C. QUELLE PORTÉE DONNER AU PRINCIPE DU PAYS D'ORIGINE ?

Au-delà du principe lui-même et de ses implications, il convient de s'interroger sur la portée, plus ou moins large que pourrait prendre le PPO, c'est-à-dire les domaines du droit auxquels il devrait s'appliquer (droit pénal, relations contractuelles et extracontractuelles, secteurs harmonisés ou non, etc).

1. La question de l'application de la loi pénale

Dans la mesure où l'application du PPO conduirait à une application simultanée de plusieurs droits nationaux, placés en concurrence, sur un même territoire, il pourrait soulever le problème de l'égalité des citoyens devant la loi, et notamment devant la loi pénale.

Le PPO s'étend en effet à tous les domaines du droit, et en l'absence d'indication contraire, à la loi pénale. Une infraction commise sur le territoire français pourrait donc être sanctionnée différemment, voire ne pas être sanctionnée si cette infraction n'existe pas dans le droit pénal du pays d'origine.

Le fait que le droit pénal ne soit pas explicitement exclu du champ du PPO pose problème quant à la détermination du juge national compétent en matière répressive. Le Conseil d'État estime que si le juge national devait faire application d'une règle pénale de fond (et non de procédure) d'un pays étranger, cela porterait atteinte au principe de légalité des délits et des peines, si cette règle n'était pas reprise en droit national.

Il note également que, pour certaines professions, le législateur a imposé un cadre juridique assurant un contrôle de qualification à l'entrée, des exigences déontologiques et une procédure juridictionnelle de mise en jeu de la responsabilité disciplinaire. L'exercice illégal de ces professions est le plus souvent sanctionné pénalement. L'application du PPO affecterait l'autorité des organisations professionnelles et poserait une difficulté au regard de l'égalité devant la loi des prestataires de service, notamment en matière pénale.

Il estime ainsi que « cette rupture du principe d'égalité devant la loi ne pourrait trouver de justification objective et proportionnée que dans le constat préalable d'une harmonisation suffisante de chacune des législations nationales régissant les activités de service en cause ».

En conclusion, l'application du PPO au domaine pénal doit être absolument exclue. Elle irait en effet à l'encontre de principes fondamentaux à valeur constitutionnelle en France.

2. L'articulation avec les règles du droit international privé

Si le droit pénal doit être clairement exclu, l'application du PPO au droit civil n'est pas sans poser des interrogations.

Le comité de droit civil a en effet rendu un avis mettant en évidence les contradictions entre le PPO, qui a le caractère d'une règle de conflit de lois, et les règles du droit international privé (conventions dites « Rome I » et « Rome II »).

Ainsi, le PPO est en partie contradictoire avec les dispositions la Convention dite « Rome I » relative aux litiges contractuels . Dans cette convention, la loi applicable peut être celle du lieu de résidence habituelle du prestataire de service. Cependant, cette règle s'applique par défaut, dans le cas où le choix des parties ne s'était pas exprimé. Cette règle peut, en outre, être remise en cause par l'identification de liens plus étroits ou par l'application de lois de police.

A titre d'exemple, le document de travail de Mme Gebhardt, rapporteur de la proposition de directive au Parlement européen, note que la convention prévoit l'application du droit du pays dans lequel le travailleur exerce normalement ses activités. Pour le cas où un travailleur n'exercerait pas ses activités régulièrement dans un pays, elle prévoit soit le droit du pays d'établissement soit, à certaines conditions, le principe du pays d'accueil. Cette possibilité tomberait en cas d'application du principe du pays d'origine.

Le PPO est encore plus directement contraire aux dispositions de la Convention dite « Rome II » relative aux relations non contractuelles , qui définit le lieu du dommage comme étant le lieu du droit applicable, sauf cas particulier où le juge a des marges d'appréciation. Avec le principe du pays d'origine, ce n'est plus le lieu du dommage qui détermine le droit applicable, mais le lieu d'établissement du prestataire. Les dispositions plus strictes en matière de responsabilité d'un État membre pourraient ainsi être contournées. Il faut toutefois préciser que la responsabilité non contractuelle du prestataire en cas d'accident fait partie des dérogations permanentes au PPO.

La Commission estime quant à elle que « les règles du droit international privé peuvent aboutir à des restrictions disproportionnées à la liberté de prestation de services » et elle considère que le PPO apporterait plus de sécurité juridique pour les entreprises. Les règles du droit international privé seraient ainsi « mises entre parenthèses » dans le domaine de la circulation des services, ce qui en ferait un secteur très spécifique.

