RÉSUMÉ

I - Premier élément clé : la Chine est en train de forger une puissance économique impressionnante.

Tous les membres de la délégation ont été frappés, notamment lors de la découverte de Shanghai, par la force du réveil de la plus vieille civilisation du monde, dont les origines remontent à plus de 3.000 ans. Il ne faut en effet pas oublier que la Chine a constitué une des économies les plus importantes du monde pendant 18 des 20 derniers siècles. Au début de notre ère, elle commerçait avec Rome et tout le monde antique, par la Route de la Soie. En 1830, avant les guerres de l'opium, elle représentait 30 % du PIB mondial. En 1978, à la fin de l'ère maoïste, elle ne pesait plus que 1 % dans l'économie du monde. Aujourd'hui, elle dépasse les 4 % et elle n'est qu'au début du chemin qu'elle s'est tracé .

Il est clair qu'on assiste à une renaissance de ce qui fut longtemps une des plus grandes puissances économiques mondiales.

Les chiffres sont là pour s'en convaincre : le pays a connu une croissance annuelle de près de 10 % depuis 20 ans, cette croissance atteignant souvent 14 ou 15 % en moyenne chaque année dans les zones qui ont été visitées par la délégation. Par ailleurs, les réserves financières chinoises ont atteint, en 2005, 818 milliards de dollars.

On perçoit nettement les effets de ce développement fulgurant. A titre d'exemple, à Pékin il y a 15 ans, les grandes avenues à 10/12 voies étaient encombrées de vélos avec quelques voitures. Aujourd'hui, ce sont des embouteillages automobiles qui les engorgent et les vélos sont cantonnés aux voies de circulation proches des trottoirs. Autre image choc résumant cette évolution : la concession Ferrari de Pékin est située à 200 mètres du portrait géant de Mao qui surplombe l'entrée de la Cité interdite, place Tienanmen.

Mais il y a beaucoup d'autres marques de la vitalité et du dynamisme économique chinois :

- tout d'abord, l'intensité et la qualité du développement urbain , notamment à Shanghai, où l'on pourrait se croire aux Etats-Unis. En effet, à Shanghai, ville qui rassemble 20 millions d'habitants, au cours des douze dernières années, on a construit en moyenne un immeuble de plus de 30 étages toutes les 36 heures, presqu'un immeuble de plus de dix étages toutes les 24 heures et trois cents kilomètres d'autoroutes urbaines sur toute la période ;

- l'appétit de travail des Chinois . Partout où elle est passée, la délégation a pu voir des chantiers où on travaillait la nuit. Le port de Hong Kong fonctionne 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 et, au contraire des autres ports asiatiques, ne facture aucun supplément pour des déchargements le week-end ;

- tous les interlocuteurs économiques rencontrés par la délégation ont également souligné le goût pour les affaires des Chinois et la valorisation culturelle de leur réussite dans ce domaine ;

- ils ont également insisté sur l'alliance de prudence et de promptitude dans l'exécution des décisions qui caractérisent les choix de développement des Chinois. D'abord ils expérimentent, ensuite ils agissent mais ils agissent vite, très vite. En Chine, une usine se construit en trois à six mois.

Il convient évidemment de rappeler que ce formidable élan économique est alimenté par un coût très faible de la main d'oeuvre. Certaines usines fonctionnent avec des ouvriers hébergés et nourris sur place qui assurent 300 heures de travail par mois pour un salaire de 100 euros .

Mais il ne faut pas croire que la Chine ne soit que l'atelier bon marché du monde. Elle est passée devant la France pour ce qui est de son poids dans les dépenses mondiales de recherche.

Ainsi, lors de la visite du siège social d'un équipementier de télécommunications (ZTE) qui fabrique une grande part des produits Alcatel et qui développe sous sa propre marque des téléphones portables et des centraux téléphoniques du dernier cri technologique, la délégation a pu voir des téléphones portables qui transmettent en direct des images vidéo. Il s'agissait de produits non seulement made in China mais conçus en Chine.

