D. JEUDI 13 AVRIL 2006

1. Suivi du Troisième Sommet : relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne

Un débat s'est engagé sur une meilleure coopération entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne. Le rapporteur a regretté que l'Assemblée n'ait pas été associée au mémorandum d'accord préparé par les deux institutions tout en soulignant l'apport du rapport de M. Jean-Claude Juncker sur ce même thème. Il a souligné la différence entre l'Union, qui mène une construction intégrée, et le Conseil, qui défend des valeurs universelles. La plupart des délégués ont montré peu d'enthousiasme et certains même une opposition franche envers l'idée de la création d'une Agence des droits fondamentaux sous l'égide de l'Union européenne.

MM. Bernard Schreiner (Bas-Rhin - UMP), Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC-UDF) et Michel Hunault (Loire-Atlantique - UDF) se sont exprimés.

M. Bernard Schreiner, député :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, le rapport que nous a présenté mardi dernier M. Jean-Claude Juncker constitue, n'en doutons pas, un moment très important pour l'avenir de notre institution. Il nous appartient de nous saisir avec énergie et volonté de ce document équilibré et réaliste qui ne pêche ni par excès d'ambition ni par manque de vision, pour conforter et assurer la pérennité du Conseil de l'Europe et assurer ainsi la place de la démocratie et des droits de l'Homme sur notre continent.

L'occasion qui nous est offerte risque de ne pas se représenter de sitôt car ce document, rédigé par un Homme qui connaît parfaitement l'ensemble des institutions européennes, leurs rouages et les Hommes qui les font fonctionner, présente l'immense mérite de reconnaître le rôle éminent du Conseil de l'Europe et de contenir des propositions réalistes, acceptables par tous les intéressés.

Je limiterai mon propos à trois séries de considérations.

D'abord, pour mieux se connaître, mieux s'accepter, il est indispensable de multiplier les rencontres entre nos deux institutions. Les parlementaires, les présidents de nos deux Assemblées et ceux de nos commissions doivent se réunir chaque fois que l'actualité l'exige, afin d'éviter de traiter de sujets identiques de façon contradictoire. Ces rencontres pourraient être l'occasion d'un examen commun de différentes structures - agences, comités, centres, etc. - mises en place ou en projet, afin d'en vérifier la pertinence, le rapport coût-efficacité et, éventuellement, d'en supprimer certaines qui se révéleraient peu utiles ou redondantes. Si un tel examen avait eu lieu, il aurait peut-être permis de s'interroger sur la pertinence de la création de l'Agence européenne des droits fondamentaux dont, personnellement, je suis peu convaincu. En outre, comme le propose Jean-Claude Juncker, le développement des rencontres entre les présidents des groupes politiques serait très utile.

J'évoquerai ensuite la nécessaire clarification des compétences entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, sans laquelle il ne peut y avoir de bonne coopération. Cela concerne de nombreux domaines. S'agissant des droits de l'Homme, il me suffit de rappeler une phrase figurant dans le rapport de M. Juncker: « le Conseil de l'Europe doit rester la référence en matière de droits de l'Homme en Europe ».

Enfin, le Conseil de l'Europe, qui se trouve conforté par ce rapport, ne pourra s'acquitter des missions qui lui sont reconnues qu'à la condition de disposer de moyens suffisants. Cela me conduit à faire deux remarques.

D'une part, il convient, bien entendu, d'éviter tout gaspillage et toute dépense inutile et, à ce titre, de bien réfléchir avant de créer des structures administratives dévoreuses de crédits de fonctionnement à un moment où, après des années de croissance zéro, notre budget se trouve dans une situation assez dramatique.

D'autre part, nous devons absolument, nous parlementaires, sensibiliser nos gouvernements à la misère budgétaire du Conseil de l'Europe. Si la tendance actuelle se poursuit et si le Comité des Ministres maintient son refus de toute augmentation de crédits, le Conseil de l'Europe est condamné à une mort lente, ce qui serait parfaitement contradictoire avec les propositions du rapport Juncker et avec les textes très importants que nous examinons ».

