N° 32

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 octobre 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur l'application de la loi n° 2002-6 du 4 janvier 2002 relative à la création d' établissements publics de coopération culturelle (EPCC) ,

Par M. Ivan RENAR,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Marie Bockel, Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Christian Demuynck, Denis Detcheverry, Mme Muguette Dini, MM. Louis Duvernois, Jean-Paul Émin, Mme Françoise Férat, MM. François Fillon, Bernard Fournier, Hubert Haenel, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Alain Journet, André Labarrère, Philippe Labeyrie, Pierre Laffitte, Simon Loueckhote, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Mélot, M. Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, André Vallet, Marcel Vidal, Jean-François Voguet.

Établissements publics.

« L'art est le plus court chemin
qui mène de l'homme à l'homme »

André Malraux

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Portalis disait : « Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaiblissent les lois nécessaires ». Nous sommes tous convaincus que la loi du 4 janvier 2002 portant création de l'établissement public de coopération culturelle fait partie de ces « lois nécessaires ».

Rappelons que cette nouvelle structure juridique permet d'organiser - dans le cadre de la décentralisation et de la logique du co-financement - le partenariat entre l'État et les collectivités territoriales, ou entre ces dernières seules si elles le souhaitent, pour la gestion d'équipements culturels structurants.

Votre rapporteur a procédé à une cinquantaine d'auditions, qui lui ont permis d'entendre une centaine de personnes. Il tient, à cet égard, à souligner la grande qualité des échanges et la compétence des professionnels et artistes rencontrés, dont la diversité des formations et la variété des expériences contribuent incontestablement à la richesse de la création et du paysage culturel français.

La commission des affaires culturelles a, grâce à l'organisation de deux tables rondes, le 8 juin dernier, élargi cette concertation et poursuivi ce dialogue constructif. L'ensemble de ces auditions montre que le dispositif semble répondre de façon satisfaisante aux trois préoccupations principales qui avaient inspiré la loi :

- offrir un cadre d'organisation adapté aux spécificités des services culturels et garantissant une certaine stabilité et pérennité ;

- fournir un cadre de gestion associant souplesse de fonctionnement et rigueur de gestion ;

- permettre un partenariat équilibré, sur la base du volontariat, entre les collectivités publiques membres de l'établissement public de coopération culturelle (EPCC).

Le bilan apparaît positif : sur le terrain, les acteurs ont fait preuve d'esprit d'initiative et les résultats paraissent encourageants, en dépit de certaines inquiétudes ou difficultés ; en outre, les réalisations qui résultent de la loi vont au-delà de ce que le législateur avait prévu.

Une quinzaine d'EPCC existent aujourd'hui et un nombre au moins égal est en cours de création. Et ce n'est probablement que le début d'un mouvement dont on peut se réjouir.

Mais ce mouvement est freiné par un certain nombre de difficultés. C'est pourquoi il est d'autant plus urgent de perfectionner les textes et de clarifier leur interprétation. Ce constat a incité la commission des affaires culturelles à confier à votre rapporteur - qui avait été l'auteur et le rapporteur de la proposition de loi à l'origine de la loi de 2002 - une mission de suivi. L'objectif consistait à cerner plus précisément ces obstacles et à étudier les moyens d'améliorer la loi et ses textes d'application, en vue de présenter ensuite à la commission une nouvelle proposition de loi tendant à corriger ces dispositions des imperfections que la pratique a permis d'identifier.

Cette proposition de loi devrait être soumise à l'examen du Sénat, puis de l'Assemblée nationale, au début de l'année 2006, afin que les projets en cours puissent aboutir dans de bonnes conditions.

Il faut souligner que cette mission a été menée en parfaite collaboration avec le ministère de la culture et de la communication. Votre rapporteur se félicite, à cet égard, de la mobilisation du ministère afin que les textes d'application de la loi puissent être élaborés - pour ceux en attente - ou révisés - pour les autres - dans les meilleurs délais après l'adoption par le Parlement de cette proposition de loi. En revanche, votre rapporteur a craint un moment que des difficultés liées à la concertation interministérielle, que ce dossier a malheureusement illustrées, ne freinent l'avancement de ses travaux. Toutefois, celle-ci ayant, en définitive, abouti tardivement, il formule le voeu que l'ouvrage de 2002, ainsi « remis sur le métier », n'aura pas à en souffrir...

En conclusion, votre rapporteur estime utile de resituer la mission d'évaluation qui lui a été confiée sur l'établissement public de coopération culturelle dans son cadre politique, celui de la place de la culture et des arts dans notre société. Il est, en effet, plus que jamais, fondamental de réaffirmer que l'art et la culture sont non seulement des enjeux de civilisation mais la condition même de notre civilisation. Notre société a un besoin vital de la création artistique et de sa réception critique par l'ensemble de la population.

La culture relève bien d'une responsabilité publique où chaque partenaire doit assumer la part qui lui revient : les collectivités territoriales bien sûr, mais aussi l'Etat, sans oublier l'Europe même si c'est un autre débat.