C'est aussi un gigantesque marché intérieur en voie de constitution . Les chiffres varient, mais on estime que 60 à 80 millions de Chinois ont un pouvoir d'achat occidental. Pour être plus parlant, chaque année, il y a 5 millions de nouveaux abonnés au téléphone mobile en Chine ; ceci représente la totalité des abonnés à la téléphonie mobile au Portugal.

II - Deuxième élément clé : la Chine incarne un paradoxe politique surprenant.

Aujourd'hui, la Chine est un des pays les plus libéraux du monde sur le plan économique mais il est aussi un de ceux comptant parmi les plus autoritaires sur le plan politique . Atteintes aux droits de l'homme, surveillance de la presse, limitation de la liberté d'établissement des citoyens, absence de liberté syndicale, 10.000 condamnés à mort exécutés l'an dernier, occupation du Tibet, persécutions de la secte Falun Gong composent un panorama d'ordre totalitaire. Cependant, le Parti communiste chinois (PCC) ne paraît plus guère pouvoir être qualifié de communiste. L'un des plus importants milliardaires de Hong Kong fait maintenant partie du comité central, mais ce parti est toujours le seul parti politique autorisé en Chine 1 ( * ) et il tient le pays d'une main de fer.

Dans l'histoire de l'Europe, on pourrait comparer ce régime au « despotisme éclairé » qu'ont connu la Russie et la Prusse aux 16 e et 17 e siècles avec Pierre Le Grand, la grande Catherine et Frédéric II. S'y mêlaient l'autoritarisme le plus absolu et une volonté résolue de modernisation. Mais, en Chine, c'est un despotisme exercé collectivement par les dirigeants du parti unique et sans culte de la personnalité. Un des interlocuteurs de la délégation l'a qualifié de système impérial unitaire avec 8 empereurs : les huit membres du Bureau politique du PCC, pour la plupart ingénieurs de formation et dont le pragmatisme semble être le nouveau dogme.

Paradoxalement, la Chine est donc un pays bureaucratique et autoritaire où les entrepreneurs bénéficient d'une très grande liberté. D'une manière générale, la délégation n'a d'ailleurs pas perçu une société où le problème politique apparaissait primordial. Il est vrai que le régime s'attache à sortir le quart de l'humanité de la misère et que même si des inégalités sociales considérables se creusent, toutes les couches de la population paraissent bénéficier des retombées du développement.

Ainsi, contrairement à ce qu'on croit le plus souvent en France, en Chine, la liberté économique ne paraît pas induire inéluctablement la liberté politique. Ainsi, à rebours de ce qu'annonçaient nombre d'observateurs occidentaux, lorsque Internet a commencé à se développer en Chine il y a quatre ou cinq ans, on n'a pas vu éclore de forums de contestations politiques sur le Net. Or, il y a presque autant d'internautes en Chine qu'aux Etats-Unis. Mais il faut dire que certains sites sont interdits d'accès, qu'il y a un contrôle du contenu des échanges et que les accès aux cybercafés se font sur présentation de papiers d'identité.

Un chercheur français rencontré à Hong Kong a même déclaré qu'un de ses amis, universitaire à Pékin, et qui était sur la place Tienanmen en 1989, considérait que Deng avait eu raison de donner l'ordre de dissoudre la manifestation car, en définitive, le choix de Gorbatchev de donner la priorité à la liberté politique avait conduit la Russie au chaos, alors que celui de Deng en faveur de la liberté économique avait assuré la prospérité.

En d'autres termes, pour la plupart des observateurs avertis rencontrés, le régime en place apparaît solidement établi et ne pourrait être sérieusement menacé, à court ou moyen terme, que si la croissance venait à fléchir durablement. Dans cette hypothèse, il n'y aurait plus, en effet, les marges permettant de fournir des emplois aux populations qui, en dépit d'un contrôle rigoureux, quittent les campagnes pour les villes et ceci pourrait conduire à de graves explosions sociales.

