IV. PRÉCISIONS SUR QUELQUES ASPECTS DU DÉBAT SUR LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE

Le débat économique sur les performances de croissance de l'économie française est « embué » par une succession d'approximations qu'il convient de dissiper, car elles obscurcissent la stratégie économique à mettre en oeuvre en brouillant l'ordre des priorités qu'il faudrait respecter 41 ( * ) .

Chacun sent bien que la croissance n'atteint pas le niveau qui pourrait être le sien et qu'elle n'est pas suffisante pour nourrir le revenu national, financer les forces à l'oeuvre dans le système de protection sociale et faire décroître le taux de chômage.

Dans ces conditions, il est légitime de se fixer un objectif de retour à une croissance durablement élevée .

Dans cette perspective, un taux de croissance de 3 % est usuellement mentionné .

Une telle performance écon omique n'est pas hors de portée, comme vient le rappeler l'épisode de forte croissance de la fin des années 90.

Les résultats des projections qu' expose le présent rapport montr ent qu' une croissance à 3 % est envisageable, sous certaines conditions .

Cependant, il est bien exact que cet objectif conduit à poser les questions de savoir comment il peut être atteint et si l'économie française peut croître durablement sur un rythme de 3 % en l'état de son fonctionnement.

Pour tenter de répondre à ces questions, on peut partir de l'analyse de la croissance potentielle .

La croissance potentielle annuelle, a-t-on indiqué, correspond au rythme de croissance qui serait réalisé si le contingent annuel nouveau de population active employable sans tensions inflationnistes était effectivement employé, compte tenu, par ailleurs, des gains de productivité du travail. Une économie connaissant continûment une croissance effective égale à sa croissance potentielle se trouverait produire, à chaque instant, exactement ce qu'elle peut produire. Autrement dit, son niveau de production, son PIB, serait à son niveau potentiel, qui est le niveau maximum de production dans des conditions données d'augmentation de la population active et de la productivité du travail.

Ces dernières conditions doivent être un peu précisées :

- Le niveau des gains de productivité par tête dépend de la durée du travail de chacun et de l'efficacité du système productif.

- Le niveau de population employable sans tensions inflationnistes dépend des effectifs de la population active et des modalités de fonctionnement du marché du travail, tout particulièrement de la formation des salaires.

Les évaluations pour la France de la croissance potentielle varient mais la situent autour de 2 % dans les années qui viennent . Cette valeur peut sembler faible, mais elle est plus élevée que chez pour beaucoup de pays européens , ce qui explique une partie de la « sur-performance » de croissance de notre pays par rapport à nos voisins de la zone euro.

POURQUOI LA PERFORMANCE DE CROISSANCE DE LA FRANCE
EST-ELLE SUPÉRIEURE, DEPUIS 10 ANS,
À CELLE DE SES PARTENAIRES DE LA ZONE EURO ?

Depuis 1997, l'économie française croît à un rythme supérieur de 0,4 point par an à celui de l'ensemble de la zone euro et supérieur de 1 point par an à celui de ses deux principaux partenaires de cette zone (Allemagne et Italie).

Ce différentiel s'explique par un facteur conjoncturel et un facteur structurel :

- depuis 2003, le taux d'épargne des ménages français a baissé, ce qui a contribué au dynamisme de la consommation, alors qu'une évolution inverse a été constatée en Italie et en Allemagne. L'explication de ce phénomène par la hausse des prix de l'immobilier en France - celle-ci a été faible en Allemagne et en Italie -, vient de trouver plusieurs confirmations économétriques 1 . Il apparaît ainsi que l'immobilier est un puissant canal de transmission de la politique monétaire : la baisse des taux d'intérêt et du coût du crédit rendent solvables nombre de ménages souhaitant acquérir un logement ; cet accès plus simple au crédit injecte des liquidités dans l'économie, ce qui stimule la consommation 2 . Elle stimule également la hausse des prix de l'immobilier : les ménages qui réalisent une partie de leur patrimoine sont ainsi plus riches que ce qu'ils anticipaient et affectent une partie de ces liquidités à la consommation ; les ménages « non vendeurs » ont un sentiment de richesse plus fort, du fait de la hausse des prix de l'immobilier, ce qui se traduit également par une baisse de leur épargne.

