E. UNE LACUNE À COMBLER ET DES FAIBLESSES À REDRESSER

Au-delà des aménagements des procédures ou des pratiques que le comportement des différents acteurs a révélé nécessaires, le volume des saisines, l'exercice de l'auto-saisine ou la communication de l'Agence notamment, il est des secteurs dans lesquels on a à faire à des problèmes d'une autre ampleur.

Dans un cas, il s'agit d'une véritable lacune : les produits phytosanitaires ; dans d'autres, il s'agit plutôt de faiblesses. En témoignent avec les difficultés que pose le système complexe du traitement des dossiers d'OGM par de trop nombreux intervenants ; c'est aussi le problème posé par les allégations santé.

1. Le cas des produits phytosanitaires

La loi du 1 er juillet 1998, par l'art. L 1323-1 du code de la santé publique a clairement défini la compétence de l'AFSSA dans sa mission fondamentale « d'assurer la sécurité sanitaire dans le domaine de l'alimentation depuis la production des matières premières jusqu'à la distribution et au consommateur final ». Le texte précise ensuite :

« Elle évalue les risques sanitaires et nutritionnels que peuvent présenter les aliments destinés à l'homme ou aux animaux, y compris ceux pouvant provenir des eaux destinées à la consommation humaine, des procédés et conditions de production, transformation, conservation, transport, stockage et distribution des denrées alimentaires, ainsi que des maladies ou infections animales, de l'utilisation des denrées destinées à l'alimentation animale, des produits phytosanitaires, des médicaments vétérinaires, notamment les préparations extemporanées et les aliments médicamenteux, des produits antiparasitaires à usage agricole et assimilés, des matières fertilisantes et supports de culture, ainsi que des conditionnements et matériaux destinés à se trouver en contact avec les produits susmentionnés. De même, elle participe à la mission de défense nationale dans le domaine alimentaire ».

La lettre et l'esprit de la loi sont clairement exprimés ; les auteurs de la proposition de loi sénatoriale (MM. Charles Descours et Claude Huriet), et les différents intervenants au débat parlementaire ont toujours envisagé que ce domaine essentiel que sont les produits phytosanitaires, les produits antiparasitaires à usage agricole et assimilés, soient à l'intérieur du périmètre de la loi et de la responsabilité de l'Agence.

La réalité est éloignée de cette architecture générale voulue par le législateur. Il y a là une faiblesse majeure dans la mise en oeuvre de la loi, d'autant qu'il s'agit d'un sujet particulièrement transversal et que la participation des acteurs autres que le ministère de l'agriculture n'est pas mieux assurée que celle de l'AFSSA.

Des précisions en forme de rappel sont ici nécessaires, la subtilité des questions scientifiques s'ajoutant à la complexité de l'ordonnancement administratif et à l'opacité du fonctionnement de l'ensemble. Il convient donc de décrire le dispositif actuellement en fonction.

Les instances d'expertise intervenant pour l'évaluation des risques relèvent du ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Malgré la réforme que comporte la loi de 1998 (cf. texte supra), l'essentiel n'a pas changé, c'est-à-dire que la commission d'étude de la toxicité des produits phyto-sanitaires reste sous la tutelle du ministère de l'agriculture : il n'y a donc pas là séparation entre l'évaluation et la gestion du risque.

Cette commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés (Comtox) est chargée de l'évaluation des risques pour la santé et l'environnement liés aux intrants en agriculture (produits phytopharmaceutiques - encore appelés pesticides - mais aussi matières fertilisantes soumises à autorisation). Elle comprend 35 experts et s'appuie sur son réseau de 50 experts associés ; des améliorations dans le sens d'une indépendance plus tangible ont été apportées avec l'exclusion des représentants des professionnels, des associations de consommateurs et de protection de l'environnement d'une part, et l'introduction d'un appel public à candidatures pour les experts d'autre part.

Le comité d'homologation, pour les mêmes produits, est compétent pour l'autorisation de mise sur le marché.

