V. LES RISQUES ÉMERGENTS

* Les dispositifs juridiques relatifs à l'expertise, la diffusion, la dispensation et la surveillance du médicament et des produits de santé se sont mis en place en France dans des conditions satisfaisantes. Leur perfectionnement se poursuit, même si certains aspects doivent faire l'objet d'efforts soutenus, la pharmacovigilance notamment. Cependant, dans le même temps, on observe des évolutions factuelles et juridiques, en particulier dans le cadre européen qui recèlent de véritables risques.

En France, le cadre juridique de l'activité de distribution du médicament et son contrôle ont permis depuis de longues années d'améliorer encore la sécurité et l'efficacité : présence et contrôle effectif par le pharmacien de la distribution des médicaments dans l'officine, moyen d'identification directe de la fonction des personnels au contact des clients, fonctionnement excellent des procédures de rappel de lots ... La valeur de ce réseau de distribution à partir du fabricant et à travers les grossistes-répartiteurs est indiscutable et constitue une référence mondiale. Elle est la contrepartie d'une organisation exigeante fondée sur un monopole lui-même ancré dans l'exigence de santé publique.

A une époque où on invoque souvent le « principe de précaution », où l'on s'inquiète à juste titre des effets indésirables et des interactions des médicaments, la valeur irremplaçable du dialogue avec le dispensateur autorisé du médicament dans l'officine se confirme quotidiennement. Il est donc pour le moins paradoxal que l'on se propose, par les biais juridiques ou matériels les plus spécieux et les montages les plus inextricables, de saborder un système qui fait ses preuves. La nécessité de ce dispositif et la justesse des principes simples et efficaces sur lesquels il est fondé se vérifie à chaque comparaison internationale.

* L'évaluation de la loi de 1998 perdrait toute signification si on basculait vers un système fondé sur internet. Le schéma est en rupture totale avec les principes actuels qui apportent de réelles garanties. Cette nouvelle organisation pourrait se résumer en quelques lignes : il s'agit de la dispensation du médicament à un « cyberclient » par un « cyberpharmacien » installé dans un pays lointain, éventuellement dans une langue étrangère sur la base d'une ordonnance dont tous les éléments essentiels (indication, posologie, dosage, conditionnement etc ...) peuvent varier d'un pays à l'autre. Bien sûr, l'échange entre le « cyberpharmacien » (en espérant que celui-ci n'est pas un simple vendeur sans qualification) et le « cyberpatient » (on se sera assuré que celui-ci n'est pas une tierce personne par substitution d'identité), devrait prendre en compte les prescriptions préexistantes et l'administration concomitante d'autres médicaments ; en cas de difficultés ou d'incidents, le « cyberpatient » devrait aussi recontacter le même « cyberpharmacien » pour lui retourner ou échanger un médicament ...

On mesure la multiplication des risques produits par de telles procédures sous couvert de modernité, de rapidité, d'efficacité et de rationalité financière.

Aux esprits « rétrogrades » que ce tableau inquiéterait, on peut répondre que les procédures seront « sécurisées », que la dialogue par Internet est banalisé et que la livraison par portage n'est pas plus un problème pour les médicaments que pour les pizzas, à moins que l'on exige, comme ce serait le cas dans certains pays, que celle-ci soit assurée par « du personnel de l'officine ». Les procédures sécurisées permettront aussi, bien entendu, de s'assurer que l'ordonnance et l'identité du patient sont exactes et non falsifiées (un copié-collé etc ...) et que le caractère personnel et confidentiel des données médicales échangées au cours du « cyber dialogue » sera sauvegardé, par le recours aux techniques de biométrie (vérification de l'identité et de la qualité des interlocuteurs) tout cela en conformité avec la loi informatique et liberté ...

Rejetons aussi pour argument non fondé le cas des personnes âgées et/ou malades ayant des difficultés à se déplacer, mais qui curieusement n'en n'auraient aucune pour entretenir un « dialogue cybernétique » précis et complet, dépourvu de risque d'erreur et d'ambiguïté, éventuellement dans une langue étrangère.

Cette perspective, qui peut rapidement tomber dans l'anticipation la plus noire n'a rien de fantaisiste ou même de lointaine. Elle s'inscrit dans la logique de dispositions récentes prises par l'Allemagne. Dans ce pays voisin, la recherche systématique et justifiée d'économies au niveau de l'assurance maladie semble avoir entraîné l'affranchissement des règles fondamentales en matière de dispensation du médicament. Encore plus inquiétant, certains risques identifiés depuis quelque temps déjà deviennent réalité grâce à la mondialisation et à la banalisation du médicament avec les contrefaçons et les faux médicaments. Le trafic de médicaments authentiques ou contrefaits peut s'ajouter à la liste des activités frauduleuses de la mondialisation « noire ».

5.1. Des perspectives incertaines au niveau européen

5.1.1. La fragilité du fonctionnement actuel

5.1.1.1. Les interrogations sur les mécanismes d'AMM

* Le fonctionnement relativement satisfaisant atteint actuellement par l'Agence européenne et le réseau des agences nationales n'est pas un gage de réussite pour l'avenir, même proche.

Tout d'abord, certains épisodes ont montré les faiblesses et surtout les lenteurs de réaction de l'EAMA de Londres. Ce qui était perceptible avec l'affaire de la cérivastatine (Cholstat et Staltor) l'est encore bien davantage avec celle du Vioxx. Saisie en 2002 par l'AFSSAPS, l'EAMA n'a pas procédé à la méta analyse que l'équipe de chercheurs de l'Université de Berne a réalisé avec des moyens dont on peut penser qu'ils ne sont pas supérieurs. L'EAMA a demandé aux principales agences nationales de participer à la réévaluation du Vioxx et celle-ci ne s'est pas révélée décisive. De même, sa réactivité à la suite du retrait intervenu le 30 septembre 2004 ne paraît pas à la hauteur des enjeux.

-- Les délais maxima imposés par les procédures d'AMM (210 jours pour la centralisée et la nationale) ont pu être maintenus à un niveau satisfaisant pour la qualité de l'expertise scientifique lors de l'élaboration de la Directive 2004/27/CE et au Règlement CE n° 726/2004, mais on a pu remarquer des pressions pour raccourcir ces délais du côté des fabricants comme de la Commission elle-même, qui proposait 150 jours pour la procédure nationale. Une exception a été consentie pour la procédure centralisée à 150 jours dans le cas « d'un médicament présentant un intérêt majeur du point de vue de la santé publique et notamment du point de vue de l'innovation thérapeutique ». Il en a été de même pour la réévaluation de l'AMM au terme d'un délai de cinq ans qui a été maintenu, mais dont la Commission proposait la suppression, au profit d'une AMM illimitée.

-- La procédure de l'AMM par reconnaissance mutuelle qui avait été conçue pour avoir un caractère transitoire en attendant la montée en puissance de la procédure d'AMM centralisée a été en fait pérennisée ; or, contrairement à celle-ci, elle est moins transparente.

-- Plus inquiétant est le fait que les fabricants ont le pouvoir de choisir en fait le « pays rapporteur » donc l'agence qui examinera sa demande. Ils sont naturellement tentés de choisir celle qui l'examinera le plus vite et qui manifestera un niveau d'exigence moins élevé. Si l'on garde à l'esprit que les ressources des agences nationales proviennent pour l'essentiel des redevances versées par les fabricants lors du départ de leurs demandes, la pression sur les agences pour un examen rapide et compréhensif n'en est que plus forte. Or, la disparité des conditions d'examen et des capacités d'expertise n'est pas niable. Ce qui pouvait être un problème limité à Quinze a toutes les chances de devenir préoccupant à Vingt-cinq, sachant qu'on ne saurait reprocher aux nouveaux Etats-membres de ne pas disposer de l'expertise et de l'expérience qui ne pouvait par définition être la leur avant 1989. Certes, dans le cadre de procédure de « pré adhésion », les agences nationales ont été amenées à développer une coopération systématique avec les instances homologues des pays alors candidats pour leur permettre d'atteindre un niveau opérationnel dès l'adhésion (Grande-Bretagne avec République Tchèque, France avec Pologne, etc ...). Il serait toutefois logique de s'assurer que les objectifs ont été atteints.

