N° 257

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 mars 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation pour l'Union européenne (1), sur le Livre blanc sur les services d' intérêt général ,

Par Mme Catherine TASCA,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Melot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Pour la première fois dans son histoire, avec la publication du Livre blanc sur les services d'intérêt général, la Commission affirme que les services d'intérêt général sont une composante essentielle du modèle européen de société.

La construction européenne est bien souvent présentée comme une menace pour les services publics, et plus généralement comme une mise en cause des fondements républicains de l'État tel que nous le concevons en France. Cette vision conflictuelle des choses correspond-elle à la réalité d'aujourd'hui ?

Pendant la première période de l'intégration européenne, celle qui va du traité de Rome de 1957 jusqu'au milieu des années 1980, la stratégie d'intégration a consisté à réaliser un marché commun. A l'époque, il était convenu entre les États qui construisaient l'Europe que l'intégration ne concernait ni les prérogatives traditionnelles des autorités publiques, ni les services publics que chaque pays avait mis en place compte tenu de son histoire et de ses institutions propres.

Les choses ont commencé à changer avec les nouvelles étapes de l'intégration qu'ont représenté les objectifs du marché unique, puis de l'union économique et monétaire. A partir du milieu des années 1980, l'intégration européenne a commencé à prendre en compte les réseaux d'infrastructures de transports, de communication et d'énergie, communément rangés en France dans la catégorie des services publics à caractère industriel et commercial.

Dans un contexte marqué par la domination des thèses du libéralisme économique, les politiques européennes ont visé à moderniser ces secteurs clés pour la compétitivité de l'économie européenne : il s'est agi, d'une part, de dépasser les frontières nationales au sein desquelles avaient été jusque là organisés ces services publics, d'autre part, d'inciter à l'efficacité des secteurs souvent protégés par des situations de monopole. Ces objectifs ont convergé dans la définition et la mise en oeuvre de politiques de libéralisation et d'introduction de concurrence secteur par secteur, que favorisaient aussi bien des mutations technologiques rapides que des stratégies industrielles de groupes désirant investir dans les activités les plus rentables.

Il s'est en conséquence développé à la fin des années 1980 et tout au long des années 1990 une opposition entre la France, qui se montrait particulièrement attachée à l'existence des services publics, et la Commission européenne, soutenue par bon nombre des autres États membres.

Aujourd'hui, les positions ont un peu évolué : la France a accepté l'ouverture à la concurrence de ses services publics en réseau, tandis que la Commission a reconnu, dans des communications successives, la légitimité de ce qu'elle qualifie de services d'intérêt général.

Néanmoins, l'appréhension de la spécificité des services publics et de ses conséquences juridiques et financières demeure encore trop floue dans l'Union, et en tous cas très diverse selon les pays.

C'est dans ce contexte, accompagné par l'évolution de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, que vient s'inscrire le récent Livre blanc de la Commission sur les services d'intérêt général. Ce document présente les différents chantiers de la Commission dans ce domaine et pose notamment la question de l'opportunité d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général.

On ne peut évidemment pas faire abstraction, dans l'examen du Livre blanc, de l'arrivée récente dans le débat européen, de la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur.

I. LES FONDEMENTS JURIDIQUES DES SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

A. L'ÉTAT ACTUEL DU DROIT EUROPÉEN

Le droit communautaire initial ignore presque totalement la notion de service public, en tant que telle. La seule mention qui en est faite se trouve dans l'article 73 du traité CE, relatif aux transports : « Sont compatibles avec le présent traité les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public ».

En revanche, le droit communautaire connaît la notion d'entreprise publique ou chargée d'intérêt général, dont il admet la spécificité. L'article 86 du traité CE prévoit que, comme les entreprises privées, les entreprises publiques sont soumises aux règles communautaires de concurrence.

Le premier alinéa de l'article 86 dispose : « Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 12 et 81 à 89 inclus ». Les deux piliers du droit communautaire de la concurrence sont les articles 81 et 82 du traité CE. L'article 81 interdit les ententes, tandis que l'article 82 prohibe les abus de position dominante.

Toutefois, l'alinéa 2 de l'article 86 admet la possibilité d'une dérogation aux règles communautaires de la concurrence : « Les entreprises chargées de la gestion de service d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté ».