La Comtox s'appuie sur le travail d'une structure scientifique et technique (SSM) créée conjointement par l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique) et le ministère de l'agriculture. La première partie de l'évaluation porte sur les préparations commerciales contenant une ou plusieurs substances actives.

Cette structure scientifique mixte, est le résultat d'une demande de l'Union européenne dans le cadre de la directive 91/414. Cette création a permis de faire passer de 3 à 15 le nombre de personnes en charge de cette phase d'évaluation, lors de la mise en place en 1997. C'est d'autant plus appréciable que la Comtox elle-même a en charge l'examen de 1200 dossiers par an environ, ce qui, même si l'on tient compte des « produits bis » ne manque pas d'étonner des scientifiques chargés de tâches d'évaluation des risques dans d'autres domaines.

La révision des produits phytosanitaires dans le cadre de la directive 91/414 constitue une tâche importante pour la SSM et donc pour la Comtox ; la structure compétente de l'Etat-membre pour un dossier communique son évaluation à l'Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA) qui fait circuler la proposition de décision parmi les structures des Etats-membres n'ayant pas participé à l'évaluation, puis vers la D.G. Sanco (direction générale santé des consommateurs) avant la prise de décision par les représentants des Etats-membres au sein du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la sécurité animale (section produits phytopharmaceutiques).

Les exigences au niveau européen contribuent ainsi à cet accroissement de la charge de travail et dans des conditions peu satisfaisantes puisqu'on tente d'imposer une accélération des procédures. Ainsi, une première liste de 100 produits à réviser a été examinée en 5 ans et l'on se propose d'en faire autant dans un laps de temps plus court. Pour les nouvelles demandes, on se propose de passer de 3 mois à 1 mois. L'exigence n'est plus au niveau de la qualité de la décision, mais de la rapidité d'examen.

Le travail de cette structure scientifique mixte et de la commission d'étude de la toxicité n'est pas contestable ; en revanche, les conditions dans lesquelles s'établit le chaînage entre les expertises et les décisions, ainsi que leur suivi recèlent de graves difficultés dont les développements les plus récents ont pris le tour de mise en accusation de tout un système.

La mise en cause des deux produits phytosanitaires que sont, sous leur nom commercial le Gaucho (principe actif : imidaclopride) et le Régent (principe actif : fipronil), dans les troubles qu'enregistrent les apiculteurs dans leur essaims d'abeilles illustre d'une manière spectaculaire la consistance du problème. Sans traiter au fond une question qui relève de l'expertise scientifique, force est de constater les faiblesses, les insuffisances, et pour tout dire certains dysfonctionnements dont le refus de communication de documents. Dans son livre intitulé « Quand les abeilles meurent, les jours de l'homme sont comptés » paru en février 2003, le député Philippe de Villiers, décrit le développement de ce que l'on peut appeler au moins une série de graves dysfonctionnements qu'il qualifie de « scandale d'Etat ». Sans entrer dans le détail d'un enchaînement précis de faits et de pratiques en effet insolites dans des procédures de ce type, qui ont notamment amené des juges à exiger la communication de dossiers d'expertise dont le ministère de l'agriculture refusait la communication, on peut rappeler quelques faits dans une brève chronologie.

Dès décembre 1997, un rapport concernant le Gaucho présenté à la Commission d'étude de la toxicité s'inquiétait des imprécisions fournies par le producteur Bayer, et d'une durée de persistance du produit dans le sol totalement hors des normes européennes.

En janvier 1999, le ministre de l'agriculture retire provisoirement l'homologation du Gaucho pour le tournesol. Le Conseil d'Etat confirme cette décision en décembre 1999 en rejetant le pourvoi de Bayer (producteur du Gaucho). En octobre 2002, sur la requête d'un syndicat d'apiculteurs (d'avril 2001), le Conseil d'Etat annule la décision par laquelle le ministre de l'agriculture a refusé d'interdire le Gaucho pour le maïs et enjoint au ministre de réexaminer sa position dans un délai de trois mois. Le ministère en fait autorise le 21 janvier 2003 de nouvelles expérimentations dans un communiqué de presse que le Conseil d'Etat analysera comme un refus d'abroger l'AMM pour le Gaucho maïs. En effet, le 31 mars 2004, est rendu un arrêt qui annule ce refus (pour le maïs) dans des termes qui caractérisent bien l'acharnement de l'administration et du ministre, y compris après un premier arrêté.