A ce sujet, il doit être rappelé que dans les instances de l'EAMA où l'on est amené à prendre des décisions collectives, les représentants de chaque Etat-membre disposent de la même voix, quelle que soit sa population et sa production pharmaceutique.

-- L'environnement organisationnel est également devenu « concurrentiel » pour le contrôle des vaccins. En effet, dans le cadre de la procédure européenne de libération des lots pour les produits immunologiques, le fabricant peut choisir le laboratoire de contrôle qu'il souhaite parmi tous les laboratoires officiels européens.

5.1.1.2. La dimension européenne des inspections

L'harmonisation effective des systèmes de sécurité sanitaire européens pour les médicaments, mais aussi pour les vaccins et les dispositifs médicaux, est une condition à la réalisation d'objectifs minimaux dans ce domaine pourtant essentiel. Le constat fait par l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales dans leur audit daté de décembre 2002 (cf. supra) est de nature à nourrir des inquiétudes (op.cit page 34) :

« Bien qu'elle n'ait pas documenté les garanties apportées par les autres Etats-membres, la mission constate toutefois que dans la réalité, aucun mécanisme n'est réellement prévu pour garantir l'application effective des principes généraux de reconnaissance d'équivalence des systèmes, notamment en matière d'inspection.

La mission a pu illustrer cette question à partir des exemples suivants.


• Dans le secteur des médicaments chimiques , les directives successives prévoient depuis 1993 une équivalence entre les inspections de chaque Etat-membre, seul compétent sur son territoire. Ainsi, il ne peut être envisagé, par exemple, que la France inspecter un site de fabrication espagnol, même en cas de signalement sur un médicament fabriqué en Espagne et circulant librement sur l'ensemble de l'espace européen.

Or, l'équivalence des inspections telle que prévue dans les textes est pour partie théorique. En effet, lors de la préparation d'un accord de reconnaissance mutuelle avec un pays tiers à l'Union, des audits préalables de chacune des inspections des Etats de l'Union ont mis en lumière des disparités dans la qualité du fonctionnement des inspections et pour un des Etats de l'Union des insuffisances si importantes que l'accord se trouve bloqué.


• S'agissant des produits pour lesquels les directives ne prévoient pas une telle équivalence , la France peut être conduite à diligenter des inspections sur des sites de fabrication dans les Etats de l'Union. Dans sa pratique, cette démarche est difficile à mettre en oeuvre puisqu'elle suppose une action diplomatique aux effets aléatoires. Face à un tel enjeu, les modalités de coopération entre Etats devraient être renforcées pour permettre une harmonisation effective des pratiques entre Etats.

Par ailleurs, au-delà de l'espace européen, une réelle mutualisation des moyens doit s'opérer pour démultiplier les capacités d'inspection dans des pays tiers à l'Union. En ce sens, les réflexions en cours pour faire émerger des bases de données partagées des rapports produits par les inspections des pays de l'Union constituent certainement une voie à encourager.

Une limite du champ européen porte sur l'articulation entre la DEQM et l'AFSSAPS. En effet, l'Agence apporte son concours aux travaux de la DEQM, notamment pour l'organisation d'inspections de sites de fabrication de matières premières à usage pharmaceutique, sans pour autant que la base de données des CEP (certificats européens de conformité à la pharmacopée) détenue par la DEQM à Strasbourg soit accessible à l'Agence dans le cadre de ses travaux nationaux.


• Dans le domaine des dispositifs médicaux , la même problématique liée à l'effectivité de l'équivalence des organismes notifiés des différents Etats membre se pose.


• En matière de laboratoires de contrôle , la France jouant un rôle leader, la question de l'équivalence des contrôles en laboratoire est sans doute moins aiguë. De plus, un système d'audits mutuels des différents laboratoires a été mis en place et des procédures de certification par des autorités indépendantes sont en cours dans tous les pays de l'Union.


• Enfin, la mission a pu relever les difficultés de mise en oeuvre de systèmes d'information communs aux Etats ».

Le même audit conclut sur ce point :

« L'émergence d'un système européen avec les risques vus plus haut d'une sécurité sanitaire a minima a justifié jusqu'ici la forte implication de l'Agence à un niveau à la fois technique et stratégique afin d'obtenir des garanties de haut niveau appliquées également à l'ensemble des pays de l'Union ».

Enfin, ce même document (page 60) traitant le problème de la nécessité pour l'Agence elle-même de préciser l'implication de celle-ci dans les travaux au sein de l'Union européenne (cf. supra) confirme explicitement les motifs d'inquiétude qui ne se sont pas démentis depuis :

« De plus, comme la mission a pu le montrer, de réels sujets d'inquiétude peuvent d'ores et déjà être identifiés dans l'Union, compte tenu de la liberté de circulation des produits et de l'absence d'harmonisation effective des pratiques de sécurisation des produits de santé entre Etats. Des propositions de la France sur ces questions seraient de nature à accroître l'investissement européen de l'Agence ».

5.1.2. Des tentatives de banalisation du médicament

De différents horizons des tentatives se multiplient pour ôter au médicament son statut spécifique qui a été érigé pour des raisons évidentes. Les traités européens ont d'ailleurs ab initio reconnu cette spécificité et les restrictions naturelles qu'elle implique, dans la distribution notamment. Les dispositifs juridiques et administratifs qui en découlent sont généralement cohérents et précis, notamment en ce qui concerne la France. Cela ne décourage pas pour autant des milieux qui n'ont de cesse, par tous les biais imaginables, de faire abolir ces dispositifs.

* Le cas des importations parallèles : pratique légale qui s'est établie au sein de l'Union européenne et qui en France a fait récemment l'objet d'un texte réglementaire les organisant (janvier 2004), les importations parallèles (en amont de la distribution au public) par les grossistes répartiteurs ou les pharmaciens permettent de s'approvisionner dans des Etats-membres où les médicaments considérés sont nettement moins chers.

Il ne s'agit pas ici de revenir sur ce régime juridique et les raisons du développement de cette pratique légale. Le réel problème qui se pose dans ce domaine est celui du déconditionnement des médicaments et même de la « déblistérisation » des plaquettes de produits qu'autorisent les dispositions européennes avec tous les re-conditionnements possibles. Cela interdit en pratique la procédure de rappel des lots et ouvre de remarquables possibilités, à la contrefaçon notamment.

* Lors de l'élaboration de la Directive n° 2004/27/CE et du Règlement 726/2004, la Commission européenne, reprenant des demandes de firmes pharmaceutiques, avait proposé d'autoriser pour les médicaments soumis à prescription médicale une publicité déguisée en l'espèce sous forme « d'information du public ». La publicité pour ces médicaments étant interdite dans les pays de l'Union, cette proposition a rencontré une vive opposition au Parlement européen. De leur côté, la plupart des ministres des Etats-membres avait également exclu une telle possibilité. Cette tentative témoigne néanmoins de l'opiniâtreté à attaquer de front des règles évidentes de santé publique, l'argument étant généralement que « cela se pratique hors d'Europe ».

* Tout récemment, le groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus, à la demande de M. Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a remis un rapport intitulé « Le sursaut - vers une nouvelle croissance pour la France ». Dans un chapitre VI (Assurer l'efficacité des marchés des biens et des services), un développement dont le titre révélateur est « Supprimer les réglementations qui visent essentiellement à protéger les situations acquises » s'attaque à des secteurs qu'il s'agit ainsi de commencer par stigmatiser, parmi lesquels les taxis parisiens ... et les pharmacies. Il est rappelé en tête du paragraphe qu'il s'agit de « quelques réglementations à faire évoluer en prenant davantage en compte l'intérêt de tous les citoyens ». Le texte place donc sous un chapeau commun des situations fort diverses, totalement hétérogènes, en précisant : « On notera ici quelques exemples qui nous placent dans une situation particulièrement atypique par rapport à nos partenaires » . Le passage relatif à la pharmacie indique sans ambages la direction :

« Le cas des pharmacies est également spécifique à la France. Si partout en Europe l'activité de pharmacie est encadrée, cet encadrement est beaucoup plus strict en France puisqu'il concerne la répartition du capital : un pharmacien ne pouvant être propriétaire de plus d'une officine, la constitution d'une chaîne officinale permettant une diminution des prix est impossible. Dans le même secteur, la France est l'un des rares pays à étendre le monopole de vente des médicaments sur prescription aux médicaments hors prescription, ce qui empêche une distribution plus large accompagnée d'une diminution des prix ».

