B. DES RISQUES DE CORRUPTION QU'ATTÉNUENT DE TIMIDES ESPOIRS DE RÈGLEMENT DU CONFLIT

Ce contexte troublé est un terreau propice au développement de la corruption, déjà considérée comme un des maux endémiques de l'Indonésie (ce qui a contribué à la chute de la présidente Megawati), qui figurait jusqu'à ces derniers jours sur la liste des pays non coopératifs du GAFI. L'armée, depuis longtemps très influente au sein du gouvernement et dont au moins la moitié des ressources sont d'origine extra-budgétaire, se heurte aujourd'hui à une tentative de reprise en main de la part des nouvelles autorités civiles de Jakarta, qui espèrent une solution pacifique au conflit. Le président SBY, dont la réputation d'honnêteté a favorisé l'élection, s'est en outre donné pour priorité de mettre fin à la corruption qui sévit dans l'archipel, et en particulier au sein de l'armée.

La TNI conserve toutefois une ample marge de manoeuvre à Aceh , où elle est accusée de prévarication 8 ( * ) et inspire une certaine crainte de la population. On estime généralement que cette impunité et cette volonté de « revanche » sont notamment liées à la perte par TNI de « sa » province du Timor oriental en 1999, dont elle ne s'est jamais vraiment remise. L'armée n'a dès lors pas l'intention de « perdre » Aceh et cherche à réduire le GAM et ses sympathisants à néant. Plus de 200 exécutions sommaires ont ainsi été relevées au cours du mois de janvier. L'autorité de l'armée demeure toutefois relativement fractionnée, et l'armée de l'air et la marine sont moins parties prenantes que l'armée de terre.

Après le tsunami, le GAM a décrété un cessez-le-feu et une relative détente s'est instaurée, en dépit des exactions de la TNI. De nouvelles négociations entre le gouvernement et les indépendantistes ont eu lieu à Helsinki le 30 janvier , contrevenant à la volonté de contrôle de l'armée sur la province. Les contacts se sont déroulés au plus haut niveau, ce qui témoigne d'une attitude nouvelle : le président SBY a envoyé le ministre de la justice comme « principal négociateur » (et non un haut fonctionnaire comme lors des accords avortés de décembre 2002), accompagné de l'amiral Widodo Adisucipto, ministre coordonnateur des affaires socio-politiques et de la sécurité (ancien poste de SBY) et principale figure du gouvernement.

L'amorce de ce nouveau cycle de négociations vise à atteindre un compromis délicat reposant sur les termes suivants : rendre effectif le statut officiel de large autonomie de la province, désarmer le GAM pour en faire un parti politique, assurer le retrait de la TNI, qui serait remplacée par une police obéissant à un gouvernement local élu. La province resterait indonésienne, le gouvernement de Jakarta gardant ses prérogatives en matière de politique étrangère, de défense et de politique fiscale. Les appréciations divergent sur les premiers résultats de la réunion d'Helsinki : ont ainsi été décidés un cessez-le-feu durant la période de reconstruction et une nouvelle rencontre pour aborder la question politique, mais il est permis de se demander ce qui peut réellement faire l'objet d'une négociation, tant les positions paraissent opposées. L'éventuelle pérennisation du processus de règlement exclurait vraisemblablement toute entremise étrangère émanant d'organisations internationales ou de « pays amis » tels que le Japon et la Lybie qui ont, à des degrés divers, proposé leurs bons offices au cours des dernières années.

Les dissensions potentielles entre le gouvernement civil et la TNI, l'imbrication des enjeux d'un conflit dans une catastrophe humanitaire et le fléau de la corruption ne sont pas de nature à rassurer l'organisation des secours ni à garantir leur efficacité . L'arrivée de milliers d'étrangers, membres d'ONG ou des forces armées d'autres pays, a créé une ouverture de fait de la province et a donc pu apparaître comme une menace pour l'armée indonésienne qui y avait ses « habitudes » et une conception ferme du règlement de la question du GAM. La catastrophe peut néanmoins tout aussi bien être perçue par certains comme une opportunité sans précédent, à la faveur de l'agitation ambiante, d'éliminer définitivement les rebelles du GAM. En outre, la plupart des organisations humanitaires ne disposent pas de bureau local de représentation et doivent donc s'en remettre à des partenaires privés ou para-publics, avec le risque que ces derniers n'alimentent les trafics et prébendes de toutes sortes.

En tout état de cause, la prudence prévaut clairement parmi les acteurs humanitaires, qui entendent respecter la volonté des autorités locales et ne pas s'immiscer dans les considérations de politique intérieure . Mais il s'agit également d'assurer la traçabilité de l'assistance humanitaire, en particulier des apports de marchandises, et d'éviter les détournements relevés par le passé dans des situations où les composantes que sont la pauvreté, la présence d'un conflit armé et un drame humain étaient malheureusement souvent associées.

Vos rapporteurs spéciaux n'ont pas eu connaissance de vastes manoeuvres de corruption et de « péage » , qui seraient notamment liées à l'agrément des ONG ou au transport du fret. Mais il est établi que la réception de marchandises par la TNI, plutôt que par les autorités civiles, a pu donner lieu dans certains cas à des « prélèvements », qui ont ensuite fait l'objet de reventes sur les marchés locaux (vêtements, lait ou sucre). Un atelier clandestin de fabrication de sacs mortuaires a également été monté. L'armée a annoncé le 27 janvier avoir arrêté un important responsable de la lutte anti-corruption qui travaillait avec le PAM, M. Farid Faqih, qu'elle accuse d'avoir dérobé des camions chargés de fret humanitaire, puis caché ce ravitaillement dans un entrepôt de Banda Aceh. Les proches de M. Faqih considèrent toutefois que ce dernier aurait eu le tort d'accuser le gouvernement de surestimer le nombre de sinistrés. La Nouvelle-Zélande a également annoncé qu'elle allait demander une enquête à l'Indonésie sur des pots-de-vin qui auraient été versés à des militaires indonésiens par des habitants aisés, évacués par des avions néo-zélandais. Que ces faits soient avérés ou que la TNI cherche à s'innocenter, ils témoignent d'une ambiance quelque peu délétère. La clarification de la situation ne peut dans l'immédiat venir des autorités locales, puisque le gouverneur d'Aceh, M. Abdullah Puteh, est détenu depuis plusieurs mois pour des faits présumés de corruption...

* 8 L'île de Sabang, au nord de Banda Aceh, est ainsi un lieu reconnu de contrebande. TNI « protège » également les installations pétrolières du groupe Exxon.

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