3. Une aide internationale indispensable

L'aide internationale à la reconstruction de l'Afghanistan est financièrement massive. Lors de la conférence des donateurs tenue à Berlin en avril 2004, des financements ont été promis à hauteur de 4,5 milliards de dollars pour 2005 et un total de 8,2 milliards de dollars sur les trois années suivantes. Elle met aussi en jeu une multiplicité d'intervenants extérieurs : institutions financières internationales (Banque Mondiale, FMI...), de même que l'Union européenne, ès-qualité et à travers ses Etats membres, le Japon, mais surtout les Etats-Unis -dont les concours à eux seuls ont représenté 4 milliards de dollars entre 2001 et 2004-, l'ONU et la quasi-totalité de ses agences, le PNUD, sans oublier les très nombreuses ONG étrangères, présentes depuis longtemps sur le terrain.

Cette aide est aussi multiforme. Tout ou presque étant à (re)construire en Afghanistan, les terrains d'action sont extrêmement variés et leur urgence est équivalente : santé, éducation, agriculture, infrastructures mais aussi aide à la reconstruction de l'Etat -justice, armée, police, lutte contre la drogue, réforme administrative, formation de journalistes, soutien à la défense des droits de l'homme... Le chantier est immense et loin d'être achevé.

On recense trois formes principales d'application de l'aide consentie par les principaux donateurs : la nation-pilote, l'aide budgétaire, l'action bilatérale, plus ou moins coordonnée entre les principaux donateurs.

? Le recours à la nation-pilote, politiquement visible, a été notamment retenu pour 5 dossiers touchant à la sécurité au sens large : la répartition a été décidée dans le cadre du G8 en 2003 -réforme de la justice (Italie), lutte contre la drogue (Grande-Bretagne), désarmement, démobilisation, réinsertion-DDR (Japon), formation de l'Armée Nationale Afghane (ANA) (Etats-Unis), de la police (Allemagne). L'intervention massive des Etats-Unis dans chacun de ces secteurs, qui permet d'en démultiplier la cadence et l'efficacité, vient cependant quelque peu « brouiller » cette répartition formelle.

En 2004, la France a par ailleurs répondu favorablement à la sollicitation afghane de devenir nation pilote pour la mise en place, en liaison avec le PNUD, de l'administration parlementaire, projet central pour le bon fonctionnement de la démocratie.

? L'aide budgétaire se fait par la participation au Fonds de reconstruction de l'Afghanistan (ARTF) ou au Fonds fiduciaire pour la Loi et l'Ordre (Law and Order Trust Fund -LOTFA).


LE FONDS DE RECONSTRUCTION DE L'AFGHANISTAN

Administré par la Banque Mondiale (et suivi par un comité de pilotage incluant le PNUD et la Banque Islamique de Développement), le Fonds de Reconstruction de l'Afghanistan est l'instrument mis en place par la communauté internationale pour aider à financer le budget de l'état afghan, principalement les salaires.

L'ARTF a recueilli à ce jour 900 M$ de la part de 24 donateurs regroupant l'ensemble des pays du G7, ainsi que la commission européenne. Les donateurs les plus importants sont la Grande-Bretagne (165 M$), les Etats-Unis (148 M$), les Pays-Bas (121 M$), le Canada (92 M$), l'Allemagne (37 M$), l'Italie (23 M$), le Japon (5 M$). La France ne participe pas à ce fonds auquel adhèrent aussi, avec des contributions plus modestes, la Turquie, le Portugal ou encore la Corée.

Ce fonds constitue un processus essentiel pour trois raisons :

- C'est pour le gouvernement afghan le lieu symbolique de la reconnaissance par la communauté internationale de sa souveraineté et de sa capacité à prendre son destin en main ;

- Il est devenu la principale enceinte de concertation des bailleurs, plate-forme informelle mais permettant des échanges fréquents et resserrés.

- L'ARTF est un fonds fiduciaire particulier s'agissant du déliement de l'aide (article 5) : chaque contributeur peut émettre des préférences sur l'affection de sa dotation à hauteur de 50 % des versements effectués. Ainsi en juin 2004, les contributeurs avaient marqué des préférences sur 70,4 M$ dont 21 M$ pour le Canada (micro-finance, programme de solidarité) , 10 M$ pour les Etats-Unis, 7,6 M$ pour le Royaume-Uni, 7,9 M$ pour les Pays-Bas (éducation, eau potable), 5,9 M$ pour l'Allemagne et 17,8 M$ pour la Commission européenne. Et la lecture des résultats d'octroi des contrats de l'ARTF fait apparaître des entreprises comme Decom Deutsch energy, KFW, M/S Maxwell Stamps PL, Voith Siemens Hydro, Crown agents, Lahmeyer...

