AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Première étude de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) mise en place au sein de la commission des Affaires sociales en janvier 2006, ce rapport sur la dette sociale se veut emblématique des travaux que cette nouvelle structure entend mener.

Il approfondit un sujet aux contours relativement techniques, mais d'importance cruciale pour l'avenir de la sécurité sociale, tout en portant une appréciation sur la façon dont le Gouvernement gère ce dossier difficile.

De fait, ce rapport a pour ambition de proposer un tableau aussi précis que possible du champ couvert par la dette sociale, d'exposer son caractère excessif, de faire prendre conscience de perspectives d'évolution inquiétantes et de montrer les enjeux d'une bonne gestion de cette dette.

Il s'inscrit dans le prolongement du rapport Pébereau sur la dette publique 2 ( * ) qui a mis en exergue tant l'ampleur que la situation préoccupante d'un endettement atteignant globalement 1.100 milliards d'euros à la fin de 2005, et dont le grand mérite est d'ailleurs d'avoir su créer une prise de conscience de la situation dans l'opinion publique.

La dette sociale n'est qu'une partie de cet ensemble, dont elle constitue moins de 10 %.

Sa difficulté d'appréhension tient à deux facteurs : d'une part, elle comporte des facettes variées, ce qui en rend la consolidation singulièrement délicate ; d'autre part, elle est en grande partie méconnue alors même que la plupart de ses composantes se chiffrent en milliards d'euros.

Néanmoins, après analyse des divers éléments de cette dette, la Mecss a tenté d'en opérer la consolidation. Les calculs auxquels elle a procédé conduisent à l'estimer à 91 milliards d'euros au 31 décembre 2005 , montant comprenant les créances des organismes de sécurité sociale sur l'Etat. Une projection raisonnable permet de chiffrer la dette sociale à environ 105 milliards d'euros à la fin de 2009 , hors créances des organismes de sécurité sociale sur l'Etat, dont l'évolution peut difficilement être extrapolée. A périmètre identique, la progression apparaît rapide, de l'ordre de 20 % à 25 % en quatre ans.

Ces données conduisent la mission à formuler un certain nombre de remarques :

- le montant de la dette sociale est excessif et ne saurait continuer à se renouveler indéfiniment , sauf à nous infliger le châtiment de Sisyphe éternellement condamné à reconduire ses efforts : il convient en effet de rappeler que, par nature, les dépenses sociales ne peuvent ni ne doivent être reportées sur les générations futures ;

- pour autant, force est de constater que les principales branches du régime général affichent des soldes négatifs dans l'attente du rendez-vous de 2008 sur les retraites et d'un retour à l'équilibre qui n'est prévu pour la branche maladie qu'à l'horizon 2009, voire au-delà pour la branche famille ; près des trois quarts de la dérive de la dette sociale entre 2005 et 2009 (plus de 15 milliards d'euros sur plus de 20 milliards d'euros) seraient dus à ces soldes ;

- si la gestion de la dette portée par la Cades, Caisse d'amortissement de la dette sociale, est satisfaisante, malgré le contexte difficile dans lequel elle intervient - il restait 73 milliards d'euros d'emprunts à amortir fin 2005 -, il faudra attendre au delà de 2009 pour que les dépenses d'amortissement dépassent les charges d'intérêt ; en tout état de cause, la Mecss refuse une fois pour toutes la facilité qui consiste à rouvrir la Cades pour organiser le refinancement d'une nouvelle dette de la sécurité sociale ;

- la responsabilité de l'Etat est entière dans la dégradation de la situation : l'heure de vérité a déjà sonné pour le fonds de solidarité vieillesse (FSV) et le fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa) dont l'Etat doit juridiquement garantir l'équilibre financier ; or, le solde négatif de ces deux fonds - respectivement 3,7 milliards et 4,6 milliards d'euros fin 2005 - va bientôt dépasser la moitié de leurs recettes : cette situation n'est plus soutenable et des solutions devront être rapidement trouvées ;

- de même, l'Etat continue à maintenir une dette élevée à l'égard des organismes de sécurité sociale - 6,1 milliards d'euros fin 2005 - pourtant eux-mêmes en situation difficile, produisant ainsi des charges financières substantielles pesant sur la trésorerie de ces organismes ; cette situation reflète notamment l'habitude prise par les gouvernements successifs de faire financer une partie de leur politique de l'emploi par la sécurité sociale ;

- sans la dette cumulée du FSV et les créances des organismes sociaux sur l'Etat, le solde de trésorerie de l'Acoss, Agence centrale des organismes de sécurité sociale, aurait été positif d'environ 3 milliards d'euros au 1 er janvier 2006, alors qu'il dépasse 6 milliards d'euros de déficit ;

- l'établissement du bilan d'ouverture des comptes de l'Etat au 1 er janvier 2006 devrait permettre de clarifier un certain nombre d'éléments : il conviendra que les créances sur l'Etat du FSV, du Ffipsa et des organismes de sécurité sociale y soient correctement inscrites ;

- des points d'opacité persistent : c'est le cas, par exemple, de la dette des hôpitaux publics - 500 millions d'euros de reports de charges estimés -, une question qui sera approfondie lorsque la commission des Affaires sociales aura reçu, fin mai 2006, les conclusions de l'enquête demandée à la Cour des Comptes sur le contrôle budgétaire et comptable à l'hôpital dans le cadre de la tarification à l'activité.

A travers ce rapport, la Mecss a essentiellement voulu établir un état des lieux et tirer la sonnette d'alarme . Elle considère en effet que des mesures doivent être prises pour résorber, à terme, l'endettement social de notre pays et, dans l'immédiat, empêcher son aggravation et se prémunir ainsi contre le risque de voir les générations futures assumer les conséquences des défaillances passées.

I. LA DETTE IDENTIFIÉE : L'INSTRUMENT CADES

A. L'AMBITION AFFICHÉE : EN FINIR AVEC LA DETTE

L'apparition d'un déséquilibre persistant des finances sociales a justifié la mise en place, à l'automne 1995, d'un plan de sauvegarde ambitieux, par le gouvernement d'Alain Juppé, comprenant un important volet de refinancement de la sécurité sociale.

Les modalités d'amortissement de la dette sociale ont ainsi été fixées par l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 qui a créé la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), dont la mission initiale était d'apurer les déficits cumulés par le régime général, les autres éléments du Plan Juppé ayant pour objectif d'empêcher que de nouveaux besoins de financement n'apparaissent à l'avenir.

Comme votre commission l'a souligné dans un précédent rapport de 2003 sur la Cades 3 ( * ) , la mise en place de cette structure avait une « vertu pédagogique » pour le contribuable que n'aurait sans doute pas eue la consolidation de la dette sociale avec la dette de l'Etat. Le choix d'une structure ad hoc et transitoire avait pour principale fonction d'afficher un refus définitif de la dérive, jusqu'alors constatée, des comptes sociaux.

* 2 Les principales observations du rapport de Michel Pébereau « Rompre avec la facilité de la dette publique » portant sur la dette sociale figurent en annexe du présent rapport.

* 3 Rapport d'information (n° 248 - 2002/2003) fait au nom de la commission des Affaires sociales sur la situation de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) par Alain Vasselle - pages 12-13.

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