- de manière plus structurelle, sur la période 1994-2004, la productivité apparente du travail comme l'augmentation de la population active ont été plus fortes en France qu'en Allemagne et en Italie, impliquant un potentiel plus important (cf. tableau ci-dessous).

LE POTENTIEL DE CROISSANCE (EN  %)


Sources : Comptabilités nationales, OCDE, OFCE

1 Voir notamment Rapport Sénat n° 6 (2005-2006) de M. Philippe Marini, Rapporteur général de la Commission des finances sur « le marché immobilier français » et l'étude de l'OFCE présentée en annexe.

2 Néanmoins, l'expansion globale du crédit s'accompagne, en France, d'une concentration sur un nombre plus réduit de bénéficiaires contrairement à ce qui se produit dans plusieurs autres pays européens. Par ailleurs, la « recharge hypothécaire » est comparativement très peu développée en France ce qui limite l'impact favorable sur la croissance des taux d'intérêt bas.

Source : Synthèse des prévisions à court terme, octobre 2005.
Service des Études économiques et de la Prospective du Sénat.

Il faut observer que la croissance effective peut être différente de la croissance potentielle , sous l'effet de chocs économiques notamment. Deux situations doivent être distinguées :

- celle où la croissance effective est inférieure à la croissance potentielle, ce qui est le cas en France depuis 2001 ;

- celle, inverse, où la croissance effective est supérieure à la croissance potentielle.

Ces deux situations ont des significations différentes mais aussi des propriétés qu'il faut distinguer.

Sous l'angle du diagnostic, il apparaît presque tautologique d'observer que, lorsque la croissance effective n'atteint pas le rythme de croissance potentielle , des moyens de production disponibles , en particulier du travail, ne sont pas employés .

Dans un tel cas, le remède immédiat ne consiste pas à augmenter l'offre de travail disponible. L'action publique peut éventuellement porter sur un meilleur appariement de la demande et de l'offre de travail. Elle peut surtout s'orienter vers la recherche d'une trajectoire de demande qui favorise le retour au rythme de croissance potentielle . La mobilisation des politiques conjoncturelles est alors justifiée dans la mesure de leur capacité à augmenter la demande. D'autres instruments peuvent être employés de nature plus qualitative comme la politique des revenus, la politique commerciale, le réglage du marché du travail 42 ( * ) , la diplomatie économique... Elle peut, enfin, ambitionner d'élargir la gamme d'activités accessibles.

Lorsque la croissance effective excède la croissance potentielle , le raisonnement inverse peut être privilégié. Le rythme de croissance n'est alors tenable que si des moyens de production supplémentaires peuvent être mobilisés, sans tensions inflationnistes, ou si les gains de productivité accélèrent.

En résumé, il faut augmenter la croissance potentielle, ce qui relève de politiques structurelles d'offre. Par ailleurs, la politique économique peut user d'outils conjoncturels visant à infléchir l'activité 43 ( * ) .

Un complément doit être ajouté. Sur moyen-long terme, l'économie connaît des évolutions cycliques. La croissance oscille autour de son rythme potentiel. Cela signifie que, pendant une période plus ou moins longue, la croissance effective peut être supérieure au potentiel sans qu'il faille nécessairement mobiliser des facteurs de croissance supplémentaires par rapport à une situation donnée . Ces épisodes permettent de résorber l'écart de croissance négatif d'une période antérieure. Ils s'achèvent lorsque l'activité a permis de rejoindre le PIB potentiel.

Inversement, des phases où la croissance effective est inférieure à la croissance potentielle peuvent être nécessaires pour éliminer un excès de demande par rapport à une capacité de production donnée. Dans une telle configuration, une relance de la demande n'a pas d'effets autres que d'augmenter l'inflation et/ou de dégrader le commerce extérieur.

En conclusion, la qualité du diagnostic porté sur la situation conjoncturelle est de la plus haute importance pour adopter des politiques économiques adaptées.

Or, le constat qui, selon votre rapporteur, semble devoir s'imposer est celui d' une économie française dont le niveau de production est inférieur au potentiel , pour des motifs qui ne tiennent pas principalement à une insuffisance des capacités de production comme le chômage et le faible taux d'utilisation des investissements en témoignent, mais à une insuffisance de la demande .