Rien ne devrait donc entraver les perspectives de pression sur les prix, qui sont d'ailleurs très relatives dans les situations d'oligopoles résultant de concentrations abusives. L'exercice personnel de la pharmacie devrait donc s'effacer face aux exigences de la « libéralisation » du marché. La réalité est fortement malmenée, notamment lorsqu'on indique qu'on est là dans une « situation particulièrement atypique par rapport à nos partenaires ». Si les « partenaires » sont les Etats-Unis, on peut se réjouir de ne pas connaître en France l'anarchie qui caractérise la distribution du médicament dans ce pays (cf. infra, notamment le jugement de l'attorney general de l'Etat du Michigan et les constatations du GAO en juin 2004) ; si c'est l'Allemagne, c'est faux, tout au moins jusqu'à une date très récente. En effet, nos voisins d'Outre-Rhin sont en train de découvrir une nouvelle organisation de la distribution du médicament où tout devient possible, exploitant les facultés ouvertes par un arrêt de la CJCE qu'il convient précisément d'aborder.

* L'arrêt « DocMorris » rendu le 11 décembre 2003 par la Cour de Justice des Communautés Européennes

Cet arrêt a été rendu en réponse à une question préjudicielle posée par le Landesgericht (tribunal du Land) de Francfort-sur-le-Main dans le cadre d'une procédure engagée par les fédérations et associations de pharmaciens allemands contre la société DocMorris, établie aux Pays-Bas à cinq kilomètres de la frontière germano-néerlandaise. Celle-ci propose à la vente par Internet des médicaments soumis ou non à prescription médicale, notamment vers le public allemand. C'est sur la base de la législation allemande alors en vigueur que cette instance avait été engagée. En effet, cette législation interdisant la vente par correspondance des médicaments dont la délivrance est réservée exclusivement aux pharmacies et qualifiant d'illégale toute publicité tendant à favoriser une telle vente par correspondance, le Deutscher Apothekerverband (DAV) a engagé une procédure contentieuse à l'encontre de DocMorris devant les juridictions allemandes. Le litige s'inscrivant dans un contexte communautaire et transfrontalier, le juge allemand a décidé de surseoir à statuer afin de poser des questions préjudicielles à la CJCE.

Cet arrêt est d'une grande complexité car il fait notamment appel à des notions de droit communautaire subtiles relevant de différents domaines ; il ne saurait donc être analysé en détail ici d'autant que c'est par ses répercussions éventuelles qu'il rentre dans le périmètre de la présente évaluation de la loi de 1998. Mais compte tenu de l'ampleur du phénomène des ventes de médicaments par Internet dans des pays étrangers lointains et quelques uns proches (Pays-Bas, Suisse par exemple), il convient de rappeler les termes de cette évolution inquiétante et donc de cet arrêt.

Une communication de M. Eric Fouassier, professeur à l'Université de Paris XI et membre du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (bulletin de l'Ordre de mars 2004 n° 382) procède à cette analyse approfondie et très argumentée. On en retient donc quelques extraits significatifs.

L'objectif de cette étude est ainsi précisé :

« Cette analyse nous permettra de constater que la CJCE s'est nettement prononcée en faveur du commerce transfrontalier de certains médicaments via Internet, ce qui n'était pas si évident au regard du droit dérivé. Cette position est cependant directement liée à la réaffirmation de la nécessité du monopole pharmaceutique. A bien des égards, le cadre juridique dans lequel devra s'inscrire ce type d'activité demeure à définir. La CJCE n'a pas tranché en effet la question du régime juridique des pharmacies virtuelles ».

M. E. Fouassier enchaîne en donnant ensuite son appréciation préliminaire sur le sens de et arrêt :

« Une simplification abusive du langage, liée à une approche sans nuances des concepts, consisterait à considérer que la CJCE vient d'autoriser la vente des médicaments sur Internet. Se contenter de compléter cette affirmation en précisant que l'autorisation se limite aux seuls médicaments non soumis à prescription serait tout aussi superficiel. Il convient en effet de faire remarquer que cette vente est déjà possible chez certains de nos voisins européens. Le meilleur exemple nous est précisément fourni par la société DocMorris, qui exerce cette activité en toute légalité depuis plusieurs années aux Pays-Bas. C'est seulement parce que cette société a voulu étendre son activité au-delà du territoire batave qu'un litige à vu le jour. Cela nous conduit à préciser que l'arrêt DocMorris porte en réalité, non pas tant sur le principe général de vente de médicaments sur Internet que sur le commerce transfrontalier de médicaments via Internet ».

Un autre auteur (M. Jérôme Peigné, Professeur à l'Université de Lille 2) dans un récent article de la revue de droit sanitaire et social (n° 40 avril-juin 2004 - pages 369-384) procède à un long examen de cet arrêt après un bref signalement ainsi rédigé :

« Au regard des articles 28 et 30 CE, un Etat membre ne saurait interdire la vente par correspondance, via un site Internet, de médicaments légalement autorisés et ne nécessitant pas une prescription médicale préalable. En revanche, compte tenu des exigences liées à la protection de la santé humaine, une législation nationale peut prohiber le commerce électronique de médicaments soumis à prescription médicale obligatoire. De la même manière, la publicité faite en faveur de la vente en ligne de médicaments soumis à prescription médicale facultative ne saurait être interdite au regard des dispositions du code communautaire des médicaments à usage humain, alors qu'une telle interdiction reste permise pour la vente de médicaments nécessitant une prescription médicale ».

Dans l'appréciation de l'environnement juridique fait par M. E. Fouassier, il pointe à diverses reprises le caractère peu convaincant de certains raisonnements faits par la CJCE dans l'appréciation des situations et de la portée de certains principes généraux contenus dans le Traité (art. 28 et 30) et les directives (97/7/CE) concernant la protection des consommateurs et 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information.

Se référant à la directive 97/3 (art. 3), il observe ainsi :

« L'article 3 de la directive traduit ces considérations en termes de droit. En effet, tout en posant pour principe que « les Etats membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de l'information en provenance d'un autre Etat membre », il permet de déroger à cette interdiction lorsque cela apparaît nécessaire pour garantir la protection de la santé publique.

Ce rappel du droit communautaire susceptible de s'appliquer aux pratiques commerciales liées à l'apparition des nouvelles technologies révèle que celui-ci est sous-tendu par la volonté politique d'en écarter la vente de médicaments, ou tout au moins de traiter celle-ci de façon singulière. Le juge communautaire pouvait-il s'en affranchir en se penchant pour la première fois sur la matière, à l'occasion de l'arrêt DocMorris ? On était d'autant moins enclin à le penser que toutes les interventions au cours de l'instruction ont insisté sur la nécessité de réserver un traitement d'exception aux médicaments, en résumé de les exclure du champ du commerce électronique. C'est pourtant une solution inverse qu'a adoptée la CJCE le 11 décembre 2003 ».

Autre critique sur la situation comparée des pharmacies allemandes en l'espèce par rapport à des pharmacies étrangères :

« Le gouvernement allemand reconnaissait que l'AMG (loi sur les médicaments) rendait l'accès au marché allemand plus difficile pour les pharmacies étrangères, mais faisait observer que, du fait de l'obligation d'exercice personnel pesant sur le pharmacien, les pharmacies établies sur le sol national n'avaient pas non plus un accès illimité à l'ensemble du marché allemand. C'est cette analyse que rejette la CJCE.