Extrait de l'arrêt du Conseil d'Etat (séance du 17 mars, lecture du 31 mars 2004)

« Considérant que, par une décision en date du 9 octobre 2002, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé le refus du ministre de l'agriculture d'abroger l'autorisation de mise sur le marché du produit dénommé « gaucho » pour les semences de maïs, délivrée pour dix ans le 6 février 1992 et renouvelée pour la même durée le 21 janvier 2002 ; qu'à la suite de cette décision, le ministre de l'agriculture a publié le 21 janvier 2003 un communiqué de presse qui doit s'interpréter comme maintenant son refus d'abroger l'autorisation de mise sur le marché du gaucho pour les semences de maïs, conformément aux avis émis le 18 décembre 2002 et le 20 décembre 2002, respectivement par la commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et par le comité d'homologation de ces produits (...).

« Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'appréciation à laquelle se sont livrés la commission d'étude de la toxicité et le comité d'homologation et sur la base de laquelle le ministre a pris sa décision sont fondées sur une méthode d'évaluation du risque qui n'est pas conforme à celle qu'exige l'arrêté interministériel précité du 6 septembre 1994 ; que par ailleurs le ministre ne fait pas état de ce que l'autorisation qu'il a refusé de retirer aurait été elle-même fondée sur la méthode légalement exigée ; que par suite la décision attaquée est entachée d'erreur de droit et doit être annulée ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

« Considérant que la présente décision a nécessairement pour conséquence d'obliger le ministre à statuer à nouveau sur la demande d'abrogation présentée par les organisations requérantes ; que, compte tenu de l'état d'avancement des expertises et notamment du rapport de synthèse établi par le « Comité scientifique et technique de l'étude multifactorielle des troubles des abeilles » au mois de novembre 2003 et produit à l'instance par les requérants, cette décision devra intervenir dans le délai de deux mois ;

(...)

Décide

Article 2 : La décision du ministre de l'agriculture en date du 21 janvier 2003 refusant d'abroger l'autorisation de mise sur le marché du produit dénommé « gaucho » pour les utilisations relatives au maïs est annulée.

Les conditions de l'évaluation à laquelle ont procédé la commission d'étude de la toxicité et le comité d'homologation sont donc très directement mises en cause par l'arrêt ; l'analyse du texte des « considérants » entre dans le détail des critiques méthodologiques et juridiques que les travaux de ces instances et la procédure suivie par le ministre appellent.

La citation des expertises et du rapport de synthèse établi par le « comité scientifique et technique de l'étude multifactorielle sur les troubles des abeilles », montre comment le ministère face à des difficultés et des oppositions qu'il a largement sous-estimées a tenté de résoudre les problèmes par la création de ce comité ad hoc en 2000, à côté des structures existantes. Ce comité a remis son rapport final au ministre en septembre 2003 et il a notamment signalé les risques constatés par l'enrobage « Gaucho » tant pour les semences de maïs que celles de tournesol.

Sur ce sujet, les travaux des laboratoires du CNRS, de l'INRA et de l'AFSSA dont les résultats, déjà diffusés dans le public, avaient servi d'élément d'appréciation dans la première décision d'interdiction du Gaucho sur le maïs le 23 octobre 2002 et ils établissaient clairement la nocivité des deux produits (Gaucho et Régent) pour les abeilles. Il est donc d'autant plus étonnant que soit intervenu en janvier 2002 le renouvellement pour 10 ans de l'homologation du Gaucho, alors même que la procédure d'annulation devant le Conseil d'Etat était en cours ; l'enquête pénale déjà ouverte sur ce produit a d'ailleurs été étendue à ces faits.