Dans un tel contexte, la priorité devrait être de retrouver une croissance effective qui permette de rejoindre la production potentielle .

Soit un déficit de production de l'ordre de 2,5 points de PIB, une croissance à 2,5 % pendant cinq ans permettrait de combler ce déficit sans tensions. Si la croissance devrait atteindre 3 %, le retard de production de l'économie française serait plus rapidement effacé, en deux ans et demi, à peu près.

Ce n'est qu'après ces échéances que viendrait se poser la question légitime du niveau de la croissance potentielle . Tant que le déficit de croissance accumulé ces dernières années subsiste, il n'apparaît pas prioritaire que les potentialités de croissance de l'économie française soient relevées.

La seule objection concevable à cette conclusion serait que la croissance effective est bridée par les mêmes raisons qui limitent la croissance potentielle. La conviction de votre rapporteur est qu'il faut privilégier le point de vue inverse, selon lequel plus le rythme de croissance effectif sera élevé plus il sera possible d'augmenter la croissance potentielle de notre économie.

UNE PROCHAINE AUGMENTATION DE LA CROISSANCE POTENTIELLE,
POUR QUOI FAIRE ?

Le RESF envisage l'hypothèse, raisonnable , que, dans un futur proche (celui du programme de stabilité à l'horizon 2009), le niveau de la croissance potentielle en France passe des 2 %, auxquels selon lui il se situe, à 3 %. Cette perspective qui, n'est pas précisément étayée, s'offrirait en raison d'une augmentation de la population participant au marché du travail 44 ( * ) et d'un choc de productivité 45 ( * ) , selon un dosage de ces deux composantes qui reste inexpliqué.

Le RESF estime que, dans cette hypothèse, la croissance effective viendrait rejoindre le rythme de la croissance potentielle qui serait plus élevé. Mais cette transmission de l'une à l'autre n'est pas explicitée.

Elle suppose implicitement que :

- l'augmentation du rythme des gains de productivité se transmette aux agents économiques dans des conditions propices à l'augmentation de leur demande, ce qui suppose un partage adapté du surplus de production ;

- l'augmentation du taux d'activité permette d'augmenter le taux d'emploi ce qui implique des conditions économiques qui ne sont pas aujourd'hui réunies.

Outre les questions relatives à la probabilité d'une augmentation prochaine, le scénario envisagé par le RESF conduit à s'interroger sur le point de savoir comment celle-ci pourrait entraîner une croissance effective, qui, en l'état, est insuffisante pour combler le déficit de croissance accumulé.

Toute politique économique doit observer une contrainte de rareté. Lorsque la croissance est atone, cette contrainte est redoublée. Il est alors plus difficile d'allouer des moyens nécessaires aux réformes structurelles dont on a besoin ou aux impulsions qu'impliquent, dans le domaine de l'éducation, de la formation ou de l'innovation, par exemple, des politiques visant à augmenter le potentiel de croissance d'une économie.

En outre, le déficit de croissance a un coût, que les économistes désignent sous le nom d'effets d'hystérèses, associé à la dégradation du capital humain ou à l'obsolescence des techniques installées. Une croissance effective durablement en berne réduit le potentiel de croissance d'une économie .

Il est risqué de promouvoir des politiques visant à augmenter le rythme de croissance potentielle au détriment d'un retour à une forte croissance effective.

Il existe une série de dilemmes entre ces deux politiques dont les horizons temporels ne sont pas les mêmes. A titre d'exemple, l'enrichissement de la croissance en emplois non qualifiés nécessaires pour réduire le chômage est favorable à un retour à une croissance effective plus rapide. Mais, dans la perspective d'une élévation du rythme de la croissance potentielle, ses effets sont plus ambigus. Il évite de subir des effets d'hystérèses qui pèsent sur celle-ci ; en contrepartie, il déforme la structure économique vers des emplois à faible valeur ajoutée peu propices à l'augmentation du niveau des performances de l'économie française.

De la même manière, la hausse du taux de participation au marché du travail permet d'augmenter la population active - ce qui est favorable à la croissance potentielle -, mais, sans modification du rythme de croissance effective, cette augmentation ne crée que du chômage.