Selon les termes de l'auteur, « l'argumentation développée par la CJCE ne nous apparaît pas totalement convaincante ». Comme nous l'avons vu plus haut, nous envisageons ici le cas de médicaments qui ont obtenu une AMM valable en Allemagne. Dans la quasi-majorité des cas, ces médicaments seront donc déjà commercialisés de façon traditionnelle en Allemagne par les pharmacies nationales. Ainsi l'interdiction de vente par Internet n'empêche nullement l'accès du marché allemand pour ces produits originaires d'autres Etats-membres, mais pouvant être légalement commercialisés en Allemagne.

C'est cependant ce raisonnement contestable qui permet à la CJCE de considérer que l'interdiction nationale de vente par correspondance des médicaments dont la vente est réservée exclusivement aux pharmacies constitue une mesure d'effet équivalent au sens de l'art. 28 CE ».

Enfin, le commentaire de M. E. Fouassier sur les risques que ferait courir la vente de médicaments par Internet pour ce qui concerne les médicaments non soumis à prescription (dont la CJCE estime précisément dans son arrêt qu'elle ne peut être interdite), à partir des points 113 et 114 de l'arrêt est particulièrement critique :

« La Cour souligne même que « l'achat par Internet pourrait présenter des avantages tels que la possibilité de passer commande à partir de la maison ou du bureau, sans nécessité de déplacement, et de formuler calmement les questions à poser aux pharmaciens, avantages qui doivent être pris en considération (point 113). Concernant les risques de mésusage ou d'abus, la Cour précise qu'un tel risque pourrait être diminué grâce à l'augmentation des éléments interactifs existant sur Internet devant être utilisés par le client avant que celui-ci ne puisse procéder à un achat. S'agissant de la possibilité d'abus, il n'est pas évident que, pour ceux qui souhaitent acquérir de façon abusive des médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale, l'achat effectué dans des pharmacies traditionnelles présente, en réalité, plus de difficultés que l'achat par Internet (point 114 »).

Sur ce dernier point également, on peut ne pas partager l'approche de la Cour qui procède par simple voie d'affirmation. Le raisonnement nous paraît même un peu contradictoire. La Cour estime en effet que le client dispose, avec Internet, de plus de temps et de calme pour exposer son cas et formuler d'éventuelles questions (élément positif). Mais elle ne perçoit pas que cet avantage s'accompagne aussi d'un inconvénient : le client souhaitant acquérir des médicaments de façon abusive disposera de plus de temps pour répondre aux questions éventuellement gênantes du pharmacien. Ce dernier ne pourra plus prendre en compte un trouble éventuel pour pousser plus loin son interrogatoire. Il est donc, selon nous, erroné de penser que la vente via Internet ne facilite pas les demandes abusives ».

Selon l'un des auteurs précités, M. Jérôme Peigné (op.cit. page 381) « l'arrêt DocMorris devrait obliger certains Etats à modifier leurs droits nationaux pour tenir compte des potentialités ouvertes par Internet » ; il rappelle alors les dispositions applicables actuellement en droit français :

« En droit français, les dispositions de l'article L. 5125-25 du code de la santé publique interdisent aux pharmaciens ou à leurs préposés de solliciter des commandes auprès du public (le colportage). Il leur est également interdit de recevoir des commandes de médicaments et autres produits relevant de leur monopole par l'entremise habituelle de courtiers et de se livrer au trafic et à la distribution à domicile de ces médicaments et produits dont la commande leur serait ainsi parvenue. L'article L. 5125-26 du même code interdit, en outre, la vente au public de tous médicaments et produits réservés au monopole des pharmaciens par l'intermédiaire de maisons de commission, de groupements d'achats ou d'établissements possédés ou administrés par des personnes non titulaires de l'un des diplômes exigés pour exercer la pharmacie.

Le droit interne prohibe donc la sollicitation directe et indirecte de commandes auprès du public, ce qui revient à condamner toute vente par correspondance de médicaments à l'aide d'un site Internet. L'interdiction comporte toutefois des aménagements. L'article L. 5125-32 du code de la santé publique a renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de préciser les conditions dans lesquelles pouvaient s'effectuer soit la dispensation par le pharmacien ou l'un de ses préposés d'une commande au domicile des personnes se trouvant dans l'impossibilité de se déplacer, en raison de leur âge, de leur état de santé ou de leur situation géographique (art. R. 5104-4 c. santé publ.), soit la livraison à domicile d'une commande par l'entremise d'un tiers, non pharmacien, sous réserve de respecter certaines conditions de transport et d'empaquetage (art. R. 5104-1 c. santé pub) ».

C'est naturellement l'existence de l'ensemble des règles de protection de la santé publique et des principes dont elles découlent qui constituent un obstacle aux appétits commerciaux d'entreprises comme DocMorris laquelle, avant même que l'arrêt de la CJCE ait été rendu et avant que la législation allemande ait été complètement changée avec l'autorisation de vente de tous les médicaments par Internet (cf.infra), faisait part d'objectifs particulièrement ambitieux comme en atteste un article extrait de la revue « Pharmaceutiques » de novembre 2003 (n° 111).

« DocMorris à la conquête d'autres pays » ?

DocMorris, qui convoite 30 % des parts de marché du secteur médicament en Allemagne, ne dégage pour l'instant aucun profit. Le chiffre d'affaires de 2003 d'environ 45 millions devrait quadrupler avant 2005.

Quand on interroge les responsables de DocMorris sur leurs intentions de conquête d'autres marchés en Europe, et particulièrement en France, la réponse est claire : « DocMorris est une pharmacie néerlandaise, qui répond à toutes les conditions européennes d'exercice de cette profession. Nous n'avons pas besoin d'autorisation spéciale pour vendre des médicaments dans tous ces pays selon le droit européen. C'est aux pays de l'Union de transposer le droit européen dans leurs droits nationaux ! Des clients de toute l'Union européenne commandent déjà des médicaments sur notre site ».

Les procédures, mécanismes et garanties qui assurent actuellement la sécurité dans la dispensation des médicaments en France où, de l'avis général, la situation est tout à fait satisfaisante, notamment par rapport à nos partenaires et voisins, ne sauraient être amoindries, le pharmacien n'apparaissant plus qu'au bas d'une rubrique d'un site internet comme « responsable de l'officine » (localisé éventuellement à des centaines de kilomètres).

L'autre élément clé est constitué par l'existence du remboursement par l'assurance-maladie. Il s'agit là en effet d'une réalité qui, de l'avis général, constitue un obstacle à peu près absolu à la concrétisation du risque internet pour la distribution du médicament en France ; et de citer la situation totalement différente des Etats-Unis où l'on évalue à 40 % le nombre de personnes non couvertes par un régime d'assurance-maladie pour ce type de prestation ; avant même l'apparition d'internet, la situation de la distribution du médicament était déjà problématique dans ce pays.

Si cette constatation est tout à fait fondée, il reste que les « médicaments grand public » non remboursés échappent à ce frein et que, d'autre part, les décisions de moindre ou de non-remboursement peuvent alimenter une tendance favorable aux tentatives de distribution par internet.

Enfin, il conviendra de s'assurer qu'aucun médicament qui aurait été acquis via un réseau Internet n'est remboursé par les caisses d'assurance-maladie. La réalisation d'un risque comme celui d'Internet dans la distribution des médicaments est illustrée d'une manière éclatante avec le développement actuel de la situation en Allemagne.

5.2. La distribution par internet du médicament en Allemagne : un cas d'école

Jusqu'en 2003, le régime de distribution au public du médicament était assez semblable à ce que l'on connaît en France. L'objectif du rétablissement de l'équilibre de l'assurance-maladie avait incité les autorités responsables (gouvernement fédéral, caisses d'assurance-maladie et l'ensemble des partenaires de la prévoyance sociale) à exercer une pression pour réduire le poste important que représentent les médicaments. D'après des appréciations globales, les médicaments ont un prix public sensiblement plus élevé en Allemagne qu'en France ; cette situation particulière n'est donc pas étrangère à la force avec laquelle ces pressions se sont exercées.

