B. 2004 : UN TEXTE DE COMPROMIS ENTRE RESPECT DE L'INDIVIDU ET BESOINS DE LA RECHERCHE

Il faudra in fine attendre dix ans pour que soit votée définitivement la seconde loi dite « de bioéthique » du 6 août 2004, fruit d'un long travail de concertation et d'étude mené, notamment, sous l'égide du Conseil d'Etat, du comité consultatif national d'éthique (CCNE) et de la commission nationale consultative des droits de l'Homme.

L'objectif affiché était de remédier aux lacunes des lois de 1994 et de prendre en compte les récents progrès scientifiques en apportant des réponses à cinq séries de questions :

- l'usage des tests génétiques et leurs applications ;

- le don d'organes et les greffes ;

- les problèmes liés au consentement des personnes en matière de don d'organes, de tissus et de cellules ;

- les questions touchant à l'AMP, du double point de vue de l'évolution des techniques, de l'accueil et de la conservation des embryons ;

- les problèmes posés par le clonage et sa pratique.

1. L'actualisation des lois de juillet 1994

a) Une organisation institutionnelle et juridique remodelée

L'apport majeur du texte en matière institutionnelle réside dans la création de l'agence de la biomédecine (ABM), chargée des missions antérieurement dévolues à l'établissement français des greffes (EFG) dans le domaine du prélèvement et de la greffe d'organes, de cellules et de tissus, notamment la gestion de la liste d'attente et de l'attribution des greffons, et de compétences dans les domaines de la reproduction, de l'embryologie et de la génétique humaine : autorisation des recherches sur l'embryon et les cellules embryonnaires, autorisation du diagnostic préimplantatoire, mais aussi agrément des praticiens réalisant des activités d'assistance à la procréation, de diagnostic prénatal et préimplantatoire et des examens des caractéristiques génétiques à des fins médicales.

Il s'agit donc d'un champ d'activité plus large que celui confié par le projet de loi initial à l'agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine (Apegh), remplacée par l'ABM lors de la première lecture à l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, le CCNE devient une autorité indépendante et des espaces de réflexion éthique sont créés au niveau régional.

Enfin, la loi de 2004 met en place un cadre juridique clair, cohérent et adapté aux évolutions technologiques et médicales dans le domaine des thérapies cellulaire et génique. Les cellules, qui relevaient antérieurement de régimes juridiques différents (régime des produits de thérapie cellulaire, des cellules non destinées à la thérapie cellulaire, des cellules d'origine médullaire), sont regroupées dans un cadre unique : celui des produits cellulaires à finalité thérapeutique qui ne comportent que des cellules d'origine humaine. En outre, le statut de médicament est conféré aux produits cellulaires d'origine animale et aux produits de thérapie génique.

b) La priorité donnée à l'information et au consentement de la personne

La loi du 6 août 2004 conforte également les principes régissant le don et l'utilisation d'éléments et de produits du corps humain, posés par la loi du 29 juillet 1994.

Les enjeux bioéthiques dans ce domaine concernent la sécurité sanitaire d'une part, et la protection et le respect de la personne, d'autre part. La sécurité sanitaire avait été largement prise en compte en 1994 et améliorée par la loi du 1 er juillet 1998 précitée. Les nouveautés portent donc essentiellement sur trois points : l'application de la législation de 1994 aux activités d'exportation et d'importation d'organes, la clarification des régimes de consentement avec la généralisation du consentement présumé et l' élargissement du champ des donneurs vivants .

Pour Axel Kahn, directeur de l'institut Cochin 2 ( * ) , « l'une des innovations majeures de la loi relative à la bioéthique est d'avoir élargi le champ des donneurs vivants autorisés pour les transplantations d'organes et de moelle osseuse. Cette initiative est positive du point de vue médical, dans la mesure où elle permet de développer les activités de greffes, mais elle pose un problème sur le plan éthique . En effet, les donneurs vivants potentiels peuvent être victimes de pressions familiales, qui les empêchent de prendre une décision sereinement. »

En outre, le texte sécurise le régime juridique des examens et identifications des caractéristiques génétiques des individus.

Le principal enjeu éthique de la médecine génétique se rapporte aux problèmes de discrimination en raison des caractéristiques génétiques, notamment dans les domaines de l'emploi et de l'assurance. Il a été traité par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. En conséquence, la loi du 6 août 2004 se concentre sur les modalités du consentement et de l'information de la personne relatives à ces examens et règle la question de l'identification par empreinte génétique post mortem , dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Par ailleurs, a été introduite une disposition relative à l'information de la parentèle en cas de maladie génétique grave détectée chez une personne, dès lors que des mesures de prévention ou de soins peuvent être proposées.

2. Les apports du texte de 2004

C'est sur le thème de l'embryologie et de la reproduction que sont intervenues les réformes les plus profondes opérées par la loi du 6 août 2004. Il s'agit notamment de :

- l'interdiction du clonage à fin de reproduction, défini comme une « intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée » , et la création d'un crime contre l'espèce humaine pour caractériser l'acte de celui qui s'y livrerait ;

- l'interdiction du clonage à visée thérapeutique, différencié du clonage reproductif en ce qu'il n'est pas un crime contre l'espèce humaine mais un délit ;

- l' ouverture limitée de la recherche sur les embryons par l'adoption d'un moratoire de cinq ans.

Conformément au principe posé dans la convention d'Oviedo relative à la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, adoptée en 1997 dans le cadre du Conseil de l'Europe, le projet consacre l'interdiction de toute conception d'embryon à fin de recherche. En revanche, les recherches - très encadrées - sont autorisées sur les seuls embryons surnuméraires sans projet parental et sous conditions : finalité médicale de la recherche, pas de méthode alternative d'efficacité comparable, consentement exprès des deux membres du couple, protocoles dûment autorisés par l'ABM, interdiction d'implanter des embryons qui ont fait l'objet de recherches. Cette autorisation est ouverte pour une période de cinq ans à compter de la publication du décret d'application, à l'issue de laquelle il conviendra de reconsidérer la question ;

- les extensions de l'indication de diagnostic préimplantatoire (DPI) et en particulier son utilisation strictement encadrée lorsqu'il a pour objectif d'apporter un espoir de traitement à un aîné atteint d'une maladie ;

- l'élargissement de l'indication d'AMP aux couples sous le risque d'une infection par une maladie grave et la facilitation du recours à un tiers donneur. 2,2 % des naissances sont aujourd'hui le résultat d'une AMP soit 16.000 naissances par an ;

- enfin, la transposition partielle de la directive 98/44 du 6 juillet 1998 relative à la brevetabilité des gènes humains, pour répondre à la fois à la réglementation communautaire et aux exigences éthiques de la France.

* 2 Table ronde organisée par la commission des Affaires sociales le 8 février 2006 sur l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, p. 36.

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