3. Une aggravation des troubles intérieurs

Le pouvoir pakistanais ne parvient pas à apaiser les tensions qui affectent le Baloutchistan et les « zones tribales » du nord ouest notamment parce qu'il n'a utilisé jusqu'ici que des moyens militaires sans s'investir dans le développement économique de ces provinces. A ces violences régionales s'ajoutent celles dites « sectaires », qui opposent les 80 % de sunnites aux 20 % de chiites, qui affirment leur spécificité à partir des années 198, date de l'arrivée au pouvoir des Mollahs en Iran.

Malgré la ratification par le Parlement, à la majorité des deux tiers, en décembre 2003, du 17è amendement à la Constitution, suivie de la création, en mars 2004, du Conseil national de sécurité, qui ont renforcé le pouvoir du Chef de l'Etat 8 ( * ) , et institutionnalisé le rôle politique de l'armée, la situation sécuritaire reste tendue.

La manifestation la plus spectaculaire en a été les trois attentats successifs contre la personne du Président, en décembre 2003, officiellement attribués à des extrémistes cachemeris, qui ont fait trente-cinq victimes, mais auxquelles des sous-officiers de l'armée pakistanaise auraient participé.

LES TROUBLES DANS LA PROVINCE DU BALOUTCHISTAN

Bien que sa population soit musulmane, le Baloutchistan n'a jamais vraiment admis son rattachement au Pakistan lors de la partition. Il avait, antérieurement, le statut d'un Etat indépendant rattaché à l'Empire des Indes. Cet irrédentisme s'est fortement accru depuis les années 1970, et les moyens mis en oeuvre par le gouvernement central pour y remédier ne semblent guère efficaces.

Sur les 796 000 km 2 du Pakistan de 1971, le Baloutchistan est, de loin, la province la plus vaste, avec 347.000 km 2 . En revanche, ses quatre millions d'habitants pèsent peu au sein des quelque 160 millions de Pakistanais.

De surcroît, l'organisation sociale traditionnelle rapproche les Baloutches des Pachtounes afghans : le pouvoir ne s'y transmet pas par droit d'aînesse, mais par une allégeance des chefs de tribu au meilleur pourvoyeur de biens et d'armes. A l'image également des Pachtounes afghans, avant l'invasion soviétique, les Baloutches sont animés par un nationalisme laïc, qui a été longtemps financé par l'URSS (pour contrer les choix occidentalistes du Pakistan), et par l'Inde.

Le BPLF (Baluch People's Liberation Front), qui prospère à cette époque, suit cette ligne moderniste et nationaliste. Il n'est, en réalité, guère implanté dans la population de la province, soumise à la loi des sadar. Ces chefs de tribu ont des conceptions très conservatrices, et s'opposent à toute modernisation et, en particulier, à la scolarisation des enfants, de peur d'une perte de prestige dont ils pourraient être ultérieurement affectés.

L'invasion soviétique de l'Afghanistan discrédite le BPLF, et radicalise pachtounes et baloutches, dans un combat qui forge les premiers réseaux islamistes.

Parallèlement, le Baloutchistan s'associa à la NWFP (Province de la frontière du Nord-Ouest) pour contester le manque d'investissement effectué dans ces territoires éloignés par le pouvoir central pakistanais.

Le Gouvernement fédéré du Baloutchistan fut révoqué par Ali Bhutto en 1973 pour « menées séparatistes ». Les troubles qui s'ensuivirent firent environ 5 000 victimes locales, et 3 000 morts parmi les soldats pakistanais chargés de les réprimer.

L'arrivée au pouvoir du général Zia, en 1977, conduisit à la libération des prisonniers faits lors de ces troubles, et à l'amnistie des combattants qui s'étaient réfugiés en Afghanistan.

Cette clémence n'eut qu'un effet limité, car la population baloutche s'estime victime d'une double injustice : peu éduquée, et faute d'emplois locaux, elle est conduite à « s'exiler » dans les autres provinces pakistanaises pour y remplir des tâches non qualifiées.

En revanche, les postes de cadres créés pour y exploiter ses nombreuses ressources naturelles, dont le gaz, sont essentiellement pourvus par des Pendjabis. Par ailleurs, le prix du gaz baloutche destiné à l'approvisionnement du Pakistan est fixé à un niveau faible par le gouvernement central, minorant d'autant la fraction qui revient aux autorités locales.

Le vif mécontentement de la population, qui est maîtresse du terrain, se traduit par d'incessants attentats contre le gazoduc et les voies de communication.