5.2.1. Les importations parallèles de médicaments

Depuis 1993 est appliqué en Allemagne un accord-cadre passé entre les associations de caisses d'assurance-maladie et l'association des pharmaciens allemands. Au terme de cet accord, le pharmacien d'officine est tenu de fournir une certaine proportion minimale de ces médicaments importés ; cette part dans le chiffre d'affaires est passée de 5,5 % à 8 % en janvier 2003. Un certain nombre de précautions quant à la qualité du médicament, les notices originales et celle incombant en plus à l'importateur ont été édictées.

5.2.2. D'autres mesures de « libéralisation » du médicament

D'autres mesures, dont l'autorisation de vente par internet, ont été prises dans le cadre de la loi du 14 novembre 2003 de modernisation de l'assurance maladie légale. On peut simplement les citer pour donner la dimension de la motivation financière et expliquer ainsi la rigueur, pour ne pas dire la brutalité, (internet par exemple) de certaines dispositions : participation financière accrue des patients aux dépenses de médicaments, transformation du mode de rémunération des pharmaciens, augmentation (de 6 % à 16 %°) du rabais obligatoire donné par les firmes pharmaceutiques aux caisses d'assurance-maladie, ponction fiscale spécifique, mise en place de « prix de référence » pour les médicaments brevetés.

Par ailleurs, le recours aux médicaments génériques, comme c'est maintenant le cas en France, est fortement encouragé par un intéressement direct des pharmaciens. Enfin, d'autres mesures ont été prises en matière de modulation des prix et/ou des taux de remboursement. Ces mesures s'inscrivent dans une logique de régulation financière du système d'assurance maladie, mais elles sont très loin de ce qui se passe depuis peu avec Internet.

5.2.3. La vente par internet elle-même

L'offensive du Néerlandais DocMorris (cf. supra) sur l'Allemagne a commencé en janvier 2000 en proposant sur son site basé aux Pays-Bas, en allemand notamment, de vendre des médicaments par Internet en toute illégalité. Les pharmaciens allemands ont riposté en poursuivant cette société néerlandaise (cf. supra). Bien avant que l'arrêt de la CJCE saisie par question préjudicielle par le tribunal allemand compétent soit rendu, les caisses d'assurance-maladie ont invité leurs assujettis à commander leurs médicaments par Internet (en toute illégalité donc) et en assortissant cette incitation d'avantages financiers.

Les organisations professionnelles de pharmaciens allemands ont créé en 2001 leur propre site internet de commande qui permettait de commander à l'avance des médicaments qu'il fallait ensuite retirer physiquement dans la pharmacie la plus proche du patient.

* Avant même que la procédure européenne et nationale de l'affaire DocMorris ait été achevée, le gouvernement fédéral allemand a reconnu (art. 23 de la loi du 14 novembre 2003 précitée) aux pharmaciens le droit de vendre par Internet tous les médicaments . Ainsi, la distinction entre les diffirents types de médicaments n'apparaît même pas dans la nouvelle législation allemande : les médicaments sur prescription médicale exclusive et les médicaments n'exigeant pas de prescription, peuvent être désormais vendus par internet.

Il est à noter que, dans ce cas, cela ne paraît pas, aux yeux des commentateurs, contraire à l'arrêt DocMorris puisque si le texte de cette décision « permet aux Etats-membres d'édicter une interdiction de vente par correspondance des médicaments nécessitant une prescription médicale, elle ne les oblige cependant pas à le faire » (J. Peigné op.cit. page 385).

Il se révèle ainsi clairement que cette décision a pour effet de permettre un affranchissement maximal des règles de santé publique dont la sphère réservée est pourtant garantie par les traités (art. 28 et 30 CE), mais qu'elle ne saurait rien imposer pour pérenniser ces règles, même lorsqu'elle en accepte l'existence et souligne leur bien-fondé.

Bien entendu, des mesures prévoyant un « système d'assurance qualité » ont été prévues, sur la base de nouveaux articles introduits dans la loi sur les pharmacies d'officine (Apotekengesetz) ...

Brèche supplémentaire dans l'exercice personnel de la pharmacie, mais contrepartie sans doute destinée à rassurer certains praticiens, la loi du 14 novembre 2003 permet désormais de détenir plus d'une officine : une principale et trois filiales. Mais il apparaîtrait que certains voulaient aller plus loin encore, en demandant la possibilité de constituer des chaînes. Il y a là sans doute un cousinage d'inspiration avec les propositions du rapport Camdessus (cf. supra).

D'après des informations très récentes (Deutsches Ärzteblatt du 19 novembre 2004), la distribution de médicaments par Internet a été très limitée jusqu'à présent (40 millions d'euros). Néanmoins, on peut sans difficulté imaginer ce qui est prévisible. La survenance de quelques problèmes qui prendront d'autant plus d'importance que le flux se développera. Dès 2002, M. Eberhard Sinner, ministre de la santé de Bavière avait déjà signalé l'accroissement du nombre de contrefaçons, en particulier celles touchant des médicaments vendus par Internet. La caisse d'assurance-maladie de Berlin aurait enregistré de son côté d'importantes fraudes sur des médicaments génériques. Cette déréglementation pour ne pas dire cette « déconstruction » des mécanismes de santé publique et de sécurité sanitaire entraîne inévitablement le développement de pratiques illégales, voire criminelles, lorsque les contrefaçons de différents types se répandent, à l'instar de ce que l'on enregistre depuis longtemps déjà dans des pays en voie de développement ou aux Etats-Unis par exemple où Internet constitue un sérieux facteur aggravant.

5.3. Contrefaçons et faux médicaments

* Le constat de l'OMS

Le rappel de la définition que donne l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) du médicament contrefait permet, avant même de préciser l'ampleur du problème, de pointer toutes les facettes de ce phénomène criminel qui a déjà une extension considérable et qui se développe dans des zones géographiques jusque là indemnes :

« Définition de l'OMS du médicament contrefait

Produit présenté de façon délibérément frauduleuse quant à sa source et/ou son identité. Les contrefaçons peuvent concerner aussi bien les médicaments de marque que les génériques. Ils concernent :

- des produits contenant des composant corrects

- ceux contenant des composants incorrects

- ceux sans principes actifs

- ceux contenant des quantités incorrectes de principes actifs

- ceux présentant un conditionnement imité ».

L'OMS recense depuis 1982 les contrefaçons de médicaments mais souligne elle-même l'extrême difficulté de valider et de classer les différents produits et filières d'une manière homogène. Il n'en reste pas moins que certains ordres de grandeur peuvent être retenus. 70 % des cas rapportés concernaient les pays en développement ; moins de 30 % de ces produits provenaient des pays développés ; les pays ayant rapporté des cas représentaient moins de 15 % des membres de l'OMS. Dans le domaine des contrefaçons, mais en fait principalement des faux médicaments, l'Afrique est la plus exposée avec par exemple un taux de 70 % pour les anti-paludéens dans sept pays d'Afrique subsaharienne dont le Cameroun, par exemple. Des pourcentages de l'ordre de 12 % sont couramment avancés pour la Russie, la Chine, 16 % au Vietnam et 8,5 % en Thaïlande.

Sur le plan économique mondial, le préjudice est évalué à 35 milliards de dollars américains, en progression de 50 % depuis 1998. 40 ( * ) Les quelques statistiques qui peuvent être mises en perspective montrent une forte accélération du phénomène au cours des dernières années.

* La situation dans plusieurs pays :

En Afrique

Dans le cas des anti-paludéens contrefaits relevé plus haut (six pays d'Afrique subsaharienne), des analyses de comprimés de chloroquine ont montré que seuls 58 %, de ces produits avaient une teneur acceptable en principe actif et que moins de 25 % donnait des résultats acceptables lors des tests de dissolution. D'après les scientifiques qui ont réalisé ces analyses, la mauvaise qualité de ces comprimés pourrait être l'une des causes des taux élevés de résistance à la chloroquine dans ces pays (cité par M. Philippe Duneton lors du colloque du 3 novembre 2004).

