X. QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE IDÉAL ?

Le Royaume-Uni et l'Allemagne,  qui possèdent l'audiovisuel public le mieux financé d'Europe, doivent cette situation à un taux redevance parmi les plus élevés. A l'inverse, la France , comme l'Italie,  se situent dans la moyenne basse en Europe  qui se situe à 142 euros - sachant que celle-ci  dans les pays Scandinaves  est proche  voire supérieure à 200 euros  comme c'est le cas en Suède (191 euros) ou au Danemark (273 euros).

Figure 32 : Redevance audiovisuelle dans les 4 principaux pays européens

Nombre foyers assujettis (estimation en millions,  fraude et exonération déduites)

Montant collecté
(en euros par foyer)

Somme collectée
(millions d'euros)

Allemagne

31

193

6 013

Italie

17

93

1 632

France

18

116

2 144

Royaume-Uni

20

177

3 590

Source : Rapport N° 1019 de l'Assemblée Nationale  (juillet 2003) / Estimations BIPE.

Le mode de financement de l'audiovisuel public et de France Télévisions en particulier est depuis toujours sujet à discussion. La « Loi Trautman » a légèrement déplacé l'équilibre financier vers le financement public, mais maintient fondamentalement le système français dans un compromis qui, comme tous les compromis, ne satisfait véritablement personne. Beaucoup de voix à différents niveaux réclament aujourd'hui un nouveau changement d'équilibre (encore moins de publicité ou un peu plus) ou bien une croissance homothétique des revenus sans changement d'équilibre (augmenter le volume de publicité autorisé ET le financement public) mais personne ne propose de choisir un autre modèle.

- Une chaîne publique sans publicité, financée par l'impôt ou par une redevance, crée une différence claire si l'on considère qu'il est d'intérêt général d'offrir aux citoyens des programmes de télévision gratuits et sans publicité, puisque les acteurs privés leur offrent déjà des chaînes gratuites avec publicité. C'est le modèle BBC 50 ( * ) .

- Une chaîne publique avec publicité et sans financement public a aussi un sens. Elle doit rivaliser avec les chaînes commerciales pour maintenir sa part d'audience et ses revenus, mais elle n'est pas obliger de dégager des profits pour ses actionnaires. Il lui suffit d'équilibrer son budget. Elle peut consacrer l'essentiel de ses revenus aux programmes. Quelle que soit son utilité réelle et sa différence, elle ne coûte rien à la collectivité. C'est le modèle Channel 4.

- Un financement mixte se situe dans une situation plus délicate à justifier. Nous récapitulons dans le tableau suivant, les principaux arguments d'intérêt général qui peuvent être évoqués « pour » ou « contre » les trois systèmes.

Figure 33 : Synthèse des avantages et inconvénients des différents modèles économiques audiovisuels publics

Arguments favorables

Arguments défavorables

Pas de publicité (BBC)

- Préserver la différence entre secteur public et secteur privé, au moins par l'absence d'écrans publicitaires. - Viser la qualité et la satisfaction plutôt que l'audience et les « coups »

- L'indifférence à l'audience risquerait d'entraîner une dérive élitiste ? Non, car une chaîne publique généraliste doit, de toutes les façons, faire de l'audience (la BBC programme des émissions populaires et fait de l'audience)

Financement mixte (FTV)

- A pression fiscale donnée, permet d'augmenter les ressources. - Ne pas laisser cette ressource « naturelle » au seul secteur privé.

- Coûts fixes d'exploitation d'une régie publicitaire intégrée - Justification de la redevance aux yeux du public, si le volume publicitaire et la programmation sont proches de celles du secteur privé. - Coûts fixes de gestion d'une taxe spéciale, proportionnellement plus importants à mesure que le montant de redevance diminue Dans une économie en voie de libéralisation et d restrictions budgétaires, les dépenses publiques (dont la redevance) augmentent moins vite que la publicité

Peu ou pas de redevance (Channel 4)

-Limiter la pression fiscale. -Indépendance totale par rapport aux pouvoirs budgétaires. - Pas d'obligation de dégager des profits.