M. Denis Badré, sénateur :

« Il y a deux jours, m'adressant au Président Manuel Barroso (1 ( * )), je regrettais tout à la fois la panne que connaît la construction européenne et, malheureusement, la part de responsabilité prise par mon pays dans cette affaire. J'appelais donc le Président de la Commission à tout faire pour restaurer le sens de l'intérêt commun européen, afin que nous sachions à nouveau dépasser le niveau du choc des intérêts particuliers nationaux, lequel ne peut que défaire l'Europe... Alors, je suis tout spécialement reconnaissant à M. Jean-Claude Juncker. La clarté et la pertinence de son rapport sont bienvenues et de nature à faire renaître l'optimisme...

Avec M. Jean-Claude Juncker, je suis persuadé que le Conseil de l'Europe, créé ici à Strasbourg au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, a plus que jamais un grand rôle à jouer pour faire vivre et développer sa mission de paix et de respect des droits de l'Homme. Le Conseil n'aurait pas été créé en 1949, il aurait fallu le créer en 1989, ou maintenant, si ce n'avait pas été possible en 1989. Je me plais à souligner ici la contribution inestimable des pays qui nous ont rejoints depuis 1989. Ils ont très souvent régénéré notre foi un peu essoufflée en l'Europe, en nous proposant un discours qui nous ramène à l'essentiel, cet essentiel que résumait ce qu'on a appelé depuis la méthode Schuman: « Si tu veux construire une paix durable, apprends aux hommes à travailler ensemble ».

Dans ce contexte, je souligne combien il me paraît important que l'enseignement de l'histoire qu'a vécue notre vieux continent au XX e siècle soit encore développé dans tous les pays et à tous les niveaux. La mission culturelle et éducative de notre Conseil a bien, elle aussi, tout son sens : nos jeunes doivent savoir d'où nous venons, au prix de quel courage et de quels sacrifices, de quelle volonté et de quelle foi en l'avenir nous nous en sommes sortis - largement et je l'espère durablement -.

Dans leurs excellents rapports, M. Jean-Claude Juncker et nos rapporteurs nous proposent une clarification tout à fait attendue des rôles respectifs de l'Union et du Conseil de l'Europe. Compte tenu de l'importance des enjeux, nous n'avons en effet le droit ni de compliquer les organisations, ni de gaspiller nos moyens.

D'emblée, je confirme mon souhait de voir le Gouvernement français examiner très positivement l'idée de l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'Homme. Je plaiderai en ce sens auprès de lui. Toujours en prenant en considération l'ampleur des défis à relever, je suis, comme la plupart des intervenants de ce matin, tout à fait réservé sur la création de l'Agence européenne des droits fondamentaux.

Qui dit nouvelles institutions, dit risques de confusion, doubles emplois, voire conflits. Qui dit nouvelles institutions, dit aussi nouveau siège et nouvelles équipes. Or le rôle de l'agence ne recoupe-t-il pas largement ceux de la Cour européenne des Droits de l'Homme et d'autres organes du Conseil ? Nous savons quel travail admirable ils réalisent déjà avec beaucoup moins de moyens que ceux dont disposerait l'Agence ! Si des moyens supplémentaires peuvent être dégagés, affectons-les à la Cour; elle en fera certainement un excellent usage.

Je rappelle que le rejet de la Constitution européenne par mes concitoyens français traduisait notamment une incompréhension devant des structures déjà peu lisibles et un refus de tout gaspillage. Nos concitoyens veulent comprendre. Ils attendent de nous et de l'Europe clarté et efficacité. Et ils ont raison !