La FDA a confirmé récemment en février 2004 un pourcentage de 50 % de contrefaçons pour les anti-paludéens en Afrique. En Guinée, le président de l'Ordre des pharmaciens (M. Fodé Fofana), réunissant des résultats de thèses de doctorat sur les médicaments proposés sur les marchés de Conakry a relevé un taux de non-conformité de 60 % (soit 83 médicaments) ; 23 % ne comportaient aucune substance active. De nombreuses classes thérapeutiques étaient concernées : antibiotiques, anti-inflammatoires, antiseptiques, antihistaminiques, antitussifs, antiparasitaires et diurétiques.

Le cas du Liban

La situation du Liban relève du cas d'école. Dans un pays où la distribution et la dispensation du médicament étaient organisées sur des bases convenables et efficaces, un changement brutal de législation en mai 2002 autorise la pratique d'escomptes (de ristournes) sur le prix des médicaments ; selon le président de l'Ordre des pharmaciens libanais (M. Ziad Nassour), le but déclaré était de faire baisser le prix des médicaments, mais surtout de créer une diversion au moment de l'entrée en vigueur de la loi relative à la TVA.

Selon M. Nassour, « l'incitation à la consommation a finalement fait exploser la contrebande et l'irruption des contrefaçons » 41 ( * ) ; avec un médicament authentique acheté 80 livres contre un faux ou une contrefaçon achetée 15 livres, les pharmaciens honnêtes ont été rapidement mis dans une situation intenable et des faillites s'en sont suivies. Quant à l'objectif de baisse des prix, l'augmentation de la consommation et les effets désastreux en terme de santé publique permettent de le remettre en perspective, notamment pour ceux qui, en Europe, semblent décidés à orienter les décisions dans ce domaine exclusivement en fonction de cet objectif.

Les États-Unis

-- A partir d'une situation déjà différente de celle que l'on connaît dans la plupart des pays d'Europe occidentale, les Etats-Unis ont enregistré depuis quelques années une dégradation sensible de la sécurité des médicaments dispensés au public. M. Yves Juillet (Les entreprises du médicament) a fait part des informations suivantes lors du colloque précité :

« Les Etats-Unis ont vu doubler les déclarations de cas de fraude entre 2003 et 2004. Il s'agit de produits chers à forte valeur ajoutée (hormones, EPO, anticancéreux), le phénomène est aggravé par la couverture médicale incomplète. 40 millions d'Américains n'ont pas de protection sociale. Et contrairement à la France, le circuit de distribution des médicaments est perméable, les pharmaciens peuvent acheter à qui se prétend distributeur sans vérification ».

De son côté, la FDA dans son rapport publié en 2004 (« Combattre la contrefaçon des médicaments ») signale l'augmentation depuis 2001 des enquêtes sur des médicaments contrefaits ».

-- La distribution par Internet n'est pas la seule en cause dans cette évolution inquiétante, mais elle joue un rôle considérable d'après les Américains.

L'indication qu'en donne M. Eric Fouassier dans son article précité (Bulletin de l'Ordre des pharmaciens n° 382 mars 2004 page 112) mérite d'être citée par « l'ambiance » qu'elle évoque sur la base de réalités avérées :

« Cette prise de conscience d'un danger potentiel pour la santé publique s'est fait sentir même aux Etats-Unis. Dans un contexte de liberté créatrice proche de l'anarchie, des garde-fous se sont mis peu à peu en place pour canaliser des initiatives parfois fort éloignées de l'éthique médicale. La Food and Drug Administration (FDA) s'est attachée à traquer les sites sauvages qui présentaient des allégations mensongères concernant la présence de personnel médical et le contrôle des ordonnances par un pharmacien, ou bien qui livraient des produits prohibés. Des dizaines de pharmacies en ligne ont fait l'objet d'enquêtes pour vente de médicaments de prescription sans ordonnance et vente de produits non autorisés ou illégaux 42 ( * ) . Au début de l'été 2000, ces investigations avaient conduit à la condamnation de 22  personnes et à l'arrestation de 43 autres. L'Etat du Michigan avait purement et simplement interdit la vente de médicaments sur Internet et menacé de poursuites judiciaires les pharmacies en ligne ne respectant pas cette interdiction. L'attorney general de cet Etat avait également assorti sa décision de commentaires peu amènes sur les sociétés de vente de médicaments par e-mail : « C'est un énorme problème. Si maintenant on peut donner des médicaments à n'importe qui et sans ordonnance, autant mettre ces médicaments sur les étagères d'une épicerie 43 ( * ) ».

-- Le rapport du GAO de juin 2004 (n° 04-820)

En juin 2004, le General Accouting Office des Etats-Unis (équivalent de la Cour des Comptes) a rendu un rapport (au Président de la sous-commission permanente des enquêtes de la commission des affaires gouvernementales du Sénat) sur les « pharmacies sur internet ». La synthèse de ce rapport, publiée dans le bulletin « GAO Highlights » est tout à fait conforme à la forte inquiétude que tous les observateurs ont précédemment ressentie.

En voici quelques extraits :

« Les constatations du GAO

Le GAO a pu se procurer, sans aucune prescription, la plupart des médicaments délivrés sur ordonnance qu'il recherchait, auprès de divers sites de pharmacies en ligne. Le GAO a ainsi obtenu 68 échantillons de onze médicaments différents -chacun auprès d'une pharmacie en ligne différente aux États-Unis, au Canada et dans d'autres pays étrangers parmi lesquels l'Argentine, le Costa Rica, les Fidji, l'Inde, le Mexique, le Pakistan, les Philippines, l'Espagne, la Thaïlande et la Turquie. Cinq des pharmacies américaines et la totalité des 18 pharmacies canadiennes, dont le GAO a reçu des échantillons, ont réclamé que le patient présente une ordonnance, tandis que les 24 pharmacies américaines restantes et la totalité des 21 pharmacies étrangères hors Canada ont délivré une ordonnance sur la base de leur propre questionnaire médical, voire n'en ont exigé aucune. Parmi les médicaments que le GAO a obtenus sans prescription figuraient des substances soumises à des restrictions spéciales et des antalgiques à effet narcotique, entraînant une forte accoutumance.

Le GAO a répertorié divers problèmes concernant la manutention, l'autorisation de mise sur le marché de la FDA et l'authenticité des 21 échantillons adressés par les cyberpharmacies étrangères hors Canada. Des problèmes, moins nombreux, ont été constatés parmi les pharmacies du Canada et des États-Unis. Aucune des pharmacies étrangères hors Canada n'exige un étiquetage pharmaceutique fournissant des instructions d'utilisation, peu formulent des mises en garde, et 13 posent des problèmes concernant la manutention des substances. Ainsi, trois échantillons de médicament, qui auraient dû être expédiés en atmosphère thermocontrôlée, sont parvenus dans une simple enveloppe non isolée. Des tests de fabricants ont révélé que la plupart de ces échantillons ne bénéficiaient pas d'autorisation pour le marché des États-Unis ; toutefois, les fabricants ont constaté que la composition chimique de tous ces produits était comparable à celle du produit commandé par le GAO, sauf pour quatre d'entre eux. Quatre échantillons, en effet, se sont révélés être des produits de contrefaçon ou d'une composition ne pouvant être comparée au produit commandé. Comme pour les échantillons reçus des autres pharmacies étrangères, les fabricants ont établi que les échantillons provenant des officines canadiennes étaient, pour la plupart, non autorisés sur le marché des États-Unis, mais qu'en revanche, la composition chimique de tous les échantillons de cette provenance était à chaque fois comparable au produit commandé par le GAO.

(...)

De même, nous avons constaté que certains échantillons avaient été expédiés à partir d'adresses sujettes à caution, notamment à partir de domiciles privés. Nous avons également constaté que certaines cyberpharmacies dissimulent l'information sur le médicament vendu, notamment des pharmacies étrangères hors Canada auprès desquelles nous avions commandé un médicament de marque, mais dont nous avons reçu tantôt le générique, tantôt la version locale. Enfin, il est apparu que 21 pour cent des pharmacies nous ayant fait parvenir des échantillons étaient sous le coup d'une enquête de la DEA ou de la FDA. Ces enquêtes ont été déclenchées parce que les pharmacies concernées étaient soupçonnées de vendre des médicaments frelatés, d'utiliser des désignations commerciales frauduleuses, de pratiquer la contrefaçon, ou encore de vendre des médicaments, normalement délivrés sur prescription, en l'absence de toute relation patient-médecin valable. Neuf de ces pharmacies étaient originaires des États-Unis, une du Canada et cinq d'autres pays étrangers.