L'édification, sur capitaux chinois, et avec de la main-d'oeuvre de ce pays, du port en eau profonde de Gwadar, a renforcé ce refus d'une intrusion étrangère : trois ingénieurs chinois ont été assassinés le 15 février 2006.

La violence des attentats ne cesse de se renforcer : ainsi, le 10 mars dernier, 27 personnes se rendant en autocar à un mariage ont été tuées par une mine. L'AFP relate cet attentat en ces termes :

« La piste sur laquelle a eu lieu l'explosion est souvent empruntée par l'armée et les forces paramilitaires ce qui pourrait expliquer pourquoi la mine était placée à cet endroit, ont déclaré des responsables. Le ministre de l'intérieur, Aftab Sherpao, a affirmé que des éléments « terroristes » étaient derrière cette explosion qui visait à saboter les efforts du gouvernement fédéral pour développer la région.

« Le nombre élevé de morts, dont des femmes et des enfants dans l'explosion d'une mine au Baloutchistan, est extrêmement condamnable » a dit M. Sherpao dans un communiqué. « Le seul but des assaillants et de déstabiliser la province sur l'ordre d'instigateurs étrangers pour saper l'unité nationale et maintenir la province pauvre et attardée », a-t-il ajouté.

« Des responsables pakistanais ont en privé accusé New Delhi et Kaboul de fomenter des troubles au Baloutchistan, région par laquelle pourrait passer un gazoduc en projet qui relierait l'Iran à l'Inde. Le Pakistan a déployé des milliers de soldats au Baloutchistan depuis une attaque mortelle à la roquette contre la plus grande usine de gaz naturel du pays en janvier 2005. Les insurgés prennent souvent pour cible les gazoducs, routes et installations militaires ».

Depuis ces attentats, le Président Moucharraf a réduit ses apparitions publiques, ce qui a créé le sentiment d'un relatif isolement politique.

Au Baloutchistan, riche en matières premières, notamment en gaz, et source d'importants trafics d'armes et de drogues avec l'Afghanistan et l'Iran, l'insécurité continue de régner, malgré l'importance des forces militaires et para-militaires qui y ont été déployées. Ces forces sont confrontées à une guérilla de plus en plus violente conduite par « l'Armée de libération du Baloutchistan », qui s'en prend aux infrastructures vitales pour l'économie du pays, comme le gazoduc et les voies de communication. De nombreux morts et blessés, tant parmi les militaires que parmi la population locale (70 morts en mars 2005, lors d'affrontements très violents) dressent cette dernière contre le pouvoir central.

Dans les zones « tribales », (province du Warizistan), à la frontière avec l'Afghanistan, l'armée pakistanaise ne semble pas, malgré l'importance des effectifs qu'elle y a déployés, capable de rétablir l'ordre, ce qui a incité les Etats-Unis à des attaques aériennes visant des éléments talibans qui s'y sont réfugiés.

Les éléments affiliés à Al-Qaïda sont pourchassés par quelque 80 000 soldats pakistanais, dont les opérations sont financées par une aide de 300 millions de dollars accordée par les Etats-Unis pour réprimer le terrorisme islamiste à la frontière de l'Afghanistan.

Mais sur le millier de personnes arrêtées ou tuées, ne figurent, semble-t-il, que peu de dirigeants terroristes importants.

Cette zone de non-droit, qu'aucun pouvoir, y compris le colonisateur britannique, n'a jamais pu, ni même cherché, à maîtriser, est la cause d'incessants reproches que la communauté internationale, notamment les Etats-Unis et l'Afghanistan, adressent au pouvoir pakistanais, accusé au mieux d'impuissance, au pire de complicité.

Les actions américaines, comme le bombardement de la zone de Bajaur, en février 2006, entraînant la mort de 18 civils, dont aucun n'était un terroriste notoire, attisent le ressentiment contre la politique du Président Moucharraf, accusé de collusion avec la « croisade » que les Etats-Unis sont censé conduire contre les musulmans.

Les solidarités inter-personnelles et inter-ethniques suffisent, dans ces zones pachtounes, à expliquer les difficultés qu'éprouve le Pakistan à y établir l'ordre. Des intérêts multiples profitent de cette situation pour y développer de nombreux trafics illicites.

Ceci n'exclut pas complètement l'existence d'affinités entre certains éléments de l'armée et les Talibans, sans qu'aucune preuve tangible ne vienne étayer cette supposition.

* 8 Le 17è amendement restitue au Président et aux gouverneurs des provinces la faculté de dissoudre l'Assemblée nationale, et les assemblées provinciales.

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