Mais cette possibilité de dérogation n'est pas laissée à la libre appréciation des États membres. Elle est encadrée par la Commission sur la base du troisième alinéa de l'article 86 : « La Commission veille à l'application du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres ».

Cet alinéa a servi de fondement aux initiatives prises par la Commission, à partir de la fin des années 1980, pour s'attaquer aux monopoles existant en faveur des opérateurs publics dans un certain nombre de secteurs de services de base. C'est l'un des rares domaines où la Commission possède un pouvoir normatif propre, à la fois d'initiative et de décision : la Cour de justice a ainsi considéré que cet alinéa conférait à la Commission « le pouvoir d'édicter des règles générales précisant les obligations résultant du traité, qui s'imposent aux États membres en ce qui concerne les entreprises visées aux deux paragraphes précédents du même article ».

Quant à lui, le traité d'Amsterdam de 1997 a inséré dans le traité CE un article 16 ainsi rédigé : « Sans préjudice des articles 73, 86 et 87, et eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, la Communauté et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions ».

Il faut noter enfin que certaines directives sectorielles, par exemple la directive du 7 mars 2002, dite service universel relative aux télécommunications, celle du 10 juin 2002 sur le marché intérieur des services postaux et celle du 26 juin 2003 sur le marché intérieur du gaz naturel, abordent déjà le contenu des missions de service public et donnent une assez grande latitude aux États pour l'organisation de ces services.

B. SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL ET SERVICES D'INTÉRÊT ÉCONOMIQUE GÉNÉRAL

Le vocabulaire juridique de l'Union européenne emploie usuellement deux termes distincts qui identifient très précisément son champ de compétences en la matière :

- les services d'intérêt général (SIG), c'est-à-dire toutes les prestations, marchandes ou non, que les pouvoirs publics gouvernementaux ou locaux servent à leurs administrés sous leur contrôle direct ou déléguées à des tiers : entreprises privées, associations, personnes physiques. En l'état actuel des traités, les services d'intérêt général n'ont pas de statut juridique générique dans l'Union ;

- les services d'intérêt économique général (SIEG), marchands, qui font l'objet d'une tarification économique à l'usager, même si les pouvoirs publics peuvent les subventionner en faveur de certains publics ou de certains territoires exposés. C'est ce seul domaine qui est couvert par les bases juridiques communautaires. Il englobe les entreprises publiques de réseaux, les régies publiques locales, les sociétés d'économie mixte et les délégations de service public à des entreprises privées.

L'Union européenne distingue donc deux champs de services publics :

- les services publics non marchands (SIG), pour lesquels elle ne se reconnaît aucune compétence et qu'elle laisse donc à la compétence exclusive des États membres et de leurs pouvoirs locaux ;

- les services publics marchands (SIEG), dont elle affirme la spécificité dans le droit primaire européen en regard notamment des règles de la concurrence et du marché intérieur.

C. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Faute d'une législation européenne propre aux services d'intérêt général et à la suite des mesures autonomes prises par la Commission au début des années 1990 sur le fondement de l'article 86, c'est dans la jurisprudence que l'on trouve des éléments de définition.

Au cours de la période récente, la CJCE a développé une jurisprudence sur les services publics dans un sens qui leur est favorable.

Dans l'arrêt « Corbeau » du 13 mai 1993, qui concerne la Régie des postes belge, la Cour a admis que l'article 90 du traité CE « permet aux États membres de conférer à des entreprises, qu'ils chargent de la gestion des services d'intérêt économique général, des droits exclusifs qui peuvent faire obstacle à l'application des règles du traité sur la concurrence, dans la mesure où des restriction à la concurrence, voire une exclusion de toute concurrence, de la part d'autres opérateurs économiques, sont nécessaires pour l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie aux entreprises titulaires des droits exclusifs ».

Le même arrêt précise, par ailleurs, qu'« autoriser des entrepreneurs particuliers de faire concurrence au titulaire des droits exclusifs dans les secteurs de leur choix correspondant à ces droits les mettrait en mesure de se concentrer sur les activités économiquement rentables et d'y offrir des tarifs plus avantageux que ceux pratiqués par les titulaires des droits exclusifs, étant donné que, à la différence de ces derniers, ils ne sont pas économiquement tenus d'opérer une compensation entre les pertes réalisées dans les secteurs non rentables et les bénéfices réalisés dans les secteurs plus rentables ».

