle loi est votée en juillet 2003 pour tenir compte de la réglementation européenne.

Cette loi établit les définitions des termes et mentions traditionnels. Elle introduit la notion de « vin aliment ». Elle permet la promotion du vin par des fonds publics, ce qui était interdit jusqu'alors.

La loi définit également le système de qualité comme une pyramide d'exigences progressives. Elle propose la superposition des niveaux pour les vignobles : si un vignoble est qualifié pour un niveau, il peut produire des vins pour les niveaux inférieurs.

La loi établit un régime de régulation des appellations d'origine par des organes de gestion et assure la séparation des contrôles et de la gestion. Ce point a fait l'objet d'un débat important. Dans l'ancien système, on était juge et partie. La loi donne la possibilité d'un contrôle privé par le biais des organismes de certification internationaux. Ils sont généralement acceptés par les distributeurs. Ce système diffère de l'agrément qui débouche sur une licence ex ante : la certification vient après un audit. La certification représente un coût pour l'exploitation ou l'entreprise, mais c'est un moyen de développement, surtout pour répondre aux demandes de la grande distribution.

Enfin, la loi établit un système de sanctions applicable sur l'ensemble du territoire espagnol. Cela évite que chaque région autonome instaure un régime propre qui provoquerait une concurrence déloyale. Cette loi fait justement l'objet de recours de la part de deux régions autonomes.

En tout état de cause, la définition du vin comme produit alimentaire ne sera pas remise en cause, car cela fait partie du régime alimentaire méditerranéen. Le Sénat espagnol a travaillé pendant un an pour définir ce qu'est ce régime méditerranéen (la « diète méditerranéenne »).

Les modes de consommation du vin

L'Espagne connaît une extension des mauvaises habitudes en matière de consommation d'alcool. Ce n'est pas un problème de santé publique et d'alcoolisme. Il s'agit d'un problème de consommation concentrée sur certains moments, comme le week-end, dans les fêtes ou lors d'événements sportifs. De nombreux accidents de la route en découlent. En outre, la consommation d'alcool par des jeunes sur les places publiques est répandue en Espagne en raison du climat. Elle est alors associée à des comportements très inciviques.

L'administration responsable de la santé publique nous a indiqué que le vin n'était pas à l'origine des problèmes d'ordre public, même s'il contient de l'alcool et constitue en tant que tel une drogue.

Je vais faire une remarque qui paraîtra polémique, mais qu'un scientifique ne pourra pas rejeter. Le vin n'est-il pas la solution à ces problèmes ? En médecine, les vaccins correspondent à l'inoculation d'antigènes dans un organisme sain pour le rendre résistant. Nous pouvons réfléchir à la vaccination de nos enfants par l'éducation à la culture du vin. Les normes de conduite associées au vin peuvent être une garantie face aux dérives actuelles d'une société malade et peut-être excessivement permissive.

Je constate que ces phénomènes sociaux se greffent sur une chute alarmante de la consommation de vin. Le modèle de consommation méditerranéen est en crise. Le modèle qui s'impose actuellement est celui des pays nordiques. Dans ce cadre, je me demande pourquoi les remèdes devraient être ceux des pays nordiques, puisqu'ils n'y ont jamais fonctionné. L'alcool continue en effet d'être consommé comme une drogue dans ces pays. Partout, le prohibitionnisme a échoué.

L'objectif doit être l'éducation dans l'enceinte familiale, où le vin est présent aux repas. Le vin ne doit pas être diabolisé, mais seulement considéré comme facteur de risque s'il est mal consommé.

Ces moeurs de consommation sont difficiles à présenter. Nous ne retrouverons jamais le régime méditerranéen si nous continuons à traiter toutes les consommations alcooliques de la même façon. Le vin, le cidre, la bière, le cognac et le whisky écossais sont tous des boissons nobles. Les boissons ne doivent pas être confondues avec le mode de consommation, chaque boisson ayant son propre mode de consommation. Par contre, il faut essayer de « récupérer » les moeurs de consommation préventifs de chaque boisson alcoolique et surtout du vin. Dans notre société, le vin est la boisson la plus complexe et celle dont les normes de consommation sont ordonnées et correspondent à des rituels associés au repas, qui empêchent une consommation inadéquate.

Ces éléments d'éducation doivent permettre une politique de prévention plus efficace. L'importation de modèles de prévention nordiques, c'est-à-dire le prohibitionnisme, entraîne celle de modèles de comportements étrangers à notre culture et à notre société. Il s'agit d'une question d'identité culturelle. Les pouvoirs publics doivent assumer leur responsabilité dans cette logique. C'est ce que la précédente législature a essayé de faire. J'espère que le nouveau gouvernement continuera dans cette voie, approuvée par l'ensemble de la filière espagnole.