? Enfin, chaque nation insère ses projets en fonction des priorités auxquelles elle entend répondre en liaison -normalement- avec les demandes des autorités afghanes elles-mêmes.

Cette aide devra se maintenir durablement pour parachever d'abord la reconstruction économique d'un pays ruiné. Mais pour consolider cette reconstruction même, il lui faudra aussi continuer d'agir sur les autres fronts : sécurité, autorité de l'Etat, justice, drogue...

L'aide internationale a indéniablement permis de sortir l'Afghanistan du désastre humanitaire et matériel dans lequel il s'était enfoncé pendant plus de vingt ans de guerre : des centaines de routes ont été asphaltées, des centres de soins, de bâtiments publics ont été construits ou reconstruits. Elle a permis que soit donnée l'impulsion à une société civile qui se recompose peu à peu : par la création d'associations socio-professionnelles, la réactivation des syndicats, la renaissance des assemblées traditionnelles, la reprise -encore bien limitée-, d'une vie artistique et intellectuelle.

Pour autant, en dépit des sommes versées, les résultats économiques se font encore attendre pour la majorité des Afghans. Le processus qui succédera à celui de Bonn au lendemain des élections législatives et régionales devra privilégier davantage un plan cohérent et intégré de restructuration et de relance de l'économie. La mise en oeuvre d'un tel programme suppose que les pays donateurs et les organisations internationales envisagent différemment leurs contributions. Son élaboration et sa gestion pourraient être confiées à la Banque Mondiale, laissant à l'ONU -à la MANUA- la poursuite de l'encadrement et du soutien à la transition politique.

Le gouvernement et bientôt le parlement afghans, entendront avoir une maîtrise accrue sur les montants accordés à la reconstruction de leur pays. Déjà certains responsables du gouvernement afghan et le président Karzaï lui-même ont mis en cause le mode de fonctionnement de -certaines- ONG en Afghanistan. Le temps de l'urgence humanitaire étant passé, ils estiment que certaines activités et la mise en oeuvre de certains projets de reconstruction financés sur fonds internationaux relèvent davantage d'entreprises que d'ONG -leur statut dispense ces dernières de contributions fiscales- et que quelque unes d'entre elles abusaient de cette situation pour engranger des profits substantiels.

Une législation nouvelle a donc été élaborée pour remédier aux éventuels abus. La critique des responsables afghans a pu, à juste titre, choquer certaines ONG déployées en Afghanistan et dont l'immense majorité effectue depuis des années un travail remarquable et indispensable, en totale conformité avec leur éthique. La démarche a cependant illustré la volonté des responsables afghans de maîtriser plus directement l'aide internationale.

De façon « collatérale », cette aide, parce qu'elle est massive, génère -volens nolens- des îlots de richesse au milieu d'un univers de misère. Cette prospérité ostensible, singulièrement à Kaboul, choque une partie de la population par ailleurs exclue de quartiers réservés aux acteurs internationaux (les loyers à Kaboul ont explosé et le salaire d'un chauffeur afghan d'ONG ou d'agence internationale est plusieurs fois supérieur à celui d'un enseignant ou d'un officier ) . Ce sentiment diffus alimente à tout le moins une méfiance vis-à-vis des internationaux, d'autant plus que l'aide qui génère ces flux d'argent n'a pas encore permis de retombées très visibles sur les Afghans eux-mêmes.

L'aide internationale devra donc se maintenir longtemps mais son emploi gagnera a être progressivement délégué aux responsables afghans et mieux partagé avec eux, ne serait-ce que pour en définir les finalités. « Agences internationales et ONG appliquent des projets définis par les donateurs selon des principes universels qui ne prennent pas en compte les spécificités afghanes (...). En ce qui concerne l'aide au développement, c'est l'offre (programmes décidés par l'Union européenne, le Congrès américain, la Banque Mondiale, le PNUD) qui définit la demande et non l'inverse : l'argent est débloqué par les donateurs et pas forcément par les Afghans ». 8 ( * )

* 8 Olivier Roy in « Aghanistan, la difficile reconstruction d'un Etat ». Cahiers de Chaillot 2004, n° 73.

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