Nous avons soumis un projet du présent rapport à la FDA, laquelle s'est montrée en général d'accord avec nos résultats et nos conclusions. Nous avons également soumis un projet du présent rapport à la DEA aux fins d'un examen technique, et celle-ci nous a informés qu'elle n'avait aucun commentaire à formuler.

(...)

Remarques de conclusion

Les consommateurs peuvent obtenir directement par Internet des médicaments, normalement délivrés sur prescription, sans présenter d'ordonnance - en particulier en passant par certaines cyberpharmacies aux États-Unis et des pharmacies étrangères hors Canada. Les médicaments ainsi proposés incluent des substances qui imposent au patient une surveillance en raison de leurs effets secondaires, ou bien qui l'expose à un risque de toxicomanie. S'agissant des médicaments de ce type en particulier, la prescription et la surveillance médicale peuvent contribuer à garantir la sécurité du patient. Outre l'absence de prescription obligatoire, certaines cyberpharmacies peuvent exposer les consommateurs à d'autres risques. Ainsi, notre étude a montré que de nombreuses pharmacies étrangères hors Canada délivrent des médicaments sans fournir d'instructions pour leur utilisation au patient, que les mises en garde sont peu fréquentes et que quatre d'entre elles ont expédié des médicaments, qui n'étaient pas les produits authentiques que nous avions commandés.

On remarquera que nous avons identifié des problèmes somme toute nombreux, en dépit du nombre limité de substances achetées, des problèmes qui correspondent à ceux signalés récemment par les autorités de régulation fédérales et locales ».

En Grande-Bretagne

Depuis 1994, la Grande-Bretagne n'avait pas été confrontée à l'irruption de médicaments contrefaits dans la chaîne pharmaceutique (deux occurrences relevées cette année-là). En août et septembre 2004, deux cas ont été signalés sur deux médicaments différents, l'un d'entre eux ayant été remarqué par le grossiste de lui-même à partir du repérage d'un numéro de lot inhabituel.

Au sujet de ces événements, l'Ordre des pharmaciens français a fait le commentaire suivant (26 novembre 2004) :

« La majeure partie des médicaments contrefaits se retrouvent sur les sites Internet de vente de médicaments. En effet, la chaîne pharmaceutique britannique est très contrôlée et l'apparition de médicaments contrefaits dans la chaîne pharmaceutique britannique est relativement rare (il s'agit du deuxième cas en dix ans). Le potentiel de risque de survenue de contrefaçon dans la chaîne est faible ; la seule faille connue, d'après les experts, est l'importation parallèle de médicaments en provenance d'autres Etats membres de l'Union européenne. Toutefois, les médicaments provenant d'importations parallèles doivent avoir une licence et être clairement identifiés.

Par ailleurs, la majeure partie des Britanniques continue d'acheter ses médicaments à l'officine, suite à la prescription d'un médecin. Les médicaments peuvent ensuite être remboursés par l'assurance maladie (le NHS).

Pour ce qui est des médicaments de « société », les patients ont beaucoup plus tendance à s'auto-médiquer et à rechercher des prix plus intéressants (y compris sur Internet). Or, le Cialis R comme le Réductil R sont tous les deux des médicaments dits de société (ou « life style drugs » en anglais). Ce type de médicaments est donc sujet à de plus nombreuses contrefaçons.

En conclusion, ces deux cas mettent en avant un développement inquiétant de la contrefaçon en Europe ».

On peut rappeler que la distinction que l'arrêt DocMorris de la CJCE s'est crue autorisée à faire entre les médicaments soumis à prescription et ceux qui ne le sont pas montre clairement les risques immédiats que la distribution par internet fait courir.

En France

En France, quelques affaires de contrefaçons de médicaments ou de produits proches ont été trouvées en dehors du circuit pharmaceutique. Les principales affaires de contrefaçons de médicaments ont été signalées par les douanes (Viagra en transit) ou par l'AFSSAPS et la DGCCRF (lentilles optiques). Cela ne veut pas dire que de nombreux sites Internet basés à l'étranger et souvent non identifiables quant à leur localisation et leur nature réelle ne proposent pas ouvertement en France des médicaments. Les assurances que l'on pense avoir avec le remboursement par l'assurance-maladie sont réelles et sans doute pérennes ; en ce qui concerne les produits non remboursables, c'est autre chose. Dans son article précité, M. Eric Fouassier (page 117) indique ainsi (mars 2004) :

« Il existe déjà sur Internet des centaines de sites où l'on peut se procurer des substances de toutes sortes : de l'ecstasy, des psychotropes, des hormones de croissance ou d'autres produits classés sur la liste I des substances vénéneuses. A Montpellier, le 23 mars 1999, huit cents médecins et pharmaciens ont été entendus à titre de témoins dans le cadre d'une information judiciaire sur la vente, via Internet, de médicaments interdits. Selon la plainte du Conseil de l'Ordre des médecins des Pyrénées orientales, ces médicaments censés favoriser l'amaigrissement auraient été vendus par une société installée à Barcelone à des praticiens, dont au moins trois cents exerçaient dans les Pyrénées orientales, l'Aveyron et l'Hérault. La société espagnole approvisionnait les médecins et les pharmaciens grâce à une entreprise installée à Montpellier ».

Pour ceux qui en auraient douté, il y a donc en France, comme ailleurs, et malgré les dispositions légales organisant la dispensation du médicament, des médecins et pharmaciens qui n'hésitent pas à se lancer dans des pratiques frauduleuses et vraisemblablement dangereuses. Il n'y a aucune raison objective à remettre en cause l'organisation actuelle. Les responsables de tous ordres doivent être au contraire vigilants pour ne donner aucune chance à de douteuses entreprises cybernétiques où la sécurité sanitaire et la santé publique ont tout à perdre ; il s'agit là de grands risques humains et financiers pour la collectivité comme pour les personnes.

RESUME DE LA TROISIEME PARTIE

* Une structure aux missions étendues

Succédant à l'Agence du médicament, l'AFSSAPS a recueilli, par la loi de 1998, un ensemble de compétences beaucoup plus large que cette dernière (extension aux dispositifs médicaux, cosmétiques notamment). Des moyens importants ont été consacrés à la mise en place de la nouvelle structure. Il est à noter qu'au financement budgétaire s'ajoute celui des redevances acquittées par les industriels ; cette dernière ressource ne saurait se substituer à la première car l'Etat a le devoir d'assumer ses responsabilités, en particulier à hauteur de toutes les fonctions de contrôle et d'inspection.

* Une montée en puissance difficile

Malgré les moyens importants dont elle a bénéficié, l'Agence a connu un démarrage lent et laborieux, tout en continuant à assurer d'une manière satisfaisante, le fonctionnement des procédures d'AMM (autorisation de mise sur le marché) tant nationales qu'européennes qui constituent son « coeur de métier ».

Les insuffisances s'expliquent par l'héritage souvent désordonné de l'Agence du médicament avec de sérieuses conséquences sur l'informatique, donc sur les bases de données, essentielles dans ce domaine (information du corps médical, fichier d'experts) avec une gestion interne insuffisante qui a perduré ; l'absence de COM (contrat d'objectifs et de moyens) illustre bien ces faiblesses. Au-delà des responsabilités de l'Agence elle-même, des éléments extérieurs ont été à l'origine d'autres difficultés : retards importants dans l'élaboration des textes d'application de la loi de 1998, exercice de la tutelle du ministère de la santé (DGS notamment) mal détaché de l'ancienne architecture administrative.

* Une stabilisation sujette à des remises en cause

Maintenant que la stabilisation paraît enfin acquise, plusieurs facteurs peuvent être identifiés qui risquent de la remettre en cause.

? La croissance des activités due aux circonstances fournit toute une série de facteurs en ce sens :

-- veille sanitaire pour les médicaments avec des signalements multipliés par 3,5 entre 1999 et 2003 et on imagine l'effet des tempêtes des dernières semaines dans ce domaine !

