C. LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE

1. Le recours devant la Cour de Justice et la « victoire » du Conseil

La Commission européenne a, le 27 janvier 2004 , introduit un recours devant la Cour de Justice à l'encontre de la non-adoption par le Conseil des décisions recommandées par la Commission européenne, ainsi que des conclusions adoptées par le Conseil.

Cette saisine ne devait pas dissimuler qu'il y avait accord sur le fond , tant en ce qui concernait la nécessité de retrouver en 2005 un déficit public en dessous de la limite de 3 % du PIB, qu'en ce qui concernait les grandes lignes d'une réforme du pacte de stabilité .

Bien qu'il n'y ait pas eu de vote sur la décision de la Commission européenne, six commissaires ont exprimé des réserves : MM. Michel Barnier et Pascal Lamy, français ; M. Guenter Verheugen, allemand ; MM. Neil Kinnock et Chris Patten, britanniques ; M. Antonio Vitorino, portugais 24 ( * ) .

Il semble que seuls les Pays-Bas et l'Espagne aient soutenu la démarche de la Commission européenne 25 ( * ) .

a) La saisine par la Commission européenne de la Cour de Justice des communautés européennes
(1) Une action qui porte uniquement sur la procédure

Cette action, qui selon la Commission européenne « se focalisait] sur les éléments de procédure uniquement et ne port[ait] pas sur les aspects des conclusions du Conseil liés à surveillance économique propre à chaque pays » 26 ( * ) , concernait les trois points indiqués ci-après :

- la non-adoption par le Conseil des décisions recommandées par la Commission européenne ;

- la décision d'adopter des « conclusions » au lieu de « recommandations » ;

- la décision de suspendre la procédure de déficit excessif dans des conditions non prévues par le traité.

En effet, selon M. Pedro Solbes, alors commissaire en charge des affaires économiques et monétaires, « les Etats membres ont délibérément opté pour une position intergouvernementale. Ceci modifie la nature de la surveillance budgétaire et il est par conséquent utile de disposer d'un arrêt de la Cour afin de préciser les modalités de la surveillance pour l'avenir ».

(2) L'absence de véritable désaccord de fond

Ainsi, la Commission européenne ne remettait pas en cause le contenu des conclusions du Conseil , qui reprenaient, de manière quasiment identique, ses propres recommandations.

Comme l'a indiqué M. Francis Mer, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie , le 11 décembre 2003 27 ( * ) , les divergences de fond de la France et de l'Allemagne avec la Commission européenne ne portaient que sur un point mineur : la répartition de l'effort budgétaire entre 2004 et 2005 pour mettre fin à la situation de déficit excessif en 2005.

« Il y a crise véritable quand il y a désaccord, sur le fond. (...) Sommes-nous sur le point de renoncer à la discipline budgétaire et à la coordination économique ? Non, bien au contraire. Et c'est là le paradoxe de cette « crise » annoncée. (...) Tous les pays qui ne sont pas encore à l'équilibre doivent réduire leur déficit structurel régulièrement, d'au moins 0,5 point de PIB par an. La France et l'Allemagne font-elles exception, s'opposent-elles à cette orientation ? Nullement. Nos deux pays ont construit leurs projets de loi de finances pour 2004 en respectant cette orientation et tous les deux visent un retour sous les 3 % en 2005 et une diminution ultérieure. (...) Afin de ne pas obérer toute chance de reprise, la Commission repoussait l'objectif à 2005. Les deux pays en étant d'accord, avec d'ailleurs le soutien d'une grande majorité d'Etats membres, il ne restait qu'à préciser le « cheminement » vers cet objectif 2005.

« C'est là qu'il y a eu désaccord. Pour résumer, la France et l'Allemagne voulaient faire porter l'effort de réduction de manière à peu près égale sur les deux années, 2004 et 2005. Pourquoi ? Afin d'accompagner et d'amplifier la reprise qui se dessine, ce qui n'aurait pas été possible si, comme le souhaitait la Commission, l'essentiel de l'effort avait été fait dès 2004. Tout était donc question d'appréciation et de dosage de l'effort. Finalement les divergences ont porté sur des montants sans doute inférieurs à la marge d'incertitude sur la mesure des déficits ! ».

(3) La décision de la Commission européenne de saisir la CJCE était-elle opportune ?

En tant que « gardienne des traités », la Commission européenne ne pouvait peut-être pas s'abstenir de critiquer la procédure suivie par le Conseil, dès lors qu'elle estimait qu'elle était contraire au traité instituant la Communauté européenne.

On peut cependant s'interroger sur l'opportunité politique de cette action, perçue par l'opinion comme une divergence de fond entre la Commission européenne et le Conseil. Tel est en particulier le point de vue de M. Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, exprimé le 13 janvier 2004 dans une émission télévisée.