Dans l'arrêt « Commune d'Almelo » du 27 avril 1994, qui concerne une entreprise néerlandaise de distribution d'électricité, la Cour a confirmé que « des restrictions à la concurrence de la part d'autres opérateurs économiques doivent être admises, dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour permettre à l'entreprise investie d'une telle mission d'intérêt général d'accomplir celle-ci. A cet égard, il faut tenir compte des conditions économiques dans lesquelles est placée l'entreprise, notamment des coûts qu'elle doit supporter et des réglementations, particulièrement en matière d'environnement, auxquelles elle est soumise ».

Dans l'arrêt « Altmark » du 24 juillet 2003, qui concerne une entreprise allemande de transport urbain, la Cour a confirmé que l'argent versé par un gouvernement à une compagnie pour compenser des obligations de service public ne représente pas une aide d'État, ce qui permet aux États membres de ne pas notifier à la Commission européenne, dans le cadre de la procédure classique de la politique de la concurrence, ces subventions et, en conséquence, d'échapper à son contrôle préalable. La Cour de justice a cependant posé quatre conditions pour bénéficier de cette qualification. Tout d'abord, l'entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l'exécution obligatoire de service public, les obligations devant être clairement définies. Ensuite, la compensation doit être calculée au préalable, de manière transparente et objective. En troisième lieu, les compensations ne sauraient dépasser les dépenses occasionnées par l'exécution des obligations de service public. Enfin, si la sélection se fait en dehors de la procédure de marché public, le niveau de compensation doit être calculé en analysant les coûts qu'une entreprise de transport moyenne aurait à supporter.

II. LES PERSPECTIVES OUVERTES PAR LE LIVRE BLANC DE LA COMMISSION

La Commission a adopté le 12 mai 2004 un Livre blanc sur les services d'intérêt général. Ce document fait suite à une communication du 20 septembre 2000 sur le même sujet, qui elle-même actualisait une première communication de 1996.

Le Livre blanc a été précédé par un Livre vert du 21 mai 2003, sur la base duquel la Commission a lancé une vaste consultation sur les meilleurs moyens de favoriser la fourniture de services d'intérêt général de qualité dans l'Union européenne, consultation qui a suscité en retour près de 300 contributions.

Dans son Livre blanc, la Commission rappelle tout d'abord que les services d'intérêt général sont une composante essentielle du modèle européen de société . Il existe un large consensus quant à la nécessité d'assurer la fourniture de services d'intérêt général de qualité et abordables à tous les citoyens et entreprises de l'Union européenne. Une conception commune des services d'intérêt général dans l'Union reflète les valeurs et objectifs de la Communauté et se fonde sur un ensemble d'éléments communs, dont le service universel, la continuité, la qualité du service, l'accessibilité financière, ainsi que la protection des usagers et des consommateurs .

La Commission est d'avis qu'un marché intérieur ouvert et concurrentiel, d'une part, et le développement de services d'intérêt général de qualité et abordables, d'autre part, sont des objectifs compatibles . En effet, elle considère que la création d'un marché intérieur a contribué à un gain d'efficience, rendant un certain nombre de services d'intérêt général plus abordables, et a conduit à un accroissement du choix des services proposés.

Au-delà de ces généralités, la Commission présente un certain nombre d'orientations et d'actions ponctuelles.

A. VERS UNE DIRECTIVE-CADRE ?

L'un des points les plus débattus lors de la consultation sur le Livre vert concernait l'opportunité d'une directive-cadre relative aux services d'intérêt général. La Commission constate qu'il n'y a pas de consensus sur cette question, et estime qu'il vaut mieux ne pas présenter de proposition pour l'instant. Elle propose de revoir la question une fois le traité constitutionnel entré en vigueur.

Les partisans d'une directive-cadre, notamment la Confédération Européenne des syndicats, estiment nécessaire d'apporter davantage de sécurité juridique, en définissant précisément la marge de manoeuvre des États membres en matière de services d'intérêt général.

Les adversaires d'une directive-cadre sont parfois opposés à son principe même (c'est le cas de l'UNICE, association regroupant les fédérations patronales), ou alors craignent que l'on ne parvienne qu'à un accord minimal, en retrait par rapport à ce qui est déjà permis par les directives sectorielles (c'est la crainte exprimée à la direction générale marché intérieur de la Commission européenne).