-- veille face aux risques terroristes (plans Biotox et Piratox) ;

-- croissance des besoins dans le domaine des vaccins (libération de lots, contrôle, coopération) ;

-- entrée en vigueur du nouveau régime des essais cliniques.

En outre, dans tous les secteurs la mobilisation due à la dimension européenne est très forte.

? Les modifications institutionnelles touchant le périmètre des compétences constituent la deuxième série de facteurs : création du FOPIM (Fonds de promotion et d'information médicale et médico-économique) en 2001, suivie de la réforme de la commission de la transparence en septembre 2003, et enfin transfert de l'ensemble de cette dernière au sein de la nouvelle HAS (Haute Autorité de Santé) créée par la loi du 13 août 2004, avec suppression corrélative du FOPIM et intégration de l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé).

Une actualité lourde d'interrogations

Au-delà de l'adéquation des mécanismes de la loi de 1998 se pose la question fondamentale que la crise du Vioxx vient d'éclairer d'une manière encore plus crue que les précédentes.

-- La iatrogénie médicamenteuse avait déjà été repérée depuis quelque temps, notamment aux Etats-Unis et dans d'autres pays dont la France.

-- Quelques crises récentes ont soulevé de lourdes interrogations finissant par mettre en cause, au-delà d'un médicament ou d'une classe thérapeutique donnée, les modalités d'expertise et les procédures d'AMM elles-mêmes.

La cérivastatine retirée du marché mondial par Bayer en août 2001 a été la première de ces crises. La mise en cause des THS (traitement hormonal substitutif) a constitué un autre type de crise où le facteur de la demande sociale joue un rôle important, les produits étant toujours sur le marché alors que les suspicions de danger substantiel se confirment encore tout récemment.

Le retrait du Vioxx du 30 septembre 2004 dans des conditions qui rappellent celles de la cérivastatine, constitue un véritable séisme dans le secteur de l'industrie pharmaceutique et même de l'ensemble du monde médical y compris les experts et les agences du médicament.

Des doutes sérieux sur les bénéfices additionnels (moindres effets indésirables) par rapport aux anti-inflammatoires préexistants étaient déjà largement répandus. La révélation de risques accrus d'accidents cardiovasculaires notamment, a entraîné le producteur, Merck, à retirer brutalement le Vioxx du marché. Les doutes se sont rapidement répandus sur la date à laquelle ces certitudes avaient été acquises et sur une éventuelle dissimulation par l'industriel. Plusieurs études, dont l'une réalisée en Suisse et publiée début novembre 2004, ont confirmé la disponibilité ancienne de ces informations. L'AFSSAPS avait demandé à l'Agence européenne (EAMA) une réévaluation de cette classe thérapeutique (les coxibs) qui n'a pas été réalisée, semble-t-il, dans les conditions souhaitées. Cependant, tout en renforçant ses réserves, elle avait elle-même maintenu le Vioxx et les autres coxibs sur le marché, comme toutes les agences, y compris la FDA.

Les conditions de marketing dans lesquelles le Vioxx a été lancé (prix d'appel très bas en milieu hospitalier et demande de prix public remboursable excessivement élevé) ont contribué à ternir l'image des industriels.

Devant les mises en cause pour le moins justifiées que cette crise entraîne, les firmes pharmaceutiques au niveau mondial viennent de s'engager (6 janvier 1995) enfin à faire connaître les résultats de tous les essais cliniques qu'elles réalisent. Il revient aux agences (AFSSAPS et EAMA notamment) et à l'Etat de s'assurer de la pérennité de ces engagements.

Ces événements appellent le renforcement substantiel des mécanismes de sécurité, notamment en matière de pharmacovigilance. Ils exigent aussi que l'expertise soit radicalement revisitée, même si une partie des réponses se trouve au niveau mondial, d'autant que certains problèmes rencontrés avec le médicament apparaissent, avec d'autres spécificités, dans d'autres domaines : alimentaire (toxicologie), produits chimiques ...

Pour que le « vivier » d'experts soit partout suffisant en quantité et en qualité, des efforts en terme de moyens et de rémunérations s'imposent ; ils sont la condition de leur indépendance, évidemment essentielle à leur mission.

Le statut de l'expertise au sens professionnel, intellectuel et social doit lui aussi être substantiellement réévalué, notamment dans le milieu universitaire.

Au total, les incertitudes du fonctionnement actuel de l'expertise scientifique justifient l'ouverture d'une large réflexion en vue de la création d'une Haute Autorité de l'Expertise Scientifique pour assurer une indépendance réelle de l'expertise.

Les risques émergents

-- Dans le cadre européen, un risque nouveau doit être envisagé ; c'est celui de la concurrence entre agences des Etats-membres : les critères de souplesse et de rapidité paraissent pour le moins antinomiques avec la sécurité et la validité dans une procédure d'AMM. Par le jeu de la procédure de reconnaissance mutuelle, il y a là des risques non négligeables d'affaiblissement de la sécurité, en particulier dans une Europe à 25.

L'homogénéité de la qualité des mécanismes d'inspection entre Etats-membres soulève des inquiétudes qui ont déjà été relevées à différents niveaux. La « nouvelle approche » de certification européenne pour les dispositifs médicaux peut susciter elle aussi des interrogations justifiées.

-- La banalisation du médicament constitue un risque particulièrement grave qui s'inscrit à contre-courant du mouvement de renforcement de la sécurité sanitaire. La France bénéficie d'un système de distribution et de dispensation du médicament qui est un des meilleurs du monde, mais différentes initiatives en Europe et dans le monde fournissent des exemples particulièrement inquiétants avec la vente de médicaments par internet.

Le cas des Etats-Unis, où les conditions de distribution du médicament n'étaient déjà pas satisfaisantes, ce qui explique sans doute la iatrogénie qu'on y relève, a amené les autorités américaines à s'inquiéter officiellement des conséquences de la vente par internet : une investigation du GAO (General Accountant Office, équivalent de la Cour des Comptes) réalisée en juin 2004 les précise clairement..

Le cas de l'Allemagne se révèle encore plus inquiétant du fait bien sûr du voisinage et de l'appartenance à l'Union européenne. Jusqu'à la fin de l'année 2003, le système de dispensation du médicament y était proche du système français et ne posait guère de problème de sécurité. Souhaitant sans doute anticiper une décision de la CJCE (Cour de justice des Communautés européennes, Doc Morris - 11 décembre 2003), mais surtout « faire des économies » sur le médicament pour réduire le déficit de l'assurance-maladie, le gouvernement allemand a fait adopter un mois plus tôt dans une loi, la possibilité d'acheter par internet tous les médicaments, y compris ceux soumis à prescription obligatoire. Il allait ainsi très au-delà de ce que la CJCE a autorisé. Les conséquences néfastes d'une déréglementation qui permet la vente par correspondance, et même y incite (par le biais des caisses d'assurance maladie) commencent à se faire sentir. L'encouragement fatal de la contrefaçon et des faux médicaments se vérifie.

Toutes les mesures de précaution élaborées par la loi pour éviter débordements de consommation, non respect des contre-indications, effets croisées de différents médicaments, substitution de personnes sont ainsi balayées. On peut se demander si la recherche d'une sécurité sanitaire des produits de santé a encore un sens dans un tel paysage.

* 40 Données communiquées par M. Pierre Delval, cabinet du ministre de l'économie et des finances au colloque sur les contrefaçons du médicament organisé le 3 novembre 2004 par l'Ordre national des pharmaciens ; la plupart des éléments chiffrés dont il est fait état ici ont été communiquées par les divers intervenants lors de ce colloque.

* 41 Cité par le Figaro le 5 novembre 2004.

* 42 F. Klein, « @-Santé aux Etats-Unis : le cyber Far West », ACIP Magazine, n° 205-206, p. 12.

* 43 L. Silbert, « L'Etat du Michigan donne un coup d'arrêt à la vente de médicaments sur Internet », Le Quotidien du pharmacien, n° 1856, 24 janvier 2000, page 12.

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