En conclusion, les contradictions entre le PPO et les règles du droit international privé, sans poser les mêmes questions de fond que l'application du droit pénal, sont facteurs d'une vraie insécurité juridique . Une clarification serait au minimum nécessaire, notamment quant à la possibilité de déroger dans le secteur spécifique des services, à des règles de droit international privé auxquelles l'Union européenne a indiqué sa volonté de souscrire (projets de règlement « Rome I » et « Rome II »).

3. L'articulation avec les textes existants

Dans la mesure où la proposition de directive s'ajoute aux directives sectorielles, elle pourrait remettre en cause les dispositions de plusieurs textes communautaires existants, concernant notamment la reconnaissance des qualifications professionnelles et le détachement des travailleurs. D'une manière générale, la question se pose d'une remise en cause, par la directive sur les services, de dispositions communautaires d'harmonisation existantes.

a) La directive relative aux qualifications professionnelles

L'introduction du principe du pays d'origine pourrait s'articuler difficilement avec la proposition de directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles également en cours de discussion.

Cette proposition de directive concerne la quasi-totalité des professions réglementées et notamment les professions de médecin, praticien de l'art dentaire, pharmacien, vétérinaire, architecte, infirmier, sage-femme, ingénieur, comptable, conseil fiscal, kinésithérapeute, radiologue, psychologue, moniteur de sport, guide touristique, géomètre, agent immobilier, électricien et coiffeur.

Selon cette proposition, tout ressortissant communautaire légalement établi dans un État membre pourra fournir des services de façon temporaire et occasionnelle dans un autre État membre sous son titre professionnel d'origine. Cependant, une demande individuelle de reconnaissance devra être introduite auprès de l'autorité compétente de l'État membre d'accueil. Cette demande devra être accompagnée de documents et certificats. Une décision devra être prise dans un délai de trois mois à compter de la réception du dossier complet. Tout refus devra être dûment motivé et pourra faire l'objet d'un recours juridictionnel de droit national.

La proposition de directive prévoit des mécanismes de reconnaissance mutuelle pour certaines professions mais d'autres sont exclues. Ajouter le principe du pays d'origine pourrait conduire à une reconnaissance de fait de qualifications qui précisément ont été exclues du champ de la directive sectorielle, pour des motifs assurément légitimes. Enfin, il faut noter que la proposition de directive sur les qualifications professionnelles n'est pas encore définitivement adoptée.

b) La directive relative au détachement des travailleurs

Les prestations de services transfrontalières sont en pleine explosion. 120.000 salariés ont été concernés en 2003 en France, avec des taux de progression de 50 à 80 % par an depuis quelques années. Ces prestations de services sont de courte durée, en moyenne de dix semaines.

La directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs impose l'égalité de traitement des salariés détachés, et exige du prestataire étranger le respect du salaire minimal légal ou conventionnel du pays de destination. Par ailleurs, il y a une présomption de paiement des cotisations sociales dans le pays d'origine, pour une durée de douze mois, qui peut créer un gain sensible pour l'entreprise étrangère en matière de charges sociales.

Les matières couvertes par la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs sont explicitement exclues du principe du pays d'origine mais une disposition complémentaire pose problème : la suppression de la déclaration préalable au détachement de travailleurs mettrait en cause la capacité de contrôle par le pays d'accueil sur le détachement de travailleurs étrangers.

Il existe aujourd'hui une déclaration préalable, qui n'existerait plus au nom de l'absence de discrimination entre prestataire français et étranger. Il serait également interdit de demander à un prestataire de services d'avoir un représentant sur le territoire d'accueil. D'autres dispositions de la proposition de directive posent problème, par exemple pour les prestations de services de longue durée qui ne sont pas couvertes par la directive sur le détachement des travailleurs et qui seraient régies par le droit international privé, avec les incertitudes précédemment mentionnées. Enfin, la question se pose des exigences posées dans certains pays par les conventions collectives.

Ces dispositions posent des difficultés particulières dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, qui connaît, selon les experts, des fraudes massives et organisées. La confédération européenne du bâtiment (EBC), organisation qui regroupe les artisans et petites et moyennes entreprises de la construction, a ainsi officiellement demandé d'exclure le secteur de la construction du principe du pays d'origine pour des motifs tenant aux intérêts des salariés et des consommateurs, en l'absence d'harmonisation européenne.

Une difficulté spécifique existe enfin concernant le travail temporaire . La France dispose d'une des législations les plus contraignantes. La réglementation du secteur a été négociée en 1990 et ne pose aucune difficulté majeure. La directive concernant le détachement des travailleurs protège les travailleurs temporaires uniquement pour leurs relations de travail, mais il existe aussi beaucoup d'autres dispositions dans la législation française, par exemple l'obligation pour les entreprises de travail temporaire de constituer des garanties financières. Ces dispositions spécifiques seraient remises en cause par l'application du PPO.

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