C'est indéniablement une des grandes vulnérabilités du système : il est condamné à poursuivre sur le même rythme de croissance pour éviter le risque de l'écroulement.

Il y a par ailleurs une autre idée reçue qu'il semblerait nécessaire de relativiser : c'est la force du centralisme chinois. Celui-ci paraît incontestable au plan politique mais ne se vérifie pas toujours au plan économique. En effet, seuls 14 % des recettes fiscales globales sont redistribués par l'Etat central, l'immense majorité l'est par les provinces, qui -il est vrai- sont pour la plupart de la taille d'un grand Etat européen.

III - Troisième élément clé : le modèle de développement chinois n'est pas sans connaître de lourds handicaps.

Ces handicaps paraissent pouvoir être regroupés en six rubriques :

1. De profondes inégalités sociales. La plus grande part de la population continue à vivre, principalement dans les campagnes, avec 300 euros par an alors qu'une minorité en milieu urbain a acquis un niveau de vie occidental et que certains disposent de fortunes considérables.

2. Des déséquilibres territoriaux majeurs. La Chine des villes et des côtes est une Chine développée, mais la Chine de l'Ouest et du Nord, encore essentiellement agricole, demeure une Chine « à l'africaine » où les hommes rencontrent parfois les plus grandes difficultés à vivre.

3. Une voracité énergétique. La production chinoise est énergétivore. Un point de PIB chinois nécessite trois fois plus d'énergie qu'un point de PIB européen ou américain.

4. Une vulnérabilité financière. Plusieurs des personnes rencontrées lors de la mission ont souligné la constitution d'une bulle immobilière dans les grands centres urbains. A l'appui de cette assertion, tant à Shanghai qu'à Canton, la délégation a remarqué des immeubles d'importance dont la construction avait été arrêtée à la suite de la faillite du promoteur ou qui semblaient inoccupés. Par ailleurs, beaucoup s'accordent à considérer que le système bancaire chinois est fragile en raison de la masse très importante de créances douteuses accumulées sous l'effet de contraintes politiques ou de la faible compétence dans la sélection des risques.

5. Un déséquilibre démographique programmé. La politique de l'enfant unique va conduire à une contraction de la population active au moment des départs en retraite des générations des années 50 et induira des problèmes de financement des pensions.

6. La menace environnementale. Le développement économique chinois s'est fait sans aucun respect de l'environnement. A Hong Kong, où l'industrie n'existe presque plus, mais où les vents apportent les pollutions de Schengen, les jours où on voit le soleil sont devenus très rares. Les rivières des régions industrielles sont tellement polluées que les responsables administratifs laissent entendre que si cela s'aggravait, on pourrait atteindre des seuils irréversibles. Dans les mouvements sociaux qui sont portés à l'attention de la presse occidentale, les plus importants -après ceux liés à des expropriations spoliatrices- sont ceux liés à des pollutions chimiques qui entraînent des atteintes graves à la santé des populations et mobilisent les foules quand les décès ou les maladies d'enfants en bas âge se multiplient.

Si « l'atelier du monde » ne veut pas devenir une déchetterie mondiale, il apparaît donc évident qu'il doit relever d'urgence le défi environnemental . Ceci ne pourra pas se faire sans investissements importants et il devrait donc en résulter un accroissement des coûts de production de nature à atténuer les chocs que les premiers pas du géant économique en voie d'émergence portent aux industries des pays développés.

IV - Quatrième élément clé : la Chine peut se développer sans la France, la France ne peut pas rester indifférente à la Chine.

IV.1. La France doit être plus présente en Chine.

Nul ne peut aujourd'hui être sûr que la stratégie chinoise de développement portera les fruits qu'en attendent ces initiateurs. Au début du XX e siècle, la Russie tsariste apparaissait un régime solidement établi avec une économie porteuse d'avenir. Les Français y ont investi massivement. La révolution de 1917 a quasiment réduit à néant leurs créances. L'avenir n'est donc écrit nulle part.