L'atmosphère particulièrement lourde dans laquelle ces affaires se sont développées mérite d'être relevée et notamment les comportements de l'administration en cause, le ministère de l'agriculture et plus spécialement la direction générale de l'alimentation. Une proportion importante des chercheurs travaillant sur ces problèmes ont rencontré des difficultés ou ont été l'objet de pressions. Des rapports d'expérimentations des dossiers d'instruction de demandes d'homologation n'ont pu être connus qu'après réquisition des deux juges en charge des enquêtes pénales, particulièrement pour le Régent.

Parallèlement au problème du Gaucho, celui du fipronil, principe actif du Régent, a en outre illustré les dysfonctionnements des procédures au sein de la direction générale de l'alimentation, la faiblesse de la coopération avec les autres entités administratives dans un domaine où elle devrait s'imposer et sur un sujet qui a fini, au-delà des abeilles, par soulever le problème de la dangerosité pour l'homme.

Le Régent TS a bénéficié d'une autorisation provisoire de vente du 1 er décembre 1995 valable quatre ans et renouvelable une fois pour deux ans. Une « autorisation provisoire de vente » a été accordée le 11 mars 2003, à la société Cropscience, bien après l'expiration de celle de 1995 (quatre ans) et selon une procédure qui ne paraît pas conforme à celle qui est applicable à ce produit, compte tenu de certaines de ses caractéristiques. Il a en effet à la même date été classé « T + très toxique », alors qu'il était jusque-là classé comme « nocif ». L'arrêté qui devait être pris pour en encadrer l'usage n'a pas été pris.

Le rapport d'expertise judiciaire de décembre 2003 confirme le lien entre la mortalité des abeilles et les risques qui restent à préciser pour l'homme. C'est à la suite de ces développements qu'intervient le 23 février 2004 la suspension de la vente des insecticides à base de fipronil, au premier rang desquels le Régent TS (de BASF) par le ministre de l'agriculture. Cette suspension est décidée jusqu'à l'achèvement de la procédure communautaire d'évaluation prévue au plus tard le 31 décembre 2005. Toutefois un délai a été accordé pour les stocks de semences enrobées pour les semis de printemps 2004 (environ 95 % des besoins).

Parallèlement, les directions générales des trois ministères de tutelle de l'AFSSA ; DGAL, DGCCRF et DGS ainsi que deux directions du ministère de l'écologie et du développement durable sont amenées à saisir l'AFSSA et l'AFSSE « des risques pour la santé humaine liés au fipronil ». L'explicitation de la saisine rappelle comment, après qu'il ait été autorisé, le fipronil est en quelque sorte « mis en examen » dans le cadre d'une évaluation pour l'AESA, pleinement compétente au niveau communautaire pour ce type de produits, et par les expertises rendues tout récemment dans le cadre de l'ordonnance judiciaire sur le problème des abeilles (Pr Arnold et Narbonne) :

« La Commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires et assimilés (Comtox), instance compétente au niveau national en matière d'évaluation de la toxicité des pesticides, s'était prononcée sur les préparations à base de fipronil. Dans le cadre de la directive 91/414/CEE du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et du règlement (CE) n° 451/2000 de la Commission du 28 février 2000 établissant des modalités de mise en oeuvre du programme de travail visé par la directive, elle a poursuivi ses investigations en vue de la transmission à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) du projet de rapport d'évaluation de cette substance active pour laquelle la France est l'Etat membre rapporteur. Ce projet contient une recommandation visant à la non inscription du Fipronil à l'annexe I de la directive 91/414/CEE, pour des raisons liées à des risques pour l'environnement, et ce, en l'attente d'un débat contradictoire avec le pétitionnaire et les Etats membres.

Parallèlement, un rapport récent d'expert sollicité par ordonnance judiciaire pose de nouvelles interrogations sur les risques pour la santé. Il fait état dans sa conclusion « d'effets possibles sur l'homme à court terme par inhalation et à long terme par ingestion (dépassements possible de la dose journalière admissible) ». ces éléments, portés à la connaissance des pouvoirs publics, ne recouvrent pas les conclusions élaborées par la Comtox. Ces incertitudes scientifiques actuelles doivent être levées pour des impératifs de santé publique et il convient de s'intéresser à l'ensemble des usages possibles du fipronil ».