Pour créer de nouvelles perspectives de développement, il est indispensable d'être « plus » et « mieux » partenaires. Le mouvement de décentralisation a été un levier majeur de la démocratisation culturelle. Et la loi de 2002, qui a créé ce nouvel outil qu'est l'EPCC, s'inscrit dans ce mouvement. Votre rapporteur rappelle cependant qu'il l'avait alors envisagée dans la perspective d'une loi d'orientation ou d'une loi cadre sur la culture, qui reste, lui semble-t-il, d'actualité. Il souhaite réaffirmer que l'approche de l'EPCC est et a toujours été guidée par une pétition de principe : l'affirmation de la liberté de création des artistes, comme du droit des citoyens à rencontrer les oeuvres. Autrement dit, l'EPCC est un outil pour mieux servir l'art et la culture et non pour s'en servir.

La loi sur l'EPCC, comme son évaluation, s'inscrivent aussi dans la volonté de renforcer le service public de la culture dans sa mission d'un plus large et meilleur partage des oeuvres de l'esprit. Pour reprendre la belle formule d'André Malraux : « l'art est le plus court chemin qui mène de l'homme à l'homme ».

I. UN CONSTAT POSITIF : LE SUCCÈS D'UNE FORMULE À PERFECTIONNER

A. UNE PLACE INCONTESTABLEMENT UTILE DANS LA PANOPLIE DES INSTRUMENTS JURIDIQUES

L'EPCC n'est pas venu combler un « désert » juridique, dans la mesure où la « boîte à outils » à la disposition des structures culturelles est garnie. Toutefois, la loi de 2002 a répondu à une forte et longue attente des professionnels de pouvoir disposer d'un instrument de gestion spécifique aux activités artistiques et culturelles.

1. Les insuffisances des structures juridiques existantes

C'est d'ailleurs faute d'un cadre juridique spécifiquement adapté aux structures culturelles que ces dernières se sont « coulées » dans les moules juridiques existants, dont les avantages certes indéniables ne doivent pas dissimuler des inconvénients avérés.

L'objet du présent rapport n'étant pas de réaliser une étude comparative exhaustive sur ce sujet, votre rapporteur en rappellera seulement certains aspects.

a) Le syndicat mixte et le groupement d'intérêt public


Le syndicat mixte

Le syndicat mixte est un établissement public qui peut être constitué entre collectivités publiques et établissements publics, à l'exclusion cependant de l'Etat, ce qui peut évidemment poser problème dans le secteur qui nous intéresse.


• Le groupement d'intérêt public (GIP) à caractère culturel

La loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 relative au développement du mécénat autorise le recours au GIP dans les domaines de la culture et de la jeunesse et pour la gestion de services d'intérêt commun nécessaires à ces activités.

Cette formule a pour avantage de permettre, dans un cadre souple, la collaboration entre personnes publiques et personnes privées. Il faut toutefois rappeler que :

- sa création doit être approuvée par arrêté du ministre chargé de la culture et du ministre chargé du budget ;

- sa durée doit être déterminée et fixée dans ledit arrêté ; en effet, même si certains GIP connaissent une longue durée de vie, le groupement est conçu pour permettre à des structures existantes de mettre en commun des moyens dans un but défini et délimité dans le temps ; il est donc peu adapté à la gestion d'un équipement pérenne ;

- les moyens du GIP procèdent essentiellement d'apports de ses membres et il ne dispose généralement pas d'un capital ;

- enfin, il ne peut recruter de personnel propre que dans des conditions très limitées.

b) L'association de la loi de 1901

Le recours au cadre associatif est courant dans le domaine culturel. Il allie, en effet, la souplesse des règles de création et de fonctionnement (partiellement liée à la gestion de droit privé) au soutien public, par le biais de subventions ou de concours en nature.

Cet instrument juridique pose cependant deux types de problèmes :

- son fonctionnement manque parfois de rigueur, sans que le conseil d'administration - dont la composition et le mode de désignation ne permettent pas toujours un contrôle adéquat de la part des collectivités publiques - puisse jouer pleinement son rôle ; telle est d'ailleurs la difficulté soulevée par plusieurs personnes auditionnées par votre rapporteur sur la genèse de la création de l'EPCC de Rouen (opéra) ;

- par ailleurs, on le sait, les risques liés à la gestion associative ne sont pas minces et sont régulièrement mis en avant par la Cour des Comptes. Le juge peut - ayant qualifié une association ne disposant pas d'autonomie réelle, de transparente ou de para administrative - condamner pour gestion de fait des responsables, fonctionnaires ou élus concernés. Il peut alors considérer que l'association constitue un simple démembrement de la collectivité publique, lui permettant de s'affranchir des règles régissant la gestion des deniers publics (en particulier le principe de séparation de l'ordonnateur et du comptable et l'application du code des marchés publics).

c) Les autres structures juridiques

D'autres solutions existent et l'on citera en particulier les régies directes, les établissements publics de coopération intercommunale, les sociétés d'économie mixte, les sociétés commerciales... Chacune peut répondre à certains besoins, mais aucune n'est exempte d'insuffisances.

Les outils de gestion classique s'étant révélés peu adaptés ou présentant des risques pour la gestion de services publics culturels par des collectivités publiques, de nombreux élus et professionnels étaient à la recherche d'un statut plus adapté. Dans ces conditions, l'idée de la création d'un établissement public culturel a grandi. La persévérance des uns et des autres a permis d'aboutir au texte du 2 janvier 2002.

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