quel retournement pour le marché immobilier ?

La probabilité d'une baisse des prix

Selon une étude précitée du FMI 11 ( * ) , sur la période 1970-2002, dans les pays de l'OCDE les fortes augmentations des prix de l'immobilier ont été suivies de fortes diminutions des prix dans environ 40 % des cas.

En d'autres termes, s'il n'est pas impossible que l'augmentation actuelle des prix de l'immobilier en France soit suivie d'une stabilisation, il y a près d'une chance sur deux qu'elle soit immédiatement suivie d'une diminution.

Comme cela a été indiqué ci-dessus, la demande devrait devenir moins dynamique à moyen terme, avec l'affaiblissement des facteurs de hausse, phénomènes l'ayant soutenue depuis la fin des années 1990 : ralentissement de l'augmentation du nombre de ménages, sortie des dispositifs d'aide au logement locatif, qui exigent généralement une détention de l'actif pendant neuf ans, moindre solvabilité des emprunteurs.

Par ailleurs, les ménages sont susceptibles de développer un comportement attentiste lorsque les prix deviennent très élevés.

La hausse des prix étant supérieure à celle qui aurait résulté des seuls facteurs objectifs de soutien de la demande, il est possible que ce moindre dynamisme de la demande se traduise par une baisse des prix.

le déclencheur du retournement : la capacité d'acquisition des ménages

Dans son étude précitée, la Banque de France examine, dans le cas de Paris, l'évolution de trois facteurs susceptibles d'expliquer le plus ou moins grand intérêt des ménages à acheter un logement :

- la taille du logement qu'ils peuvent acheter 12 ( * ) ;

- l'avantage qu'ils ont à acheter plutôt qu'à louer, mesuré par le ratio « coût de la dette d'acquisition » / « coût de location » (plus ce ratio est faible, plus ils ont intérêt à acheter) ;

- la « prime de risque » de l'investissement locatif, par rapport au rendement d'une obligation d'Etat à dix ans.

Les résultats des simulations de la Banque de France sont indiqués par le graphique ci-après.

L'incitation des ménages à acheter un logement à Paris en 1991 et 2003

Source : « Y a-t-il un risque de bulle immobilière en France ? », Bulletin de la Banque de France, n° 129, septembre 2004

Les deux séries de bâtons figurant en haut du graphique permettent de comparer la situation de 2003 avec celle de 1991, « sommet » du précédent cycle. On observe que les ménages avaient en 2003 plus intérêt à acheter un logement qu'en 1991 : leur capacité d'achat était deux fois supérieure, le ratio « coût de la dette d'acquisition » / « coût de location » était plus faible, et la prime de risque sur l'investissement locatif était de 4 points, ce qui signifie que ce dernier avait un rendement de l'ordre de 8 %, contre 4 % pour les obligations, contre -1,9 point en 1991 13 ( * ) .

Les simulations de la Banque de France montrent que pour que les ménages aient aussi peu intérêt à acheter qu'en 1991, il faudrait, par rapport à la situation de 2003, une augmentation de 300 points de base des taux du crédit et de l'OAT 10 ans, et une augmentation de 30 % du prix de l'immobilier. Même dans ce cas de figure, la situation demeurerait légèrement plus favorable, puisque la prime de risque sur l'investissement locatif serait à peine négative. La croissance des prix de l'immobilier, de l'ordre de 15 % par an ces dernières années, n'ayant commencé à ralentir qu'en 2005, l'augmentation de 30 % du prix de l'immobilier devrait être rapidement atteinte. En revanche, le taux de l'OAT 10 ans, de 4,13 % en 2003, loin d'augmenter, a diminué : il est passé à 4,10 % en 2004, et était de 3,26 % en août 2005.

Les limites de la solvabilité des primo acquéreurs

La réflexion théorique précitée doit néanmoins être confrontée avec l'analyse empirique suivante.

Soit un ménage avec deux enfants, dont les revenus correspondent au revenu moyen des Français (27.314 euros en 2002), primo acquéreur, souhaitant acquérir un appartement de 60 m² à Paris. Le prix moyen au m² est, selon la chambre des notaires d'Ile-de-France de 4.745 euros. Le prix de l'appartement est donc de 284.700 euros. La capacité de remboursement du ménage correspond au maximum à 33 % de son revenu mensuel, soit 750 euros par mois. Au mieux, ce ménage peut acquérir un bien immobilier à Paris en souscrivant un prêt sur 30 ans de 155.000 euros (au taux de 3,91 % assurance incluse) moyennant un apport personnel de 130.000 euros .

A supposer que notre ménage n'ait pas cet apport personnel, il envisage d'acquérir un bien en grande couronne dont les prix moyens au m² sont de 2.269 euros, soit, pour un appartement de 60 m², un prix de 136.140 euros. Dans ce cas, il peut acquérir ce bien, sans apport personnel, moyennant un prêt sur 25 ans (au taux de 3,91 % assurance incluse).

Pour acquérir un appartement de 60 m² sans apport personnel à Paris, il faudrait que notre ménage dispose de revenus annuels de 50.000 euros pour un prêt à 30 ans, de 55.000 euros pour un prêt à 25 ans (soit deux fois les revenus moyens d'un ménage) et de 75.000 euros pour un prêt à 15 ans.

On comprend donc pourquoi, au moins en ce qui concerne les primo acquéreurs, la capacité d'acquisition des ménages se soit dégradée à un point tel en 2005 que la demande ne puisse désormais que fléchir . La baisse de la demande peut avoir un effet différé sur les prix, mais ceux-ci ne peuvent vraisemblablement poursuivre un mouvement de hausse, même modéré, uniquement alimenté par les achats des seuls possesseurs d'un bien immobilier qu'ils envisagent de revendre 14 ( * ) . En 1990-1991, la baisse des prix avait été différée un an après le haut du cycle, comme le montre le graphique suivant mettant en regard le nombre de transactions et le niveau des prix.

Evolution des transactions et des prix moyens au m² à Paris

Source : Chambre des notaires d'Ile-de-France

Tout indique que les signaux d'un retournement du marché seront donnés par le marché immobilier en Ile-de-France : c'est sur ce marché que la contrainte de solvabilité est la plus forte, même si c'est, selon l'OFCE, en province, que les prix sont très nettement au-dessus de leur tendance de long terme par rapport à 1991.

Il faut se féliciter que le retournement des prix puisse être initié par une baisse de la capacité d'acquisition des ménages sans que les taux d'intérêt aient encore entrepris une hausse. Ceci limite les risques sur la croissance d'un retournement du marché. Le consensus des conjoncturistes ne prévoit pas d'augmentation importante des taux d'intérêt en 2005 et en 2006, comme l'indique le graphique ci-après.

Les taux d'intérêt à long terme de la France et des Etats-Unis

(en %)

Sources : Insee, Bureau of Economic Analysis, Réserve fédérale, Banque centrale européenne, Consensus Forecasts (septembre 2005)

* 11 Perspectives de l'économie mondiale, septembre 2004.

* 12 Sans apport, en consacrant un tiers du revenu au remboursement d'un emprunt contracté sur 15 ans au taux moyen observé par la Banque de France.

* 13 Ce qui provient peut-être du fait que les loyers parisiens augmentaient fortement à cette époque, et que les investisseurs ont pu considérer cette situation comme permanente.

* 14 On assiste à un transfert de richesse entre les ménages jeunes et les ménages plus âgés, seuls ces derniers ayant la faculté de bénéficier véritablement d'une plus-value en rachetant des surfaces moins grandes ou moins chères après avoir vendu.

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