Comme souvent, le bon chemin est celui d'une combinaison habile des politiques économiques qui doit pleinement prendre en compte la dimension du temps.

Dans l'esprit de votre rapporteur, la croissance d'aujourd'hui doit permettre l'accélération de la croissance de demain qui supposera des réformes structurelles dont le calendrier ne doit pas être précipité.

A. AFFRONTER LE DILEMME DE LA PRODUCTIVITÉ

L'évolution de la productivité 46 ( * ) est au coeur des évolutions macroéconomiques. Les gains de productivité traduisent en effet l' efficacité globale d'une économie et sa capacité à créer des richesses.

Ainsi, la croissance potentielle de l'économie dépend de l'évolution de la productivité du travail et de celle de la population active.

Mais l'évolution de la productivité indique également la quantité supplémentaire de biens que chaque travailleur est en mesure de produire une année donnée par rapport à l'année précédente.

En ce sens, l'évolution de la productivité détermine, à court terme , le contenu en emplois de la croissance . L'évolution de la productivité détermine aussi l'évolution de la croissance qui permet de stabiliser le chômage . Lorsqu'elle ralentit, la croissance permettant de stabiliser le chômage est plus faible. Quand les gains de productivité accélèrent, il faut une croissance plus rapide pour stabiliser le chômage.

Ces deux aspects de la notion de productivité expliquent certainement que les évolutions récentes de la productivité du travail en France aient suscité des commentaires contradictoires.

Jusqu'à la fin des années 1980, la France a bénéficié de gains de productivité par tête soutenus, supérieurs à ceux que connaissaient les États-Unis (cf. tableau page 85). Ainsi opposait-on un modèle français de croissance « intensif en emploi », c'est-à-dire concentrant l'emploi sur une fraction de la population active très productive, mais au prix d'un chômage élevé, à un modèle américain plus extensif mettant plus l'accent sur le nombre d'emplois que sur leur productivité.

L'évolution des rémunérations individuelles correspondait à ces deux modèles, avec une croissance plus rapide du salaire par tête en France qu'aux États-Unis.

Ce « modèle français » à trois composantes - forte productivité, faibles créations d'emplois, salaires « élevés » 47 ( * ) - s'opposait ainsi au modèle américain - faible productivité, fortes créations d'emplois, bas salaires - et traduisait selon certains, une « préférence française pour le chômage » 48 ( * ) .

Cette opposition n'est plus pertinente depuis le début des années 90 : la France a connu un fort ralentissement de la productivité par tête au moment où celle-ci s'accélérait aux États-Unis.

Ainsi peut-on considérer que la politique française de lutte contre le chômage visant à freiner la substitution du capital au travail non qualifié, puis à partager le travail au moyen de la réduction de sa durée - au total, à enrichir le contenu emplois de la croissance - a connu un succès certain. Mais au même moment la plupart des économistes considèrent, de manière évidente, que si la croissance de long terme était durablement affectée par une moindre progression de la productivité, il en résulterait une moindre progression du niveau de vie par rapport à nos partenaires, notamment les États-Unis. Ainsi, le succès d'une politique publique en réponse à une situation donnée - la pénurie d'emplois - contiendrait-il également une menace à long terme : l' appauvrissement relatif de la France.

L'année 2004 n'a pas contribué à la clarté des discours sur l'évolution de la productivité : cette année a été, pour des raisons conjoncturelles 49 ( * ) , une année de redressement de la productivité, donc « pauvre en emplois » 50 ( * ) , mais dans une tendance globale de ralentissement de la productivité.

Les analyses se sont ainsi en quelque sorte télescopées, les unes pour souhaiter une croissance « plus riche en emplois » , les autres, au contraire, pour regretter le décrochage tendanciel de la productivité française par rapport aux États-Unis.

Cette confusion montre l'importance qu'il y a, dans une réflexion sur la croissance à moyen terme, à dresser un constat sur les origines du ralentissement de la productivité au cours des années 90 (1) : est-il exclusivement un effet des politiques d'enrichissement de la croissance en emploi, et à ce titre de nature transitoire, ou résulte-t-il d'évolutions plus profondes comme l'incapacité à tirer parti des nouvelles technologies ou une efficacité médiocre de l'organisation de la production ?