- Dépendance totale par rapport au marché publicitaire et à ses fluctuations : obligation de rivaliser avec les chaînes privées - Justification du capital public ?

Source : BIPE

Si l'on agrège les audiovisuels publics français et britannique, le système britannique est lui aussi mixte, puisque Channel 4 se finance par la publicité.

Se pose alors une autre question : dans le cas d'un financement macro-économiquement mixte (à l'échelle d'un groupe public ou à l'échelle de l'ensemble de l'audiovisuel public), faut-il des chaînes « pures » (modèle britannique), ou faut-il des chaînes mixtes (modèle français : F2, F3, F5 proposent toutes les trois de la publicité).

L'un des arguments classiques en faveur du système mixte est que puisque les gens regardent une chaîne publique, puisqu'ils créent de l'audience, il y aura déperdition économique à laisser cette audience « en jachère », à ne pas la valoriser auprès des annonceurs, et à laisser les chaînes privées monopoliser ce secteur. Cet argument est à mettre en balance avec deux considérations.

Il faut parfois revenir à l'objectif même qui sous-tend l'existence de chaînes publiques. Nous vivons dans un monde où la multiplication des fréquences, les réseaux de diffusion, le marché publicitaire et les systèmes de péage permettraient d'offrir au consommateur une offre diversifiée, via une simple régulation des réseaux et des contenus, mais sans intervention économique ou capitalistique directe de l'Etat. Après tout, il n'existe pas de presse publique. Dans ce contexte contemporain, la justification des chaînes publiques est (i) soit de s'adresser non pas aux consommateurs, mais aux citoyens , pour leur apporter des contenus d'intérêt général que le système marchand ne peut pas ou ne souhaite pas leur apporter 51 ( * ) (ii) soit de proposer, via une entreprise publique, une chaîne généraliste, visant le grand public et donc globalement similaire aux chaînes commerciales, mais SANS publicité.

Par ailleurs, même si les chaînes privées se partagent la « manne » publicitaire, il existe d'autres moyens de permettre à la Collectivité de prélever une partie de cette ressource, pour éviter les rentes de situation et financer, plus ou moins directement, l'audiovisuel public . En France, les contreparties à l'accès à une fréquence hertzienne sont nombreuses. Certaines sont « en nature » (obligations de programmation), certaines sont financières : obligations d'investissement dans la production française, taxes sur le chiffre d'affaire publicitaire. Les prélèvements sur les ressources publicitaires mobilisées par les chaînes ne financent pas directement les chaînes publiques mais plutôt les industries de contenu, la production audiovisuelle et cinématographique. L'Etat français, gestionnaire des fréquences (qui constituent un bien public rare) est souverain quant aux conditions qu'il peut demander à des opérateurs commerciaux en échange de l'accès aux fréquences. On peut donc imaginer qu'en échange d'un accès plus large et sans compétition publique, à la ressource publicitaire, les diffuseurs privés soient amenés à payer la fréquence et/ou à transférer directement au secteur publique une partie de la rente de situation issue de leur monopole publicitaire. Ce type de fonctionnement existe déjà aujourd'hui au Royaume Uni, où la chaîne privée ITV, qui bénéficie de l'absence de publicité sur BBC1 et BBC2, paie pour l'accès aux fréquence.

Figure 34 : Financement global de l'audiovisuel public, comparaison France/UK 52 ( * )

France

Royaume Uni

Source : BIPE

* 50 Nous utilisons ici des références britanniques non pas parce que nous estimons que le modèle britannique serait globalement meilleur que le système français ou que la télévision britannique constituerait un « modèle » à suivre, mais simplement parce que les modes de financements y sont plus simples et plus radicaux que partout ailleurs en Europe.

* 51 Le secteur public peut apporter cette différence par l'élaboration de chaînes dédiées à l'information, à la vie parlementaire etc...

* 52 Le paysage est restreint au principal acteur public et au principal acteur privé dans chaque pays, par souci de simplification.

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