Concernant l'imidaclopride (substance de base du Gaucho), une « procédure contradictoire » auprès de Bayer Cropscience et des utilisateurs concernés a été engagée en même temps par le ministre de l'agriculture (l'arrêt du Conseil d'Etat sur le Gaucho interviendra cinq semaines plus tard).

Les freins, les dissimulations et les opérations de diversion n'auront donc pas réussi à empêcher que les problèmes graves que recelaient ces deux dossiers soient enfin traités plus normalement. Il a fallu, en ce qui concerne le Gaucho, deux annulations successives par le Conseil d'Etat, et de l'ouverture d'enquêtes judiciaires pour apporter une lumière crue sur des mécanismes administratifs qui ont d'évidence besoin d'être réformés. Cette réforme indispensable permettrait que la loi du 1 er juillet 1998 soit enfin appliquée dans le domaine des produits phytosanitaires, en liaison avec celle du 9 mai 2001 pour ce qui concerne l'AFSSE. La saisine commune du 27 février 2004 sur le fipronil cité ci-dessus indique en quelque sorte le chemin.

Au-delà de l'illustration factuelle que constituent les affaires du Gaucho et du Régent, il convient de signaler que les entités que sont l'AFSSA et la DGCCRF ne peuvent, dans la situation actuelle non réformée, jouer le rôle nécessaire qui leur revient. En outre, dans le secteur agricole, à l'extérieur de la DGAL, des remarques critiques se sont aussi fait entendre. Ainsi le service central des enquêtes du ministère de l'agriculture s'est étonné de la non publication d'une étude consacrée à l'utilisation des pesticides sur le blé et le maïs en 2001.

L'organisation actuelle est marquée par de graves faiblesses :

-- La compétence restreinte de la DGCCRF ne lui permet pas, par exemple, d'effectuer des contrôles sur les produits d'origine animale en ce qui concerne une éventuelle teneur en pesticide.

-- La compétence de l'AFSSA dans ce domaine des produits phytosanitaires est également très restreinte, résiduelle si l'on ose dire, car c'est précisément par la mise en cause de résidus de ces produits dans les aliments qu'elle peut être amené à en connaître. Elle participe également à l'instruction des projets de textes européens et a, de ce fait, à connaître des dispositions existantes et envisagées.

Sur le plan de l'expertise, les laboratoires ne peuvent pas coopérer comme le fonctionnement normal des différentes unités scientifiques et administratives l'exigerait. Ces difficultés ont trouvé une illustration exemplaire avec la situation dans laquelle s'est trouvé le laboratoire de l'AFSSA de Sophia Antipolis, spécialisé notamment sur les abeilles et qui est bien sûr sollicité dans les problèmes soulevés par le Gaucho et le Régent.

En effet, les scientifiques ne sont que très partiellement associés à l'élaboration des protocoles et en aucun cas à la synthèse des résultats obtenus auprès des différents intervenants ; ils n'ont pas, de ce fait, accès à l'ensemble des informations.

Lorsqu'une mesure de retrait de plusieurs lots de semences traitées avec du fipronil a été prise en septembre 2003 par le ministère de l'agriculture, probablement en s'appuyant sur des travaux auxquels l'Agence a contribué, les résultats de ces études ne lui ont pas été transmis, ni en sa qualité de laboratoire, ni d'évaluateur des risques.

Des améliorations en cours ?

En matière de sécurité sanitaire, la grave lacune observée dans le domaine des produits phytosanitaires a fait l'objet depuis plusieurs mois d'un constat de plus en plus partagé. Depuis les événements du printemps 2004, ce constat fait l'unanimité des acteurs administratifs.

Ainsi, après une série de rapports sur la présence de résidus de pesticides dans les milieux avec lesquels l'homme est en contact, il a été décidé le 27 novembre 2003, par les quatre ministres concernés (écologie, santé, agriculture, commerce et consommation) de mettre en place un « observatoire des résidus de pesticides », concrétisant ainsi un projet préparé depuis deux ans.