Ce retour sur le ralentissement de la productivité au cours des années 1990 permettra ainsi d'apporter des éléments de réflexion pour le moyen terme (2).

Votre Rapporteur reviendra enfin sur des travaux présentés par votre Délégation, concernant l'impact de certaines politiques publiques, et plus particulièrement de la politique en matière de recherche et développement, sur l'évolution de la productivité et de la croissance potentielle à long terme (3).

TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DE LA PRODUCTIVITÉ PAR TÊTE :
LE « DÉCROCHAGE » DE LA FRANCE PAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS

1983-1990

1990-1995

1995-2000

1995-2001

France
États-Unis

2,48
1,24

1,01
1,58

0,91
2,16

0,65
1,99

Source : France : INSEE
États-Unis : BLS, BEA et calculs INSEE

1. Retour sur le ralentissement de la productivité au cours des années 9051 ( * )

• La productivité par tête ralentit depuis 20 ans

Dans l'ensemble des branches marchandes non agricoles, la productivité par tête a augmenté de 2,5 % par an en moyenne entre 1983 et 1990, de 1 % entre 1990 et 1995 et 0,6 % seulement de 1995 à 2002.

TAUX DE CROISSANCE ANNUELS MOYENS DE LA PRODUCTIVITÉ PAR TÊTE

(en %)

Productivité par tête

1983-1990

1990-1995

1995-2002

Industrie
Construction
Services principalement marchands
Ens. branches marchandes non agricoles (SMNA)

3,5
2,9
1,8
2,5

3,8
1,4
- 0,2
1,0

3,1
- 1,4
- 0,1
0,6

Source : INSEE, comptes nationaux.

• Dans l'industrie, les gains de productivité restent soutenus.

Comme on peut l'observer dans le tableau ci-dessus , la productivité par tête dans l'industrie s'est accélérée au début de la décennie (+ 3,8 % par an entre 1990 et 1995, contre + 3,5 % entre 1983 et 1990). Le ralentissement observé depuis 1995 reste modéré (+3,1 % par an entre 1995 et 2002).

La productivité dans l'industrie manufacturière ne connaît pas d'infléchissement net dans la seconde moitié de la décennie 90. Par ailleurs, le diagnostic d'un « décrochage » par rapport aux États-Unis ne s'applique pas à l'industrie manufacturière (cf. tableau ci-dessous ), quelles que soient les périodes considérées. Néanmoins, la tendance d'évolution plus favorable de la productivité dans l'industrie manufacturière en France par rapport aux États-Unis masque des évolutions divergentes : aux États-Unis, le rythme de la productivité horaire résulte d'une croissance forte de la valeur ajoutée ; en France, la réduction massive d' heures travaillées assure comptablement le maintien des gains de productivité.

L'augmentation de la productivité dans l'industrie manufacturière française y apparaît ainsi de nature plus « défensive ».

ÉVOLUTION DE LA PRODUCTIVITÉ DANS L'INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE
AUX ÉTATS-UNIS ET EN FRANCE

(Taux de croissance annuels moyens en %)

1983-2000

1983-2001

1990-2000

1990-2001

France

États-Unis

France

États-Unis

France

États-Unis

France

États-Unis

Productivité horaire apparente

4,4

3,4

4,4

3,2

4,6

3,8

4,5

3,5

Valeur ajoutée en volume

2,6

3,6

2,6

3,1

2,4

3,6

2,5

2,7

Volume d'heures travaillées

- 1,6

0,2

- 1,8

- 0,1

- 2,2

- 0,2

- 2,1

- 0,8

Nombre d'emplois
(personnes physiques)

- 1,7

0,0

- 1,5

- 0,3

- 1,7

- 0,3

- 1,5

- 0,8

Productivité par tête apparente

4,2

3,6

4,1

3,3

4,1

4,0

3,9

3,5

Le ralentissement de la productivité par tête dans l'ensemble de l'économie française semble donc essentiellement le fait des services marchands .

Les évaluations sectorielles de la productivité restent cependant extrêmement fragiles, compte tenu de la difficulté de mesurer la production et, donc la productivité, dans les services.