« Etant donné que la situation du Pacte de stabilité est, du point de vue du citoyen, incompréhensible, si j'avais été la Commission je n'aurais pas saisi la Cour de Justice. J'aurais eu l'impression que le problème est trop complexe et qu'il allait se traduire, pour les gens, en une querelle d'institutions, de pouvoir, qui n'a rien à voir avec les problèmes qui les préoccupent : l'emploi, le chômage, la croissance. Je n'aurais pas pris la même décision. Pour moi, c'est une erreur. La Commission doit sentir qu'elle n'est plus en odeur de sainteté, comprendre quand on essaie de vous marginaliser ; comme c'est le cas maintenant. Etant donné qu'elle n'a pas d'armée, qu'elle ne peut faire taire les gouvernements, elle doit prêter attention, être au service des gouvernements, rapprocher les points de vue, dégager des consensus, et ensuite proposer des idées nouvelles. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure, malheureusement » 28 ( * ) .

L'arrêt de la Cour de Justice a cependant été suffisamment nuancé pour ne pas excessivement affaiblir la Commission européenne.

b) L'arrêt de la Cour de Justice : une  « victoire » du Conseil

La Cour de Justice a rendu son arrêt le 13 juillet 2004.

La Commission européenne, la France et l'Allemagne se sont chacune félicitées de l'arrêt de la Cour de Justice.

Le quotidien Libération estime que « pour la grande majorité de la presse européenne, la Commission a gagné la bataille du pacte de stabilité et de croissance », alors que si « la Commission a remporté une victoire procédurale (...), sur le fond, ce sont Berlin et Paris qui ont gagné » 29 ( * ) .

Cette analyse semble juste. En effet, la grande victoire du Conseil est d'avoir obtenu la reconnaissance, par la Cour de Justice, du fait qu'il n'a pas compétence liée pour mettre un pays en demeure d'adopter certaines mesures. Quant à l'annulation des « conclusions » du 25 novembre 2005, elle ne change rien au fait que le Conseil a adopté à cette occasion une position politique que la Commission européenne est bien obligée de prendre en compte.

(1) Le Conseil avait le droit de ne pas adopter les recommandations de la Commission européenne

La Cour de Justice considère que, contrairement à ce qu'affirmait la Commission européenne, le Conseil avait le droit de ne pas adopter les recommandations de la Commission.

Ainsi, elle a refusé d'annuler la non-adoption par le Conseil de ces recommandations.

Autrement dit, le Conseil n'a pas compétence liée pour décider d'une mise en demeure. Il s'agit là d'une « victoire » du Conseil.

(2) L'annulation des conclusions du 25 novembre 2004
(a) Le Conseil n'avait le droit ni de suspendre la procédure de déficit excessif, ni de modifier les recommandations précédemment adoptées

En revanche, la Cour de Justice a annulé les « conclusions » adoptées par le Conseil.

Cette annulation s'explique par deux raisons.

Tout d'abord, les conclusions du Conseil suspendaient la procédure des déficits excessifs, alors que le traité prévoit limitativement les cas où une telle suspension est possible, et que les conditions prévues n'étaient pas réunies.

Ensuite, les conclusions du Conseil modifiaient implicitement les recommandations qu'il avait lui-même précédemment adoptées (le 21 janvier 2003 dans le cas de l'Allemagne et le 3 juin 2003 dans celui de la France) demandant à la France et à l'Allemagne de mettre fin à leur déficit excessif « dès que possible » dans le cas de l'Allemagne, et « au plus tard pour l'exercice 2004 » dans le cas de la France. En effet, il découlait des conclusions du Conseil que la décision éventuelle de mettre en demeure la France et l'Allemagne de prendre certaines mesures ne pouvait plus être prise sur la base de ces recommandations . Cela a été jugé illégal, pour deux raisons :

- le Conseil n'avait pas le droit de modifier ces recommandations sans une nouvelle impulsion de la Commission européenne ;

- les conclusions ont été adoptées selon les modalités de vote prévues pour une décision de mise en demeure (la majorité qualifiée des douze Etats membres de la zone euro), qui sont différentes de celles prévues pour l'adoption de recommandations pour la correction du déficit excessif (majorité qualifiée des quinze Etats alors membres de l'Union européenne).

(b) Une fausse « victoire » de la Commission européenne
(i) D'un point de vue juridique, la Commission européenne peut, à nouveau, présenter des recommandations au Conseil

Comme l'indique la Commission européenne dans un communiqué de presse du 13 juillet 2004, « les seuls actes juridiques qui restent valables sont les recommandations adoptées par le Conseil pour l'Allemagne et la France en vertu de l'article 104, paragraphe 7 », c'est-à-dire les recommandations précitées adoptées par le Conseil demandant à la France et à l'Allemagne de mettre fin à leur déficit excessif dans un délai donné.