La mission première confiée à cet observatoire est :

-- de rassembler, en vue de leur valorisation, les informations et résultats des contrôles et mesures de résidus de pesticides dans les différents milieux et produits consommés par l'homme ;

-- d'estimer les niveaux d'exposition des populations ;

-- d'identifier les actions de progrès pouvant être mises en place sur les systèmes d'informations et notamment la nature et le format des données collectées.

L'observatoire des pesticides est une structure mise en place sous la forme d'un comité de pilotage constitué des administrations concernées (DGS, DGAL, DE, DGCCRF). Il associera l'AFSSE, l'AFSSA et l'IFEN de même que les autres instituts et agences publics concernés en tant que de besoin.

Dans ce cadre, en vue d'alimenter les travaux de l'observatoire, il a été demandé d'engager un travail préparatoire à l'évaluation de l'exposition des personnes. Dans un premier temps, les travaux permettront :

-- d'analyser les conditions nécessaires (cohérence des plans d'échantillonnage, types de mesures et leur validité, format des données, mode de stockage, possibilité de centralisation ...) pour que les différentes bases de données identifiées puissent être combinées pour produire des indicateurs d'exposition globale intégrant les différentes sources et voies d'exposition.

-- de proposer les indicateurs utiles à la caractérisation de l'exposition (milieux ambiants et milieu professionnel) de la population et à sa surveillance ainsi que les données utiles à leur construction.

-- de faire des propositions pour homogénéiser les données disponibles et le cas échéant les corriger.

-- d'identifier les pistes d'amélioration des systèmes d'information existants.

A partir de ces données de base, une première évaluation de l'exposition des populations devrait être réalisée pour la fin du premier semestre 2004.

Les pratiques administratives, le contrôle sur le terrain notamment, connaissent depuis 1999 et la loi d'orientation agricole, une évolution positive. Les découvertes récentes et nombreuses d'importations frauduleuses de produits interdits en attestent. Cela dit, ces découvertes ont quelquefois un caractère « providentiel » qui d'une certaine manière montre que l'administration avait connaissance de certaines pratiques. Or, les risques dans ce domaine augmentent extrêmement vite actuellement.

A cet égard, le recul opéré sur le contrôle des pulvérisateurs est parlant. Ce contrôle devait être mis en place en 2002 ; l'entrée en vigueur effective de ce dispositif comparable au contrôle technique des automobiles a été reportée et n'a toujours pas eu lieu. Cette mesure permettrait pourtant d'éliminer les matériels vétustes et inadaptés. Les premiers bénéficiaires en seraient évidemment les agriculteurs à un moment où les risques qui pèsent sur eux sont de plus en plus souvent soulignés.

Ce recul regrettable pourrait amener à conclure que si les risques pour les agriculteurs, l'environnement, les habitants et les consommateurs se révélaient être d'une gravité réelle, on serait amené à changer d'organisation.

L'examen du dispositif global actuel de traitement des récoltes et du contrôle des résidus montre des faiblesses à plusieurs niveaux (évaluation des LMR, bonnes pratiques agricoles, sécurité des applicateurs, volume des contrôles, risque environnementaux ...).

Pour combler les lacunes, des efforts considérables mettant en jeu des intérêts divergents vont être nécessaires.

La même remarque vaut pour l'ensemble de la question posée par les produits phytosanitaires. Les améliorations qui viennent d'être évoquées sont réelles, mais insuffisantes à elles seules pour redresser la situation. Et la création d'une nouvelle agence ne peut être une solution alors même qu'elle a été évoquée par le ministère de l'agriculture.

Une agence pour la santé des végétaux

Dans un développement chronologique qui ne semble rien devoir au hasard, M. Hervé Gaymard, ministre de l'Agriculture avait annoncé devant le congrès de la FNSEA le 1 er avril 2004 qu'il souhaitait « mettre en place rapidement une agence pour la santé des végétaux qui réunisse des scientifiques de divers horizons. Je pense en particulier à des spécialistes de la santé publique, à des agronomes, à des experts de la sélection végétale. Nous nous donnerons ainsi les moyens d'orienter de façon cohérente et pérenne notre agriculture vers des pratiques à la fois plus respectueuses de notre environnement et économiquement performantes ».