• La productivité horaire a moins ralenti que la productivité par tête

La productivité par tête est mesurée à partir du nombre de personnes impliquées dans la production. Cette mesure mélange ainsi un effet quantité -la variation de la durée du travail - à des effets qualité - la variation de l'efficacité d'une heure de travail.

Depuis vingt ans, l'effet quantité - variation de la durée du travail - est important et explique une partie de la baisse de la productivité par tête.

Le développement du temps partiel contribue à cet écart entre productivité par tête et productivité horaire. En effet en 2001, les actifs occupés travaillaient en moyenne 94,5 % d'un temps complet, contre 95,1 % en 1995, 96,7 % en 1990 et 97,1 % en 1983, ce qui traduit le développement du temps partiel depuis 20 ans, particulièrement dynamique au début des années 90.

Une productivité calculée par équivalent temps plein est ainsi plus élevée que la productivité par tête de 0,1 point par an entre 1983 et 1990, 0,3 point par an de 1990 à 1995 et 0,1 point de 1995 à 2001.

Mais, l' essentiel de l'écart entre productivité horaire et productivité par tête résulte de la baisse de la durée du travail liée à la mise en oeuvre des lois Aubry .

Une fois prise en compte cette baisse de la durée du travail, la productivité horaire ralentit certes au début des années 1990, mais moins sensiblement que la productivité par tête : son taux de croissance annuel moyen passe de 2,4 % sur la décennie 1983-1990 à 1,6 % sur la période 1990-1995, puis accélère légèrement depuis 1995 (1,8 %) (cf. tableau ci-après ).

ÉVOLUTION COMPARÉE DE LA PRODUCTIVITÉ PAR TÊTE
ET DE LA PRODUCTIVITÉ HORAIRE

(en % par an)

1985-1995

1995-2005

1995-2002

Productivité par tête SMNA*

1,6

1,1

0,6

Productivité horaire SMNA

2,4

1,6

1,8

*SMNA : ensemble des branches marchandes non agricoles
Source : INSEE.

• Les politiques de l'emploi ont contribué à enrichir significativement le contenu en emplois de la croissance

Deux facteurs ont contribué au ralentissement des gains de productivité par équivalent temps plein 52 ( * ) depuis 1990 (ou à l'enrichissement du contenu en emplois de la croissance, ce qui revient à dire la même chose) :

- l'INSEE estime que les allègements de charges sur les bas salaires, grâce à leur impact sur le coût relatif des non-qualifiés auraient pu se traduire entre 1992 et 2000 par une baisse de la productivité apparente du travail de 2 %, correspondant à la création ou à la préservation d'environ 330.000 emplois . Il s'agit là selon l'INSEE, « d'un effet toutes choses égales par ailleurs, qui ne distingue pas les allègements de charge des années 1992-1998 de ceux qui ont accompagné la mis en place de la RTT ;

- l'évolution de la productivité a été fortement déterminée par la mise en place de la RTT . Celle-ci a eu deux effets. Un effet dominant est l'effet direct sur la productivité par tête : il aurait été proche de -6 % sur la période 1996-2002 selon l'INSEE (soit -0,8 point environ de productivité par an). Un effet indirect résulte de l'accroissement du coût horaire moyen du travail consécutif à la mise en oeuvre de la RTT, ce qui incite les entreprises à économiser le facteur travail et à rechercher des gains de productivité. L'INSEE observe effectivement une augmentation de la contribution positive de l'évolution du coût horaire du travail à l'évolution de la productivité sur la période 1996-2001, par rapport aux périodes antérieures. Cet effet « coût du travail » a donc amoindri l'effet direct de la baisse de la durée de travail sur l'enrichissement du contenu en emplois de la croissance.

Toutefois, ces deux effets - allégements des charges et RTT -, ne suffisent pas à expliquer totalement le ralentissement de l'évolution de la productivité depuis le début de la décennie 1990.

Ceci conduit à envisager l' hypothèse d'un ralentissement « exogène » des gains tendanciels de la productivité du travail. Celui-ci pourrait résulter de facteurs communs à l'ensemble des pays développés. La France, et l'Europe plus globalement, est entrée à partir des années 1990 dans une phase d'achèvement du processus de rattrapage technologique de l'économie américaine. Sa productivité doit par conséquent ralentir et rejoindre la tendance d'évolution de la productivité américaine.

