QUATRIÈME PARTIE :
UNE CLARIFICATION NÉCESSAIRE

I. UNE COMPLEXITÉ CROISSANTE

La loi du 1 er juillet 1998 a eu pour objectif de renforcer la sécurité sanitaire en créant un ensemble efficace et cohérent. L'architecture administrative n'est pas une fin en soi, mais l'éparpillement, les conflits de compétences, la complexité sans justification restent à éviter. Les bases essentielles d'un nouveau dispositif d'ensemble ont donc été posées et celui-ci a commencé à fonctionner dans des conditions indiscutablement satisfaisantes, notamment par rapport au passé. Il reste que la simplification est insuffisante et que des ajouts ultérieurs ont très rapidement apporté des éléments de complication supplémentaires.

1.1. Une simplification incomplète

Dans l'analyse de la situation de départ, la multiplication des structures avait été clairement notée comme l'un des nombreux facteurs de dysfonctionnement de la sécurité sanitaire (cf. supra 1 ère partie). M. Claude Huriet déclarait par exemple lors de la présentation de son rapport sur la proposition de loi à l'automne 1997 : « Il faut mettre un terme à la dispersion des moyens, cesser de confier à de multiples organismes le soin d'accomplir des tâches souvent identiques, nécessitant de recourir à des procédures complexes ».

La création de l'AFSSA, de l'AFSSAPS et de l'InVS a indiscutablement contribué à se rapprocher de cet objectif, mais partiellement. La direction retenue est la bonne, mais la complexité demeurait excessive dès le départ. Le législateur de 1998 n'avait d'ailleurs pas ignoré cet état de fait puisqu'il avait prévu par l'article 3 de la loi : « Dans un délai d'un an suivant la promulgation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport ayant pour objet de proposer la restructuration des organismes de droit public propre à éviter une confusion des missions et la dispersion des moyens de veille sanitaire ». Cette disposition à la fois révélatrice et lucide n'a pas été appliquée. On peut le regretter d'autant plus qu'un tel rapport aurait permis d'éviter des décisions intervenues ultérieurement et ont compliqué encore davantage certaines situations. La loi du 9 mai 2001 a elle-même contribué directement à cette évolution. Sans entrer dans le détail de ces situations qui a été abordé les trois précédentes parties du rapport, on peut rappeler l'exemple que donnait précisément M. François Autain, Sénateur, un an après la mise en application de la loi de 1998 lors de la journée d'audition de la commission des affaires sociales du Sénat le 25 mai 2000 (rapport précité page 34) :

« Je me suis amusé à relever le nombre d'instances d'expertise qui existaient dans votre domaine, Monsieur Hirsch, et j'en ai dénombré dix :

- le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique,

- la Commission d'Etude des Produits destinés à une Alimentation Particulière

- la Commission Interministérielle et Professionnelle de l'Alimentation Animale,

- la Commission de Technologie Alimentaire,

- le Centre National d'Etudes et de Recommandations sur la Nutrition et l'Alimentation,

- l'Observatoire des Consommations Alimentaires,

- le Visa Préalable de Publicité

- l'Académie de Médecine,

- le Conseil National de l'Alimentation,

- le Conseil National de la Consommation ».

La tendance bien « hexagonale » à maintenir des commissions techniques et échelons spécifiques trouve ici une illustration éclatante alors que l'on souhaite pourtant réellement procéder à une réforme d'ensemble. Des progrès indiscutables ont été réalisés dans le secteur des produits de santé où le mouvement de regroupement a été réel ; il n'en reste pas moins qu'ici aussi, des articulations discutables ont coexisté, voire ont été accrues.

Une remarque s'impose au passage : il ne s'agit pas d'unifier d'une manière artificielle la structure des agences sur un modèle unique ; chaque sphère a sa propre logique avec des principes et des mécanismes qui peuvent, voire doivent, être différents ; mais il s'agit d'éviter que des « strates » de créations administratives antérieures ou latérales puissent perdurer, entamant ainsi l'efficacité de ces mécanismes.


• L'équilibre de l'architecture retenue en 1998 peut aussi être mis en cause par l'insuffisance de l'application de la loi elle-même. Cette faiblesse est illustrée par les produits phytosanitaires qui sont clairement dans la compétence de l'AFSSA (art. L. 1323-1 du CSP), mais pour lesquels la configuration administrative antérieure a été maintenue, la loi étant simplement « négligée » sur ce point.

* Les organismes consultatifs et autres

Anciens ou récents, les organes consultatifs dans la sphère de la santé publique et de la sécurité sanitaire ont, par leur nombre et l'enchevêtrement des compétences, contribué eux aussi à rendre encore plus complexe un paysage institutionnel qui l'était déjà passablement. Le champ de la santé n'est pas le seul à connaître ce foisonnement d'organes, mais c'est un de ceux où ce phénomène est le plus marqué alors que précisément les nombreuses réformes législatives et auraient du permettre une rationalisation minimale.

-- Parmi les organes « classiques » se trouve en premier lieu le Conseil Supérieur d'hygiène public de France (CSHPF) . Créé en 1902 (cf. supra 1 ère partie), il a le profil habituel de « conseil supérieur », mais il est resté compétent après 1998 pour émettre des avis ou recommandations et éventuellement réaliser des missions d'expertises spécialement de précision, d'évaluation et de gestion des risques pour la santé de l'homme. Ses membres sont répartis en quatre sections : prophylaxie des maladies transmissibles, eaux, risques de l'environnement sur la santé, alimentation et nutrition. Son secrétariat est assuré par la DGS, ce qui n'est pas sans signification compte tenu de la communauté de compétences évidente avec l'InVS, l'AFSSE, l'AFSSA et d'autres organismes. Ce qui était logique dans une structure ministérielle classique ne l'est plus du tout avec le nouvel ordonnancement institutionnel. Les positions qu'il est amené à prendre pour certaines d'entre elles ont un caractère quasi décisionnaire. La loi de santé publique a logiquement supprimé le CSHPF en transférant l'essentiel de ses compétences au nouveau Haut Conseil de la santé publique, quelques difficultés subsistant encore cependant.