Dans ce même esprit et pour les mêmes raisons, je suis très dubitatif au sujet de la mise en place d'un « Forum du Conseil de l'Europe pour l'avenir de la démocratie ». La création d'un tel forum ne pourrait-elle être interprétée comme un constat d'échec de notre organisation actuelle ? Commençons par améliorer et simplifier ce qui existe avant d'ajouter de nouvelles structures qui ne peuvent que compliquer une situation déjà bien difficile à comprendre. Est-il, de même, vraiment nécessaire de créer un centre d'expertise sur la réforme des pouvoirs locaux, fût-ce au sein du Conseil de l'Europe, alors que la Commission de Venise nous permet très naturellement de nous appuyer sur des experts de très haut niveau?

Alors que les menaces et les difficultés se multiplient dans un monde tourmenté, n'oublions pas ce qu'est notre vraie responsabilité. Ne la négligeons pas. Nos concitoyens attendent plus que jamais de notre part un engagement solide et rigoureux, lucide et fort, dans lequel chaque européen puisse se reconnaître. Cet engagement doit s'exprimer au moins aussi clairement dans notre organisation commune que dans nos choix politiques ».

M. Michel Hunault, député :

« Monsieur le Président, la promotion et la protection des droits de l'Homme sont au coeur du mandat du Conseil de l'Europe. Nous avons assisté mardi dernier à l'éloge fait de notre institution par MM. Juncker et Barroso qui sont venus rendre hommage et témoignage de l'action de notre Assemblée en faveur de la protection des droits de l'Homme. Aujourd'hui, on nous demande notre avis sur la création d'une Agence des droits fondamentaux.

Je voudrais, à mon tour, exprimer mes réserves sur la création de cette agence. M. le Secrétaire Général Terry Davis nous a expliqué combien l'Assemblée manquait de moyens pour fonctionner. Le coût de cette agence va absorber 30 millions d'euros : il y a là une contradiction.

Je me souviens de cette réunion de la commission Juridique, le 13 mars, à Paris, où le rapporteur, au nom du Parlement européen, est venu nous expliquer le pourquoi de cette agence. Nous avions l'impression qu'elle ne connaissait même pas l'existence du Conseil de l'Europe et son rôle. Nous devons nous battre pour à la fois promouvoir l'action du Conseil de l'Europe et surtout intensifier notre mission au service des droits de l'Homme.

Nous avons chaque année un rapport du Commissaire des droits de l'Homme, nous avons eu ce matin à la commission juridique une audition de la présidente du Comité de la prévention de la torture. Nous avons tous les instruments pour veiller à la protection des droits de l'Homme. Plus qu'une agence qui viendrait semer la confusion, nous devons demander à nos gouvernements de renforcer le rôle du Conseil de l'Europe. Nous sommes en quelque sorte la conscience de l'Europe. D'abord, par sa dimension géographique et de par le fait que nous garantissons l'État de droit dans un monde particulièrement dangereux et à un moment qui présente des défis énormes pour l'humanité tout entière. Nous devons être unanimes non seulement pour conforter le rôle et les missions de notre Assemblée mais pour être très réticents sur la création d'une agence dont on voit mal les contours et l'objet.

Je terminerai en soulignant que plus que la création d'une agence supplémentaire, nous devrions dans le cadre de cette architecture de l'Europe, dont on voit bien qu'elle est en mutation, veiller à ce que les travaux réalisés par cette Assemblée, que ce soient les conventions, les recommandations, soient suivis d'effet au sein même des États membres. Car trop de travail fait ici dans cette enceinte en faveur de la démocratie, en faveur de la garantie des droits de l'Homme, reste sans lendemain. Combien de recommandations ne sont-elles pas encore signées par les États membres de notre Assemblée ?

Plus que la création d'un instrument nouveau, nous avons besoin de conforter l'institution qu'est le Conseil de l'Europe. En disant cela, je pense également aux organisations non gouvernementales, à cette somme d'associations de la société civile qui relaient la dimension des droits de l'Homme et la dimension humaine au travers des États membres de notre institution. C'est pourquoi après l'éloge fait mardi dernier par les instances de l'Union européenne à notre institution, il faut être très vigilants pour ne pas créer la confusion et conforter notre mission ».

A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté deux Recommandations (n° 1743 et 1744).

* (1) Voir page 45.

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