Ce diagnostic est cependant compliqué par la récente accélération de la productivité aux États-Unis. Mais celle-ci ne contredit pas l'explication du ralentissement de la productivité en France par la fin du rattrapage technologique des États-Unis, si l'on considère que l'accélération récente de la productivité américaine résulte des effets positifs des NTIC dont la France n'a pas encore pleinement profité.

* 41 De ce point de vue, le rapport économique, social et financier inclut un développement exemplaire dans sa partie, au demeurant intéressante, consacrée aux écarts de dynamisme économique entre les États-Unis, la zone euro et la France.

Ces écarts sont présentés comme imputables à un certain nombre de variables, de productivité et de taux d'activité principalement.

CONTRIBUTIONS À L'ÉCART DE RICHESSE PAR RAPPORT AUX ÉTATS-UNIS

Différentiel
en %
États-Unis

Écart de productivité horaire

Contribution à l'écart entre productivité et PIB par habitant

Écart de PIB par habitant

Heures travaillées

Chômage

Participation

Population 15-64 ans

Zone euro

- 3 %

- 17 %

- 3 %

- 7 %

1 %

- 28 %

France

11 %

- 22 %

- 4 %

- 6 %

- 2 %

- 25 %

Source : Rapport économique, social et financier PLF 2006.

Il s'agit de résultats statistiques , qui d'ailleurs sont présentés comme tels, précieux bien que contestables. Il est donc regrettable que les commentaires qui les accompagnent prétendent leur attribuer une portée explicative des écarts de performances de croissance entre les zones étudiées. Une telle présentation manque de rigueur : un simple décompte statistique de variables ne peut avoir une portée explicative sans interprétation. Il est ainsi dangereux d'insinuer qu'il suffirait, par des politiques avisées, de modifier les valeurs prises par ces variables pour combler le déficit de dynamisme économique de part et d'autre de l'Atlantique. En réalité, les variables dont il s'agit, plutôt que d'être explicatives pourraient bien n'être que les conséquences d'une croissance trop faible.

* 42 Toutefois, de façon générale, on estime que les politiques structurelles sont relativement inefficaces dans ce cas et que la politique conjoncturelle est un outil plus adapté.

* 43 L'intervention de la politique conjoncturelle est alors une sorte de « mal nécessaire » puisqu'elle revient à se résigner à une croissance moins rapide que ce qu'elle pourrait être.

* 44 En bref, les perspectives de diminution naturelle de la population active seraient plus que compensées par une hausse du taux d'activité.

* 45 Choc auquel le retard d'investissement et dans l'effort de recherche-développement et d'innovation confère une dimension seulement éventuelle.

* 46 La productivité apparente du travail rapporte une mesure en volume de la valeur ajoutée brute (on ne déduit pas la consommation de capital fixe) à une estimation du facteur de production « travail ». Quand le facteur travail est exprimé par le nombre de personnes impliquées dans la production, on mesure la productivité par tête . Quand on ramène la valeur ajoutée au volume d'heures travaillées, on calcule la productivité horaire ; c'est l'indicateur généralement retenue par les comptes nationaux.

* 47 Il serait plus rigoureux d'écrire : salaires évoluant comme la productivité.

* 48 Comme on évoque aujourd'hui une « préférence française pour le loisir » et comme si les évolutions macroéconomiques relevaient d'un libre-arbitre des salariés...

* 49 2004 est une année de reprise : l'adaptation des effectifs à cette reprise s'effectue avec un décalage, ce qui entraîne une accélération transitoire de la productivité (« cycle de productivité »).

* 50 La croissance du PIB devrait être de 2,5 %, celle de la productivité de 2,3 %, donc celle de l'emploi de 0,2 % seulement.

* 51 Le dossier présenté par l'INSEE dans le Rapport sur les comptes de la Nation de 2003 propose sur ce thème une analyse claire et complète, dont les principales conclusions sont reprises ici.

* 52 On évoque ici la productivité par équivalent temps plein, ce qui signifie qu'on ne tient pas compte ici de l'impact du développement du temps partiel sur le ralentissement de la productivité par tête.

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