Parmi les États membres, la France et la Belgique se sont déjà nettement prononcées pour une directive-cadre.

Mais si l'objectif d'une directive-cadre fait encore peur à certains, Philippe Herzog a bien montré, dans son rapport au Parlement européen, que se construit peu à peu, selon ses termes, « une perspective commune pour les services d'intérêt général dans l'Union européenne ». Il y a donc là en perspective un chantier majeur.

Dans sa résolution du 14 janvier 2004 sur le livre vert sur les services d'intérêt général, le Parlement européen estime qu' « il n'est ni possible, ni pertinent d'élaborer des définitions des services d'intérêt général et des obligations de service public qui en découlent, mais que l'Union européenne doit établir des principes communs : universalité et égalité d'accès, continuité, sécurité, adaptabilité, qualité, efficacité, accessibilité tarifaire, transparence, protection des groupes sociaux défavorisés, protection des usagers, des consommateurs et de l'environnement, et participation des citoyens, étant entendu qu'il convient de tenir compte des spécificités sectorielles ».

B. LES COMPENSATIONS POUR OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC

D'ores et déjà, la Commission propose diverses initiatives afin de renforcer la sécurité juridique en ce qui concerne l'application des règles en matière d'aides d'État à la compensation pour service public.

Il s'agirait de quatre mesures principales, qui forment ce qu'il est convenu d'appeler le « paquet Monti » :

- une décision considérant comme compatible avec le marché commun toute aide publique d'un montant limité ;

- un cadre communautaire pour les compensations dépassant ce montant ;

- la modification de la directive 80/723/CEE relative à la transparence financière des relations entre les États membres et les entreprises publiques, afin de préciser que ce texte s'applique aux compensations pour service public ;

- la clarification des conditions dans lesquelles une compensation peut constituer une aide d'État en vertu de la jurisprudence récente de la CJCE.

Toutefois, la Commission est allée plus loin que l'arrêt « Altmark » et a voulu poser des conditions supplémentaires, qui ont été jugées excessives par certains États membres. Elle a promis à ces derniers de leur soumettre un nouveau projet de texte. Le Parlement européen a également été consulté sur ce paquet et a adopté une résolution le 22 février 2005.

C. LE CHOIX DES ENTREPRISES CHARGÉES D'UN SERVICE D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

La Commission a réalisé un travail de simplification et de clarification des directives relatives aux marchés publics. Les nouvelles directives, adoptées en mars 2004, doivent être transposées par les États membres pour janvier 2006. Elles devraient permettre à tous les pouvoirs adjudicateurs concernés de se conformer plus facilement aux obligations de transparence qui leur incombent.

Afin de déterminer s'il serait opportun de proposer une législation communautaire concernant l'attribution transparente de concessions de services par les pouvoirs publics, la Commission a récemment adopté un Livre vert sur les partenariats public-privé dans l'Union européenne. Ce Livre vert a lancé une vaste consultation sur les aspects des partenariats public-privé qui concernent les marchés publics.

D. LES SERVICES SOCIAUX D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Les services sociaux recouvrent notamment les services de santé, les soins de longue durée, la sécurité sociale, les services de l'emploi et du logement social. Certains États membres recourent pour la fourniture des services sociaux à des systèmes marchands, qui se trouvent soumis au droit de la concurrence.

A l'évidence, il y a là un domaine dans lequel la distinction entre services d'intérêt général et services d'intérêt économique général ne saurait être considérée comme pertinente.

La Commission estime utile de développer une approche systématique afin d'identifier les particularités des services sociaux et de santé d'intérêt général et de clarifier le cadre dans lequel ils fonctionnent et peuvent être modernisés. Cette approche sera présentée dans une communication sur les services sociaux d'intérêt général, adoptée dans le courant de l'année 2005.

E. REVOIR LES POLITIQUES SECTORIELLES

La Commission annonce dans son Livre blanc qu'elle réexaminera les différents secteurs, selon le calendrier suivant :

- l'examen du champ d'application du service universel dans les communications électroniques, d'ici juillet 2005 ;

- l'examen du paquet sur les communications électroniques, d'ici juillet 2005 ;

- l'examen de la directive sur les services postaux, d'ici fin 2006 ;

- l'examen du marché intérieur de l'électricité, d'ici le 1 er janvier 2006 ;

- l'examen du marché intérieur du gaz, d'ici le 1 er janvier 2006 ;

- l'examen de la directive « télévision sans frontières », début 2005.

