II. DIX ANS APRÈS DAYTON : L'IMPÉRATIF D'UNE NOUVELLE ETAPE

Le 23 juin 2004, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une résolution 1384 sur le renforcement des institutions démocratiques en Bosnie-Herzégovine par laquelle elle a demandé à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) :

- d'analyser dans quelle mesure le fait que le Haut Représentant prenne des décisions exécutoires sans avoir à les motiver et sans qu'il existe de moyen légal de recours est conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- de procéder à une évaluation approfondie de la conformité de la Constitution de Bosnie-Herzégovine avec cette même Convention ;

- d'analyser l'efficacité et la rationalité des dispositions constitutionnelles et juridiques en vigueur en Bosnie-Herzégovine.

La Commission de Venise a rendu un rapport particulièrement détaillé et éclairant, le 12 mars 2005, répondant à ces trois points. Ses conclusions concordent largement avec les propositions du présent rapport quant à la nécessité de définir une « nouvelle étape » pour la Bosnie-Herzégovine.

A. REDÉFINIR LES POUVOIRS DU HAUT REPRÉSENTANT

1. Des pouvoirs fortement critiqués par la Commission de Venise

Tout en soulignant l'utilité des pouvoirs du Haut Représentant, et notamment des « pouvoirs de Bonn », pour la réforme du pays, la Commission de Venise met en valeur plusieurs critiques essentielles.

La première critique tient évidemment à l'absence de légitimité démocratique de ce Haut Représentant et à la notion de pouvoirs d'urgence :

« Toutefois, comme l'indique la Résolution 1384, il n'est assurément pas normal qu'un étranger non élu exerce de tels pouvoirs dans un État membre du Conseil de l'Europe , et la justification de ces pouvoirs pour l'avenir mérite d'être examinée sur le plan non seulement politique, mais aussi juridique. Ces pouvoirs peuvent être qualifiés de pouvoirs d'urgence. Or, de par leur nature même, les pouvoirs d'urgence doivent prendre fin en même temps que la situation d'urgence qui a initialement justifié le recours à ces pouvoirs. »

La seconde critique tient à son pouvoir de faire adopter les lois, en lieu et place des représentants du peuple :

« Le principe démocratique de la souveraineté du peuple requiert que la législation soit adoptée par un organe élu par le peuple. L'art. 3 du (premier) Protocole à la CEDH dispose que l'assemblée législative doit être élue par le peuple, droit qui est vidé de sa substance si la législation est adoptée par un autre organe ».

La troisième critique tient au fait que les décisions du Haut Représentant sont peu ou pas contrôlées :

« Le pouvoir de contrôle de ces décisions du Haut Représentant est limité. Sur le plan politique, le Haut Représentant rend compte au Conseil de mise en oeuvre de la paix et ses décisions se réfèrent souvent aux déclarations du Comité directeur de ce Conseil. Il n'est pas responsable devant la population de la B-H (même si l'attachement personnel du Haut Représentant actuel et de ses prédécesseurs au bien-être de cette population ne fait aucun doute). Sur le plan juridique, la Cour constitutionnelle de la B-H veille à la constitutionnalité du contenu de la législation adoptée par le Haut Représentant au même titre qu'à celle de la législation adoptée par l'Assemblée parlementaire de la B-H. Toutefois, elle ne détermine pas si le Haut Représentant a des motifs suffisants pour adopter la législation en lieu et place des organes démocratiquement élus de la B-H ».

Les conclusions de la Commission de Venise sur les pouvoirs législatifs du Haut Représentant sont très claires :

« Ce dispositif est fondamentalement incompatible avec le caractère démocratique de l'État et la souveraineté de la B-H. Plus il se prolonge, plus il devient contestable. Le risque d'effets pervers est très réel : les hommes politiques n'ont aucun intérêt à accepter des compromis politiques douloureux mais nécessaires puisqu'ils savent que, s'ils ne parviennent pas à s'entendre sur un point, le Haut Représentant peut toujours imposer la législation correspondante. Pourquoi, dans ces conditions, accepter la responsabilité au lieu de la laisser au Haut Représentant ? On risque d'implanter une culture de la dépendance incompatible avec le développement futur de la B-H. »

Quant au pouvoir de sanctions du Haut Représentant, le rapport de la Commission de Venise n'en est pas moins sévère :

« La principale préoccupation tient au fait que le Haut Représentant n'intervient pas en tant que tribunal indépendant et qu'il n'existe aucune voie de recours. Le Haut Représentant n'est pas un juge indépendant et il n'est pas dépositaire d'une légitimité démocratique qu'il tiendrait de la population de la B-H. Il exécute un projet politique, arrêté par la communauté internationale, qui sert l'intérêt supérieur du pays et contribue à la réalisation des normes du Conseil de l'Europe . Il semble en principe inacceptable que des décisions affectant directement les droits des particuliers prises par un organe politique ne fassent pas l'objet d'un procès équitable ou, à tout le moins, puissent être prises sans que les intéressés bénéficient des garanties minimales d'une procédure régulière et sans qu'un tribunal indépendant puisse contrôler ces décisions . »

Dans ses conclusions, la Commission préconise une élimination progressive des pouvoirs du Haut Représentant et la création, en attendant que cette pratique prenne fin, d'un groupe consultatif de juristes indépendants en ce qui concerne les décisions affectant directement les droits de particuliers

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