-- Le Haut Comité de la santé publique institué par le décret du 3 décembre 1991 avait pour mission de contribuer à la définition des objectifs de la santé publique, de promouvoir la prévention et de développer l'observation de l'état de la population. La loi du 4 mars 2002 (relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé) l'a remplacé par le Haut Conseil de la santé chargé de contribuer à la définition des priorités pluriannuelles de santé publique ; il formule toute recommandation en vue d'améliorer les politiques de santé et évalue dans un rapport annuel leur application.

Par la loi du 9 août 2004, ce Haut Conseil de la santé devient, par fusion avec le CSHPF, le (nouveau) Haut Conseil de santé publique (cf. infra).

-- On ne s'attardera pas sur de nombreux autres organes à caractère consultatif, notamment ceux dont les compétences s'exercent plutôt sous l'angle de l'assurance maladie (conférence nationale de la santé), qui étaient antérieurs à la réforme de la loi sur l'assurance maladie du 13 août 2004.

-- Deux organismes enfin méritent d'être cités pour leur rôle opérationnel apprécié, mais dont le positionnement montre les difficultés d'ordonnancement du paysage institutionnel. Il s'agit de l'INPES et de la Commission de sécurité des consommateurs.


• L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) a succédé en 2002 (loi du 4 mars) au Comité français d'éducation pour la santé. C'est un établissement public placé sous la tutelle du ministre de la Santé ; il est chargé d'une « fonction d'expertise et de conseil en matière de prévention et de promotion de la santé » et d'une mission de « développement de l'éducation pour la santé » (art. L.1417-4, CSP).

En outre, il oeuvre directement pour le développement de l'éducation pour la santé, notamment dans le milieu scolaire. Son effectif s'élève à 110 personnes, majoritairement des cadres. On a là l'exemple d'un organisme de caractère mixte de par ses fonctions dont certaines se trouvent nécessairement dans un domaine commun avec les administrations ministérielles et l'AFSSA.


• La Commission de sécurité des consommateurs créée par la loi du 21 juillet 1983 contribue dans un domaine tout à fait différent à appréhender des risques très variés. Avec des moyens limités malgré un bon fonctionnement, elle ne peut couvrir l'ensemble des risques qui relèvent théoriquement de sa sphère. On a là une illustration des « zones blanches » que le dispositif institutionnel laisse malgré son foisonnement.

1.2. Une complexité ajoutée

La loi du 9 mai 2001 créant l'AFSSE et l'IRSN devait compléter et simplifier l'architecture de l'ensemble du dispositif de sécurité sanitaire. Elle a plutôt apporté des éléments de complexité supplémentaires.


• Ainsi l'AFSSE est compétente pour l'évaluation des risques des produits biocides, mais l'InVS l'est aussi ainsi que la DGCCRF sous certains rapports ; cette nouvelle agence (l'AFSSE) peut également donner un avis pour ce qui concerne l'impact des produits phytosanitaires sur l'environnement. Elle a d'ailleurs été saisie en mars 2004, parallèlement à l'AFSSA, sur les troubles enregistrés chez les abeilles (cf. supra partie AFSSA). Dans un autre domaine, celui de l'eau de boisson, l'AFSSA est compétente, mais l'AFSSE et, jusqu'à la loi du 9 août 2004 (santé publique), le Conseil supérieur d'hygiène public de France conservait un droit de regard.

Le problème d'ensemble du positionnement de l'AFSSE fait l'objet d'une analyse et de propositions à la fin de la présente partie. Notons ici simplement que la recherche de cohérence et d'efficacité a été perdue de vue avec la création d'une agence aux compétences potentielles très larges et aux moyens des plus réduits, sans rapport avec les objectifs fixés. D'autre part, ses compétences comportent de nombreux interfaces non rationalisées avec la plupart des organismes préexistants. Là encore, le législateur avait prévu (art. 4) dans les deux ans de l'entrée en vigueur un « rapport sur la rationalisation du système d'expertise dans son domaine de compétence » ; était-ce une preuve de lucidité, de candeur ou l'aveu d'un échec programmé issu d'un compromis boiteux ?


• Dans le secteur des médicaments et plus spécialement de l'information thérapeutique à destination des médecins, la création du FOPIM s'est faite en 2001 dans le cadre d'une loi de financement de la sécurité sociale. Ici aussi l'examen de cet épisode (cf. supra partie AFSSAPS) donne l'impression que l'échec était programmé pour de multiples raisons et que cette création non intégrée dans le dispositif de la loi de 1998 était de toute façon un élément de perturbation. Dans ce même secteur précisément, la création de l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) en 1996 constituait déjà un précédent certes intéressant, mais dont l'intégration n'allait pas de soi. La loi du 13 août 2004 en a prévu la disparition au sein de la HAS (Haute Autorité de Santé). La clarification ne paraît pas évidente : le mélange des genres risque d'être pérennisé, voire aggravé.

Dans le domaine des organes consultatifs, on a observé que la loi du 4 mars 2002 avait transformé le Haut comité de la santé publique en un Haut conseil de la santé.

Au-delà de ces éléments de complexité qui ont été maintenus, voire aggravés, il apparaît que des efforts pour maîtriser cette complexité ont été engagés, notamment à la suite de ce que la crise de la canicule 2003 a révélé, mais que cela ne paraît pour autant susceptible de résoudre toutes les difficultés, anciennes qui perdurent ou nouvelles.

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