En ce qui concerne le pluralisme des médias, la Commission estime que, compte tenu des différences qui existent entre les États membres, il vaut mieux à ce stade laisser à ces derniers le soin de traiter la question.

F. LES SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL DANS LES RELATIONS EXTÉRIEURES

La Commission entend veiller à ce que les positions adoptées par la Communauté dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce soient en cohérence totale avec le cadre réglementaire interne de l'Union dans le domaine des services d'intérêt général. Les accords commerciaux internationaux ne doivent pas aller au-delà des positions convenues au sein de l'Union européenne.

Par ailleurs, la Commission se fixe pour objectif de promouvoir les services d'intérêt général dans la coopération au développement. A cette fin, elle entend aider les pays en développement à créer un cadre réglementaire et institutionnel solide, préalable essentiel à la promotion de l'investissement dans les services d'intérêt général de base, et à l'accès au financement pour ces services.

III. L'APPORT DU TRAITÉ CONSTITUTIONNEL

L'article 16 du traité actuel cité plus haut constitue une disposition déclaratoire sans grande portée pratique. Insérée dans la première partie du traité CE, consacrée aux principes, elle n'est pas directement opératoire, à la différence des règles relatives aux entreprises publiques et aux aides d'État.

Le traité constitutionnel innove en donnant une base juridique réelle aux services publics.

A. L'ARTICLE II-96 DU TRAITE CONSTITUTIONNEL

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe intègre dans sa deuxième partie le texte de la Charte des droits fondamentaux qui avait uniquement été proclamée lors du Conseil européen de Nice en décembre 2000. De ce fait, il comporte un article II-96 ainsi rédigé : « L'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union ».

Cet article pose le principe du respect par l'Union de l'accès aux services d'intérêt général tel qu'il est prévu par les dispositions nationales, dès lors que ces dispositions sont compatibles avec le droit de l'Union.

Sur le plan de la procédure, la reconnaissance de l'accès aux services publics comme droit personnel pourrait offrir de nouvelles opportunités de saisine de la Cour de justice des Communautés européennes dans le domaine des services publics, qui est actuellement l'affaire quasi exclusive des entreprises et des États. Sur le fond, cette irruption du citoyen-utilisateur des services publics dans le débat pourrait infléchir la jurisprudence de la CJCE.

B. L'ARTICLE III-122 DU TRAITÉ CONSTITUTIONNEL

Le traité constitutionnel a repris et complété la rédaction de l'article 16 du traité CE. La Convention a vu s'opposer les conventionnels français et belges, qui voulaient consolider la référence aux services d'intérêt général, et les conventionnels britanniques et espagnols, qui redoutaient que les services publics bénéficient d'un régime dérogatoire aux règles du marché intérieur.

Le compromis qui en est résulté, complété lors de la conférence intergouvernementale, se trouve à l'article III-122, qui dispose ce qui suit : « Sans préjudice des articles I-5, III-166, III-167 et III-238, et eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général en tant que services auxquels tous dans l'Union attribuent une valeur ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale, l'Union et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application de la Constitution, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières , qui leur permettent d'accomplir leurs missions. La loi européenne établit ces principes et fixe ces conditions, sans préjudice de la compétence qu'ont les États membres, dans le respect de la Constitution, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services ».

Cette disposition reconnaît le rôle des services d'intérêt économique général dans la cohésion sociale et territoriale de l'Union européenne. Par ailleurs, elle respecte le principe de subsidiarité en préservant la compétence des États membres pour définir les principes et les conditions dans lesquels ces services fonctionnent.

Surtout, une fois le traité constitutionnel entré en vigueur, la dernière phrase de cette disposition apportera une base juridique nouvelle à l'Union européenne pour légiférer sur les garanties accordées aux services d'intérêt économique général. Par ailleurs, la future loi européenne sera adoptée selon la procédure législative ordinaire retenue par le traité, ce qui permet à la fois de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée au Conseil, et de donner au Parlement européen un rôle de co-législateur à part entière avec le Conseil. Cette procédure plus démocratique permettra de légiférer plus aisément. C'est sur cette base que pourrait être adoptée une directive-cadre sur les services d'intérêt général .