Intervenant le lendemain de l'arrêt du Conseil d'Etat annulant la décision du ministre autorisant le Gaucho, cinq semaines après l'inévitable décision de suspension du fipronil, cette proposition inattendue a-t-elle pour objet de répondre aux critiques ou de créer une instance qui permette d'éviter l'application de la loi de 1998 dans ce domaine en s'assurant ainsi que l'AFSSA, notamment, n'aura pas à connaître du fond des questions posées. Joker ou opération de diversion, l'Agence pour la santé des végétaux semblerait procéder du réflexe : un problème - une agence. Avec le même raisonnement, les produits de contact alimentaire auraient pu faire l'objet d'une agence à eux seuls, compte tenu des développements complexes que connaît ce secteur. Sauf à ignorer l'esprit et la lettre de la loi du 1 er juillet 1998, une telle création ne paraît ni cohérente, ni viable.

Cette idée n'ayant pas été développée depuis, et le poste ministériel ayant changé de titulaire, on peut estimer que cette proposition n'est sans doute plus d'actualité.

En revanche, une réelle coopération entre administrations concernées avec une mutualisation des expertises, des contrôles et des recherches constituerait certainement la base d'une réforme qui permettrait de conduire à son terme de la loi de 1998. Le fonctionnement d'une unité comme la SSM illustre la possibilité d'une expertise sans doute améliorable, mais tangible et digne de ce nom. D'ailleurs, le détail de la saisine de l'AFSSA et de l'AFSSE par les directions des quatre ministères (cf. supra) du 27 février 2004, illustre tout à fait la faisabilité d'une organisation et d'une démarche d'expertise dans le cadre d'une interministérialité inévitable ; la formule expérimentale ainsi choisie préfigure ce que pourrait être une architecture pérennisée :

« Aussi, nous vous demandons de bien vouloir constituer un panel d'experts commun, qui sera composé de membres émanant tant du comité d'experts spécialisés « Résidus et contaminants chimiques et physiques » de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments que du comité d'experts spécialisés « Evaluation des risques liés aux substances chimiques » de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, ceci permettant d'associer, en toute impartialité, des personnalités scientifiques qualifiées particulièrement concernées par l'évaluation demandée.

Nous vous précisons, par ailleurs, que l'ensemble des pièces du dossier dont nous disposons, vous seront transmises notamment par le président de la Commission d'étude de la toxicité, M. Daniel Marzin, et par M. Thierry Mercier, Directeur de la SSM (INRA de Versailles), chargé du secrétariat scientifique de la Commission d'étude de la toxicité, afin que les personnalités qualifiées qui seront conduites à se prononcer, dans le cadre de cette expertise collective, puissent le faire en disposant de tous les éléments en notre possession ».

L'évaluation des produits phytosanitaires serait la tâche d'un comité d'experts commun à l'AFSSA et l'AFSSE, la structure scientifique mixte continuant à jouer dans ce cadre son rôle essentiel gardant son lien avec l'INRA, mais évidemment pas avec la DGAL ; cette dernière pourrait garder une simple représentation au sein du comité d'homologation pour l'évaluation de l'efficacité des produits. Ce dernier, s'il était maintenu, devrait avoir un positionnement très différent, satisfaisant quant à la transparence.

Après l'expertise, la décision doit intervenir dans les conditions claires et tenir compte du retour d'expérience qui doit lui-même être loyalement partagé entre les différentes entités concernées, contrairement à ce qui s'est passé encore récemment.

Le périmètre de compétences de l'AFSSA n'a donc pas à être modifié : en revanche les dispositions réglementaires devraient être prises afin que la lettre et l'esprit de la loi soient respectés pour l'ensemble des produits phytosanitaires ; il convient de préciser en outre que le respect de cette compétence de l'AFSSA sur la filière végétale implique le transfert de la Comtox à l'Agence.

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