Cela signifiait que la Commission européenne pourrait, juridiquement, présenter au Conseil une nouvelle recommandation de mise en demeure .

(ii) Les recommandations du Conseil figurant dans les conclusions du 25 novembre 2003 demeurent politiquement valides

Cependant, la Commission européenne est politiquement contrainte par le contenu des conclusions du Conseil. Comme le souligne le gouvernement fédéral allemand dans son communiqué de presse commentant l'arrêt de la Cour de Justice 30 ( * ) , « la Commission a le droit, mais aussi le devoir de présenter au Conseil des recommandations de décisions propres à atteindre la majorité requise », ce qu'elle n'a pas fait en novembre 2003. Par ailleurs, on voit mal comment le Conseil pourrait adopter une recommandation de mise en demeure contre la France ou l'Allemagne si celles-ci respectent les engagements pris le 25 novembre 2003.

2. Le pragmatisme de la nouvelle Commission : la communication de la Commission européenne du 14 décembre 2004

Dans sa communication du 14 décembre 2004, la nouvelle Commission européenne a adopté une attitude pragmatique.

a) Selon une approche purement juridique, la France et l'Allemagne doivent toujours mettre fin à leur déficit excessif en 2004

Le problème juridique qui se pose est que, comme on l'a indiqué, les recommandations théoriquement en vigueur, adoptées sur la base de l'article 104 paragraphe 7 du traité CE, demandent à la France et à l'Allemagne de mettre fin à leur déficit excessif « dès que possible » dans le cas de l'Allemagne, et « au plus tard pour l'exercice 2004 » dans le cas de la France, cette dernière échéance n'étant aujourd'hui plus d'actualité.

Selon certains juristes, une voie de sortie consisterait pour la Commission européenne à reformuler des recommandations sur la base de cet article 104 paragraphe 7, qui fixerait pour la France l'année 2005 comme celle de fin de la situation de déficit excessif. Cependant il n'est pas certain que cette procédure soit légale. Le rapport précité du Conseil au Conseil européen du 20 mars 2005 prévoit d'ailleurs de modifier le règlement (CE) précité n° 1467/97 afin de permettre de répéter une recommandation au titre de l'article 104, paragraphe 7.

b) La Commission européenne a retenu une interprétation pragmatique, qui n'empêche pas la France d'être toujours passible d'une mise en demeure

Dans sa communication du 14 décembre 2004, la Commission européenne retient une interprétation plus pragmatique de l'arrêt de la Cour de Justice.

Elle estime que la procédure en cours est toujours au stade de la recommandation adoptée par le Conseil le 3 juin 2003 en application de l'article 104, paragraphe 7. Cependant, elle a décidé de l'interpréter comme exigeant la fin de la situation de déficit excessif en 2005 , et non en 2004, conformément aux « conclusions » du 25 novembre 2003, pourtant annulées par la Cour de Justice.

Ainsi, s'il apparaissait que la France ne devait pas mettre fin à son déficit excessif en 2005, elle serait toujours passible d'une mise en demeure de la part du Conseil, au titre de l'article 104 paragraphe 9.

La France est toujours passible d'une mise en demeure, selon la Commission européenne

« La Commission doit évaluer si les actions prises par chacun des deux Etats membres sont compatibles avec une correction du déficit excessif en 2005.

Dans l'affirmative, la Commission devrait conclure que le Conseil ne doit pas franchir à ce point d'étape supplémentaire dans la procédure de déficit excessif afin de solliciter de nouvelles actions de la part de l'Etat membre concerné.

Dans le cas contraire, la Commission devrait conclure que le Conseil doit reprendre la procédure de déficit excessif et mettre en oeuvre la surveillance budgétaire de l'Etat membre concerné afin de solliciter l'action correctrice nécessaire.

La Commission remarque que le Conseil lui-même, dans ses conclusions du 25 novembre 2003, a indiqué qu'il était prêt à prendre une décision au titre de l'article 104 (9), sur la base d'une recommandation de la Commission, si l'évaluation de la situation indiquait un échec à satisfaire l'échéance de 2005 ».

Source : Commission européenne, communication du 14 décembre 2004 (traduction par votre commission des finances)

* 24 Agence France Presse, 14 janvier 2004 ; Agence Europe, 15 janvier 2004.

* 25 Agence Europe, 20 janvier 2004.

* 26 La Commission précise que « cette contestation des conclusions du Conseil ne vise à remettre en cause ni l'analyse économique, ni les mesures de correction recommandées par le Conseil aux deux Etats membres concernés ».

* 27 Les Echos, 11 décembre 2003.

* 28 Agence Europe, 15 janvier 2004.

* 29 Libération, 16 juillet 2004.

* 30 Gouvernement fédéral allemand, communiqué de presse du 15 juillet 2004.

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