Le vin et l'Europe

Pour conclure, nous devons essayer de faire prévaloir nos cultures, nos traditions et nos droits dans la législation commune européenne. Nous devons avoir une politique vitivinicole cohérente avec notre passé et avec nos conditions de production. Nous devons veiller à ce que notre modèle, actuellement très fragilisé, ne disparaisse pas par un manque de dynamisme commercial et par une approche inflexible.

L'organisation commune de marché vitivinicole n'est pas seulement un règlement typique de la politique agricole commune (PAC), c'est-à-dire un instrument de gestion de marché et d'intervention. Elle est également un règlement encadrant un modèle de production et de commercialisation. Elle comporte des règles qui définissent les pratiques oenologiques autorisées, les normes de présentation et de désignation, les limitations à la production par un système de droits de plantations, les procédures de circulation et de contrôle des registres de mouvements.

En fait, la réglementation communautaire sur le vin a été le précurseur des nouvelles orientations de la PAC. Le secteur a intégré les normes de traçabilité bien avant la crise de la vache folle. Le vin avait un système détaillé des pratiques oenologiques bien avant les règles de sécurité alimentaire définies pour les autres denrées. La protection des appellations d'origine existait bien avant que les politiciens européens ne découvrent que ce système garantissait la valeur ajoutée des productions, sans besoin de dépenses publiques et avec des conséquences très favorables sur le territoire. Autrement dit, la notion diffuse de multifonctionnalité de la PAC existe déjà dans le vin. La spécificité législative du secteur du vin doit donc être préservée et éventuellement complétée dans l'Union européenne.

Nous devons être conscients du rôle du secteur du vin dans le monde. Nous devons réagir à notre perte progressive de compétitivité, afin d'éviter d'abandonner des parts de marché au profit des pays du Nouveau Monde. La France est le pays qui souffre le plus. L'Espagne exporte de plus en plus, mais cela ne nous tranquillise pas. Tous les pays européens ont les mêmes contraintes. Les enjeux sont communs. Nous devons donc faire en sorte que le secteur européen du vin exerce un leadership qui lui corresponde. Seule une vraie politique vitivinicole européenne peut nous redonner la place qui nous revient dans le marché mondial.

L'observatoire économique européen doit être mis ne place. Une politique commerciale agressive doit être engagée par des accords bilatéraux et multilatéraux. Un corps de référence intergouvernemental doit arbitrer les pratiques et l'oenologie, les définitions techniques et les règles d'étiquetage.

Nous avons créé l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) en 1927. C'est le moment de lui donner l'importance et l'impulsion politique dont elle a besoin. Idéalement, il faut utiliser les mêmes règles du jeu que celles qui s'appliquent partout dans le monde, tout en respectant notre acquis.

En conclusion, nous avons réussi à mettre en place une loi en ce sens en Espagne. Elle permet de préserver une spécificité pour le produit et de protéger le vin des attaques du « néo-prohibitionnisme ». Elle modernise certains modes de gestion. Elle permet la libre utilisation des marques. Elle ouvre, timidement peut-être, la possibilité de créer d'autres catégories de qualification. Elle favorise les investissements et la diversification des entreprises vitivinicoles.

Ce n'est pas suffisant. L'Union européenne doit réformer l'organisation commune de marché pour assurer une plus grande compétitivité de la production européenne. Il faut intégrer les éléments d'autres politiques européennes, comme la protection des droits des consommateurs, dans une approche globale du secteur. Cela doit permettre d'assurer une politique spécifique au secteur.

Enfin, le cadre législatif européen doit conduire à une concertation mondiale pour que les normes, les définitions et les règles du jeu soient respectées par tous les producteurs.

En Europe, le secteur vitivinicole est aux mains d'entreprises non multinationales. Des initiatives comme le colloque d'aujourd'hui permettront de conserver notre activité. J'espère que les responsables gouvernementaux arriveront à donner l'impulsion politique dont le vin a besoin. Une conférence ministérielle sur le vin pourrait être organisée et aboutir à un consensus mondial.

Michel DELPON, société de producteurs et négociants à actionnariat coopératif, président des négociants de Bergerac

La guerre du vin est ouverte. Nous reculons depuis trois ans. Les vins français doivent passer à la reconquête. Des solutions en amont vont être prises : plus de rigueur pour l'AOC de terroir, plus de liberté pour le vin de marketing.

En aval, les solutions manquent. Le marché français est saturé : il va perdre cinq millions d'hectolitres dans quelques années. Il faut en gagner cinq millions à l'export pour retrouver l'équilibre.

Notre ministre de tutelle nous a proposé 5 millions d'euros. C'est dérisoire par rapport aux 10 millions de l'ONIVINS. Le budget de l'interprofession de Bergerac est de 2 millions d'euros. Il est de 23 millions pour Bordeaux. Le budget de Frexinet, négociant espagnol, est de 60 millions d'euros. Que peut-on faire avec 5 millions d'euros ? Il faut un vrai budget pour regagner des parts de marché à l'exportation. L'amendement relatif à la loi Evin permettra peut-être d'adoucir la chute de la consommation des vins en France, mais il ne permettra pas de sortir de l'impasse à l'exportation.

