COMMUNICATION DE MME GÉLITA HOARAU


prononcée le 1 er mars 2006

Je remercie le Président Nicolas About d'avoir pris l'initiative d'organiser cette audition sur l'épidémie de chikungunya qui sévit à la Réunion. J'en suis d'autant plus satisfaite que l'organisation de cette rencontre répond, en partie, à la demande que j'ai formulée auprès du Président du Sénat comme auprès de vous-même, Monsieur le Président About, dès le mois de décembre 2005. Il m'avait en effet semblé que la situation qui prévalait à la Réunion était suffisamment grave pour que notre commission en soit le plus complètement informée et s'en saisisse. C'est peu de dire qu'entre le moment où j'ai formulé cette demande et aujourd'hui, la situation a considérablement évolué pour devenir gravissime.

1. Une catastrophe sous-estimée

Je crois qu'il est important de rappeler rapidement la chronologie de cette catastrophe qui, selon l'opinion des Réunionnaises et des Réunionnais, aurait pu être, sinon évitée, du moins atténuée si l'on avait pris les mesures qu'il fallait au moment opportun.

Il y a environ un an, au début de l'année 2005, la présence du chikungunya à la Réunion était décelée et se limitait à quelques dizaines de cas. Mais déjà, elle était caractérisée par la rapidité de son extension . En quelques mois, au milieu de l'année 2005, ce sont déjà des milliers de Réunionnais qui étaient infectés.

Mais force est de constater que la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (Drass), et plus largement les représentants de l'Etat à la Réunion, n'ont pas pris la mesure, à ce moment, de la gravité de la situation. Il y a eu, de leur part, l'expression d'une minimisation générale de l'épidémie alors même que la presse locale faisait déjà état d'une situation plus que préoccupante, que de nombreux médecins exprimaient leur inquiétude, que les malades témoignaient des manifestations extrêmement douloureuses et invalidantes de la maladie et que les élus locaux s'en inquiétaient.

Minimisation de l'épidémie, tant dans ses affections que dans son extension . Il a été dit, en effet, que le chikungunya n'était pas une maladie mortelle ; on sait ce qu'il en est aujourd'hui. Il a été fait aussi le pari que cela n'allait pas durer, que le chikungunya ne survivrait pas à l'hiver austral ; on sait aussi ce qu'il en est aujourd'hui : l'hiver austral, non seulement n'a pas correspondu à une régression mais fut, au contraire, le point de passage pour la progression de la maladie.

On a oublié un peu vite que si la Réunion n'est pas située aux antipodes, elle est de l'autre côté de l'équateur et pour reprendre le mot d'Aimé Césaire, « on ne peut conduire de bonne politique contre l'histoire et la géographie ». En l'espèce, la géographie s'est rappelée à nous et cela est un sujet qu'il nous faudra méditer pour l'avenir. Car aussi intégrée qu'elle soit, bénéficiant des meilleures normes sanitaires possibles, à l'égal des autres départements français, la Réunion demeure une île tropicale, située dans le sud-ouest de l'océan Indien, îlot de relative prospérité ouverte sur un océan de sous-développement.

Comme l'a souvent souligné ici même au Sénat le Président Paul Vergès, la combinaison des effets de la mondialisation et des changements climatiques est porteuse de menaces nouvelles pour nos sociétés et pose des problèmes nouveaux de sécurité collective. Les nouveaux virus et les grandes épidémies sont de ces effets qui domineront le siècle qui s'ouvre et pour lesquels nous sommes peu préparés. Et à ce titre, ce qui se passe actuellement à la Réunion est très riche d'enseignement, pour toute la France et au-delà.

Face donc à la négation d'une réalité, comme à la sous-estimation de la réalité de la menace, deux questions se posent, deux questions s'imposent : est-ce l'état des connaissances scientifiques sur le chikungunya qui explique l'attitude de la Drass et de certaines autorités ou, au contraire, y a-t-il eu une erreur manifeste d'appréciation, dont nous payons aujourd'hui très gravement les conséquences ?

Si je pose ici devant vous ces questions, ce n'est nullement pour instruire je ne sais quel procès. L'heure n'est pas à la polémique mais au rassemblement de toutes les forces pour triompher du chikungunya. Mais l'heure est aussi à la vérité, vérité attendue par toutes les Réunionnaises et les Réunionnais, vérité qui contribuera à restaurer la confiance nécessaire pour une meilleure mise en oeuvre des mesures de prévention.

A la sortie de l'hiver austral, les chiffres officiels indiquaient que le chikungunya touchait 3.000 personnes environ. Mais la réalité était tout autre. C'est pourquoi, dès la rentrée parlementaire, j'ai attiré l'attention du ministre de l'outre-mer, devant notre commission, sur la gravité de la situation et les multiples questions qu'on était en droit de se poser.

J'ai aussi, par un détournement de procédure je l'avoue, saisi l'opportunité du débat sur la grippe aviaire pour témoigner devant la représentation nationale que nous étions, avec le chikungunya, face à une véritable épidémie qui, selon les médecins de la Réunion, touchait déjà plus de 20.000 personnes. En réponse, il m'a été indiqué que le Gouvernement débloquait 52.000 euros.

2. Des conséquences dramatiques pour la Réunion

Comme l'a rappelé ma collègue Anne-Marie Payet, c'est un Réunionnais sur cinq qui est touché, soit 160.000 personnes, 160.000 « chikungunyés » comme on dit aujourd'hui chez nous. Ramené à la population française, ce chiffre représenterait onze millions d'habitants.

Et cette maladie qui fut qualifiée de non mortelle a causé la mort directe ou indirecte de soixante-dix-sept personnes. Permettez-moi de souligner que la mortalité en 2005 est de 10 % plus élevée qu'en 2004 . Cela soulève de nombreuses interrogations au sein de la population réunionnaise et je crains que la réalité du chikungunya soit malheureusement, sur ce plan, encore plus sombre qu'elle ne l'est déjà.