Cependant, on prendrait un bien grand risque à ne pas tenir compte d'un pays dont l'excédent commercial envers le reste du monde a atteint 102 milliards de dollars en 2005 et qui compte 1,3 milliard de consommateurs potentiels. Or, la part française reste toujours, en 2005, de 1,5 % du commerce extérieur chinois, tout comme en 1980. Les Allemands ont, eux aussi, maintenu leurs positions d'il y a vingt-cinq ans mais elles sont quatre fois plus importantes et les Italiens et les Espagnols commencent à dépasser la France.

Certes, beaucoup de grands groupes industriels français sont présents en Chine depuis de nombreuses années. Mais les PME, même si elles commencent à s'intéresser à la Chine, ne s'y risquent pas encore en nombre. Pourtant, l'offre économique française va devenir de plus en plus intéressante pour les Chinois au fur et à mesure qu'ils vont développer leurs services et que leur consommation va se diversifier. Les protections qu'ils ont instituées en ce domaine devraient en outre commencer à s'estomper fin 2006, en raison des accords OMC.

Il est donc important que les grandes PME françaises s'intéressent davantage au marché chinois . Il appartient aux élus de les sensibiliser à cette perspective.

Leur implantation ne sera sans doute pas simple et sans risque. La Chine est aujourd'hui un Etat de lois mais pas un Etat de droit . En matière de contrefaçons par exemple, elle a une législation répressive qui correspond globalement aux critères internationaux. Mais la délégation a pu visiter un gigantesque marché largement ouvert au public où on trouvait des copies à prix cassés de toutes les grandes marques de l'habillement et de la chaussure. Elle a aussi recueilli beaucoup de témoignages sur les risques d'une joint-venture et les déconvenues d'industriels ayant été trahis par leurs partenaires. Ces derniers construisaient, par exemple, une usine similaire à celle montée en partenariat, dans une autre ville, pour proposer les mêmes produits sur le marché intérieur ou à l'exportation.

Cependant, il est indéniable que les opportunités existent dans le domaine des services, du tourisme, de l'environnement mais aussi de l'agriculture . La demande de viande va croître avec le niveau de vie et toutes les productions animales ne peuvent être réalisées hors sol, ce qu'envisagent actuellement les responsables politiques chinois eu égard à la faible superficie des terres cultivables (7 % de l'ensemble des terres). Enfin, de l'avis de la majorité de la délégation, l'avenir d'un certain nombre d'entreprises françaises passe par la Chine car, si elles n'y sont pas présentes, ce sont leurs concurrents qui y seront et elles s'exposeront donc au risque de disparaître. Hong Kong paraît offrir une porte d'entrée assez sécurisée pour une approche de ce marché, surtout pour les PME.

IV.2. La France doit se réveiller

« Quand la Chine s'éveille, la France s'endort » a dit l'un des membres de la délégation. On peut en effet le penser et il faut que la Chine réveille la France . On ne peut continuer à agir comme si le monde ne changeait pas autour de l'Hexagone. Il est impératif de se focaliser sur les secteurs d'avenir et donner une priorité appuyée à la recherche, à travers notamment les pôles de compétitivités et aux infrastructures collectives, pour conserver le plus longtemps possible une certaine avance sur l'appareil de production chinois.

Or, ceci est-il possible dans un pays où la part des investissements dans le budget national est passée de 10 à 5 % au cours des vingt dernières années et où la dette publique a augmenté dans des proportions inverses ? La délégation ne le pense pas et propose comme conclusion à la mission que maintenant que la Chine s'est éveillée, il incombe de citer son exemple pour réveiller la France et stimuler sa créativité.

Sinon, on risque fort d'avoir à préparer nos enfants et petits-enfants à des lendemains difficiles. Il ne faut pas oublier que la formule complète de Napoléon, dont Alain Peyrefitte avait mis la première partie en titre de son livre est « Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera ».

* 1 Les huit autres partis qui ne rassemblent que quelques dizaines de milliers d'intellectuels restent sous l'influence étroite du PCC.

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