De la salle

En France, de nombreuses associations de lutte contre les excès de l'alcoolisme sont financées par l'Etat. Leur budget est d'environ 100 millions d'euros. Qu'en est-il en Espagne ?

Pau ROCA

La situation est la même. Toutefois, en Espagne, l'alcoolisme est moins un problème de santé publique que d'ordre public. La presse s'intéresse surtout aux conséquences de l'alcool et à la conduite des jeunes.

Les morts sur la route n'ont rien à voir avec l'alcoolisme tel qu'on l'entend en Espagne. Les deux dimensions sont clairement séparées.

Jean-Guy JAILLIS, journaliste

Je m'intéresse à l'association entre le vin et les modes de vie dans le monde.

Je trouve la profession assez pessimiste. Elle devrait faire preuve d'un optimisme durable. Les pays musulmans et les Chinois redécouvrent la viticulture. Une transformation culturelle apparaît dans le monde musulman, au Maroc et dans le Maghreb. Des groupes français commencent même à y planter des vignes. Il faut réfléchir à cette évolution.

En outre, il faut noter que les intermédiaires vendant du vin au Japon, en Chine ou en Inde ne sont pas des professionnels du vin. Ils ne se préoccupent pas du vin. La filière doit donc se réapproprier la commercialisation.

Le gouvernement chinois vient de lancer un appel d'offres pour 1,8 million de bouteilles. Les angoisses des viticulteurs français vont donc disparaître.

Enfin, la notion de vin doit être attachée non seulement au terroir, mais également aux autres produits liés à la consommation et au mode de vie. En Chine, la croissance se fait sur le modèle européen : on veut vivre comme les Français, même dans les familles moyennes.

Alain DÉCHY, président des cavistes indépendants

Malgré son titre, l'essentiel du colloque a porté sur l'exportation. Le marché intérieur représente encore une part importante. Le commerce traditionnel est en rapport étroit avec la viticulture individuelle.

Nous venons d'organiser une fête des vins dans nos boutiques. Les vignerons venaient faire déguster leurs vins. La majorité des adhérents ont doublé leurs ventes pendant l'opération. La morosité du marché intérieur n'est pas aussi grande qu'il paraît.

Notre profession se développe. Les vignerons indépendants créant des caves sont de plus en plus nombreux. C'est un métier d'avenir.

Marie-Laetitia BONAVITA

Comment peut-on faire face à des opérateurs mondiaux avec des budgets réduits et une atomisation des exploitations et des négociants ?

Adolphe TOURSCHER

Nous n'avons pas les mêmes armes. Les Américains et les Australiens ont de l'argent. Pernod-Ricard investit également en Australie.

Nous n'avons pas encore compris l'importance des budgets qu'il faut dégager pour prendre des parts de marché dans le grand export. Nous sommes présents sur la vieille Europe, mais peu en Asie, malgré quelques partenariats. La Chine est un pays compliqué.

Nous construisons une unité en Russie pour pouvoir importer des vins sans être assujettis aux taxes de 20 %. Nous pourrons ainsi nous battre contre les vins moldaves. Ce marché est sensible au prix. Il faut ouvrir des bureaux et avoir du personnel. Il faut avoir des produits au coeur du marché. A Moscou, la distribution ressemble à la nôtre. Ainsi, Auchan est présent. De ce fait, comme en France, il faut payer cher pour entrer et il faut faire du volume. Il faut donc des moyens importants pour investir à l'étranger. L'export est un investissement sur le long terme.

Gérard CÉSAR

Qu'en est-il du marché indien ?

Adolphe TOURSCHER

De mon point de vue, c'est le marché qui sera le plus captif. J'y crois davantage que la Chine, en raison de son passé anglais. Nous réfléchissons à l'ouverture d'un bureau en Inde.

Sylvie SERRA, de l'INAO

Par quel cheminement l'Espagne est-elle parvenue à une loi aussi novatrice ? Découle-t-elle d'une démarche nationale ou d'une vision des atouts de l'Espagne à l'export ?

Pau ROCA

Plusieurs lois se sont succédées. La situation était confuse, ce qui créait une insécurité juridique. Cela nous a poussé à agir. Sur le fond, nous avons travaillé pendant huit ans dans une sous-commission parlementaire, sans proposition du gouvernement. A un moment, le gouvernement a dû faire une proposition en raison de la pression des députés et de la filière.

Marie-Laetitia BONAVITA

Avant que Monsieur le ministre de l'Agriculture n'intervienne, le président du colloque va résumer la journée.

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