IV. QUEL LIEN AVEC LA PROPOSITION DE DIRECTIVE SUR LES SERVICES DITE BOLKESTEIN ?

Le débat sur les services d'intérêt général entre en résonance avec la discussion de la proposition de directive sur les services dans le marché intérieur qui a été adoptée par la Commission européenne le 13 janvier 2004, à l'initiative de M. Frits Bolkestein, commissaire chargé du marché intérieur, et qui est actuellement en débat au Parlement européen.

A. LE PRINCIPE DU PAYS D'ORIGINE

L'idée d'une directive sur les services dans le marché intérieur s'inscrit dans le processus de réformes économiques lancé par le Conseil européen de Lisbonne en 2000.

Alors que le marché intérieur des marchandises est réalisé, la Commission européenne fait le constat d'un retard très important dans la mise en place d'un véritable marché intérieur des services. Elle estime que la libre circulation des services se heurte à d'importants obstacles, tenant à la diversité des législations et réglementations nationales en matière de conditions d'exercice de certaines activités, de protection des consommateurs, ou de réglementation des ventes.

Pour améliorer cette situation, la Commission propose tout d'abord une simplification des procédures d'établissement des prestataires de services, allant jusqu'à la suppression des régimes d'autorisation. Un régime d'autorisation ne pourra exister qu'à la condition d'être non discriminatoire, justifié par une raison impérieuse d'intérêt général, et s'il est démontré qu'une mesure moins contraignante comme un contrôle a posteriori ne pourrait pas répondre à l'objectif poursuivi.

La Commission propose surtout un système de libre circulation des services, dans le cas où le prestataire rend un service transfrontalier sans être établi dans l'État destinataire de la prestation, conformément au principe du pays d'origine . Selon ce principe, les États membres veillent à ce que les prestataires soient soumis uniquement aux dispositions nationales de leur État membre d'origine. Les dispositions nationales sont celles relatives à l'accès à l'activité de service et à son exercice, et notamment celles régissant le comportement du prestataire, la qualité et le contenu du service, la publicité, les contrats et la responsabilité du prestataire. L'irruption de ce principe dit du pays d'origine dans le domaine des services est symptomatique d'une vision qui privilégie nettement l'objectif de libre circulation sur celui du développement des services publics. De plus, il est en rupture avec l'objectif d'harmonisation des législations en Europe.

B. LES CONSÉQUENCES POUR LES SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Les services d'intérêt général (SIG) tels que les définit la CJCE, et notamment les services fournis par l'État dans le cadre de sa mission de service public (éducation, justice), sont exclus du champ de la proposition de directive. En outre, parmi les dérogations générales au principe du pays d'origine, figurent les services postaux, les services de distribution d'électricité et de gaz, de distribution d'eau.

En revanche, les services d'intérêt économique général (SIEG) sont concernés, ce qui touche en particulier le domaine social et la santé. Le principe du pays d'origine pose des difficultés liées en particulier au contrôle des qualifications professionnelles des prestataires de soins.

Les difficultés soulevées dans le domaine de la santé peuvent exister également dans d'autres secteurs nécessitant un traitement spécifique au titre de leurs missions d'intérêt général. Il faut rappeler que la Cour de justice a une conception large des SIEG et y inclut par exemple l'organisation contre rémunération de cours de formation supérieure, l'activité des résidences pour personnes âgées, la fourniture de services de transport d'urgence et de services de transport de malades.

Le principe du pays d'origine fait courir un risque de « dumping » juridique dans la mesure où les entreprises prestataires implantées dans les pays dont la réglementation est la moins contraignante auraient un avantage indéniable sur leurs concurrentes. Ce phénomène serait susceptible d'abaisser le niveau global de protection des utilisateurs, si ceux-ci ne sont pas suffisamment informés pour faire un choix éclairé.

L'application du principe du pays d'origine pourrait également se traduire par une multiplication des actions contentieuses, dans lesquelles une juridiction nationale serait conduite à faire application du droit civil ou commercial d'un autre État membre, ce qui pose des difficultés pratiques.

Le champ très vaste et très hétéroclite du projet de directive Bolkestein est d'autant plus dangereux que, comme nous l'avons vu, le champ des services d'intérêt général reste insuffisamment déterminé .

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