Monsieur le Président, je ne reviendrai pas en détail sur les nombreux points soulevés par ma collègue Anne-Marie Payet et je ne m'aventurerai pas sur le volet scientifique. J'écouterai avec beaucoup d'intérêt les éminents experts qui s'exprimeront après moi et sur lesquels repose aussi l'espoir de notre population de sortir de cette crise.

Je voudrais juste témoigner de la réalité de la vie réunionnaise actuellement. Nous sommes, je crois, confrontés à la plus grave crise depuis plus de soixante ans . Cette crise est certes sanitaire , mais elle recouvre de nombreuses autres dimensions :

- crise économique bien sûr : c'est l'ensemble des secteurs d'activités qui sont affectés par la multiplication des arrêts maladie dans de très petites entreprises. Parmi les secteurs touchés, le tourisme est évidemment également gravement malade du chikungunya. Chacun le sait, le tourisme est le premier secteur d'activité de la Réunion, devant le sucre, et les conséquences, tant au niveau de la croissance que de l'emploi, risquent d'être désastreuses. A l'heure où je vous parle, c'est déjà 20.000 nuitées qui ont été annulées ;

- crise environnementale aussi : les opérations de démoustication sont, bien entendu, nécessaires pour lutter contre ce fléau. Mais nous nous interrogeons sur les épandages massifs de produits hautement polluants, notamment pour les nappes phréatiques, et ravageurs pour notre biodiversité.

Au début de l'épandage massif des insecticides, deux produits ont été utilisés : le Téméphos et le Fénitrotion. Devant nos mises en garde, ils ont été retirés en raison de leur toxicité. D'ailleurs, ces produits seront très bientôt retirés du marché européen. Nous préconisons, pour notre part, comme l'a fait le maire du Port, une méthode de démoustication biologique et mécanique, réservant de manière exceptionnelle et limitée dans le temps et dans l'espace l'utilisation des produits chimiques ;

- crise sociale également pour une population dont 300.000 personnes relèvent de la couverture maladie universelle et qui n'a pas forcément les moyens de se doter des répulsifs nécessaires à la prévention.

S'imagine-t-on aujourd'hui la vie quotidienne à la Réunion ? Chaque Réunionnais a au moins quelqu'un de son entourage ou de sa famille qui est malade, quand il n'est pas lui-même atteint par le virus : vie d'angoisse pour soi-même ou pour ses enfants. S'imagine-t-on des questions que se posent les Réunionnais face à un mal dont on a dit qu'il n'est pas mortel mais qui tue ? Face à un mal dont on semble découvrir au fur et à mesure de son extension de nouveaux effets ?

- crise de confiance enfin car c'est toute la société réunionnaise qui est aujourd'hui malade, ravagée par une perte de confiance sans précédent dans notre histoire récente. Je le disais en début de mon propos, cette crise, cette catastrophe sans précédent, est sans doute la plus grave que doit affronter notre île depuis des décennies.

3. Restaurer la confiance : une priorité

Cette crise de confiance multiple se manifeste aussi à l'égard des autorités nationales, c'est pourquoi j'ai demandé, notamment au Président du Sénat, qu'elle soit considérée comme cause nationale . Face à cette situation, il est urgent de témoigner à la population réunionnaise la solidarité de toute la nation.

Le déplacement du Premier ministre à la Réunion le week-end dernier et la mobilisation au plus haut niveau du Gouvernement sont un début pour redonner la confiance. Le Premier ministre a annoncé une série de mesures. Elles étaient attendues depuis longtemps. Ces mesures, très significatives et enfin à la hauteur de l'enjeu, concernent toutes les dimensions de cette crise. Je ne ferai pas le détail de ces mesures ; elles sont connues ici de tous.

Je crois qu'avec la visite de M. Dominique de Villepin à la Réunion et la mise en oeuvre rapide de ces mesures, c'est une nouvelle étape qui est ouverte dans la lutte contre l'épidémie, bien que le temps perdu soit désormais irrattrapable, notamment au regard du nombre de morts et de l'explosion de l'épidémie en fin d'année dernière.

Des journalistes m'ont interrogée sur la question de savoir si ces aides sont suffisantes ou non. Je pense que ces aides sont importantes mais qu'il faut surtout les utiliser dans la justice et la transparence . S'il s'avérait que c'est insuffisant, s'il s'avérait que la crise doit se prolonger, alors des efforts complémentaires seront nécessaires comme l'a promis le Premier ministre, et nous les réclamerons.

Pour l'heure, toute la Réunion et l'ensemble de ses élus, au-delà des clivages politiques, au-delà des polémiques stériles, sont tournés vers cette lutte qui conditionne la vie de nos habitants, le développement de notre île et notre avenir tout simplement.

Mais je voudrais insister sur le fait que les moyens qui vont être déployés ne seront efficients que s'ils se développent dans un climat de confiance retrouvée. La confiance doit être rétablie et elle ne le sera qu'à deux conditions :

- tout d'abord en disant la vérité aux Réunionnais et en agissant dans la plus grande transparence ;

- ensuite en multipliant les actes pour témoigner à la population réunionnaise de la solidarité de la nation.

Et, à cet égard, je pense que la mission que vous pourriez conduire à la Réunion, Monsieur le Président, peut y contribuer afin que la représentation nationale puisse être le porte-parole de notre population gagnée par le désespoir et la souffrance. A quelques jours de la célébration du 60 éme anniversaire de la loi du 19 mars 1946 mettant fin au statut colonial, ce rendez-vous ne doit pas être manqué.

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